Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 15 MARS 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/21527
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juillet 2016 - Tribunal paritaire des baux ruraux d'AUXERRE - RG n° 51-14-000015
APPELANTS
Monsieur [U], [K], [J] [U]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1] (89)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
NON COMPARANT
Représenté par Me Alain THUAULT, avocat au barreau d'AUXERRE
Madame [C] [U] épouse [D]
née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 2] (89)
[Adresse 2]
[Localité 1]
NON COMPARANT
Représentée par Me Alain THAULT, avocat au barreau d'AUXERRE
Monsieur [P] [U]
né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 2] (89)
[Adresse 3]
[Localité 1]
NON COMPARANT
Représenté par Me Alain THUAULT, avocat au barreau d'AUXERRE
INTIMÉE
SCEA [B]
N° SIRET : [B]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
COMPARANT en la personne de son représentant M. [B]
Assistée de Me Evelyne PERSENOT-LOUIS de la SCP BAZIN-PERSENOT-LOUIS SIGNORET CARLO-VIGOUROUX, avocat au barreau d'AUXERRE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Janvier 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Philippe DAVID, Président
Mme Marie MONGIN, Conseiller
Mme Marie-José BOU, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Philippe DAVID, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société [B] avait pris à bail rural des terres situées sur la commune [Localité 3] d'une contenance totale de 4ha 43a 93ca.
Le 19 mars 2012, M. [U] [U], venant aux droits de M. [R] [U],et Mme [S] [U], et Mme [A] [U], venant lui-même aux droits de Mme [M] [I], donnaient congé à la société [B] pour reprise par leurs enfants [P] et [C] [U].
Le 14 janvier 2014, la reprise était effectuée et un procès-verbal contradictoire était établi.
A la demande des consorts [U], M. [C], expert agricole, établissait une étude non contradictoire estimant à la somme de 13 745 euros le montant de l'indemnité due au preneur sortant pour l'ensemble des parcelles.
Le 18 décembre 2014, la société [B] saisissait le tribunal paritaire des baux ruraux d'Auxerre, afin d'obtenir la condamnation des consorts [U] à lui payer les sommes de 154 868 euros au titre de l'indemnité due au preneur sortant, et celle de 739 116 euros au titre du préjudice subi.
Par jugement contradictoire en date du 22 juillet 2016, le tribunal paritaire des baux ruraux d'Auxerre jugeait que le [B] n'apportait pas la preuve des manquements liés au défaut d'exploitation personnelle des consorts [U] et que les déclarations rapportées au constat d'huissier en date du 15 mars 2016 ne pouvaient bénéficier de la force probante attachée à un tel acte.
La juridiction constatait le non-respect des conditions prévus aux articles L.411-58 à L.411-63 du code rural, des demandes d'autorisation d'exploiter de Mme [C] [D] et de M. [P] [U] et disant qu'un tel manquement était générateur d'un préjudice au bénéfice du [B], elle déclarait le [B] bien fondé en sa demande de dommages et intérêts, sans que la proposition d'indemnité établie sur la base du rapport de M. [C] ne puisse servir de base de demande.
Le premier juge constatait que depuis la reprise du 10 janvier 2014 aucune indemnité n'avait été versée et estimait que M.'[U] [U] devrait supporter la charge des complants.
Enfin un expert judiciaire était désigné aux fins d'évaluer le montant de l'indemnité due au preneur.
Par déclaration en date du 1er août 2016, M. [U] [U], Mme [D] [C], et M. [P] [U] ont interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures en date du 24 janvier 2018, les appelants demandent à la cour, outre d'ordonner la mise hors de cause de Mme [A] [U], d'infirmer le jugement entrepris, invoquant l'absence de contestation par l'intimée de la validité du congé pour reprise, la régularisation par Mme [D] [C], et M. [P] [U] de leur situation au regard de la réglementation des structures par leur obtention de l'autorisation d'exploiter. Les appelants sollicitent que la société [B] soit déboutée de sa demande en dommages et intérêts, en ce qu'aucun manquement ne pourrait être reproché à Mme [D] [C], et M. [P] [U] du fait de leur recours à de la main d''uvre salariée.
Il est également réclamé que le quantum de l'indemnité due au preneur sortant soit apprécié à la lumière du rapport d'expertise de M. [C], et que cette indemnité soit fixée au montant de 13 745 euros. Enfin, les appelants demandent à ce que soit constatée la prescription de la demande présentée par la société [B] au titre de frais de complantations.
En outre, la somme de 2 000 euros est sollicitée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [B], dans ses dernières écritures d'intimée et d'appelante incidente en date du 24 janvier 2018, sollicite la confirmation du jugement rendu et qu'il y soit ajouté que la preuve des manquements liés au défaut d'exploitation personnelle des consorts [U] serait rapportée, la mission de l'expert judiciaire devrait alors être complétée afin de porter sur l'évaluation de l'indemnité résultant de ces manquements.
A titre subsidiaire, l'intimée réclame la confirmation du jugement sur le principe de l'indemnité due au preneur sortant, et la condamnation des consorts [U] au paiement de la somme de 154 868 euros à titre de l'indemnité due au preneur sortant.
En tout état de cause, la société [B] sollicite la somme 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- En premier lieu, bien que le jugement ne se prononce pas explicitement à son encontre et que celle-ci n'ait pas relevé appel, il convient de constater qu'aucune condamnation n'a été mise à la charge de Mme [A] [U] qui d'ailleurs n'apparaît n'avoir ni la qualité de propriétaire ni celle de bailleur.
Celle-ci n'étant toutefois ni appelante, ni intimée, ne peut manifestement être mise hors de cause puisqu'elle n'est pas présente dans l'instance.
2- S'agissant des autorisations d'exploiter, dès lors que le preneur n'a pas contesté le congé dans le délai légal, ce qui est le cas en l'espèce, le repreneur n'était pas tenu de justifier avoir obtenu ou sollicité l'autorisation en application des dispositions du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime.
Dans une telle hypothèse, le droit positif considère que le preneur ne peut se prévaloir du défaut d'autorisation d'exploiter à la date de la reprise pour faire échec à cette dernière.
Certes, cette forclusion ne dispense pas le repreneur de respecter la réglementation des structures, mais elle n'ouvre, en cas de défaut de conformation à cette obligation, qu'une action pour reprise illicite conformément à l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime.
Le repreneur ayant ici obtenu l'autorisation préfectorale d'exploiter, postérieurement à leur entrée dans les lieux, cette action ne lui est pas ouverte.
Demeure uniquement la possibilité d'un contrôle a posteriori qui ne vise à sanctionner que les faits vérifiables entre la date de délivrance du congé et les quatre mois laissés au preneur pour contester sa validité, la régularité de la situation s'appréciant à la date à laquelle la juridiction statue.
À cet égard, la société [B] n'a saisi le tribunal que d'une action tendant au contrôle a priori de la validité du congé dans les quatre mois de sa délivrance.
Il est par ailleurs constant que Mme [C] [D] et de M. [P] [U] ont chacun obtenu, le 9 février 2016, l'autorisation d'exploiter les biens repris.
Le moyen soulevé par la société [B] est donc inopérant et le jugement doit être réformé de chef.
Par ailleurs, s'agissant du manquement allégué aux articles L. 411-59 et L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime, contrairement aux allégations de la société [B], il apparaît, comme l'a justement estimé le tribunal, que le recours aux services d'un tâcheron salarié, au demeurant utilisé auparavant par la société [B], doit être assimilé à une exploitation personnelle.
3- L'article L. 411-69 du code rural et de la pêche maritime accorde au preneur sortant une indemnisation par le bailleur des améliorations qu'il a apportées au fonds loué.
Bien que la proposition d'indemnisation faite par les consorts [U] n'ait pas été acceptée, compte tenu des améliorations culturales apportées à des terres louées nues, qui sont de nature à améliorer durablement l'exploitation, le principe même de l'indemnité retenue par premier juge doit être confirmé.
Les consorts [U] ne sauraient en effet, en arguant du refus de la société [B], se prévaloir d'une prescription alors qu'ils ont eux-mêmes initiés un rapport d'expertise amiable déposé le 25 janvier 2014 prenant en compte tant le principe de l'indemnisation que celui de la prise en charge des complants.
Dans ces conditions, c'est donc à bon droit que le jugement a retenu, en l'application de l'article 1719 du Code civil, que le remplacement des ceps dépéris en cours de bail était à la charge du bailleur alors même que les travaux avaient été supportés par le preneur.
Si le principe même de l'expertise doit être confirmé en présence d'un rapport non contradictoire et d'éléments insuffisants pour chiffrer l'indemnité, c'est en revanche sur le fondement de l'article L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime et non celui de l'article L. 411-66 du même code, que cette mesure d'instruction doit être réalisée.
4- Il n'y a pas lieu à ce stade procédural de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant après débats en audience publique, par décision mise à disposition au greffe, contradictoire,
- Constate, d'une part, que Mme [A] [U], à défaut d'avoir relevé appel ou d'être intimée, n'est pas dans la cause et d'autre part, que le tribunal n'a prononcé aucune condamnation à son encontre ;
- Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- retenu le principe de l'indemnisation du preneur sortant, la société [B],
- dit que M. [U] [U] supportera la charge des complants
- ordonné une mesure d'expertise
- L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- Dit que les repreneurs, Mme [C] [D] et de M. [P] [U], ayant respecté les articles L. 411-58 à L. 411-63 du code rural et de la pêche maritime aucun manquement générateur d'un préjudice ne peut être retenu à l'encontre des consorts [U] ;
- En conséquence, modifie comme suit la mission d'expertise :
Sursoit à statuer sur l'indemnité due au preneur sortant et désigne en qualité d'expert M. [B] [Z], [Adresse 5], avec pour mission, tous droits et moyens des parties étant réservés, de :
1 - se faire communiquer tous documents et pièces utiles ;
2 - se rendre sur les lieux litigieux ;
3 - déterminer le montant de l'indemnité due au preneur sortant dans le cadre de la reprise ayant donné lieu à congé conformément aux dispositions de l'article L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime.
- Dit que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties, en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits ;
- Dit que l'expert, après avoir répondu aux dires des parties devra transmettre aux représentants de ces dernières et à la juridiction qui a procédé à sa désignation son rapport définitif ;
- Dit que pour l'accomplissement de sa mission, l'expert prendra connaissance des dossiers et documents produits aux débats et entendra les parties en leurs observations, le cas échéant, consignera leurs dires et y répondra ;
- Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions du code de procédure civile, que notamment il pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées à la seule condition de rapporter fidèlement ses déclarations après avoir précisé l'identité et s'il y a lieu le lien de parenté ou d'alliance, le lien de subordination ou la communauté d'intérêt avec les parties ; qu'il procédera à toutes investigations, recueillera tous renseignements utiles ;
- Dit que l'expert aura la faculté de s'adjoindre tout sapiteur de son choix, d'une spécialité différente de la sienne et pour une intervention réduite, celui-ci devant impérativement figurer sur une liste d'expert d'une cour d'appel, et seulement après en avoir référé au juge ;
- Dit que cette expertise se déroulera dans les formes et conditions prescrites par les articles 263 et suivants du code de procédure civile, sous le contrôle du président de la chambre 4-9 de la cour d'appel de Paris, auquel l'expert fera connaître les éventuelles difficultés faisant obstacle à l'accomplissement de sa mission dans le délai prescrit ;
- Dit qu'en cas d'empêchement ou s'il existe une cause de récusation, il sera pourvu d'office au remplacement de l'expert, commis par ordonnance du président de la chambre ;
- Fixe à 3 000 euros le montant de la somme à consigner par la société [B], dans le délai de DEUX MOIS à compter de la présente décision auprès du régisseur de la cour d'appel de Paris et ordonne, en tant que de besoin, la déconsignation des sommes qui auraient été versées auprès du régisseur du Tribunal d'instance d'Auxerre ;
- Rappelle qu'à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque conformément aux dispositions de l'article 271 du code de procédure civile;
- Dit que lors de sa première réunion, laquelle devra se dérouler dans un délai maximum d'un mois à compter de l'avis donné par le greffe de la consignation de la provision, l'expert devra, en concertation avec les parties, dresser un programme de ses investigations et proposer de manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, ainsi que la date du dépôt du rapport ;
- Dit que l'expert dressera de ses opérations et avis un rapport qu'il déposera au greffe de la cour d'appel de Paris, chambre 4-9, dans les SIX MOIS de sa saisine, en y joignant éventuellement les observations écritures ou réclamations des parties après les avoir informées du résultat de ses opérations et de l'avis qu'il entend exprimer soit au cours d'une ultime réunion d'expertise soit par l'envoi d'un projet de rapport écrit et en faisant mention dans ce cas de la suite qu'il leur aura donnée ;
- Dit que l'expert devra notifier aux parties, une fois sa mission accomplie, par lettre recommandée avec accusé de réception, le montant de ses honoraires, afin de recueillir leurs observations qui devront être remises avec la demande de taxe, étant précise qu'à défaut de réponse des parties dans un délai de quinze jours, l'expert devra joindre l'accusé de réception signé des parties à sa demande d'honoraires ;
- Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe à l'expert qui fera connaître dans les plus brefs délais les motifs d'un éventuel refus de sa mission ;
- Dit que l'instance se poursuivra à la diligence des parties ;
- Rejette les autres demandes ;
- Met les dépens de première instance et d'appel à la charge des consorts [U].
Le greffierLe président