Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRET DU 31 OCTOBRE 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/11447
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Janvier 2014 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 12/03507
APPELANTE
SARL LA SOCIETE D'EXPLOITATION DE RESTAURATION DE BOULO GNE BILLANCOURT 'SERBBI'
Agissant poursuites et diligences de son Gérant domicilié audit siège es-qualité
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Françoise MALEMPRÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : B0135
INTIMEE
SARL GUY CHANZY ET ASSOCIES
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Alain FISSELIER de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044, avocat postulant
Ayant pour avocat plaidant Me Stéphane MORER, avocat au barreau de PARIS, toque
K 105
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre
Mme Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère
M. Laurent BEDOUET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Christine LECERF
MINISTERE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au ministère public
Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Marie-Christine HEBERT-PAGEOT dans les conditions prévues à l'article 785 du CPC.
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, président et par Mme Christine LECERF, greffier présent lors du prononcé.
*
La Sarl Serbbi, créée en 1998, exploite un restaurant à [Localité 1] sous le nom commercial ' [Établissement 1]'. M.[H] [D], succédant à son père, en est devenu le gérant le 1er février 2011.
La comptabilité de la société, ainsi qu'une partie du dossier social, étaient gérés par la société d'expertise comptable [D] [Y] et associés jusqu'au 31 décembre 2010, date à laquelle il a été mis fin à sa mission.
En 2011, la société Serbbi a fait l'objet d'un contrôle de la part de l'Urssaf au titre des exercices 2008, 2009 et 2010, dont il est résulté un rappel de cotisations de 150.002 euros, outre majorations de retard.
L'Urssaf a mis la société Serbbi en demeure de lui régler un montant de 177.954 euros, comprenant 27.952 euros de pénalités, puis lui a notifié une contrainte pour ce montant, le 26 janvier 2012, qui a été frappée d'opposition. Par décision du 21 mai 2013, le tribunal des affaires de sécurité sociale a confirmé la décision de rejet de la commission des recours amiables et validé la contrainte. Par arrêt du 24 mars 2016, la cour d'appel de Versailles a confirmé ce jugement.
La société Serbbi a réglé au 23 novembre 2016, suivant décompte d'huissier, un montant de 151.357,60 euros. Une demande de remise des pénalités est pendante devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre.
Parallèlement, par acte du 15 février 2012, la société Serbbi a assigné en responsabilité professionnelle la société [D] [Y] et associés sur le fondement de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction alors en vigueur.
Par jugement du 24 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Paris a débouté la société Serbbi de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à la société [D] [Y] et associés 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société Serbbi a relevé appel de cette décision selon déclaration du 12 mai 2016.
Par ordonnance du 18 novembre 2014, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable comme étant tardives les conclusions signifiées le 31 juillet 2014 par la société [D] [Y] et associés.
Par arrêt du 19 mai 2015, la présente cour a sursis à statuer en attendant l'issue de l'instance, alors pendante, devant la cour d'appel de Versailles, opposant la société Serbbi à l'Urssaf. L'affaire a été réenrôlée le 12 mai 2016 à la suite de l'arrêt du 24 mars 2016.
Par ordonnance du 2 mai 2017, confirmée par la présente cour sur déféré, les conclusions signifiées par la Sarl [D] [Y] et associés, le 26 mai 2016, alors que la société Serbbi n'avait pas encore reconclu, ont été déclarées irrecevables.
Par conclusions signifiées le 28 novembre 2016, la société Serbbi demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, d'ordonner avant dire droit une expertise pour dire si la comptabilité de la Sarl [D] [Y] et associés a été effectuée conformément aux règles de la profession, dans l'hypothèse où la cour rejeterait la demande d'expertise, de juger que la société d'expertise comptable a commis une faute professionnelle et la condamner au paiement de 195.006,80 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du redressement de l'Urssaf, de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral et de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Dans de nouvelles écritures signifiées le 1er décembre 2016, la société [D] [Y] et associés demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société Serbbi au paiement de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Le dossier a été communiqué au ministère public le 30 mai 2016.
SUR CE
Ainsi, qu'il en a été débattu à l'audience, les conclusions signifiées le 1er décembre 2016 par la société [D] [Y] et associés, postérieurement à celles de l'appelante signifiées le 28 novembre 2016, n'ayant pas fait l'objet d'un incident devant le conseiller de la mise en état, seront examinées par la cour.
