Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 11
ARRÊT DU 10 NOVEMBRE 2017
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/13276
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mai 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 201307088
APPELANTES
SA EDF - ÉLECTRICITÉ DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
N° SIRET : 552 081 317 ([Localité 1])
représentée par Me Stéphane FERTIER de l'AARPI JRF AVOCATS, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0075
assistée de Me Cyril DELCOMBEL, avocat plaidant du barreau de Lyon substituant Me Romain GRANJON, avocat du barreau de Lyon
SAS CORSICA SOLE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 509 986 0300 ([Localité 2])
représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : P0240
assistée de Me Catherine GALVEZ, avocat plaidant du barreau de VERSAILLES
SAS CORSICA SOLE 3
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 514 892 3633 ([Localité 2])
représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : P0240
assistée de Me Catherine GALVEZ, avocat plaidant du barreau de VERSAILLES
INTIMEES
SAS CORSICA SOLE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 509 986 030 ([Localité 2])
représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : P0240
assistée de Me Catherine GALVEZ, avocat plaidant du barreau de VERSAILLES
SAS CORSICA SOLE 3
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 514 892 3633 ([Localité 2])
représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : P0240
assistée de Me Catherine GALVEZ, avocat plaidant du barreau de VERSAILLES
SA EDF - ÉLECTRICITÉ DE FRANCE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
N° SIRET : 552 081 317 ([Localité 1])
représentée par Me Stéphane FERTIER de l'AARPI JRF AVOCATS, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0075
assistée de Me Cyril DELCOMBEL, avocat plaidant du barreau de Lyon substituant Me Romain GRANJON, avocat du barreau de Lyon
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Michèle LIS SCHAAL, présidente de la chambre
Mme Françoise BEL, présidente de chambre
Monsieur Gérard PICQUE, magistrat honoraire en charge de fonctions juridictionnelles, chargé du rapport
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI
ARRET :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Michèle LIS SCHAAL, présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, greffier présent lors du prononcé.
La SAS CORSICA SOLE (société CORSICA) a principalement pour objet de réaliser en Corse, avec sa filiale dénommée SAS CORSICA SOLE 3 (la filiale ou société SOLE 3) une centrale de production d'électricité d'origine photovoltaïque sur le site de Monsieur [H] à [Localité 3] [Localité 3], dont l'électricité ainsi produite devait être achetée par la S.A ELECTRICITE DE FRANCE (société EDF) selon un tarif fixé par l'État par arrêté du 10 juillet 2006 (dit S06), remplacé par l'arrêté du 12 janvier 2010 (dit S10).
Le décret moratoire n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 (publié le vendredi 10 décembre):
d'une part, est venu suspendre l'obligation d'achat d'EDF pendant trois mois (article 1er), en prévoyant que, par exception, la suspension de ladite obligation d'achat ne s'appliquerait pas aux installations dont le producteur, avait déjà notifié au gestionnaire EDF, à la date du 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière (PTF) de raccordement au réseau (article 3), d'autre part, qu'à l'issue de la période de suspension, les demandes suspendues [d'achat d'électricité] devront faire l'objet d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau (article 5).
Le moratoire a été levé par la publication d'un nouvel arrêté tarifaire du 4 mars 2011 fixant les nouveaux tarifs d'achat d'électricité à des conditions moins avantageuses qu'antérieurement.
La filiale a formulé :
le 17 décembre 2009, une demande de contrat d'achat auprès de EDF OA qui en a accusé réception le 23 décembre suivant,
le 8 juillet 2010, une demande de raccordement auprès d'EDF qui l'a reçue le 12 juillet suivant et qui a informé, le 30 juillet 2010, la société SOLE 3 que le résultat de la convention de raccordement sera transmis pour le 28 octobre 2010, celle-ci ayant finalement été transmise par la lettre d'EDF du 19 novembre 2010 seulement [pièce intimées n° B12], puis a retourné le 3 décembre 2010 la convention signée de raccordement en envoyant le montant de l'acompte à EDF qui les a reçus le 7 décembre suivant.
Le 22 décembre 2010, EDF a indiqué à la filiale que l'accord de celle-ci sur la convention de raccordement ayant été posté postérieurement au 1er décembre 2010, l'obligation d'achat d'électricité du projet correspondant de centrale photovoltaïque était suspendue par le décret précité du 9 décembre 2010 et devra faire l'objet d'une nouvelle demande de raccordement après publication du nouveau décret tarifaire à venir.
