RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 06 Juillet 2017
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/02741
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Décembre 2013 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 12-02421
APPELANTE
SAS GROUPE LUCIEN BARRIERE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Emmanuelle BARBARA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 substitué par Me Boris LEONE-ROBIN, avocat au barreau de PARIS, du même Cabinet.
INTIMEE
URSSAF - ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée
par M. [D] [K], en vertu d'un pouvoir général
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 3]
[Adresse 3]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Avril 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Claire CHAUX, Présidente de chambre
Madame Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseiller
Madame Marie-Odile FABRE-DEVILLERS, Conseiller
Greffier : Mme Anne-Charlotte COS, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par Madame Claire CHAUX, Président, et par Mme Anne-Charlotte COS, greffier présent lors du prononcé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par le Groupe Lucien Barrière à l'encontre du jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en date du 17 décembre 2013 dans un litige l'opposant à l'URSSAF d'Ile-de-France.
EXPOSE DU LITIGE
La société Groupe Lucien Barrière a fait l'objet d'un contrôle de l'URSSAF d'Ile-de-France sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2009, aboutissant à un redressement à hauteur de 973 622 €. Une mise en demeure était adressée le 2 décembre 2011. Contestant plusieurs points de ce redressement, le Groupe Lucien Barrière a saisi le 4 janvier 2012, la commission de recours amiable de l'URSSAF. A défaut de décision explicite de cette dernière, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris suivant requête du 27 avril 2012. Enfin, la commission de recours amiable ayant le 21 décembre 2012, accueilli partiellement le recours et maintenu le reste des chefs de redressement, la société a de nouveau saisi le tribunal par requête du 13 mars 2013.
Par jugement rendu le 17 décembre 2013, ce tribunal a :
- ordonné la jonction des deux dossiers,
- débouté le Groupe Lucien Barrière de l'ensemble de ses demandes,
- confirmé la décision de la commission de recours amiable,
- condamné la SAS Groupe Lucien Barrière à payer à l'URSSAF les sommes de 902 360 € au titre des cotisations et 129 714 € au titre de majorations de retard,
- condamné la SAS Groupe Lucien Barrière à payer à l'URSSAF la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la SAS Groupe Lucien Barrière demande à la Cour de :
- annuler la mise en demeure du 2 décembre 2011,
En conséquence,
- ordonner le remboursement à la société par l'URSSAF d'Ile-de-France des sommes de 902 360 € au titre des cotisations et 129 714 € au titre de majorations de retard, assorties des intérêts au taux légal à compter du paiement,
Sur le fond,
- réduire le redressement relatif aux bons de souscription d'actions (BSA) en déduisant la plus-value, que M. [N], président du conseil de surveillance a réalisée, de l'assiette de calcul effectué par l'URSSAF,
- ordonner le remboursement à la société par l'URSSAF d'Ile-de-France des sommes de 247 157 € au titre des cotisations et 37 339 € au titre de majorations de retard, assorties des intérêts au taux légal à compter du paiement,
A titre principal,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il rejette la demande relative à l'annulation du chef de redressement sur les bons de souscriptions d'actions,
En conséquence,
- annuler le chef de redressement concernant ces bons qui ne sont pas attribués en contrepartie ou à l'occasion d'un mandat social ou d'un contrat de travail,
- annuler la décision de la commission de recours amiable du 21 décembre 2012,
- annuler la mise en demeure du 2 décembre 2011,
- ordonner le remboursement à la société par l'URSSAF d'Ile-de-France des sommes de 902 360 € au titre des cotisations et 129 714 € au titre de majorations de retard, assorties des intérêts au taux légal à compter du paiement.