- Sur la responsabilité de la société [D] [Y] et associés
La société Serbbi fait valoir que la société d'expertise comptable a commis des fautes dans la tenue de sa comptabilité qui sont à l'origine du redressement de l'Urssaf, en ce qu'elle a procédé à la fin des exercices 2008, 2009 et 2010 à l'enregistrement de trois écritures comptables sur le compte 641200 'salaires extras', de façon totalement inappropriée, sans le moindre support juridique le justifiant, alors qu'il s'agissait de dépenses non imputées en charge qui n'avaient pas à figurer dans les dépenses de salaires. Elle ajoute que la société [D] [Y] et associés n'est pas fondée à invoquer son incurie alors que les éléments lui ont été transmis, qu'elle ne justifie pas ne pas avoir disposé des pièces nécessaires à la passation d'écritures correctes, qu'il lui appartenait si certains paiements ne lui apparaissaient pas conformes concernant les salaires, d'interroger l'employeur, de corriger les comptes du salarié, de signaler toute anomalie en temps réel et de les porter sur un compte d'attente et non de son propre chef sur le compte 'Extras' et qu'en tout état de cause, elle a manqué à son obligation de conseil en ne l'alertant pas sur la nécessité de justifier toute écriture comptable et sur ses obligations en matière tant comptable que sociale.
La société [D] [Y] et associés conteste toute faute, rappelant qu'elle n'est tenue qu'à une obligation de moyens, qu'il appartient à sa cliente de démontrer qu'elle a fourni les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission, qu'il ne lui a été transmis que des informations parcellaires, que la société Serbbi qui discute les affectations portées sur les comptes '421" n'a pas été en mesure lors du contrôle, ni ultérieurement, de produire des éléments permettant de procéder à une autre imputation. Elle soutient avoir rempli son obligation de conseil, ayant par des courriers des 4 mai 2009 et 2010 accompagnant les bilans de clôture, attiré l'attention du dirigeant sur les obligations de la société ainsi que sur l'importance de certains postes de dépenses.
Les relations contractuelles entre les sociétés Serbbi et [D] [Y] et associés n'ont pas donné lieu à l'établissement d'une lettre de mission, mais il n'est pas contesté que la société d'expertise comptable avait depuis de nombreuses années en charge la comptabilité de la société et une partie du dossier social, notamment les déclarations préalables à l'embauche, l'établissement des bulletins de salaires, le calcul des charges sociales et tout ce qui concernait la rupture des contrats de travail, jusqu'à ce qu'il soit mis fin à sa mission le 31 décembre 2010.
Lors de son contrôle, l'Urssaf a, pour chacun des trois exercices vérifiés, retenu que certains comptes de salariés révélaient la perception de salaires nets supérieurs aux salaires bruts, que des rémunérations versées en espèces n'avaient pas été reprises sur les bulletins de salaires, qu'en fin d'exercice, pour solder les comptes à racine ' 421" la société a enregistré une écriture globale dans le compte '641200 Rémunérations Extras', de 63.423,21 euros pour l'exercice 2008, de 124.944,32 euros pour l'exercice 2009 et de 96.464,49 euros pour l'exercice 2010. Ces montants, n'ayant pas été inclus dans l'assiette des cotisations et contributions, ont été assimilés à du travail dissimulé et ont servi de base aux redressements.
A défaut, malgré les délais impartis, de production de justificatifs permettant de considérer que les écritures de régularisation portées sur ces comptes étaient erronéees, l'Urssaf a refusé de prendre en considération les explications de la société Serbbi et de son nouvel expert-comptable, tirées du fait qu'avaient été comptabilisées au débit des comptes à racine '421" des salariés, des montants n'ayant rien à voir avec la rémunération des salariés.
Force est de constater qu'en dépit du temps écoulé et des différentes instances au cours desquelles la contestation de la contrainte a été examinée, la société Serbbi n'a pas été en mesure de justifier, ni même d'expliquer à quoi correspondaient concrètement ces sommes, affirmant seulement que ces montants ne pouvaient pas avoir pour origine des rémunérations aux salariés, et a vu en conséquence sa contestation définitivement rejetée.
Il s'ensuit que la société Serbbi ne démontre pas l'existence d'une faute de la société d'expertise comptable dans la passation des trois écritures litigieuses, étant en outre observé qu'elle n'établit pas avoir cherché à se rapprocher de la société [D] [Y] et associés pour comprendre ou contester le montant élevé du poste 'Extras' dont lui avait fait part l'expert-comptable.
L'appelante sera déboutée de sa demande d'expertise, une telle mesure n'ayant pas vocation à pallier l'absence de preuve.
