RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 15 Novembre 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/07769
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Juillet 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY RG n° 13/00967
APPELANTE
Madame [Z] [Q]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Emilie VIDECOQ, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002
INTIMEE
SASU SANTEN venant aux droits de la société NOVAGALI PHARMA
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 432 584 225
représentée par Me Laurence PINCHOU, avocat au barreau de PARIS, toque : R165
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 3 octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente, chargée du rapport.
Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre
Madame Stéphanie ARNAUD, vice présidente placée faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 31 mars 2017,
Madame Françoise AYMES BELLADINA, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Christelle RIBEIRO, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente et par Madame Caroline CHAKELIAN, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [Q] a été engagée, le 1er décembre 2010, en qualité de chef de produit export, statut cadre, par la société Novagali Pharma aux droits de laquelle se trouve la société Santen.
Le 14 octobre 2011, elle a écrit la société qu'elle était en arrêt pour maladie pendant une semaine : « les problèmes rencontrés dans mon activité me minent terriblement ayant des répercussions sur la santé..... »
Par lettre du 7 novembre 2011, Mme [L], salariée de l'entreprise, a écrit à la société qu'elle était victime d'un harcèlement moral de la part de Mme [Q].
La société a transmis cette lettre à Mme [Q] laquelle, par lettre du 12 décembre 2011, a indiqué notamment que le mal-être de Mme [L] n'avait pas pour cause son propre comportement mais avait pour origine un manque d'encadrement ajoutant que « cette absence totale d'encadrement est un manquement flagrant de votre obligation d'employeur de permettre l'adaptation de chaque salarié à l'évolution de son emploi. Cette carence est la porte ouverte à des dérives en matière de relations de travail, c'est la raison pour laquelle j'ai j'ai pu constater à mon encontre de graves problèmes de management constitutif également de harcèlement, et je me tiens à votre disposition si vous souhaitez approfondir le sujet. En effet, j'ai été très surprise par l'absence continuelle de Mme [Z] aux réunions importantes au fonctionnement du service export (réunions export) alors que pourtant d'autres directeurs y sont bien présents. Ces absences répétées m'ont forcé à prendre la main sur des domaines pour lesquels je n'ai pas été embauchée. Exemple : logistique. .... De façon très récurrente et hebdomadaire, Mme [Z] s'adresse à moi en hurlant, elle est audible de loin. Souvent, elle me reproche des actions non effectuées en retard pour lesquelles elle ne m'a rien expliqué et/pas donné les moyens de faire. D'autres fois, je suis brimée pour avoir adressé la parole à un de mes collègues .... ou lui avoir envoyé un email .... Pour finir elle m'a forcé à créer un faux document. »
Par lettre du 11 janvier 2012, Mme [Q] a été convoquée à un entretien préalable et a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 31 janvier 201 ainsi libellée :
'...Vous avez été engagée le 1er décembre 2010 pour occuper les fonctions de Chef de Produit Export, sous ma responsabilité.
En cette qualité vous étiez en charge du suivi et de l'animation des distributeurs, afin de développer les ventes de Cationorm, ceci comprenant notamment le suivi des prévisions des commandes et des livraisons et de la création des outils marketing.
Tant votre classification, que votre position dans l'organigramme et votre rémunération témoignent des compétences et de l'autonomie attachées à votre poste. Or, après une année de présence, je suis contrainte de constater une insuffisance professionnelle de votre part à occuper ces responsabilités avec l'autonomie souhaitée et votre incapacité à satisfaire nos attentes.
A titre d'exemple et sans aucune exhaustivité, après avoir eu les plus grandes difficultés à obtenir de votre part un plan d'actions marketing, validé par mes soins, vous n'en avez pas assuré le suivi et ce malgré plusieurs relances de ma part.
Vous avez attendu la fin du mois de décembre pour justifier votre inaction par votre incapacité à relancer les directeurs, argument totalement irrecevable de votre part.
En conséquence, nous avons été dans l'incapacité de fournir au mois de novembre, à nos distributeurs les nouveaux argumentaires de vente, ce qui est toujours le cas à ce jour.
De la même manière, vous étiez chargée de réaliser une nouvelle fiche posologie pour début décembre ; les rares propositions que vous avez faites, sous mon insistance, étaient soit tellement couteuses soit inadaptées que j'ai dû moi-même intervenir dans leur élaboration et en superviser toutes les étapes.
Malgré mes demandes récurrentes vous n'avez pas été en mesure de réaliser dans les délais, les travaux demandés à savoir :
- modification de la page Cationorm du site internet, toujours pas réalisée à ce jour,
- validation de l'aide de visite pour notre distributeur français
- mise à disposition des documents d'enregistrement pour le Liban
- mise à disposition des documents d'enregistrement pour la présentation multidoses pour l'Arabie Saoudite
Plus récemment, je vous ai demandé avant votre départ en congé de procéder à ces différents travaux ainsi qu'à la mise à disposition des documents nécessaires à ITROM pour l'enlèvement de leur commande ce que vous m'avez assuré faire sur le champ.