La SAS Groupe Lucien Barrière fait valoir que :
- l'URSSAF n'a pas respecté les règles qui régissent le contrôle et le recouvrement des cotisations de sécurité sociale, en affirmant dans sa lettre d'observations que l'assujettissement était justifié par le lien entre l'attribution des bons et l'existence d'un mandat social, de contrat de travail ou de fonctions de dirigeants, alors qu'elle assujettissait cet avantage en fonction d'un prix de cession 5 ans après et sans lien avec l'exercice de fonctions,
- sans fondement, elle considère que le fait générateur des cotisations est constitué par la plus-value de cession et non l'appréciation de l'avantage à la date de son attribution,
- les bons ont été accordés en 2004, soit hors de la période contrôlée et hors du délai de reprise de l'article L.244-3 du code de sécurité sociale,
- contrairement aux stock-options, il n'existe aucun texte pour dire que l'avantage est considéré comme une rémunération lors de la levée de l'option,
- seules les plus-values d'acquisition doivent être intégrées dans l'assiette de cotisations,
Subsidiairement, sur le statut de M. [N],
- M. [N] en sa qualité de président du conseil de surveillance de la SAS au cours de l'année 2009 n'exerçait aucunement des fonctions de dirigeant au sein de la SAS et ne relevait pas du régime général,
- les sommes qui lui ont été versées en 2009 à quelque titre que ce soit, ne relèvent donc pas du régime général et n'entrent pas dans l'assiette de cotisations,
Subsidiairement, sur la souscription des BSA par les dirigeants en qualité d'investisseurs et non de travailleurs,
- en 2004, la société a participé à une opération de rapprochement des groupes Accord et Colony et proposé à ses dirigeants d'investir aux côtés des investisseurs financiers sous la forme de souscription de BSA,
- les BSA ne sont donc pas une rémunération variable en raison de l'investissement préalable exigé des bénéficiaires en leur qualité d'investisseur et il n'existe aucun lien entre les BSA et l'activité des personnes concernées susceptibles de caractériser une rémunération variable,
- la plus-value de cession des BSA ne peut être considérée comme un avantage consenti en contrepartie ou à l'occasion du travail des bénéficiaires, mais en contrepartie d'un investissement entrepris par ces derniers,
l'exercice de fonctions de direction ou de salariés n'était pas une condition d'attribution,
- c'est le risque de perte financière supporté qui confère la qualité d'investisseur, car la valeur des BSA évolue en fonction de la valeur des actions sous-jacentes et il est possible de réaliser une moins-value,
- l'aléa financier est illustré par les très fortes variations du groupe au cours des dernières années et la nouvelle souscription lancée en 2006,
- s'agissant de société non cotée, la liquidité des bons n'est pas automatique et ne peut résulter à l'initiative du porteur que de la sortie de Colony, ou de la cotation de la société,
- la plus-value réalisée par les bénéficiaires lors de la revente de ces BSA ne pouvait par conséquent pas être réintégrée dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale,
- la position de l'administration fiscale et de la jurisprudence administrative ne permettraient pas une requalification des plus-values en traitements et salaires.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par sa représentante, l'URSSAF d'Ile-de-France demande à la Cour de :
- donner acte à la société du paiement des causes de redressement,
- confirmer le jugement entrepris ,
- rejeter toutes les demandes de la société,
- la condamner à lui payer une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'URSSAF expose que :
- c'est bien du fait de leur qualité de dirigeants de l'entreprise et de leur appartenance à l'entreprise qu'ils ont pu bénéficier de la plus-value,
- la plus-value réalisée par le bénéficiaire constitue donc un avantage réalisé à l'occasion ou en contrepartie du travail et doit être soumise à cotisations, peu importe qu'il n'y ait pas de certitude de réaliser une plus-value.
SUR CE, LA COUR,
Le point de redressement en litige porte sur les Bons de Souscriptions d'Actions Autonomes (BSA) accordés à 6 personnes par la SAS Groupe Lucien Barrière et la discussion met en cause la date de l'avantage ainsi potentiellement procuré, la nature juridique de celui-ci et le statut particulier de M. [N].