Le 13 novembre 2013, estimant essentiellement que :
le décret précité du 9 décembre 2010 n'était pas applicable à son projet, dont la convention de raccordement acceptée a été envoyée antérieurement à la publication du décret moratoire le 10 décembre 2010,
EDF a commis en conséquence une faute en ne l'exécutant pas, la privant corrélativement du bénéfice du contrat d'achat formé sous le régime tarifaire antérieur,
la société mère CORSICA et sa filiale ont attrait la société EDF devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la condamner à leur payer des indemnités, soit les sommes de :
- à la filiale : 677.059 euros au titre des pertes financières « résultant de l'impossibilité de vendre la production d'électricité [qui aurait été] générée par la centrale photovoltaïque [qui aurait été] installée sur le site pendant la durée contractuelle d'exploitation »,
- à la société mère CORSICA :
253.475 euros au titre des pertes financières « résultant de l'impossibilité de mettre en 'uvre les conventions de développement et d'exploitation conclues [avec les propriétaires des bâtiments] pour le site de production »,
197.628 euros au titre des atteintes « indéniables » à sa pérennité (outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation),
30.000 euros au titre du préjudice moral, outre l'indemnisation des frais irrépétibles.
S'y opposant, la société EDF a essentiellement estimé :
d'une part, que la société CORSICA et sa filiale ne justifiaient pas de préjudices existants et réparables,
d'autre part, qu'en tout état de cause, il n'existait pas de lien de causalité entre les fautes alléguées à l'encontre d'EDF et les préjudices invoqués lesquels, en outre, n'étaient pas justifiés, selon EDF, « dans leur principe et leur quantum ».
Par jugement contradictoire du 5 mai 2015 (RG 2013070889) le tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté les demandes de la société mère CORSICA, au motif essentiellement que les conventions conclues par celle-ci avec sa filiale ne prévoyaient aucun dédommagement en cas de non-réalisation du projet (concerné),
- condamné la société EDF à payer à la filiale, outre l'indemnisation des frais irrépétibles, une indemnité d'un montant de 130.000 euros en ayant essentiellement retenu que si, au jour de la publication du décret (moratoire) du 9 décembre 2010, la filiale ne pouvait pas se prévaloir d'un contrat d'achat d'électricité avec EDF au titre de son projet de centrale photovoltaïque, ni davantage revendiquer le bénéfice de l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006, EDF avait commis une faute en ne respectant pas le délai de 3 mois prévue par sa propre documentation technique pour transmettre la convention de raccordement à compter de la demande complète formulée par la filiale, cette dernière pouvant dès lors se prévaloir, compte tenu de la date d'expiration du délai de trois mois par rapport à la date d'effet du décret moratoire, d'un préjudice résultant d'une perte de chance dont l'évaluation de l'indemnité correspondante devait tenir compte tant des innombrables inconnues et incertitudes relatives à la réalisation du projet et à son exploitation durant 20 ans, que du fait que la filiale ne l'avait pas poursuivi à l'issue de la période de suspension.
La société EDF a interjeté appel le 24 juin 2015 (enregistré le 30 juin suivant), la société mère CORSICA SOLE et la filiale (intimées sur l'appel d'EDF) ayant par ailleurs également fait appel le 22 juin 2015, mais postérieurement enregistré le 6 juillet 2015), les deux instances ayant été jointes par ordonnance du 2 février 2016 du magistrat de la mise en état.
La clôture initialement prévue pour le 29 juin 2017, a été repoussée, suite aux dernières conclusions signifiées le 23 juin par EDF, et a été prononcée le 6 juillet 2017, la société CORSICA SOLE et la filiale n'ayant pas signifiées de nouvelles écritures.
Par conclusions télé-transmises le 7 septembre 2017, la société CORSICA SOLE et la filiale ont sollicité le rabat de la clôture et ont signifié des écritures récapitulatives.
Par conclusions télé-transmises le 13 septembre 2017, la société EDF :
à titre principal, ne s'est pas opposée à la demande de révocation sous réserve de repousser la date des plaidoiries (du 14 septembre) pour lui permettre de répliquer, tout en demandant également elle-même la révocation de la clôture et le renvoi de l'affaire à la mise en état, en raison de la survenance d'un arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la 1ère chambre de la Cour de cassation dans une autre affaire, sur la jurisprudence de laquelle elle souhaite aussi conclure en soutenant que la survenance de cette décision constitue, selon EDF, une cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture survenue dans la présente affaire devant la cour d'appel de Paris,
subsidiairement, si le renvoi de l'affaire n'était pas prononcé, le rejet de la demande de révocation et des nouvelles conclusions des sociétés CORSICA SOLE.
