Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4- Chambre 1
ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2017
(no, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/ 16094
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2014- Tribunal de Grande Instance d'EVRY-RG no 12/ 00121
APPELANTE
Madame Solène, Khadija X...
née le 05 Mars 1974 à OULED ABDOUNE (MAROC)
demeurant ...
Représentée et assistée sur l'audience par Me Francis CABALLERO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1225
INTIMÉE
Madame Fabienne Y...épouse Z...
née le 28 Décembre 1956 à Saint-Chéron (91)
demeurant ...
Représentée et assistée sur l'audience par Me Juliette SELLIER de la SELARL AB-AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0592
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Juin 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Dominique DOS REIS, Présidente de chambre, et Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Présidente
Monsieur Dominique GILLES, Conseiller
Madame Sophie REY, Conseillère
qui en ont délibéré
Mme DOS REIS a été entendue en son rapport
Greffier lors des débats : M. Christophe DECAIX
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Dominique DOS REIS, Présidente, et par M. Christophe DECAIX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Aux termes d'un arrêt du 22 janvier 2016 auquel il est expressément référé pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, cette Cour, statuant sur l'appel d'un jugement du 10 juillet 2014 du tribunal de grande instance d'Evry ayant :
- déclaré Mme Y...recevable en ses demandes,
- prononcé la nullité de la vente en viager du 4 mars 2011,
- ordonné la publication du jugement au service de la publicité foncières d'Étampes,
- condamné Mme X...à payer à Mme Y...une somme de 1. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des dépens,
- ordonné l'exécution provisoire,
a rouvert les débats et invité les parties à s'expliquer sur l'éventuelle qualification de donation indirecte de la vente litigieuse.
En cet état, Mme Solène X...demande à la Cour, par dernières conclusions signifiées le 30 mai 2017, de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la dégradation de l'état de santé du vendeur ne supprimait pas le caractère aléatoire du contrat de vente en viager du 4 mars 2011,
- l'infirmer en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente en viager du 4 mars 2011 au motif que le montant de la rente était inférieur aux revenus de l'immeuble vendu,
- au visa des articles 564 à 566 du code de procédure civile, déclarer irrecevable l'action en résolution de la vente pour non-paiement du prix,
- dire mal fondée l'action en résolution de la vente pour défaut de paiement du prix payé par la remise d'une reconnaissance de dette de 25. 000 €,
- constater que la vente viagère du 4 mars 2011 ne constitue pas une donation indirecte de la part d'Achille Y...,
- rejeter l'ensemble des demandes de Mme Z...,
- condamner Mme Z...au paiement de la somme de 8. 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens,
Mme Fabienne Y...épouse Z...prie la Cour, par dernières conclusions signifiées le 13 juin 2017, de :
au visa des articles 918, 1108, 1131 et suivants, 1984 du code civil,
à titre principal,
- débouter Mme X...de ses demandes et confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- subsidiairement, dire que Mme X...n'a pas réglé la partie du prix payable comptant de la vente (le bouquet),
- en conséquence, prononcer la résolution de la vente en viager du 4 mars 2011,
- infiniment subsidiairement, constater l'intention libérale de Achille Y...et re-qualifier la vente viagère en donation indirecte rapportable à la succession d'Achille Y...,
- dire que les dispositions de l'article 918 du code civil doivent être appliquées et désigner un expert avec pour mission d'estimer le bien litigieux ainsi que sa valeur locative, pour la période allant du décès du de cujus à la date du partage, d'évaluer les biens meubles et de fournir toutes informations au notaire liquidateur sur l'actif et le passif successoral, la réserve héréditaire et l'éventuelle indemnité de réduction due à la succession ainsi que la dette de Mme X...correspondant aux indemnités d'occupation dont elle est recevable envers l'indivision successorale,
- en tout état de cause, ordonner la publication du présent arrêt au Service de la publicité foncière,
- condamner Mme X...au paiement de la somme de 10. 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des entiers dépens.