* Sur la date de l'avantage potentiellement procuré et l'éventuelle prescription
Le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre le Groupe Lucien Barrière SAS, les dirigeants et SDAGLB SNC, indique en son article 2.1.1, qu'il est accordé à leurs dirigeants, Mrs [E], [N], [F], [Q], [X] et [I], une souscription de BSA à hauteur de 100 chacun pour les deux premiers et 10 chacun pour tous les autres, pour un montant global de 900 000 €. Le contrat prévoit que les BSA sont incessibles (art. 2.1.2 ), que chacun des dirigeants ne pourra les exercer qu'à compter de la survenance de la sortie de Colony, ou de la cotation de la société (art.2.2.1), qu'il promet irrévocablement à SDAGLB de lui vendre en cas de sortie de Colony (art.3.1.1), moyennant un prix de cession défini notamment en fonction du prix de cession de la totalité, que la réalisation de chacune des promesses d'achat interviendra dans les 30 jours de la levée de la promesse (art.7.1) et SDAGLB paiera alors au dirigeant le prix de cession (art.7.3) et que les promesses seront caduques au plus tard le 31 décembre 2018.
Il s'en déduit que si incontestablement, l'attribution à un nombre réduit de personnes du droit de souscrire à une augmentation de capital à réaliser constitue un avantage, ce dernier ne se matérialise et ne se quantifie qu'au moment de la cession, par la différence entre le prix d'achat et le prix de vente. En conséquence, le rachat par la société SDAGLB étant intervenu en 2009 avec une plus-value globale de 2 693 820 €, suite à la cession de Colony à Accor réalisée le 15 avril 2009, c'est à cette date que l'on doit apprécier l'avantage procuré, de sorte que ce dernier se retrouve bien dans la période objet du contrôle de l'URSSAF et qu'il y a donc lieu d'écarter toute prescription par rapport à la date du contrat.
Par ailleurs, force est de constater que la lettre d'observations est conforme aux exigences de l'article R.243-59 en son alinéa 5 indiquant « les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités. Comportant la cause, les cotisations, la nature, les chefs de redressement et le montant des sommes dues, ainsi que la période concernée, la société n'a donc pu se méprendre sur l'étendue de ses obligations et prétendre aujourd'hui que ses droits n'ont pas été respectés.
Enfin, si contrairement aux stock-options, il n'existe aucun texte pour dire que l'avantage est considéré comme une rémunération lors de la levée de l'option, l 'article L.242-1 du code de la sécurité sociale est suffisant en ce qu'il vise les sommes versées et en ce sens, il ne peut d'agir que des sommes versées lors de la cession.
* Sur la nature juridique de l'avantage potentiellement procuré
L'article L.242-1 du code de la sécurité sociale dispose que : Pour le calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire.
Il convient donc de rechercher si la souscription de BSA qui constitue un avantage, est ou non faite en contrepartie ou à l'occasion d'un travail, ou constitue comme le prétend la société un simple investissement financier.
Le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre le Groupe Lucien Barrière SAS, les dirigeants et SDAGLB SNC, indique en page 5, dans le cadre de son préambule que : Les associés ont souhaité, conformément au Protocole, mettre en place au profit des Dirigeants des mécanismes d'intéressement aux performances de la Société selon les conditions visées ci-dessous. Les Dirigeants ont manifesté leur volonté d'investir dans la Société conformément aux modalités et conditions du présent contrat d'investissement.
Il vise ces dirigeants, à savoir Ms [E], [N], [F], [Q], [X] et [I].
Outre les rachats consécutifs à la survenance d'événements extérieurs, tels que la sortie de Colony ou la cotation de la société, il est aussi prévu les ventes en cas de départ d'un dirigeant, soit pour des raisons qui lui sont personnelles, comme le décès, l'indisponibilité répétée et/ou prolongée, sa démission, soit pour des raisons extérieures à lui, telles que le licenciement, ou l'absence de renouvellement du mandat social du dirigeant (art.5). Il est précisé en 5.1.1, chacun des dirigeants promet irrévocablement à SDAGLB de lui vendre la totalité de ses BSA en cas de départ du dirigeant concerné.
