RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 14 Septembre 2017
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/01779
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Janvier 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY RG n° 13/00417
APPELANT
Monsieur [T] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 1]
représenté par Me Renaud DUBREIL, avocat au barreau de PARIS, toque : A0058
INTIMEE
SA PRIME anciennement dénommée IPG ( IMPRIMERIE POTDVIN GENDRES)
[Adresse 2] -
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Isabelle FRANC-VALLUET, avocat au barreau de TOULOUSE, M. Christian HUGONNET (Président) en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Mars 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine BEZIO, Présidente de chambre
M. Mourad CHENAF, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine BEZIO, Président de chambre
M. Mourad CHENAF, conseiller
Mme Patricia DUFOUR, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Véronique BESSERMAN-FRADIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine BEZIO, Président et par Madame Véronique BESSERMAN-FRADIN, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Statuant sur l' appel formé par M.[T] [R] à l'encontre du jugement en date du 27 janvier 2015 par lequel conseil de prud'hommes d'Evry a débouté M.[R] de toutes ses demandes, dirigées contre son ancien employeur, la société PRIME, et l'a condamné à verser à celle-ci la somme de 1000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions remises et soutenues à l'audience du 16 mars 2017 par M.[R], tendant à ce que la cour condamne la société PRIME au paiement des sommes suivantes, après avoir jugé que le licenciement pour faute grave de M.[R] est sans cause réelle et sérieuse :
-3517, 50 € à titre de rappel de salaire durant la mise à pied
-19 817, 80 € à titre d'indemnité de préavis et 1981, 70 € à titre de congés payés afférents
-74 316, 75 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
-118 906, 80 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-4000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Vu les écritures développées à la barre par la société PRIME qui sollicite la confirmation de la décision déférée et l'allocation de la somme de 3000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR CE LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces et conclusions des parties que M.[R] a été engagé le 11 mars 1991 par la société DELESSERT DEV, exerçant une activité d'imprimerie, en qualité de « technico-commercial », avec le statut cadre ; que cette société a été placée en redressement judiciaire par jugement du 22 décembre 2011 et a fait l'objet, le 5 juillet 2012, d'un plan de cession de fonds de commerce au profit de la société IMPRIMERIE POTDIN GENDRES, devenue, depuis, la société PRIME ; que 14 contrats de travail -dont, celui de M.[R]- ont ainsi été transférés à la société repreneuse , quatre salariés étant licenciés pour motif économique ; que ce même jugement a autorisé la délocalisation, de [Localité 2] à [Localité 3], de l'activité de la société DELESSERT DEV cédée à la société repreneuse ;
que par lettre de cette dernière, en date du 6 août 2012, M.[R] a été informé, comme les autres salariés repris, du transfert de son lieu de travail à [Localité 3] à compter du 1er octobre suivant ;
que cependant M.[R] -qui prétend avoir été téléphoniquement avisé le 27 août par son nouvel employeur qu'il n'existait pas encore de local pour lui à [Localité 3] ' a reçu de la société un courriel lui indiquant qu'il devait demeurer à [Localité 2] jusqu' à l'installation de son bureau à [Localité 3] et, notamment, surveiller la bonne fin du déménagement de l'entreprise ;
que par courriel du 4 février 2013, M.[R] a fait part à son employeur de diverses difficultés rencontrées par lui dans l'exercice de sa mission et en particulier du sentiment d'insatisfaction croissante de la clientèle de l'édition -dont il était chargé- en raison du désintérêt de la société pour cette activité, de prix trop élevés et d'un matériel non adéquat ;
que cette correspondance n'a pas reçu de réponse mais le 26 février 2013, la société PRIME a mis à pied M.[R] et l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par lettre recommandée du 19 mars suivant, puis l' a licencié pour faute grave ;
que cette lettre comportait plusieurs griefs :
« depuis quelques semaines », M.[R] ne se présentait plus « au bureau » et le nombre de commandes enregistrées par ses soins s'était effondré au point que son chiffre d'affaires était devenu « quasiment nul » alors que M.[R] n'avait jamais averti la société de quelques difficultés que ce soit rencontrées dans sa mission
ces constatations étaient à mettre en relation avec l'activité de « prépresse » de la société ATHANA, dont M.[R] était le gérant comme la société PRIME l'avait récemment découvert.