En début d'audience de plaidoirie, après un échange entre les parties et la cour, la société CORSICA SOLE et sa filiale ont retiré leur demande de révocation de clôture, tandis que la société EDF a maintenu la sienne avec renvoi de l'affaire à la mise en état, afin de fixer un nouveau calendrier de procédure.
SUR L'INCIDENT, la cour ayant suspendu l'audience pour en délibérer,
Considérant que ne subsiste que la demande de la société EDF de révocation de la clôture au motif de la survenance d'un arrêt rendu dans une autre affaire par la Cour de cassation postérieurement à l'ordonnance de clôture du 6 juillet 2017 du magistrat de la mise en état;
Mais considérant que la survenance d'une telle décision, dont il n'est pas contesté qu'elle ne concerne pas expressément le présent litige, ne constitue pas une cause grave de révocation au sens de l'article 784 du code de procédure civile (sur renvoi de l'article 907 du même code en ce qui concerne la cour d'appel), de sorte que la cour a rejeté la demande de révocation de la clôture et a ordonné la poursuite des débats ;
SUR LE FOND, après reprise de l'audience,
Vu les dernières écritures télé-transmises le 23 juin 2017 par la société EDF réclamant la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant :
la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société mère CORSICA SOLE,
mais sa réformation en ce qu'il l'a condamnée à verser une indemnité à la filiale,
à titre principal, en soutenant essentiellement l'absence :
- de justification des préjudices respectivement allégués, dès lors que la filiale n'établit pas « la solidité et le caractère concret du projet »,
-de contrat d'achat d'électricité au moment de l'édition du décret du 9 décembre 2010 en demandant subsidiairement de surseoir à statuer et « de renvoyer devant le tribunal administratif de Paris l'appréciation du point de savoir s'il s'était formé un contrat d'achat d'électricité entre » la filiale et « la société EDF au moment de l'édition dudit décret »,
-de lien de causalité entre les faits reprochés à EDF et chacun des préjudices allégués, pour en déduire que le dépassement du délai et l'absence de contrat d'achat d 'électricité n'ont eu aucune incidence sur la perte du bénéfice de l'obligation d'achat d'électricité au tarif ancien,
subsidiairement, en faisant valoir que le préjudice allégué n'est pas réparable, dès lors que l'achat de la production électrique, dans les conditions de l'arrêté du 10 juillet 2006, à un prix supérieur à sa valeur de marché « a le caractère d'une aide d'État »,
plus subsidiairement, en estimant que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la filiale est la perte d'une chance « infime » dont la réparation « ne peut elle-même n'être qu'infime » et que l'assiette prise en compte par le tribunal pour appliquer le coefficient de perte de chance « aurait dû être substantiellement inférieure à l'évaluation proposée » par la filiale ;
Vu les dernières conclusions télé-transmises le 20 novembre 2015 par la société mère CORSICA SOLE et la filiale, réclamant la somme de 15.000 euros au titre des frais irrépétibles et poursuivant :
- la société mère CORSICA SOLE : l'infirmation du jugement en sollicitant désormais l'indemnisation du seul préjudice moral allégué, par l'allocation d'une somme de 30.000 euros,
- la filiale tout à la fois :
la confirmation du jugement en ce qu'il a estimé qu'EDF avait commis une faute en ne respectant pas le délai de trois mois pour transmettre la convention de raccordement à compter de la demande complète formulée par elle, tout en demandant en outre à la cour de dire que le tarif d'achat de l'énergie produite par la filiale aurait été celui de l'arrêté du 10 juillet 2006 et que le décret [moratoire] du 9 décembre 2010 ne constitue pas une cause exonératoire de l'obligation de délivrance de l'offre de raccordement en soutenant en outre, qu'EDF a aussi commis une faute en n'exécutant pas la convention de raccordement intervenue entre les parties et que ces fautes ont entraîné l'impossibilité d'exécuter le contrat d'achat formé entre les parties,
mais l'infirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'aucun contrat d'achat n'avait été conclu et que la filiale ne bénéficiait pas du tarif d'achat de l'arrêté du 10 juillet 2006, en demandant à la cour, de lui allouer une indemnité à hauteur de la somme « globale et forfaitaire » de 830.594 euros ;
SUR CE,
Considérant qu'il convient de relever à titre liminaire que le décret moratoire concerne essentiellement les obligations d'achat d'électricité par EDF et ne vise les conventions de raccordement que pour imposer leur seul renouvellement à l'issue de la période de suspension pour pouvoir bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat ;