Très clairement, et contrairement à ce qui est prétendu par la société, un lien est affirmé entre d'une part, l'attribution de BSA et le maintien de ceux-ci et d'autre part, l'existence et le maintien d'un contrat de travail ou d'un mandat social. La plus-value potentiellement dégagée est donc bien en contrepartie ou à l'occasion d'un travail.
Si les BSA représentent un investissement financier pour les dirigeants, lequel investissement est soumis à des aléas et à des risques inhérents à l'activité, cela ne retire en rien l'existence d'un avantage réservé aux dirigeants ou salariés dont seul le caractère bénéficiaire et l'importance de celui-ci généreront des cotisations. Il en est de même de l'absence de liquidité des bons, la liquidité n'étant pas un critère de l'avantage d'autant que celui-ci est déterminé seulement lorsque celle-ci s'exerce par le biais d'une cession.
Enfin, en matière d'assiette de cotisations de sécurité sociale, la position de l'administration fiscale et de la jurisprudence administrative n'ont aucune incidence.
En conséquence, la plus-value réalisée lors de la cession de 2009 constitue un avantage soumis à cotisations au sens de l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale précité.
* Sur le statut particulier de M. [N]
Le contrat d'investissement conclu le 17 décembre 2004 entre le Groupe Lucien Barrière SAS, les dirigeants et SDAGLB SNC, indique en page 5, dans le cadre de son préambule que : Les associés ont souhaité, conformément au Protocole, mettre en place au profit des Dirigeants des mécanismes d'intéressement...
Les bénéficiaires sont précisés en page 8 sous le titre I intitulé ' Investissement des dirigeants', à savoir Mrs [E], [N], [F], [Q], [X] et [I].
Les fonctions de dirigeant au sein de la SAS de M. [N] sont remises en cause par la société pour l'année 2009, seules les fonctions de président du conseil de surveillance lui étant reconnues.
Or, il résulte clairement de la lecture du contrat que l'offre de souscription de BSA ne valait qu' au profit des dirigeants sociaux et qu'en conséquence, au moment de la signature du contrat, M. [N] avait nécessairement cette qualité. Il est dès lors inopérant de produire des extraits Kbis de la société datés de 2009 ne faisant apparaître que M. [E] en qualité de président de la SAS. De plus, si dans les années qui ont suivi, il avait perdu cette qualité, il aurait dû, comme il a été vu précédemment, faire procéder au rachat de ces bons, ce qui n'a pas été le cas.
Par ailleurs, les autres bénéficiaires à savoir Mrs [E], [F], [Q], [X] et [I] ne sont pas plus mentionnés sur cet extrait Kbis alors même qu'ils profitent également de l'offre de souscription, ce qui sous-tend soit leur qualité de dirigeants sociaux, soit celle de salariés membres de la direction. Dans la lettre d'observations, l'inspecteur relevait à cet égard qu'ils étaient tous titulaires d'un mandat social ou d'un contrat de travail au sein de la SAS Groupe Lucien Barrière et cette dernière ne démontre pas le contraire aujourd'hui. Ce moyen sera donc écarté.
Tous les moyens soulevés étant rejetés, la plus-value dégagée en 2009 doit être soumise à assujettissement, y compris pour la part attribuée à M. [N] et le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
La SAS GROUPE LUCIEN BARRIERE qui succombe, sera débouté de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande de L'URSSAF d'Ile de France présentée sur le même fondement .
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute le Groupe Lucien Barrière de toutes ses demandes,
Rejette les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Fixe le droit d'appel prévu par l'article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelant qui succombe au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L241-3 du code de la sécurité sociale et condamne la SAS Groupe Lucien Barrière au paiement de ce droit ainsi fixé à la somme de 326,90 €.
Le Greffier Le Président