Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 19 JUIN 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/05308
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Janvier 2015 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 13/03719
APPELANTE
DIRECTEUR DE LA DIRECTION DES RÉSIDENTS A L'ETRANGER ET DES SERVICES GÉNÉRAUX 'DRESG'
domicilié [Adresse 1]
[Adresse 1]
agissant sous l'autorité du Directeur Général des Finances Publiques, [Adresse 2]
Représentée par Maître Pascale NABOUDET-VOGEL de la SCP NABOUDET - HATET, avocate u barreau de PARIS, toque : L0046
INTIMÉE
Madame [U] [F]
demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Maître Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Ayant pour avocat plaidant Maître Sébastien BOYXEN, de la CSM BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocat au barreau de NANTERRE, toque: 701
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Avril 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Edouard LOOS, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAAL, Conseillère
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Edouard LOOS, président et par Madame Cyrielle BURBAN, greffière à qui la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
A la suite du décès de sa fille, M. [G] [K], qui lui avait consenti une donation résolue par cet événement, a sollicité la restitution des droits d'enregistrement acquittés à cette occasion. Le contentieux initié par monsieur [K] face au refus de l'administration fiscale a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 décembre 2005 la condamnant à restituer la somme de 11 221 385 euros, droits et intérêts compris.
Madame [U] [F], petite-fille de M. [K] décédé en 2001 et résidente fiscale britannique, est ainsi devenue cohéritière de cette créance sur l'Etat français à hauteur de 5 610 692 euros. Le 8 décembre 2010, la direction régionale des résidents à l'étranger et des services généraux (DRESG) lui a notifié une proposition de rectification à concurrence de cette somme pour son patrimoine taxable en France, entraînant un rappel au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2006 d'un montant total de 110 346 euros.
Suite à la décision du 24 janvier 2013 par laquelle l'administration fiscale a notifié le rejet de sa demande de dégrèvement du 20 décembre 2011, Mme [F] a saisi le tribunal de grande instance de Bobigny par assignation en date du 22 mars 2013, aux fins d'obtenir la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge.
* * *
Vu le jugement prononcé le 15 janvier 2015 par le tribunal de grande instance de Bobigny qui a :
- prononcé le dégrèvement de l'imposition litigieuse pour un montant de 110 346 euros ;
- rejeté toutes autres demandes ;
- condamné monsieur le directeur départemental des finances publiques aux dépens.
Vu l'appel du directeur de la DRESG le 10 mars 2015,
Vu les conclusions signifiées par la DRESG le 9 juin 2015,
Vu les conclusions signifiées le 2 juillet 2015 par Mme [F],
La DRESG demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
- juger le directeur de la direction régionale des résidents à l'étranger et des services généraux DRESG recevable et bien fondé en son appel du jugement rendu le 15 janvier 2015 par le tribunal de grande instance de Bobigny ;
- infirmer la décision entreprise ;
- juger que Mme [F] sera rétablie à l'imposition supplémentaire d'ISF au titre de l'année 2006, dont le dégrèvement a été indûment prononcé,
- la condamner aux dépens.
L'administration fiscale fait valoir que la créance de Mme [F] ne constitue pas un placement financier exonéré pour l'ISF dû par les résidents fiscaux étrangers (art. 885 L du CGI), en ce que cette notion s'apprécie strictement et doit être définie comme résultant d'une volonté d'investissement en vue de la réalisation de profits.
Elle expose que Mme [F] est seulement titulaire d'une créance d'impôt issue de la résolution d'une donation pour pré-décès de la donataire, remboursée en 2006, les intérêts moratoires ne pouvant être considérés comme des revenus de capitaux mobiliers mais comme l'indemnisation du préjudice du créancier lié au paiement tardif.
Mme [F] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
- juger la direction des résidents à l'étranger et des services généraux mal fondée en son appel du jugement prononcé le 15 janvier 2015 par le tribunal de grande instance de Bobigny et l'en débouter, ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement le 15 janvier 2015 par le tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu'il a infirmé la décision de rejet entreprise et prononcé au profit de Mme [U] [F] la décharge des rappels d'ISF supportées au titre de l'année 2006 pour un montant global de 110 346 euros,
- condamner la direction des résidents à l'étranger et des services généraux, au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens.
Mme [F] indique que la doctrine administrative n'exclut pas les créances sur le trésor de la définition des placements financiers, et que les intérêts générés constituent des revenus de capitaux mobiliers, aucune condition tenant à la volonté d'investissement ou au consentement du créancier n'étant également prévue par le texte.
Accessoirement, elle fait valoir que l'administration fiscale ne pourrait dans tous les cas imposer une créance sur le trésor qu'elle a elle-même générée par son refus illégitime de restituer les droits d'enregistrement acquittés par M. [K], ce comportement constituant une atteinte au droit de propriété tel que garanti par l'article 1er du 1er protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
SUR CE,
Il résulte des dispositions de l'article 885 a du code général des impôts que les personnes ayant leur domicile fiscal hors de France sont soumises à l'impôt de solidarité sur la fortune à raison de leurs biens situés en France, dès lors que la valeur de ces biens dépasse 1 300 000 euros.
L'article 885 e du même code dispose que « L'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 a (...) ».
Par exception, les non-résidents bénéficient d'une mesure spéciale d'exonération de leurs placements financiers en France, prévue à l'article 885 l du CGI. Le second alinéa de cet article précise que n'ont pas le caractère de placements financiers les actions ou parts détenues dans une société ou personne morale dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l'actif total de la société, de même que les parts ou droits détenus dans les personnes morales ou organismes mentionnés à l'article 750 ter 2°, alinéa 2 du CGI (possession indirecte d'immeubles en France).