Qu'il convient, dès lors, de distinguer les effets de l'obligation d'achat d'électricité de ceux de la convention de raccordement au réseau de distribution ;
Que la société EDF soutient l'absence de contrat d'achat d'électricité au moment de l'édition du décret moratoire du 9 décembre 2010 en demandant subsidiairement de surseoir à statuer et « de renvoyer devant le tribunal administratif de Paris l'appréciation du point de savoir s'il s'était formé un contrat d'achat d'électricité entre » la filiale « et la société EDF au moment de l'édition dudit décret » ;
Que la société CORSICA SOLE et la filiale font état de :
l'article 3 de l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006, qui dispose que « la date de demande complète du contrat d'achat par le producteur détermine les tarifs applicables à une installation » (1er alinéa),
la demande de contrat d'achat du 17 décembre 2009 de la filiale, dont la société EDF a accusé réception le 23 décembre 2009, en précisant que ladite demande était complète, conformément à l'article 3 de l'arrêté du 10 juillet 2006,
pour en déduire que, même si le contrat d'achat n'a pas été formellement signé, la société EDF, s'était définitivement engagée à lui appliquer le tarif de l'arrêté tarifaire de 2006 dès avant la publication du nouvel arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 et des textes subséquents;
Que pour soutenir que la relation contractuelle était définitivement née à la date du 23 décembre 2009, la société CORSICA SOLE et la filiale soutiennent que l'engagement d'EDF sur le tarif de 2006 était simplement affecté d'une condition suspensive au sens de l'article 1179 [ancien] du code civil, jusqu'à la mise en service de l'installation de production d'énergie électrique photovoltaïque en prétendant que le défaut de sa réalisation incombe « exclusivement » à EDF ;
Mais considérant qu'il résulte de l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, modifié par l'article 88 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, que les contrats d'achat d'électricité sont des contrats de droit public qui n'engagent les parties qu'à compter de leur signature ;
Que l'alinéa correspondant de l'article 88 précité dispose expressément qu'il a un caractère interprétatif, de sorte qu'à partir de la publication de la loi du 12 juillet 2010 (JO du 13 juillet 2010), soit au moment de l'échange allégué des accords entre EDF et la filiale, les engagements d'achat d'électricité étaient des contrats de droit public n'ayant des effets qu'à compter de leur signature effective ;
Considérant qu'il résulte aussi de l'article 6 de l'arrêté du 12 janvier 2010 du Ministre en charge de l'énergie (modifié par l'article 1er de l'arrêté du 15 janvier 2010 du même ministre) que le tarif applicable à une installation, dont la mise en service n'est pas intervenue avant le 14 janvier 2010 (date de publication de l'arrêté) et dont le producteur avait déposé une demande complète de contrat d'achat sur la base de l'arrêté du 10 juillet 2006, est désormais celui résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010, de sorte que l'accord tacite allégué par la société CORSICA SOLE et la filiale comme résultant de l'accusé réception du 23 décembre 2009 de la demande complète de contrat d'achat était déjà sans effet à compter de l'entrée en vigueur de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 et que la demande subsidiaire de sursis à statuer pour interroger la juridiction administrative sur le point de savoir « s'il s'était formé un contrat d'achat d'électricité entre » la filiale « et la société EDF au moment de l'édition dudit décret » devient dénué d'intérêt ;
Qu'en outre le tarif applicable au projet, entre temps soumis à l'arrêté précité du 12 janvier 2010, est désormais déterminé par la date de demande complète par le producteur de raccordement au réseau public (et non plus comme antérieurement à la date de demande complète du contrat d'achat) ;
Considérant aussi que la société EDF soutient que, quel que soit le tarif d'achat applicable, l'article 1er du décret moratoire suspend l'obligation d'achat de l'électricité produite par toutes les installations d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts utilisant l'énergie radiative du soleil (visée à l'article 2,3° du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000) et que l'article 3 dudit décret moratoire ne fait échapper à la suspension de l'obligation d'achat prescrite par l'article 1er, que les installations de production d'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire du réseau son acceptation de la proposition technique financière (PTF) de raccordement audit réseau avant le 2 décembre 2010 ;
Qu'en observant que l'article 3 du décret moratoire n'a pas pris en compte le cas particulier des projets dispensés de l'étape PTF en Corse, le projet de convention de raccordement étant envoyé directement au producteur sans l'envoi préalable d'une proposition financière, la société CORSICA SOLE et la filiale en déduisent que le décret moratoire n'est pas applicable à leur projet ;
Mais considérant que s'il est exact qu'en ne visant que la notification de l'acceptation de la proposition technique financière (PTF), l'article 3 du décret moratoire n'a pas pris en compte le cas particulier des projets dispensés de l'étape PTF en Corse, il en résulte que ce cas particulier n'étant pas visé à l'article 3, ne peut pas prétendre bénéficier de la dérogation qui y est prévue et que les projets dispensés de l'étape PTF sont donc soumis à la suspension de l'obligation d'achat de l'article 1er du décret, sans pouvoir prétendre bénéficier d'une exception ;
Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont estimé que la société CORSICA SOLE et la filiale ne bénéficiaient pas du tarif de 2006 au jour de l'entrée en vigueur du décret moratoire, étant observé qu'elles ne bénéficiaient pas davantage du tarif de l'arrêté de 2010 ;
Considérant par ailleurs, que la société CORSICA et la filiale font état de l'envoi de la convention de raccordement et du paiement de l'acompte, reçus le 7 décembre 2010 par EDF, soit avant la publication le 10 décembre suivant du décret moratoire au Journal officiel, en reprochant à EDF de ne pas l'avoir exécutée, cette inexécution ayant, selon elles, « rendu sans objet la demande de contrat d'achat » ;
Mais considérant que, si le décret moratoire concerne la seule obligation d'achat (contrat de droit public) et que la suspension qu'il édicte est sans effet sur la convention de raccordement (contrat de droit privé), laquelle n'est prise en compte qu'en ce qui concerne sa date pour pouvoir, le cas échéant, bénéficier de l'exception prévue à l'article 3, le défaut d'exécution de la convention de raccordement durant la période de suspension de l'obligation d'achat ne peut pas être le fait d'EDF puisqu'il n'est pas contesté que le projet des sociétés CORSICA SOLE et de la filiale n'était pas encore réalisé (ni même en cours de réalisation) à cette date et qu'après la fin de la suspension, la société CORSICA SOLE et la filiale ont seules, renoncé à leur projet en raison du nouveau tarif applicable aux obligations d'achat, qu'elles ont estimé d'un montant insuffisant ;
Considérant aussi que, pour démontrer le caractère concret de leur projet prêt à recevoir exécution après obtention d'un accord avec EDF, la société mère CORSICA SOLE et la filiale, font état :
d'un permis de construire (tacite, selon attestation du 29 mars 2010 du maire de la commune -pièce intimées n° B8-) purgé du droit des tiers,
des droits de construction consentis par le propriétaire de la parcelle agricole,
de conventions de financement avec les associés au sein de la filiale,
et poursuivent la condamnation d'EDF, au visa de l'article 1147 du code civil, à payer diverses indemnités « en raison de la méconnaissance de sa documentation technique et de l'inexécution de la convention de raccordement ayant entraîné [selon elles] la perte du bénéfice du tarif du contrat d'achat formé entre eux », la société mère CORSICA SOLE et la filiale reprochant à EDF d'avoir violé sa propre documentation technique, en lui délivrant les offres de raccordement dans un délai excédant trois mois ;
Considérant que pour sa part, EDF conteste le lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et chacun des préjudices allégués, en estimant que :
le dépassement du délai de 3 mois n'est pas à l'origine de l'entrée du projet dans le champ d'application du décret moratoire et qu'il n'existe pas non plus de lien de causalité entre le dépassement du délai de transmission et le préjudice allégué, dès lors que le délai de trois mois est sans incidence, la filiale ayant eu (selon EDF) un temps suffisant, à compter de la transmission effective de la convention de raccordement, pour la retourner signée avant le 2 décembre 2010, de sorte que « la seule cause directe et certaine » du préjudice allégué se trouve dans le décret moratoire du 9 décembre 2010,
l'exécution de la convention de raccordement retournée entre les 2 et 10 décembre 2010 n'aurait pas empêché la perte du bénéfice de l'ancien tarif, dans la mesure où, nonobstant l'existence de la convention (privée) de raccordement, le décret moratoire a suspendu toute obligation de conclure un contrat (public) d'achat d'électricité,
pour en déduire que le dépassement du délai d'envoi de la convention de raccordement et l'absence de contrat d'achat d 'électricité n'ont eu aucune incidence sur la perte du bénéfice de l'obligation d'achat d'électricité au tarif ancien, en raison de la suspension de l'obligation d'achat par l'article 1er du décret, la société EDF demandant subsidiairement « en cas de doute sérieux » [sur l'absence de contrat d'achat d'électricité], de surseoir à statuer et de saisir le tribunal administratif de Paris de la question préjudicielle ainsi libellée :
« en l'absence de contrat d'achat d'électricité conclu avec la société EDF avant l'entrée en vigueur du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, le bénéfice de l'obligation d'achat dans les conditions antérieures applicables audit décret peut-il être considéré comme perdu pour un projet d'installation photovoltaïque pour lequel un producteur aurait, par ailleurs, retourné accepté une convention de raccordement au réseau de distribution publique d'électricité avant sont entrée en vigueur » ;
Mais considérant qu'il a déjà été admis que la filiale ne peut pas se prévaloir d'un contrat d'achat d'électricité au jour de la survenance du décret moratoire, de sorte que la question préjudicielle suggérée par EDF est dénuée d'intérêt en l'espèce ;
Qu'en revanche, il n'est pas contesté que le délai de transmission direct de la convention de raccordement n'a pas été respecté par EDF, de sorte qu'en ayant, de fait, raccourci le délai de réflexion dont aurait dû bénéficier la filiale, la société EDF l'a privée d'une chance de faire aboutir sa réflexion avant le 1er décembre 2010, la privant d'une chance de réaliser son projet dans les conditions tarifaires en cours avant la survenance du décret moratoire;
Que la société EDF fait valoir que le préjudice allégué n'est pas réparable, dès lors que l'achat de la production électrique, dans les conditions de l'arrêté du 10 juillet 2006, à un prix supérieur à sa valeur de marché aurait, selon elle, « le caractère d'une aide d'État », de sorte que la demande de la filiale serait ainsi fondée sur une cause illicite, les arrêtés tarifaires invoqués étant illégaux dès lors qu'ils n'ont pas été préalablement notifiés à la Commission européenne en violation des articles 107 § 1 et 108 § 3 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), la société EDF estimant qu'une victime ne peut pas obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations si celles-ci sont illicites;
Mais considérant qu'en se bornant à prétendre que le tarif de 2006 était supérieur à la valeur de marché, la société EDF n'en a pas pour autant rapporté la démonstration étant au surplus observé qu'en ne disconvenant pas que, tant le tarif de 2006 que celui de 2010, ont été antérieurement appliqués en faveur d'autres producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque, la société EDF, en ayant fait usage desdits arrêtés, n'est pas fondée aujourd'hui à tenter d'échapper à ses responsabilités en invoquant une prétendue illégalité qui les affecterait ;
Que plus subsidiairement, rappelant que l'indemnisation d'une chance perdue ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, EDF soutient aussi que si la chance « est extrêmement faible ou incertaine, aucune indemnisation ne peut être allouée » et fait valoir que la filiale :
ne démontre pas qu'elle aurait pu réaliser le projet dans le délai de 18 mois (délai prescrit par l'article 4 du décret moratoire du 9 décembre 2010) et mettre en service la centrale correspondante, dès lors qu'après la levée du moratoire, contrairement à 88 % des projets des autres candidats, elle a renoncé à le poursuivre sur la base du nouveau tarif résultant de l'arrêté du 4 mars 2011,
ne prend pas en compte les nombreux aléas et risques tant au moment de la construction que tout au long d'une période d'exploitation de 20 ans,
mais, en revanche, se fondent sur une assiette du préjudice contestable quant à la méthode de calcul, le taux d'actualisation et le rendement à long terme des panneaux solaires,
et que la société mère CORSICA ne justifie pas le préjudice moral allégué en invoquant l'implication personnelle de ses fondateurs dans l'élaboration des projets ;
Mais considérant que c'est par une juste appréciation des faits de la cause que le tribunal a estimé le préjudice de la filiale résultant de la perte de chance et a rejeté le préjudice moral allégué par la société mère CORSICA SOLE, de sorte que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
Que succombant dans leur recours respectif, la société EDF et la société CORSICA SOLE ne peuvent pas prospérer dans leur demande d'indemnisation des frais irrépétibles, mais qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la filiale la totalité de la charge de ceux qu'elle a dû exposer en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement,
CONDAMNE la S.A ELECTRICITE DE FRANCE aux dépens d'appel et à verser à la SAS CORSICA SOLE 3 la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
ADMET Maître Jean-Didier MEYNARD (de la SCP BRODU-CICUREL-MEYNARD) au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président