Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 28 MARS 2017
(n° 133 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/23576
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Mars 2013 -Tribunal de Grande Instance de La Rochelle - RG n° 12/00363
APPELANT
MINISTERE DE LA DEFENSE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Bernard GRELON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0445
INTIME
Monsieur [R] [D]
[Adresse 2]
[Localité 2]
né le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 2] (17)
Représenté par Me José-louis DESFILIS de la SCP DESFILIS & McGOWAN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0367
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Janvier 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Madame Patricia DUFOUR, appelée pour compléter la composition de la cour en vertu de l'article R312-3 du code de l'organisation judiciaire.
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoie
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.
*****
M. [D], descendant du général [R] [D], qui a commandé le corps du génie durant plusieurs campagnes napoléoniennes a décidé d'aliéner en partie, à l'occasion d'une vente publique organisée en 2003, divers plans, dessins, croquis et cartes conservés par sa famille depuis le décès de son ancêtre en 1833.
Le ministère de la défense s'est opposé à cette vente et a assigné M. [D] en revendication de ces documents devant le tribunal administratif de Poitiers qui a reconnu la qualité d'archives publiques aux documents en cause et à enjoint à M. [D] de les restituer.
Le Tribunal des conflits, saisi par le Conseil d'Etat, a décidé dans son jugement du 9 juillet 2012 que les tribunaux judiciaires étaient compétents pour connaître du litige.
Vu le jugement rendu le 26 mars 2013 par le tribunal de grande instance de La Rochelle qui a:
- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 22 novembre 2012,
- ordonné la clôture de l'affaire au 29 janvier 2013,
- dit que les documents composant le fonds d'archives [D] constituent des archives privées au sens des dispositions de l'article L 211-5 du code du patrimoine,
- débouté le ministère de la défense de son action en revendication,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné le ministère de la défense à payer à M. [R] [D] une indemnité d'un montant de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le ministère de la défense aux dépens.
Vu l'arrêt rendu le 14 mai 2014 par la cour d'appel de Poitiers qui a confirmé le jugement déféré.
Vu l'arrêt rendu le 21 octobre 2015 par la Cour de cassation qui, au visa des articles L . 211-4 et L . 212-1 du code du patrimoine, ensemble l'article L. 2112-1 du code de la propriété des personnes publiques, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers en toutes ses dispositions et a renvoyé l'affaire et les parties devant cette cour en énonçant:
'Attendu que pour dire que les documents composant le fonds d'archives du général [D] constituaient des archives privées et rejeter l'action en revendication du ministre de la défense, l'arrêt retient, d'une part, que les documents étaient, en grande partie, des 'doubles ou copies', ainsi qu'il était d'usage d'en conserver sous l'Empire, d'autre part, que l'administration, en acceptant cette pratique au regard du fonds d'archives dont elle connaissait l'ampleur et la nature, avait, implicitement mais nécessairement, reconnu le caractère privé de ces archives et avait orienté sa revendication sélective dans le seul but de combler les manques dans les collections de l'Etat ;
qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure le caractère public de ces archives, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme il le lui était demandé, si les documents n'avaient pas été établis par le général de Chasseloup-Laubat et ses subordonnés dans l'exercice de leurs fonctions, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Vu les dernières conclusions communiquées par la voie électronique le :
- à titre principal, dire irrecevable l'action en revendication du ministère de la défense pour méconnaissance de la procédure prévue par la loi en matière de revendication,
- à titre subsidiaire :
* dire que les archives avaient acquis un statut privé en vertu des textes préexistant à l'entrée en vigueur de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 laquelle ne peut s'appliquer rétroactivement,
* confirmer le jugement du 26 mars 2013,
- à titre encore plus subsidiaire, transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité soumise par un écrit distinct,
* en tout état de cause débouter le ministère de la défense de ses demandes et le condamner à lui payer une indemnité de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- infirmer le jugement du 26 mars 2013,
- ordonner la restitution des documents en cause sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à rendre,
- à titre subsidiaire, transmettre une question préjudicielle au tribunal administratif de Poitiers sur la nature publique ou privée des documents en cause,
- en toute hypothèse, condamner M. [R] [D] à lui payer une somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI LA COUR,
Il convient de rappeler en premier lieu, d'une part que cette cour dans son arrêt du 18 octobre 2016 a dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L 211-4 du code du patrimoine posée par M. [R] [D], d'autre part que le tribunal des Conflits a jugé que l'affaire relevait de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.
Par ailleurs contrairement à ce que soutient l'appelant, le fait pour le ministère de la défense de lui avoir proposé une transaction financière à hauteur de la somme de 600 000 euros en contre partie de la remise des archives en cause, ne constitue pas une atteinte au principe selon lequel ' nul ne peut se contredire au détriment d'autrui' en raison même du caractère transactionnel de cette démarche.
Egalement le moyen d'irrecevabilité soulevé par M. [R] [D] tiré de ce que l'article L 211-4 du code du patrimoine ne pourrait être appliqué sans qu'il soit alors porté atteinte au principe de non -rétroactivité édicté par l'article 2 du code civil, manque de toute pertinence.
En effet cet article détermine le caractère public d'une archive en retenant le seul critère de son établissement par un agent dans l'exercice de ses fonctions dans le cadre d'une mission de service public.
Ce critère confère un caractère public à l'archive dés sa création de sorte qu'il ne peut exister en application de ce texte, une archive privée qui deviendrait ultérieurement publique.
Enfin c'est vainement que M. [R] [D] soulève l'irrecevabilité de la revendication posée par le ministère de la défense au motif que celui-ci n'aurait pas respecté les prescriptions de l'article L 212-1 du code du patrimoine qui prévoit préalablement à l'engagement de l'action en revendication la délivrance au détenteur du bien revendiqué d'une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception puisque ce texte n'est entré en vigueur que le 19 septembre 2009 alors que c'est en 2003 que le ministère de la défense s'est opposé à la vente aux enchères publiques des archives en cause et qu'à cette fin il en a avisé l'appelant, qui lui a répondu le 23 juillet 2003, par lettre simple en date du 4 juillet 2003, cette demande ayant été renouvelée par lettre du 10 mai 2004.
Sur le fond de l'affaire, sont applicables au présent litige :
- l'article L. 211- 4 du code du patrimoine qui qualifie d'archives publiques les documents qui procèdent de l'activité de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission,
- l'article L. 211-1 du même code qui énonce que les archives sont 'l'ensemble des documents quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité' ,
- l'article L. 212-1 dudit code qui prévoit le caractère imprescriptible des archives publiques et que nul ne peut les détenir sans droit ni titre,
- l'article L. 2112-1 de code de la propriété des personnes publiques qui dispose que font partie du domaine public de la personne publique propriétaire ' les biens présentant un intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de l'archéologie, de la science ou de la technique'.
Il est constant que les documents revendiqués par le ministère de la défense sont dans leur majorité des doubles ou des copies des originaux de plans, dessins, croquis, cartes, notices manuscrites dont les experts [O] et [W], successivement désignés dans le cadre de la procédure administrative, indiquent qu'ils 'ont été exécutés sous les ordres du général [D] dans l'exercice de ses fonctions de général commandant du Génie de l'armée d'Italie puis d'inspecteur général du Génie' et qu'ils sont ' tous de même de même nature : ils ont été réalisés pour le général [D] par des militaires ingénieurs géographes pour la plupart '.
Ces archives sont donc toutes issues du commandement qu'exerçait alors le général de [D] qui les a obtenues, élaborées, ou fait établir directement par ses subordonnés travaillant sous ses ordres, dans le cadre des ses fonctions au sein de l'armée française.
Elles décrivent des activités (nouvel affût essayé en 1810, machine à curer ....), des lieux (plans des villes de [Localité 3], de Spandau, Saragosse ....), des ouvrages (projet de fortification d'[Localité 4], fortifications de [Localité 5], fort de Pietoli......) ou des bâtiments (monuments commémoratifs divers) qui relevaient de ses activités militaires et des missions dont il était investi à ce titre.
Certes le général [D], se conformant à ses obligations, a remis les documents originaux qu'il détenait aux services des archives de l'époque, lors de son départ de l'armée en 1817.
Mais pour autant le caractère de copie ou de double des documents en cause est indifférent et n'est en rien susceptible de leur faire perdre leur nature d'archives publiques.
Et c'est en conséquence vainement que M. [D] excipe de l'activité d'écrivain et d'inventeur de son ancêtre tout comme il importe peu que le service historique de l' armée ait considéré dans les années 1950 une lettre adressée par [R] [D] au général [I] comme étant la propriété de la famille [D].
La demande en revendication présentée par le ministère de la défense sera donc accueille et la restitution des documents litigieux ordonnée dans les conditions fixées au dispositif de cet arrêt.
La solution du litige lequel a été à l'origine d'une procédure abondante, eu égard à l'équité, commande d'accorder au ministère de la défense une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 12 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Rappelle que cette cour dans son arrêt du son arrêt du 18 octobre 2016 a dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité de l'article L 211-4 du code du patrimoine posée par M. [R] [D],
Rappelle que le tribunal des Conflits a jugé que l'affaire relevait de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire.
Infirme le jugement déféré.
Rejette les moyens d'irrecevabilité soulevés par M. [R] [D].
Condamne M. [R] [D] à remettre au ministère de la défense la totalité des documents revendiqués par celui-ci, objet de la présente procédure.
Dit que cette remise doit être exécutée dans les deux mois de la signification de la présente décision, et passé ce délai, en cas d'inexécution, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
Se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte prononcée.
Condamne M. [R] [D] à verser au ministère de la défense une indemnité d'un montant de 12 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M. [R] [D] aux entiers dépens.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,