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27/02/2018 | FRANCE | N°16/11592

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 27 février 2018, 16/11592


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/11592



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° F15/07054









APPELANT

Monsieur [Z] [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1968 à [

Localité 2] (59)

comparant en personne, assisté de Me Anne MARTY, avocat au barreau de PARIS, toque : C2371







INTIMEE

SAS ACCENTURE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 732 075 312

représent...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/11592

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° F15/07054

APPELANT

Monsieur [Z] [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 2] (59)

comparant en personne, assisté de Me Anne MARTY, avocat au barreau de PARIS, toque : C2371

INTIMEE

SAS ACCENTURE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 732 075 312

représentée par Me Philippe THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque : J096

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Janvier 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente

Madame Valérie AMAND, Conseillère

M. Christophe BACONNIER, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Caroline GAUTIER, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par contrat de travail écrit à durée indéterminée à effet au 12 août 1993, Monsieur [Z] [V], né en 1968, a été embauché en qualité d'assistant par la société [A] [Y], son contrat étant ensuite transféré à la société Accenture, société de conseil, qui emploie environ 5.000 salariés en France.

Au dernier état de la relation contractuelle, Monsieur [V] exerçait les fonctions de directeur exécutif, statut cadre dirigeant, niveau 2 de la convention collective nationale applicable au personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils et assumait la charge des activités aéronautiques et défense de la société.

Sa rémunération mensuelle moyenne brute calculée sur les douze derniers mois s'élevait à 40.923,23 €, 50.877,23 € en y intégrant les RSU.

Monsieur [V] a été placé en congé maladie de décembre 2013 à juin 2014.

A compter du 16 janvier 2015, Madame [M] [D], née en 1982, qui avait été engagée en qualité de juriste le 18 juillet 2011 au sein de l'établissement de [Localité 4] de la société, a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Une de ses collègues, Madame [N] [F], constatant le 1er mars qu'elle n'avait pas repris le travail comme il l'était prévu, l'a alors contactée téléphoniquement : au cours de cet échange, Madame [D] lui aurait indiqué qu'il était 'compliqué et impossible de travailler avec [Z] [V], son responsable direct', que 'la raison de son arrêt maladie était un voyage professionnel avec [Z] qui était programmé et qu'elle ne voyait pas comment elle pourrait se débarrasser de lui une fois qu'ils auraient été ensemble à l'étranger'... 'qu'elle lui avait dit qu'elle ne voulait pas y aller à cause de lui et qu'il lui avait répondu que son comportement était plus fort que lui et qu'il ne pouvait pas se contrôler '....

Après concertation avec les RH, Madame [N] [F] et Madame [P] ont rencontré le 17 mars 2015 Madame [D] qui, au cours de cette entrevue, aurait expliqué qu'elle avait reçu un certain nombre de courriels inappropriés de la part de Monsieur [V]. Dans son attestation rendant compte de l'entretien, Madame [N] [F] indique que Madame [D] avait entre les mains un dossier de 2 à 3 cm d'épaisseur contenant des copies des échanges de mails entre elle et [Z] [V] qu'elle a refusé de leur remettre mais leur a toutefois permis d'en lire quelques-uns, tous adressés depuis la messagerie professionnelle de Monsieur [V] et notamment :

- un journal écrit par Monsieur [V] lors de la grossesse de Madame [D]

qu'il lui aurait adressé le jour de son retour prévu de congé maternité ;

- un courriel dans lequel Monsieur [V] exprimait sa détresse de voir Madame [D] partir en vacances et lui proposait de la rejoindre ;

- un courriel dans lequel Monsieur [V] a adressé à Madame [D] une photographie de robe qu'il indiquait souhaiter lui offrir.

Madame [N] déclare qu'elle avait pu lire plusieurs courriels dans lesquels Madame [D] répondait à [Z] [V] que son langage était inapproprié, non professionnel et qu'elle voulait qu'il cesse ce comportement.