SUR CE
LA COUR
La note en délibéré adressée à la Cour par Mme X...le 27 juillet 2017 sera écartée des débats comme non autorisée ;
Il convient de rappeler que, par acte authentique du 4 mars 2011, Achille Y..., né le 16 novembre 1928, a vendu en viager à Mme X..., née le 5 mars 1974, une maison à usage d'habitation ...(91) moyennant un « bouquet » de 25. 000 € et une rente annuelle de 3. 000 €, soit 250 € par mois ; que Mme Fabienne Y..., fille du défunt, poursuit la nullité de cette vente comme dépourvue d'aléa et de prix réel et sérieux, subsidiairement, sa résolution pour défaut de paiement du « bouquet » de 25. 000 € ;
Au soutien de son appel, Mme X...conteste la vileté du prix de vente du pavillon de Achille Y..., faisant valoir que ce bien était vétuste, non entretenu, insalubre et que son sous-sol était frappé d'une interdiction d'habiter par un arrêté du 30 octobre 2000 du préfet de l'Essonne ; elle soutient que le bouquet de 25. 000 € a été réglé par compensation, son versement s'effectuant par l'abandon d'une reconnaissance de dette du même montant signée par Achille Y...en sa faveur, aux termes de laquelle ce dernier reconnaissait lui être redevable de plusieurs remises d'espèce ainsi que d'achats de matériaux pour travaux et remise en état de la maison entre les années 2006 et 2009 ; elle ajoute que le montant de la rente n'est nullement inférieur aux revenus de l'immeuble qui étaient inexistants lors de la cession, d'autant plus que le sous-sol était frappé d'interdiction d'habiter ; enfin, elle conteste l'intention libérale d'Achille Y...à son endroit, indiquant que la vente de la maison en viager présentait trois contreparties appréciables pour Achille Y...qui pouvait ainsi rester chez lui jusqu'à sa mort tout en faisant prendre en charge par la débirentière les charges de cette maison et en bénéficiant de la fourniture de services équivalents à des soins ;
Mme Z...fait valoir que la vente était dépourvue d'aléa en raison de l'état de santé très dégradé de Achille Y..., âgé de 82 ans et hospitalisé à maintes reprises dans les mois précédant son décès, de son espérance de vie, du montant dérisoire de la rente alors que la valeur locative du pavillon litigieux de 98 m ², estimé entre 140. 000 € et 223. 000 € en 2011, s'élève à 1. 450 € par mois, ajoutant que l'arrêté d'insalubrité est obsolète et ne peut être pris en considération ; elle conteste le paiement du prix par la compensation invoquée par Mme X..., la reconnaissance de dette du 10 septembre 2009 étant dépourvue de cause selon elle et ne constituant pas une créance certaine, liquide et exigible permettant d'opérer compensation ; subsidiairement, elle conclut à la re-qualification de la vente prétendue en donation indirecte rapportable à la succession ;
Suivant l'article 1964 du code civil, la vente d'un bien en viager est un contrat aléatoire qui suppose l'existence d'un risque pour le co-contractant, car la durée de service de la rente dépend d'un événement incertain, la date de la mort du crédirentier ; l'absence d'aléa est caractérisé quand le débirentier est certain d'obtenir un bénéfice très au-delà de la durée d'espérance de vie du crédirentier ; en outre, la validité d'une vente est subordonnée à l'existence d'un prix sérieux et déterminé, d'où il suit qu'une vente d'un immeuble en viager peut être annulée lorsque le montant des arrérages est vil ou dérisoire et que l'absence de prix réel et sérieux prive la vente d'aléa, l'acquéreur étant certain d'obtenir un bénéfice quelle que soit l'espérance de vie du vendeur ; tel est le cas notamment lorsque le montant des arrérages est inférieur aux revenus que le bien est susceptible de procurer ;