Or, le 22 décembre j'ai constaté que vous étiez partie en congé sans avoir réalisé les tâches demandées et sans juger bon de me prévenir de cela.
Interrogée par mes soins, vous m'avez indiqué que cela n'était pas grave affichant une désinvolture intolérable à votre niveau de responsabilité.
En conséquence j'ai été contrainte de prendre contact avec le distributeur à votre place ce qui est inadmissible.
Enfin, dans le dossier ITROM j'ai constaté que vous n'aviez pas respecté mes instructions pourtant très précises, en enregistrant contrairement aux conditions contractuelles le chiffre d'affaires réalisé d'une commande dont la livraison n'était pas intervenue puisque le client n'avait pas reçu les documents pour les retirer.
A plusieurs reprises, je vous ai fait part de mon insatisfaction quant à la qualité de votre travail. Toutefois, loin de chercher à vous améliorer et vous remettre en question, vous avez préféré reporter sur ma personne les raisons de vos carences.
Vous n'avez ainsi pas hésité à me mettre très largement et personnellement en cause en me reprochant de ne pas assister aux réunions du service Export alors que tel est votre rôle en votre qualité de Responsable de ce service, ou encore de ne pas prendre en charge la logistique, alors même que depuis votre entrée dans l'entreprise vous êtes en charge du suivi des commandes, des prévisions et des livraisons , et avez même une assistante pour vous aider dans cette activité.
Si votre niveau de rémunération et de responsabilités impliquent clairement une autonomie qu'il vous appartient d'assumer, contrairement à ce que vous prétendez je vous ai toujours apporté mon soutien et répondu aux questions que vous pouviez me poser.
Vous m'avez également accusé de hurler et de vous brimer ce que je réfute totalement et avez même mis en cause ma probité en prétendant que je vous aurai forcé à faire un faux document ce qui est totalement mensonger, comme cela a été démontré lors du Comité de management de la Société au mois d'octobre.
Les termes de votre courrier du 12 décembre sont ainsi venus confirmer que vous n'aviez pas pris la mesure de vos responsabilités dans l'entreprise, ni même de votre positionnement.
Vous considérez en effet que vous n'êtes pas la supérieure hiérarchique de Madame [L] alors même que vous êtes citées comme telle sur l'organigramme de l'entreprise et qu'en tant que responsable hiérarchique, vous avez validé ses objectifs et les moyens nécessaires à leur réalisation etc...
Enfin et manifestement vous avez démontré votre incapacité à manager votre assistante qui est arrêtée depuis plusieurs semaines en raison, selon ses termes, d'un harcèlement moral de votre part lequel aurait été reconnu par son médecin traitant.
Là encore, mes nombreuses tentatives pour parvenir à un assainissement de la situation et une meilleure entente entre vous deux se sont soldées par un échec du fait de votre refus entêté de reconnaître que votre attitude était directement en cause.
Pour l'ensemble de ces raisons qui rendent impossible la poursuite de notre collaboration, nous avons pris la décision de mettre fin à votre contrat de travail'.»
Contestant la légitimité de son licenciement, Mme [Q] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry lequel, par jugement du 1er juillet 2014, l'a déboutée de ses demandes.
Elle a interjeté appel et sollicite de voir :
Infirmer le jugement,
Fixer sa rémunération mensuelle brute à la somme de 4408 €.
A titre principal, juger le licenciement nul.
A titre subsidiaire, juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamner la société au paiement des sommes suivantes :
- 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de son obligation de loyauté (L. 1152-1 et L. 1222-1 du code du travail),
- 20.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité (article L. 4121-1 du code du travail),
- 160.000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,
- 160.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (L. 1235-3 du code du travail),
- 4000 € à titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal avec anatocisme
La société SANTEN conclut à la confirmation du jugement déféré et au débouté de Madame [Q], subsidiairement, ramener à de plus justes proportions les dommages-intérêts alloués.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les obligations de l'employeur à l'égard de Mme [Q] en matière de protection de la santé et de harcèlement moral
Mme [Q] invoque une absence de toute mesure de prévention et d'enquête à la suite de sa dénonciation d'agissements de harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
' absence de toute mesure de prévention
Mme [Q] produit :
* un mail du 14 octobre 2011 se plaignant de ses mauvaises conditions de travail : « Les problèmes rencontrés dans mon activité me minent terriblement, et ont des répercussions sur ma santé. Suite à ma visite chez le médecin, celui-ci a effectivement constaté cet affaiblissement et m'a arrêtée pour une semaine, du 14 au 21 octobre. Je m'excuse pour cette baisse de dynamisme temporaire. J'ai emmené mon ordinateur chez moi donc je pourrai suivre les échanges au cas où Santen donnerait des instructions importantes. Par ailleurs, je serai joignable par téléphone en cas d'urgence ».