l'absence de travail imputable à M.[R] coïncidait avec l'activité de l' intéressé pour le compte de la société ATHANA, de sorte que M.[R] était indûment rémunéré par la société PRIME pour un travail qu'il n'effectuait pas
que la société PRIME estimait que l'absence de prestation de M.[R] dans ces conditions, traduisait un manquement de celui-ci à son obligation de loyauté , constitutif d'une faute grave ;
que le 26 avril suivant, M.[R] a saisi le conseil de prud'hommes afin de contester son licenciement ;
que par le jugement entrepris, le conseil a débouté M.[R] de ses demandes après avoir considéré que la faute grave reprochée au salarié était établie , retenant que « M.[R] s'isolait volontairement de l'entreprise , évitait de contacter sa hiérarchie directe et ne l'alertait pas des éventuels problèmes qu'il rencontrait, n'a pas tenté d'action visant à conserver le client Mitsubishi et travaillait depuis le siège des entreprises ATHANA et GLOBAL MEDIA COMMUNICATION qu'il gérait de façon prospère » ;
que le conseil de prud'hommes concluait ainsi : M.[R] « a manqué à son obligation de loyauté en se désintéressant de son travail pour la société PRIME et en laissant progressivement dépérir son portefeuille clients » ;
*
Considérant que s'agissant d'un licenciement pour faute grave, il incombe à la société PRIME d'apporter la preuve du manquement ayant justifié la rupture du contrat de travail de M.[R] ;
Or considérant que la société PRIME et , à sa suite, les premiers juges procèdent par affirmation, quant aux griefs reprochés au salarié, et ne démontrent à aucun moment le bien fondé de ces reproches ;
Considérant qu'en effet, l'absence de travail essentiellement imputée à M.[R] ne résulte d'aucune des pièces produites par la société PRIME ; que l'attestation de son ancien dirigeant, versée aux débats par l'intéressée, confirme au contraire que M.[R] avait reçu l'autorisation de la société de ne pas se déplacer dans les nouveaux locaux de [Localité 3], -dans la mesure où son bureau n'était pas installé- puis de rester travailler à son domicile ;
que l'absence « au bureau » de l'appelant, ainsi non fautive, n'était donc pas significative d'une absence de travail ;
qu'en outre, la responsabilité de M.[R] dans l'effondrement du nombre des commandes, visé dans la lettre de licenciement, ne résulte d'aucune pièce communiquée par la société PRIME ; que celle-ci ne produit qu'une attestation de son expert comptable constatant qu ' « en fonction des éléments mis à (sa) disposition » le portefeuille clients géré par M.[R] est passé de 785 232 € en 2011, à 383 903 € en 2012 ; que ce seul document , bien incomplet et dépourvu de toute interprétation possible, ne saurait établir ni la chute des commandes de M.[R] , ni l'imputabilité de cette chute à M.[R] -alors même que le bilan 2012 n'est pas joint ;
qu'enfin, si les autres pièces comptables au débat, relatives à la société ATHANA dirigée par M.[R], justifient d'une prospérité certaine de ladite société , cet élément ne saurait, pour autant, établir que le salarié aurait cessé sa prestation de travail au sein et pour le compte de la société PRIME ; qu'il y a lieu ici de rappeler que la société PRIME était informée de l'existence de la société ATHANA et qu'elle ne fait pas grief à M.[R] d'avoir fait preuve de concurrence déloyale à son égard mais seulement de s'être fait verser par elle une rémunération indue puisqu'il ne travaillait plus, selon elle, pour son compte mais pour celui de la société ATHANA ;
Considérant qu'en définitive, la société PRIME n'apporte aucune preuve des manquements de M.[R] ayant fondé son licenciement pour faute grave ; que la cour relève l'absence de toute remarque faite par sa hiérarchie à M.[R] sur son assiduité et ses résultats, durant les six mois qui ont précédé son licenciement, de même que l' absence de réponse de la société au courriel du 4 février 2013, antérieur donc à la convocation à entretien préalable, dans lequel M.[R] avait rendu compte et s'était plaint, auprès de la société PRIME, des difficultés rencontrées dans l'exercice de sa mission, notamment, auprès de la clientèle, insatisfaite du montant des tarifs pratiqués ;
Considérant qu'il résulte des énonciations qui précèdent que M.[R] conteste à juste titre son licenciement qui s'avère dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Considérant qu'il convient donc d'accueillir les demandes de l'appelant tendant à obtenir le paiement des indemnités de rupture requises, dont le montant n'est pas contesté par la société PRIME, ainsi que le rappel de salaire correspondant à la période de la mise à pied conservatoire ;
que s'agissant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M.[R] qui sollicite la somme de près de 120 000 € ne produit qu'une pièce datée du 28 janvier 2014, émanant de Pôle emploi, selon laquelle il a perçu, au 31 décembre 2013, 249 jours d'allocations journalières de chômage ;
Que dans ces conditions, la cour estime devoir évaluer à 50 000 € le préjudice matériel et moral de l'appelant consécutif à son licenciement pour faute grave, étant observé que M.[R] ne conteste pas n'avoir pas cessé, jusqu' à ce jour, de diriger la société ATHANA ;
Considérant qu' en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la société PRIME versera à M.[R] la somme de 3000 € ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M.[R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence ,
Condamne la société PRIME à payer à M.[R] les sommes suivantes :
-3517, 50 € à titre de rappel de salaire durant la mise à pied
-19 817, 80 € à titre d'indemnité de préavis et 1981, 70 € à titre de congés payés afférents
-74 316, 75 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société PRIME de sa convocation à l'audience du bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,
et avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, la somme de 50 000 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la somme de 3000 € en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société PRIME aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière Le Président