Madame [D] précisait à ses collègues que cette situation durait depuis trois ans.

Le 19 mars 2015, Madame [D] a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail qui, dans un courrier adressé à la société Accenture le 27 mars 2015, précisait que la salariée était inapte à tout 'poste en relation directe ou indirecte avec son responsable opérationnel'.

Par ordonnance rendue le 3 avril 2015, date de la requête de la société Accenture, le magistrat délégué par le président du tribunal de grande instance de Paris a autorisé la société à se faire remettre, dans certaines conditions, les équipements informatiques de Monsieur [V].

Cette remise a été effective à l'issue d'un constat d'huissier établi les 13 et 16 avril 2015.

La demande de rétractation de l'ordonnance présentée par Monsieur [V] a été rejetée par décision rendue le 22 octobre 2015.

Madame [D] a remis son ordinateur à la société le 22 avril 2015.

Le 19 mai 2015, Monsieur [V] a sollicité de son employeur la réunion d'un comité ad hoc pour enquêter sur les faits.

Le 20 mai 2015, la société Accenture a convoqué le salarié à un entretien préalable fixé au 1er juin 2015 et a assorti cette convocation d'une mise à pied conservatoire.

Elle lui a ensuite notifié son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 5 juin 2015, en raison :

- de la détérioration des conditions de travail de Madame [D] liée à un comportement inapproprié de Monsieur [V] à son égard,

- de graves dysfonctionnements dans la communication de Monsieur [V] avec la salariée,

- de propos et photos transmises inappropriés dans un cadre professionnel et constitutifs de harcèlement,

- de l'envoi par Monsieur [V] 'de scénarios' sans aucun lien avec le contexte professionnel dont le caractère prétendument romantique n'en constitue pas moins une sollicitation'... en faisant 'ainsi fi de l'impact de ses propos sur la salariée, qui avait pourtant fait comprendre qu'elle ne souhaitait pas s'orienter vers de tels échanges...';

- de réponses totalement inappropriées à des demandes d'ordre professionnel de la salariée qui était sa subordonnée et qui a fini par être déclarée inapte à exercer ses fonctions ;

- de propos, y compris à l'égard de membres de l'équipe, de nature à placer Mme [D] dans une situation délicate, gênante et inappropriée ;

- 'de son comportement inacceptable à l'égard de Madame [D], relevant de la qualification de harcèlement moral et sexuel'.

La lettre de licenciement fait référence à titre d'exemples à quelques messages envoyés depuis trois ans par Monsieur [V] sur la messagerie professionnelle :

- le 9 juillet 2012, envoi d'une photographie de couvertures de livres intitulés 'the little book of big breasts' et 'the little book of big penis' ;

- le 20 décembre 2012, envoi dans un mail intitulé 'idékado' d'une photographie d'une femme vêtue d'une robe moulante et de gants en cuir et la réponse de Mme [D]: 'elle est assez classique, je pense que ton épouse va aimer. Comme déjà dit, cela n'est pas approprié. Bien à toi, [M].';

- le 10 janvier 2013, l'envoi d'un mail où Monsieur [V] l'imagine en [O] [N] en joignant deux photographies d'une danseuse en tenue de danse et une autre en sous-vêtement ;

- l'allusion le 18 janvier 2013, devant d'autres personnes de l'équipe, en l'occurrence Madame [U], assistante, à une 'escapade romantique avec sa juriste préférée' ;

- l'envoi le 11 juillet 2013 à Mme [D], qui est en congé, d'un récit sur de possibles vacances avec elle ;

- une réponse le 7 mars à une demande de Mme [D] concernant un courrier professionnel par la proposition d'un autre courrier commençant par 'Mon chéri, il y a plein de faveur que je suis prête à t'accorder sans limite... Je t'embrasse, Bien à toi, ton [M]' ;

- l'envoi le 8 janvier 2014 d'un 'journal intime' faisant état de son attirance pour la jeune femme ;

- un courriel du 18 juillet 2014 où Monsieur [V] écrit : '... Que me reste-t'il sinon la honte de quémander, de supplier, d'implorer... une réunion ' un déjeuner.. J'ai gardé plein de créneaux ( mon agenda) Je les enverrai bien pour que tu les refuses.... parce que le non te va si bien...le pire serait que-comme d'habitude tu n'y répondes juste pas...' ;

- un courriel de Mme [D] du 14 janvier 2015 où elle écrit : 'j'aimerais vraiment que tu arrêtes ce genre de messages et de comportements... Je t'ai demandé à plusieurs reprises d'arrêter. Cela n'est pas approprié et cela me dérange. Je te demande de t'en tenir au professionnel car je suis mal à l'aise avec tes propos. Pour être honnête, cela me met tellement mal à l'aise que j'angoisse de me retrouver toute seule avec toi la semaine prochaine en déplacement' ;

- en réponse à un mail de Monsieur [J] adressé à Monsieur [V] et Mme [D] portant sur une question professionnelle, un mail du 24 novembre 2014 où Monsieur [V] écrit : 'je ne suis pas contre un plan à 3 si ça permet à chacun de trouver son bonheur'.

Le 31 mai 2015, Monsieur [V] a déposé une plainte contre X en dénonciation calomnieuse auprès du parquet de Toulouse, plainte dont l'issue n'a pas été précisée par les parties.

Le comité ad hoc, constitué suite à la demande présentée le 19 mai 2015 par Monsieur [V] a été spécifiquement constitué et était composé de 4 membres :

- M. [H] [L], représentant de la direction de la société,

- Madame [G] [S], Déléguée du personnel, représentant Madame [D],

- Monsieur [X] [I], délégué du personnel, représentant Monsieur [V],

- Madame [Y] [X], secrétaire du CHSCT de l'établissement de la société à [Localité 4].

Aux termes de ses travaux, il a rendu le 8 janvier 2016 un rapport dont la conclusion était la suivante : 'sur I'unique base des auditions et des quelques pièces présentées par chaque partie, le Comité n'a pas été en mesure de se forger une conviction sur I'existence ou non d'un présumé harcèlement'.

Ce rapport précise que les deux protagonistes, Monsieur [V] et Mme [D] n'ont pas accepté de remettre les documents recueillis sur leurs ordinateurs portables ou tout autre document.

Il rappelle que le comité n'a pas pour vocation de qualifier les faits comme étant ou n'étant pas du harcèlement mais d'émettre des préconisations à remettre à la direction et au CHSCT.

Par jugement rendu le 25 août 2016, le conseil de prud'hommes de Paris, saisi par Monsieur [V] le 11 juin 2015, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens.

Monsieur [V] a relevé appel de la décision les 19 et 25 septembre 2016, les deux procédures ayant fait l'objet d'une jonction par mention aux dossiers.

Dans ses écritures régulièrement communiquées le 20 octobre 2017, Monsieur [V] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :

A titre principal,

- dire et juger que son licenciement est nul,

- condamner la société Accenture à lui verser les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement nul : 1.221.053,50 € (24 mois de salaire),

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions ayant échu au19 juillet 2015, soit pendant la période de préavis : 126.641 € (correspondant à 1073 actions de la société Accenture),

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions devant échoir en 2016 : 239.828 € (correspondant à 2032 actions de la société Accenture),

* indemnité conventionnelle : 368.859,90 €,

* préavis : 151 631,69 € (3 mois de salaires),

* part salariale variable que Monsieur [V] aurait obtenue s'il avait pu effectuer son préavis (salarié au 31 août 2015) : 65.000 €, calculée selon la moyenne obtenue les années précédentes,

* complément de participation pour préavis : 1.300 €,

* calcul du montant des congés payés selon la règle la plus favorable : 24.161 €,

* congés payé pour préavis : 15.163 €,

* rappel de salaires mise à pied : 27.134,52 €,

* dommages et intérêt préjudice moral : 50.000 €,

* article 700 du code de procédure civile : 3.000 € ;

A titre subsidiaire,

- dire et juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- en tout état de cause dire et juger que les faits reprochés à Monsieur [V] sont prescrits,

- condamner la société Accenture à verser à Monsieur [V] les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

1.221.053,50 € (24 mois de salaire),

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions ayant échu au 19 juillet 2015, soit pendant la période de préavis : 126.641 € (correspondant à 1073 actions de la société Accenture),

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions devant échoir en 2016 : 239.828 € (correspondant à 2032 actions de la société Accenture),

* indemnité conventionnelle : 368.859,90 €,

* préavis : 151.631,69 € (3 mois de salaires),

* part salariale variable que Monsieur [V] aurait obtenue s'il avait pu effectuer son préavis (salarié au 31 août 2015) : 65.000 €, calculée selon la moyenne obtenue les années précédentes,

* complément de participation pour préavis : 1.300 €,

* calcul du montant des congés payés selon la règle la plus favorable : 24.161 €,

* congés payé pour préavis : 15.163 €,

* rappel de salaires mise à pied : 27.134,52 €,

* dommages et intérêt préjudice moral : 50.000 €,

* article 700 du code de procédure civile : 3.000 € ;

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que les faits ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais d'une cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Accenture à verser à Monsieur [V] les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions ayant échu au 19 juillet 2015, soit pendant la période de préavis : 126.641 € (correspondant à 1073 actions de la société Accenture),

* dommages et intérêts pour la perte d'attribution définitive d'actions devant échoir en 2016 : 239.828 € (correspondant à 2032 actions de la société Accenture),

* indemnité conventionnelle : 368.859,90 €,

* préavis : 151.631,69 € (3 mois de salaires),

* part salariale variable que Monsieur [V] aurait obtenue s'il avait pu effectuer son préavis (salarié au 31 août 2015) : 65.000 €, calculée selon la moyenne obtenue les années précédentes,

* complément de participation pour préavis : 1.300 €

* calcul du montant des congés payés selon la règle la plus favorable : 24.161 €,

* congés payé pour préavis : 15.163 €,

* rappel de salaires mise à pied : 27.134,52 €,

* dommages et intérêt préjudice moral : 50.000 €,

* article 700 du code de procédure civile : 3.000 € ;

En tout état de cause,

- dire que ces sommes emporteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- condamner la société Accenture à la remise de l'attestation Pôle Emploi originale et conforme sous astreinte de 30 € par jour de retard,

- condamner la société Accenture aux entiers dépens,

- débouter la société Accenture de toutes ses demandes.

Dans ses écritures régulièrement communiquées le 27 octobre 2017, la société Accenture demande à la cour de :

A titre principal,

- déclarer le licenciement de Monsieur [Z] [V] justifié par une faute grave et non discriminatoire,

- le débouter de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire, si le licenciement venait à être considéré nul ou sans cause réelle et sérieuse,

- évaluer dans de plus justes proportions les dommages-intérêts à verser à Monsieur [Z] [V],

- constater l'absence de tout droit au titre de RSU ou d'actions gratuites,

- débouter Monsieur [Z] [V] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre,

A titre reconventionnel,

- ajouter au jugement du conseil de prud'hommes ayant omis de statuer sur ce point et condamner Monsieur [Z] [V] à régler la somme de 3.906,22 euros sous astreinte de 50 euros par jour de retard au titre des diverses indemnités liées à la restitution de son véhicule, - condamner Monsieur [Z] [V] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

Sur la rupture du contrat

Sur la prescription des faits

Monsieur [V] soutient dans ses écritures que les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont prescrits.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits fautifs reprochés au salarié.

En l'espèce, il ne saurait être retenu, comme le soutient Monsieur [V], que c'est l'entretien du 17 mars 2015 de Mme [D] avec Madame [N] [F] et Madame [P], voire l'avis d'inaptitude du 19 mars 2015, qui constituerait le point de départ du délai précité.

En effet, compte tenu de la gravité de la mise en cause d'un de ses cadres dirigeants, la société Accenture est fondée à revendiquer la nécessité d'une enquête préalable et de la recherche d'éléments de preuve non critiquables, en sorte que le point de départ du délai doit être fixé au plus tôt au 13 avril 2015, jour de la remise par Monsieur [V] de son ordinateur intervenue après autorisation donnée par le président du tribunal de grande instance le 3 avril 2015.

La procédure de licenciement ayant été engagée le 20 mai suivant, il n'y a pas lieu de retenir la prescription des faits allégués.

Sur les motifs du licenciement

La société Accenture verse aux débats, outre divers documents internes, relatifs aux règles de conduite et d'éthique applicables à l'entreprise, une trentaine de courriels échangés entre Monsieur [V] et Mme [D] ainsi que des 'conversations Lync'(une dizaine) entre 2012 et 2014, outre un sms du 27 janvier 2015, documents dont la teneur est similaire au contenu des mails reproduits dans la lettre de licenciement.

L'examen de ces documents fait, sans conteste possible, apparaître des propos qui excèdent très largement le caractère professionnel attendu des relations entre collègues de travail et, a fortiori, entre un supérieur hiérarchique et ses subordonnés.

A l'époque des faits reprochés, Monsieur [V], âgé de 44 ans, figure, sur l'organigramme qu'il produit, comme leader de l'établissement de [Localité 4] (où il réside ainsi qu'il a déclaré devant le comité d'enquête) et même s'il n'est pas le supérieur hiérarchique direct de Mme [D], de 14 ans sa cadette et ayant une ancienneté d'à peine une année lorsque les échanges litigieux ont débuté, il a des contacts professionnels très fréquents avec elle, ainsi d'ailleurs qu'il le revendique lui-même.

Or, même si Mme [D] n'a pas déposé plainte pour harcèlement, qu'il soit de nature sexuel ou moral, et semble d'ailleurs s'être défendue devant le comité ad hoc d'avoir porté une telle accusation à l'encontre de Monsieur [V], d'une part, le courrier reçu du conseil de la salariée le 7 avril 2015 par la société Accenture ne laisse aucun doute sur les griefs faits à l'employeur puisqu'y sont clairement évoqués des 'actes de harcèlement'.

D'autre part, l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement et ce, même en dehors d'une plainte, et, dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité tant pénale que civile de l'employeur est susceptible d'être engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Par ailleurs, même si l'on peut retenir, au vu notamment des nombreux témoignages produits par Monsieur [V], voire de la lecture des échanges avec Mme [D], qu'une relation d'amitié empreinte d'une certaine complicité, allant bien au-delà de la simple courtoisie des échanges habituels au sein d'une collectivité de travail, avait pu se nouer entre lui-même et Mme [D], les propres déclarations de Monsieur [V] démontrent le caractère excessif et inapproprié de ses écrits et de son comportement.

Lors de son audition par le comité ad hoc, Monsieur [V] a fait part de 'l'honnêteté des sentiments amoureux qu'il portait à '[M]' et de la souffrance qu'il ressentait aujourd'hui'.

Il se défend de tout acte de harcèlement, reprenant à son compte les déclarations de nombreux salariés décrivant la très grande proximité apparente et l'attachement sentimental existant entre Mme [M] [D] et Monsieur [V] ainsi que l'ambiance d'humour et de blagues parfois douteuses au sein de l'établissement toulousain, voire de l'ensemble de l'entreprise.

Il souligne également avoir 'toujours respecté' Mme [D], ne 'jamais l'avoir touchée, ajoutant 'qu'il ne s'est rien passé' et 'qu'il ne lui a jamais fait la moindre proposition sexuelle'.

Il convient de relever d'une part, que la notion de harcèlement sexuel ne se limite pas à la recherche de l'obtention d'un acte sexuel mais englobe également toute propos ou comportement à connotation sexuelle créant une situation intimidante, hostile ou offensante.

A cet égard, l'envoi de certaines photographies par Monsieur [V] à Mme [D] versées aux débats par la société, témoignent à tout le moins d'un caractère particulièrement déplacé (pièces n°15 et 23), de même que les propos tenus auprès de Mme [U] dans un mail du 18 janvier 2013 adressé en copie à Mme [D] qui évoque :'une escapade romantique avec sa juriste préférée sous le prétexte fallacieux de développer les activités Aérospace chez Embraer... Comme attaque, ça me semble mieux que de proposer une chambre d'hôtel à l'Ibis de [Localité 5]... qu'en pensez-vous', ajoutant : 'sur un malentendu, ça peut marcher' ([K] [H], philosophe français), 'Quand une jolie fille vous regarde, il y a deux possibilités (...) : ou bien, c'est une allumeuse et vous êtes en danger ; ou bien ce n'est pas une allumeuse et vous êtes encore plus en danger (...)' ;

D'autre part, il ressort des échanges avec Mme [D] que celle-ci ne partageait pas le sentiment amoureux évoqué par Monsieur [V] ou par nombre de témoins.

A plusieurs reprises, elle a tenté en vain de mettre un frein aux débordements de son supérieur hiérarchique : l'audition de la salariée par le comité ad hoc est à cet égard très révélateur d'une situation dans laquelle elle n'avait guère le choix, ce dont Monsieur [V] ne semble pas avoir pris conscience : elle a en effet déclaré qu'à son retour de congé de maternité, en mai 2012, Monsieur [V] avait commencé à lui envoyer des messages insistants qui n'avaient rien à voir avec le contexte professionnel. Selon ces déclarations, c'était extrêmement polluant dans son travail mais elle a essayé de composer avec, sans se mettre à dos son supérieur opérationnel, M. [Z] [V] qui l'avait recruté et qui décidait de tout sur le bureau de [Localité 4], ajoutant que c'était son 1er CDI. Elle a expliqué que certains de ses arrêts de travail en 2012 et 2013 étaient dûs au stress généré par cette situation, et non à une charge de travail excessive, contrairement à ce que suggère l'appelant.

Les 'tentatives répétées pour calmer les ardeurs' qu'elle évoque dans son audition se retrouvent dans plusieurs mails échangés où, à plusieurs reprises, elle signale à Monsieur [V] le caractère déplacé et inapproprié tant de ces propos que des 'cadeaux' qu'il lui propose ou photographies qu'il lui envoie et, spécialement le 14 janvier 2015, où elle lui indique : 'j'aimerais vraiment que tu arrêtes ce genre de messages et de comportements... Je t'ai demandé à plusieurs reprises d'arrêter. Cela n'est pas approprié et cela me dérange. Je te demande de t'en tenir au professionnel car je suis mal à l'aise avec tes propos. Pour être honnête, cela me met tellement mal à l'aise que j'angoisse de me retrouver toute seule avec toi la semaine prochaine en déplacement.'

Le déplacement n'aura pas lieu puisque Mme [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie le 16 janvier 2015.

Monsieur [V] ne peut donc se retrancher derrière un 'consentement implicite' de Mme [D], d'autant que certaines de ces réponses traduisent parfaitement la conscience qu'il avait de la non-réciprocité des sentiments qu'il lui portait : ainsi lorsqu'il lui écrit le 18 juillet 2014 : '... Que me reste-t'il sinon la honte de quémander, de supplier, d'implorer... une réunion ' un déjeuner' Un petit déjeuner' Une baignade '

J'ai honte comme tu ne peux l'imaginer... hier soir je me suis senti en dessous de tout, méprisable, vil, nul, ce besoin de t'accompagner, cette supplication finale.....

J'ai gardé plein de créneaux parce que je n'arrive pas à me résoudre au néant, parce que je ne veux pas perdre tout ... mon assistante se pose des questions sur ma santé mentale... Que sont tous ces créneaux dans mon agenda, qui apparaissent partout, bloquent tout meeting et s'annulent les uns après les autres à chaque jour qui passe...

Je les enverrai bien pour que tu les refuses.... parce que le non te va si bien...parce que je ne dois pas mériter le oui ; le pire serait que-comme d'habitude tu n'y répondes juste pas...'.

En témoigne également le sms que Monsieur [V] a adressé le 27 janvier 2015, alors que Mme [D] est en arrêt de travail depuis le 16, où il écrit après plusieurs envois précédents : 'juste un petit signe d'encouragement en espérant que tu vas mieux. On espère te revoir bientôt. ... PS : je n'ose plus espérer de signes. Mais j'ai toujours pu compter sur toi. Je me reproche encore le reste...'.

L'attitude de Monsieur [V] à l'égard de Mme [D], persistant pendant plusieurs mois, et notamment malgré le courriel du 18 juillet 2014, caractérise à tout le moins le 'comportement inapproprié et inacceptable' dont il lui a été fait grief dans la lettre de licenciement, au regard spécialement de sa position hiérarchique dans l'entreprise et des responsabilités qui lui incombaient et ce, nonobstant l'existence des liens d'amitié prétendus.

Ces faits, outre qu'ils ont conduit Mme [D] à un arrêt de travail puis à une déclaration d'inaptitude à son poste, constituent des manquements tels à ses obligations qu'ils justifient la qualification de faute grave retenue par l'employeur, dont il ne peut être valablement soutenu qu'il aurait utilisé cette situation pour licencier un salarié dont l'état de santé était fragilisé, affirmation qui ne repose sur aucun élément d'autant que cette rupture est intervenue plus d'un an après les graves problèmes médicaux rencontrés par Monsieur [V].

Il sera ajouté à cet égard que l'évaluation dont il avait fait l'objet à la suite de son arrêt de travail (pièce 53 de la société) démontre au contraire que l'employeur avait eu une attitude bienveillante et reconnaissante des difficultés que le salarié avait dû surmonter.

La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail (indemnité conventionnelle de licenciement, de préavis, congés payés afférents, dommages et intérêts pour licenciement nul ou dépourvu de cause réelle et sérieuse).

Sur les autres demandes de Monsieur [V]

La demande indemnitaire de Monsieur [V] au titre de la clause de non-concurrence n'est pas maintenue en cause d'appel.

Sur la demande au titre du préjudice moral

Monsieur [V] sollicite également l'indemnisation du préjudice moral qu'il aurait subi du fait des circonstances brutales et vexatoires de son licenciement.

Compte tenu de la nature des faits qui ont justifié son licenciement, il ne peut être fait grief à l'employeur d'avoir procédé à une mise à pied conservatoire, Monsieur [V] n'invoque aucun autre fait de nature à caractériser une faute de l'employeur à ce titre.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a débouté Monsieur [V] de sa demande à ce titre.

Sur les demandes au titre de la perte définitive d'actions (RSU), perte du bonus et de la participation salariale

Monsieur [V] n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice résultant de la perte définitive du droit d'attribution d'actions gratuites, actions qui n'étaient attribuables que postérieurement à la rupture du contrat qui repose sur sa propre faute. Il en est de même pour l'indemnisation de la perte de chance de percevoir un bonus dont le droit à perception s'ouvrait au 31 août 2015 ainsi que des droits à participation durant le préavis.

La décision déférée sera également confirmée en ce qu'elle a débouté Monsieur [V] de ses demandes à ce titre.

Sur la demande au titre des congés payés

Monsieur [V] sollicite le paiement d'un rappel d'indemnités de congés payés à hauteur de 24.161 €.

Contrairement à ce que soutient la société Accenture dans ses écritures, cette demande repose sur un décompte détaillé figurant pièce 81 du salarié, qui, au vu des sommes réglées en juin 2015, et du détail des modalités de calcul, est justifiée.

La décision du conseil de prud'hommes, qui a débouté Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes, sans faire référence à cette prétention dans la motivation, sera donc réformée de ce chef, la société Accenture étant condamnée à payer à Monsieur [V] la somme de 24.161,20 € bruts au titre du solde de l'indemnité de congés payés dû.

Sur la demande reconventionnelle de la société Accenture

La société Accenture sollicite le paiement de la somme de 3.906,22 € correspondant aux frais de remise en état du véhicule et à 'l'indemnité de réajustement' calculée sur la base du nombre de mois restant à courir sur le contrat de location longue durée de véhicule conclu par Monsieur [V] avec la société Athlon le 21 janvier 2014, pour une durée de 36 mois.

Elle précise que cette mise à disposition de véhicule s'inscrit dans le 'car plan' de la société auquel Monsieur [V] a adhéré selon avenant du 21 janvier 2014 et qui prévoit que le salarié, qui bénéficie de cette possibilité, est redevable, en cas d'interruption du contrat de location avant le terme de la durée contractuellement prévue, des montants correspondants aux indemnités de restitution anticipée ainsi que des frais de remise en état du véhicule.

Monsieur [V] conclut au rejet de cette demande au motif que la rupture anticipée du contrat de location est du fait de la société Accenture qui a rompu le contrat de travail.

Il ajoute qu'il a restitué le véhicule, la société Accenture faisant cependant observer que cette restitution n'est intervenue que le 27 novembre 2015, après que la demande lui soit à nouveau formulée lors de l'audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes.

Il ressort de la lecture de l'avenant au contrat signé par Monsieur [V] (pièce n° 60 de la société page 3) que celui-ci s'est effectivement engagé, quel que soit le motif de la rupture du contrat de travail, au paiement des frais de remise en état et des éventuelles indemnités de rupture anticipée.

Au vu de la facture établie par le loueur à la société Accenture (pièce n° 64 de la société), le coût de remise en état et de l'indemnité s'est en réalité élevé à la somme de 3.060,22 € TTC.

La décision du conseil de prud'hommes, qui a débouté la société Accenture de l'ensemble de ses demandes, sans faire référence à cette prétention dans la motivation, sera donc réformée de ce chef et Monsieur [V] sera condamné à payer à la société Accenture la somme de 3.060,22 €, sans qu'il n'y ait lieu à assortir cette condamnation d'une mesure d'astreinte.

Sur les autres demandes

La société Accenture étant condamnée au paiement d'un solde dû au titre de l'indemnité de congés payés, supportera les dépens de l'instance.

Compte tenu des éléments du litige, il n'y a pas lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré dans l'ensemble de ses dispositions sauf en ce qu'il a, d'une part, débouté Monsieur [V] de sa demande en paiement au titre du solde de l'indemnité de congés payés, d'autre part, débouté la société Accenture de sa demande en paiement au titre de l'indemnité de résiliation anticipée du contrat de location du véhicule mis à disposition de Monsieur [V], enfin, condamné Monsieur [V] aux dépens,

RÉFORMANT la décision de ces chefs,

CONDAMNE la société Accenture à payer à Monsieur [V] la somme de 24.161,20 € bruts au titre du solde de l'indemnité de congés payés dû au 6 juin 2015,

CONDAMNE Monsieur [V] à payer à la société Accenture la somme de 3.060,22 € au titre de l'indemnité de résiliation anticipée du contrat de location du véhicule mis à sa disposition,

DIT n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Accenture aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 16/11592
Date de la décision : 27/02/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°16/11592 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-27;16.11592 ?
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