Au cas d'espèce, Achille Y..., crédirentier, était âgé de 82 ans, avait subi une fracture du fémur le 6 février 2011 puis avait contracté une grave embolie pulmonaire le 16 février suivant ; hospitalisé jusqu'au 2 mars 2011, il est décédé le 28 mai suivant des suites de cette embolie pulmonaire, le compte rendu d'hospitalisation du 9 mars 2011 notant qu'il était atteint, outre l'embolie pulmonaire bilatérale, d'une anémie et d'une cardiopathie mixte, d'où il suit que son espérance de vie était limitée à quelques mois au mieux, voire à quelques jours, lorsqu'il a signé l'acte de vente en viager de son bien le 4 mars 2011, deux jours après sa sortie de l'hôpital de Dourdan ; il était d'ailleurs ré-hospitalisé en urgence le 13 avril suivant pour une décompensation cardiaque avec foie hypoxémique, rétention aiguë d'urines et dégradation de la fonction rénale ; cette poly-pathologie ne permet pas de retenir une espérance de vie théorique de 7 ans et 3 mois selon le barème en usage et même alors que cette espérance théorique n'aurait pas été obérée par l'état de santé du vendeur, la vente n'en aurait pas moins été dépourvue de prix réel et sérieux, le prix convenu de 90. 000 € convenu entre les parties étant très inférieur à la valeur vénale du pavillon, estimé entre 130. 000 et 220. 000 € en 2011 selon les diverses évaluations produites aux débats, ce nonobstant l'arrêté d'interdiction d'habiter qui pesait sur le sous-sol, et la nécessité d'effectuer quelques travaux pour remédier à cet arrêté ;
Le montant de la rente fixé dans l'acte de vente est également dérisoire, même en tenant compte du droit d'usage et d'habitation que s'était réservé Achille Y..., dès lors que Mme X...jouissait concrètement de rez-de-jardin du pavillon ; cette rente est très inférieure au revenu locatif qu'aurait pu procurer la location du pavillon, même restreinte à un étage, et qui se chiffrait à 700 € selon les tarifs de la région pour des biens similaires, étant encore observé que les charges afférentes au bien litigieux, soit les fournitures de fluides, les cotisations foncières et d'assurance, la taxe d'habitation, peuvent être estimées à une somme mensuelle de 293 € ;
Enfin, il est constant que le bouquet de 25. 000 € n'a pas été réglé comptant par Mme X...comme l'indique faussement l'acte de vente en viager, ce que reconnaît au demeurant celle-ci qui prétend que ce prix aurait été payé par compensation avec l'abandon de sa part d'une reconnaissance de dette que Achille Y...lui avait signée, alors que la cause de cette reconnaissance n'est pas établie faute de documents justificatifs des avances prétendues qu'elle aurait consenties à Achille Y..., et qu'une compensation ne peut s'opérer qu'entre des créances pareillement certaines, liquides et exigibles, ce qui n'est pas le cas, non plus qu'en les soins qu'elle prétend avoir dispensés au défunt, en tout état de cause compensés par son hébergement à titre gratuit dans le pavillon d'Achille Y...;
Il suit de l'ensemble de ces éléments que la vente du 4 mars 2011 était dépourvue de tout aléa, comme de tout prix réel et sérieux, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il en a prononcé la nullité ;
Le présent arrêt devra être publié au service de la publicité foncière ;
S'agissant de la re-qualification de la vente en donation indirecte, la Cour ne saurait, sans demande en ce sens de la part de la bénéficiaire supposée de cette donation, l'opérer sans statuer ultra petita et modifier l'objet du litige, dès lors que Mme X..., par ailleurs légataire universelle d'Achille Y..., conteste l'intention libérale du défunt en soutenant que la vente trouvait sa contrepartie dans les services qu'elle lui rendait et soins qu'elle lui prodiguait ;
L'équité ne justifie pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement,
Ordonne la publication du présent arrêt au service de la publicité foncière,
Rejette toute autre demande,
Condamne Mme X...aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, La Présidente,