S'agissant de l'obligation de conseil à laquelle est tenu tout expert-comptable, la société [D] [Y] et associés se prévaut des courriers des 4 mai 2009 et 4 mai 2010 dans lesquels elle indiquait à la société Serbbi qu'il était de son devoir d'attirer son attention sur le fait que tout salarié embauché doit faire l'objet d'une déclaration préalable à l'embauche, que tout versement à une personne doit correspondre à un salaire ou une facture et rappelait l'importance des rémunérations 'Extras' dont elle précisait les montants respectifs, les courriers se terminant par l'espoir que sa cliente en comprendrait le bien fondé.
Ces lettres se comprennent comme une mise en garde de la société Serbbi contre tout travail dissimulé, mais aussi certainement comme la volonté pour la société [D] [Y] et associés de dégager sa responsabilité.
Ces courriers stéréotypés, renouvelés en fin d'exercice, sous entendent les interrogations récurrentes de l'expert-comptable sur les rémunérations versées et de possibles anomalies. Dans un tel contexte, il appartenait à la société [D] [Y] et associés d'être plus explicite et d'informer très précisément sa cliente des conséquences d'une imputation sur le compte 'Extras' et du décalage pouvant en résulter avec les déclarations sociales.
Manque de pertinence le moyen de la société [D] [Y] et associés, pris de l'incurie de la société Serbbi dans la transmission des pièces comptables, dès qu'elle était chargée de l'enregistrement de la comptabilité, de l'établissement des bulletins de salaires et du calcul des charges sociales et qu'elle n'établit pas avoir exigé des pièces complémentaires ou avoir expressément et précisément informé sa cliente de ce qu'elle n'était pas en mesure d'établir correctement les comptes et des conséquences qui risquaient de résulter de l'imputation des opérations sur le compte 'Extras'.
Ainsi, le manquement à l'obligation de conseil est suffisamment caractérisé et engage la responsabilité professionnelle de la société [D] [Y] et associés à l'égard de la société Serbbi, quand bien même il n'a pas été établi l'existence d'erreurs dans l'imputation des écritures sur le compte 'Extras'.
Le jugement sera en conséquence infirmé.
- Sur les préjudices
La société Serbbi évalue son préjudice à 195.006,80 euros, faisant valoir qu'elle n'aurait pas eu de cotisations à régler si la société [D] [Y] et associés n'avait pas, à tort, imputé ces dépenses sur un compte salaires 'Extras', tandis que l'intimée soutient qu'il ne peut être mis à sa charge, ni le montant des cotisations qui devaient être payées par la société, ni le montant des intérêts de retard qui ne font que compenser l'avantage de trésorerie dont a bénéficié le cotisant en ne s'acquittant pas dans les délais d'une dette exigible, ajoutant qu'il n'est pas justifié des paiements allégués, ni de leur caractère définitif.
Dès lors qu'il n'a pas été caractérisé d'erreurs d'imputation, mais seulement un manquement à l'obligation de conseil, l'appelante n'est pas fondée à obtenir une indemnisation au titre des cotisations et contributions qu'il lui appartenait d'acquitter à bonne date.
Le manquement de la société d'expertise comptable à son obligation de conseil a en revanche fait perdre à la société Serbbi la chance d'être complètement informée des conséquences des régularisations auxquelles elle a procédé sur les comptes 'Extras' et de se conformer aux exigences qui en découlaient.
Dès lors seules les pénalités appliquées dans le cadre du redressement présentent en lien de causalité suffisant avec le manquement constaté. Ces majorations de retard s'élèvent selon la contrainte à 27.952 euros. Cependant, suite au paiement du principal et des intérêts, elles font l'objet d'une demande de remise intégrale, que l'Urssaf n'a admis qu'à hauteur de 7.499 euros, cette décision faisant l'objet d'un recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, de sorte que la société Serbbi n'établit pas qu'elle devra régler la totalité de ces majorations.
En cet état, il sera alloué à la société Serbbi, en réparation du préjudice découlant du manquement à l'obligation de conseil, 10.000 euros de dommages et intérêts.
Il n'est en revanche justifié d'aucun préjudice moral indemnisable et la société sera déboutée de cette demande complémentaire de dommages et intérêts.
- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La société [D] [Y] et associés, partie perdante sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à la société Serbbi 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée pour sa part de sa demande sur ce fondement, le jugement étant infirmé en ce sens.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société Serbbi de sa demande d'expertise,
Condamne la société [D] [Y] et associés à payer à la société Serbbi 10.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Déboute la société Serbbi de ses plus amples demandes de dommages et intérêts,
Condamne la société [D] [Y] et associés à verser à la société Serbbi 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société [D] [Y] et associés de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société [D] [Y] et associés aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT