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27/02/2018 | FRANCE | N°14/13455

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 27 février 2018, 14/13455


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/13455



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/16646





APPELANT

Monsieur [E] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque

: A0257







INTIMEE

SAS ISS PROPRETE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223 substitué par Me Ivan HECHT, av...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/13455

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/16646

APPELANT

Monsieur [E] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Ghislain DADI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0257

INTIMEE

SAS ISS PROPRETE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0223 substitué par Me Ivan HECHT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0369

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, présidente

Madame Valérie AMAND, conseillère

Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller

Greffier : Mme Caroline GAUTIER, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [E] [F], né en 1949, a travaillé à temps plein en qualité d'agent d'entretien au sein de la société ISS Propreté, qui emploie plus de 10 salariés, depuis le 1er janvier 2005, avec reprise d'ancienneté à compter du 1er octobre 1981, et ce jusqu'au 5 avril 2013.

Par lettre remise en mains propres le 18 mars 2013, Monsieur [F] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé 10 jours plus tard.

Par lettre recommandée avec avis de réception datée du 5 avril 2013, l'employeur a notifié à Monsieur [F] son licenciement pour faute grave en ces termes :

'...Après réexamen de votre dossier, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, cette mesure prendra effet dès présentation de ce courrier et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans préavis ni indemnité de licenciement.

Cette décision est motivée par les faits suivants :

En date du 18 mars 2013, Monsieur [V] [G], Responsable de site vous a demandé de respecter la durée votre temps de pause, constatant que vous repreniez votre poste avec près de 30 minutes de retard.

De façon totalement incompréhensible, vous vous êtes soudainement emporté en proférant des insultes à son égard et en indiquant: 'Ce n'est pas un petit merdeux de 30 ans qui va me donner des ordres'.

Vous avez été violent et avez menacé de le frapper avec votre balai.

Ces propos, qui mettent en exergue un profond manque de respect à l'égard de votre hiérarchie, sont inacceptables.

Bien plus, votre comportement menaçant est en totale contradiction avec les valeurs de respect promues par notre Société.

Par ailleurs, votre comportement n'est pas un acte isolé, ce que nous déplorons. En effet, des salariés se sont déjà plaints de votre attitude agressive et de vos menaces de vous en prendre aux biens matériels ou de porter atteinte à leur intégrité physique.

En dernier lieu, vous vous êtes comporté de cette façon devant le médecin du travail auprès de qui vous aviez vous-même sollicité un rendez-vous.

Prétextant avoir été reçu avec 5 minutes de retard, vous avez haussé le ton et menacé l'ensemble de l'équipe médicale présente, laquelle en a été profondément choquée et apeurée.

Le médecin du travail nous a fait part de votre attitude menaçante par écrit en relatant l'incident que vous aviez provoqué.

A la suite de cet événement, je vous ai reçu à l'agence afin de vous demander de vous ressaisir et de faire en sorte que de tels événements ne se reproduisent plus, sous peine de sanctions.

Pour autant vous n'avez pas su tirer profit de cette entrevue comme le démontre pleinement l'altercation du 18 mars 2013.

Nous ne pouvons que déplorer de tels agissements d'une rare violence et ces propos qui dépassent l'incorrection et pour lesquels vous ne fournissez, au surplus, aucune explication.

Votre agressivité témoigne d'une véritable insubordination, que nous ne saurions tolérer plus longtemps.

En conséquence, nous n'avons d'autre choix que de procéder à la rupture de votre contrat de travail.'

La société ISS Propreté et Monsieur [F] ont signé une transaction datée du 23 avril 2013 prévoyant le versement par l'employeur d'une somme de 30.300,20 € nets.

Par jugement en date du 2 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de Paris, saisi le 18 novembre 2013 par Monsieur [F], a débouté celui-ci de l'ensemble de ses demandes.

Monsieur [F] a relevé appel de la décision le 9 décembre 2014.

Monsieur [F] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- fixer son salaire brut à 2.567,65 € (moyenne des trois derniers mois de salaire avant les arrêts maladie),

- dire la transaction intervenue nulle,

- dire son licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- condamner la société ISS Propreté à lui verser les sommes suivantes, assorties des intérêts capitalisés :

A titre principal,

- 50.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dans tous les cas :

- 23.459,75 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 5.135,30 au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 513,53 € au titre des congés payés afférents,

- dire la somme allouée à Monsieur [F] dans le cadre du protocole transactionnel, soit 30.300,20 € définitivement acquise à Monsieur [F] car indemnisant justement le préjudice moral du salarié,

- condamner la société aux dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ISS Propreté demande à la cour à titre principal de confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes et de dire irrecevable Monsieur [F] en ses demandes, la transaction étant régulière et conforme et de le débouter de toutes ses demandes.

A titre subsidiaire, si la transaction était annulée, elle demande à la cour de :

- condamner Monsieur [F] à rembourser à la société la somme de 30.300,20 euros nets, outre les intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2013,

- juger que le licenciement pour faute grave de Monsieur [F] est régulier et justifié,

- débouter Monsieur [F] de l'ensemble de ses demandes à ce titre.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait juger que le licenciement de Monsieur [F] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la société sollicite la compensation de la somme de 30.300,20 euros nets versée et encaissée par Monsieur [F] avec toutes sommes auxquelles la société pourrait être éventuellement condamnée.

Dans tous les cas, la société sollicite la condamnation de Monsieur [F] aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'annulation de la transaction

Monsieur [F] demande à la cour d'annuler la transaction datée du 23 avril 2013 aux motifs suivants :

- la transaction est signée pour la société par Monsieur [Q] [X], dont il ne serait pas justifié ni du pouvoir ni de l'identité exacte, son prénom étant soit [Q], soit [D] ;

- la date de cette transaction est incertaine et il n'est pas établi qu'elle ait été conclue après la réception de la lettre de licenciement ;

- sa connaissance très parcellaire de la langue française ne lui a pas permis de donner un consentement libre et éclairé à cette transaction dont il n'a pas pu mesurer la portée, n'étant pas assisté lors de la signature.

La société ISS Propreté soutient que la transaction est parfaitement régulière faisant valoir les éléments suivants :

- Monsieur [X], dont le 'double prénom' est justifié par la production de sa carte d'identité, était investi d'une délégation de pouvoir ;

- la lettre de licenciement a été présentée le 6 avril 2013, date identique à celle figurant sur le certificat de travail et d'ailleurs, les conclusions tant de première instance que d'appel reproduisent le contenu de la lettre de licenciement dont Monsieur [F] a donc bien été destinataire,

- le solde de tout compte et le chèque en règlement des sommes prévues par la transaction ont été remis le 17 avril 2013,

- ancien délégué syndical désigné par la CFTC, Monsieur [F] n'a pu se méprendre sur la portée de la transaction qu'il a signée.

La transaction, qui porte sur les conséquences d'un licenciement, ne peut être conclue qu'une fois que la lettre de licenciement a été effectivement reçue par le salarié et sa validité est également subordonnée à l'existence d'un consentement libre et éclairé donné par les parties.

En l'espèce, d'une part, la comparaison de la signature figurant à l'accusé de réception de la lettre de licenciement produit en copie par la société, daté du 6 avril 2013, avec celle figurant sur la transaction démontre que l'accusé de réception n'a pas été signé par le salarié.

Par ailleurs, alors que la transaction datée du 23 avril 2013 fait état de 'la remise ce jour du solde de tout compte,' à Monsieur [F], la date figurant sur ce solde de tout compte signé de Monsieur [F] est le 17 avril 2013, le chèque correspondant étant lui, daté du 19 avril 2013.

Il n'est donc pas établi de manière certaine que la transaction a été signée après que Monsieur [F] a reçu sa lettre de licenciement, la reproduction du contenu de celle-ci dans les écritures de Monsieur [F] ne pouvant être retenue dès lors que ce contenu était également repris dans le corps de la transaction.

D'autre part, Monsieur [F] justifie d'une compréhension très parcellaire de la langue française : le test d'évaluation de Français versé aux débats fait état d'un score général de 85/900, et d'une compréhension écrite de 30/300, précisant à la rubrique 'Connaissance basique de la langue' le classant au niveau A1 'utilisateur élémentaire' : 'Vous comprenez de courts énoncés s'ils sont connus et répétés. Vous savez exprimer des besoins élémentaires. Vous identifiez et reproduisez des mots isolés ou des expressions mémorisées'.

Ces éléments ne permettent pas de retenir que Monsieur [F] a donné un consentement libre et éclairé à la transaction datée du 23 avril 2013 qui comporte trois pages ainsi que des termes dont le sens a pu manifestement échapper au salarié.

Il sera donc fait droit à la demande d'annulation de la transaction, la décision déférée étant infirmée.

Sur le licenciement

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

Deux griefs sont invoqués à l'encontre de Monsieur [F] :

- les menaces faites à Monsieur [G] le 18 mars 2013,

- un comportement menaçant réitéré comme s'étant notamment produit à l'occasion d'une visite médicale auprès du médecin du travail.

Pour établir ces griefs, aucune pièce n'est produite : les deux seuls documents relatifs au comportement du salarié sont constitués par deux courriels émanant de Mme [U], l'un daté du 28 janvier 2011, l'autre du 14 décembre 2011.

La réalité des motifs invoqués à l'appui du licenciement n'étant pas établie, il y a lieu de dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

Monsieur [F], qui bénéficie d'une ancienneté remontant au 1er octobre 1981, a droit à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à deux mois de salaire outre les congés payés afférents.

Les parties s'accordent sur une rémunération brute moyenne de référence de 2.567,65 € bruts.

La société ISS Propreté sera en conséquence condamnée à payer à Monsieur [F] les sommes de 5.135,30 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 513,53 € au titre des congés payés afférents.

Eu égard à son ancienneté, il lui sera alloué la somme de 23.459,75 € au titre de l'indemnité légale de licenciement.

Au soutien de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Monsieur [F] invoque son ancienneté et produit un relevé de situation Pôle Emploi de septembre 2013.

S'il invoque une perte de droits à la retraite, il ne fournit aucune pièce permettant d'apprécier le préjudice en découlant.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [F], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme sollicitée de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du Code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

L'annulation de la transaction emporte obligation pour Monsieur [F] de restituer la somme perçue soit 30.300,20 € nets (ou 32.935 € bruts) avec intérêts au taux légal à compter de l'encaissement de cette somme.

Or, la 'turpitude' ou 'mauvaise foi manifeste' invoquées par Monsieur [F] pour justifier que cette somme doit lui rester acquise ne peuvent résulter du seul fait de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pas plus que de l'annulation de la transaction dès lors qu'il n'est établi ni même allégué de manoeuvre commise par l'employeur pas plus que la volonté de celui-ci d'indemniser un préjudice moral qui n'est pas explicité.

En conséquence, la somme déjà versée par la société ISS Propreté se compensera avec les sommes allouées à Monsieur [F] par le présent arrêt.

Sur les autres demandes

La société ISS Propreté, qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Monsieur [F] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

ANNULE la transaction datée du 23 avril 2013,

DIT QUE le licenciement de Monsieur [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société ISS Propreté à payer à Monsieur [F] les sommes suivantes :

- 5.135,30 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 513,53 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 23.459,75 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 50.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2,

DIT QUE Monsieur [F] doit restituer la somme de 30.300,20 € nets avec intérêts au taux légal à compter de l'encaissement de ladite somme,

ORDONNE la compensation entre les sommes allouées à Monsieur [F] et la somme de 30.300,20 € nets (soit 32.935 € bruts) déjà versée par la société ISS Propreté,

ORDONNE le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions.

CONDAMNE la société ISS Propreté aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/13455
Date de la décision : 27/02/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°14/13455 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-27;14.13455 ?
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