Ce mail ne contient aucune dénonciation précise d'une charge de travail excessive ou d'un stress mettant en cause la responsabilité de l'employeur. Par ailleurs, l'employeur n'a pas sollicité Mme [Q] pendant son arrêt de travail.
' absence d'enquête à la suite de la dénonciation par Mme [Q] d'agissements de harcèlement moral
Mme [Q] invoque à l'appui d'un harcèlement moral :
* sa lettre du 14 octobre 2011 que la cour vient d'écarter comme ne dénonçant aucun fait de harcèlement moral.
* la lettre de Mme [L] du 16 novembre 2011 se plaignant du comportement de Mme [Q] (harcèlement moral de la part de Mme [Q] ) et faisant suite à deux courriers des 17 août 2009 et 19 octobre 2011.
Cependant, la directrice des ressources humaines a entendu à plusieurs reprises les intéressées et diligenté une enquête sur les faits dénoncés par Mme [L].
* la lettre de Mme [Q] du 12 décembre 2011 se plaignant de ses mauvaises conditions de travail et notamment du comportement anormal à son égard de sa responsable, Mme [Z] : ' De façon très récurrente et hebdomadaire, Mme [Z] s'adresse à moi en hurlant, elle est audible de loin. Souvent, elle me reproche des actions non effectuées en retard pour lesquelles elle ne m'a rien expliqué et/pas donné les moyens de faire. D'autres fois, je suis brimée pour avoir adressé la parole à un de mes collègues .... ou lui avoir envoyé un email .... '
Cependant, Mme [Q] ne produit aucun élément établissant la réalité des brimades invoquées ni aucune instruction de la société ou pièce probante lui demandant de faire un faux certificat de prix.
* l'absence d'enquête à la suite de cette lettre confirmée par Mme [Z] lors de l'entretien préalable au licenciement.
Mais faute pour Mme [Q] d'établir la réalité des agissements invoqués, ce moyen est inopérant.
* le remplacement de Mme [Q] à son poste dès le 16 décembre 2011 par Mme [I].
Cependant, Mme [I] qui avait été remplacée par Mme [Q] à la suite de son départ volontaire a été réembauchée en décembre 2011 par contrat à durée déterminée de 6 mois en raison d'un surcroît d'activité motivé par le lancement d'un produit, Mme [Q] se plaignant d'ailleurs dans ses conclusions d'une charge de travail très importante fin 2011.
* la mise à l'écart d'une réunion du 24 novembre 2011 et de réunions le marketing.
Si l'employeur ne justifie pas que Mme [Q] a assisté à la réunion du 24 novembre 2011, il établit en revanche qu'elle était présente à celle du 29 novembre 2011 consacrée notamment au marketing. Ce seul fait ne permet de présumer de l'existence d'un agissement de harcèlement moral.
Aucun agissement répété de harcèlement moral n'étant établi, il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d'avoir manqué à son obligation de sécurité ni de loyauté.
La salariée sera déboutée de ses demandes de ces chefs.
Sur le licenciement
Mme [Q] soutient que son licenciement est nul car visant expressément les griefs de dénonciation par elle d'une situation de harcèlement moral et, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.
En vertu de l'article L. 1152-2 du code du travail aucun salarié (....) ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation de contrat ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoirs relatés.
Il résulte de l'article L. 1152-4 du Code du travail que toute rupture intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 L. 1152-2 est nulle.
Or, dans sa lettre du 12 décembre 2011, Mme [Q] qualifiait les faits qu'elle imputait à Mme [Z] de harcèlement moral.
Il s'ensuit qu'elle ne pouvait être licenciée pour avoir relaté des agissements de harcèlement moral, sauf mauvaise foi, laquelle n'est pas démontrée en l'espèce et qui ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
L'invocation de ce grief emporte à elle seule la nullité de plein droit du licenciement, peu important qu'un autre motif ait été invoqué dans la lettre de licenciement.
Il sera accordé à la salariée une indemnité au titre du licenciement nul dont le montant figure au dispositif.
Les circonstances de la cause ne justifient pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement mais uniquement en ce qu'il a débouté Mme [Q] de sa demande d'indemnité pour licenciement nul,
Statuant à nouveau,
Y ajoutant,
Condamne la société Santen à payer à Mme [Q] la somme de 26 448 € à ce titre avec intérêts de droit à compter de l'arrêt et capitalisation,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne la société Santen aux dépens de première instance et d'appel.
Le GreffierLe Président