Il ressort ainsi de ces dispositions que hors les cas susvisés (parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière) expressément exclus de l'exonération, l'article 885 l du CGI ne donne pas de définition positive des placements financiers.
Dans sa doctrine, l'administration fiscale indique que « Les placements financiers comprennent (') l'ensemble des placements effectués en France par une personne physique et dont les produits de toute nature, exceptés les gains en capital, relèvent ou relèveraient de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers » (BOI-PAT-ISF-30-40-50§40, reprenant l'instruction 7 S-346), citant notamment comme exemples les dépôts à vue ou à terme en euros ou en devises, les comptes courants d'associés dans une société ayant son siège social en France, les obligations, actions et droits sociaux, les contrats d'assurance-vie.
Il convient de relever que l'administration fiscale considère en outre que les titres représentatifs d'une participation, c'est à dire selon elle permettant d'exercer une certaine influence dans la société émettrice, sont également exclus de l'exonération prévue pour les placements financiers (BOI-PAT-ISF-30-40-50§60 à 90).
Dans ses dernières écritures, l'administration fiscale fait valoir qu'un placement financier « est la résultante d'une volonté et d'une stratégie d'investissement en vue de la réalisation de profits (qualifiés de rcm) », ajoutant qu' « il suppose également le consentement de son auteur », pour conclure que la créance d'impôt de Mme [F] ne répond pas à ces critères.
Or, d'une part, les caractéristiques susvisées ne sont pas reprises dans la doctrine administrative précitée et ne sont ainsi pas opposables au contribuable, et d'autre part, l'administration fiscale n'apporte aucun élément objectif ou fondement juridique, autre que sa propre appréciation, pouvant conduire à retenir cette définition.
De surcroît, l'administration fiscale ne saurait se substituer à la loi en ajoutant des critères de qualification des placements financiers qui n'ont pas été retenus par le législateur, l'article 885 l du CGI n'excluant expressément de cette catégorie que les cas visés en son alinéa 2 (parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière).
Pour autant, le cas d'une restitution d'impôt ordonnée par une décision de justice définitive, qui constitue une créance certaine et exigible sur l'Etat, ne saurait être assimilé à un placement financier, et ce malgré l'existence d'intérêts moratoires, le terme même de « placement financier » ne correspondant manifestement pas à cette situation.
Il convient également de relever qu'une interprétation a contrario de l'exclusion des parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière de cette catégorie conduirait à étendre l'exonération prévue à l'article 885 l du cgi bien au-delà de la seule notion de « placements financiers » pour inclure l'ensemble des biens incorporels non visés par l'alinéa 2, qui font en principe partie de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, tel que définie à l'article 885 e du cgi.
Dès lors, et bien que l'argumentation de l'administration fiscale conduisant à inclure dans l'assiette de l'isf 2006 la créance d'impôt de madame [F] soit inopérante, la motivation du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny rendu le 15 janvier 2015, qui a retenu que ce bien entrait dans la catégorie des placements financiers au sens de l'article 885 l du cgi, ne pourra être retenue.
Sur ce, l'article 1 du protocole n°1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), dispose que :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
En premier lieu, il convient de préciser qu'une créance peut représenter un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole n° 1 précité si elle est suffisamment établie pour être exigible. En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme [F] était titulaire d'un intérêt patrimonial constituant un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole n° 1 pour ce qui est du remboursement de l'impôt indûment payé par son grand-père, M. [K], suite à la condamnation de l'administration fiscale par une décision définitive de la cour d'appel de Paris en date du 9 décembre 2005, tel qu'il a été rappelé ci-avant.
En second lieu, il convient de savoir si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. Dans ce cadre, il convient de rappeler que l'obligation financière née du prélèvement d'impôts ou de cotisations peut méconnaître la garantie consacrée par l'article 1 du Protocole n° 1 si les conditions de remboursement imposent à la personne ou à l'entité en cause une charge excessive ou portent fondamentalement atteinte à sa situation financière.
En l'espèce, Mme [F] a hérité d'une créance sur l'État français suite à la condamnation de l'administration fiscale au remboursement des droits de mutation acquittés par M. [K] suite au pré-décès de sa fille ayant entraîné la résolution de la donation qu'il lui avait consentie. Près de cinq ans après sa condamnation, l'administration fiscale a notifié à Mme [F] une proposition de rectification au titre de l'isf 2006 afin d'inclure le montant de la créance dont elle a hérité dans l'assiette de cet impôt, entraînant un rappel de 110 346 euros.
Il apparaît ainsi que l'administration fiscale a entendu soumettre à l'impôt de solidarité sur la fortune une partie de la somme qu'elle a été condamnée à restituer aux héritiers de M. [K], amputant la créance sur l'Etat d'un montant substantiel. Par conséquent, cette décision porte une atteinte manifestement disproportionnée au droit de Mme [F] au respect de ses biens, le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux ayant été rompu.
Partant, il convient de retenir que la décision de rejet de l'administration fiscale en date du 24 janvier 2013 est contraire au droit fondamental de Mme [F] au respect de ses biens, garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 de la CEDH, et qu'en conséquence, la décharge du rappel d'isf notifié à madame [F] pour un montant de 110 346 euros doit être confirmée.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement déféré ;
CONDAMNE monsieur le directeur départemental des finances publiques au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes ;
CONDAMNE monsieur le directeur départemental des finances publiques aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS