RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 22 MARS 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/07416
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Décembre 2016 par le Conseil de Prud'hommes de CRETEIL - section encadrement - RG n° F13/1941
DEMANDEUR AU CONTREDIT
Monsieur [W] [V]
[Adresse 1]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Sébastien GARNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1473
DEFENDERESSE AU CONTREDIT
UNION AFRICAINE
C/0 Commission de l'Union Africaine - Bureau du Président
[Adresse 2]
[Localité 2] - ETHIOPIE
représentée par Me Françoise PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0238
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 décembre 2017 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Madame Patricia DUFOUR, Conseiller appelé à compléter la chambre par ordonnance de roulement en date du 31 août 2017
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.
Statuant sur le contredit formé par M. [W] [V] à l'encontre d'un jugement rendu le 15 décembre 2016 par le conseil de prud'hommes de Créteil lequel, saisi par l'intéressé de demandes tendant à la reconnaissance du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail à durée déterminée conclu avec l'organisation internationale UNION AFRICAINE et au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire liées à l'exécution et à la rupture dudit contrat, a accueilli l'exception d'incompétence soulevée in limine litis par l'UNION AFRICAINE, s'est déclaré incompétent ratione materiae et a renvoyé M. [W] [V] à mieux se pourvoir en vertu des dispositions de l'article 96 du code de procédure civile, en réservant les dépens,
Vu la déclaration de contredit et les conclusions soutenues à l'audience du 14 décembre 2017 pour M. [W] [V], qui au visa de la Convention sur les privilèges et immunités en date du 25 octobre 1965, des statut et règlement du personnel de l'UNION AFRICAINE, des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 14 du code civil demande à la cour de':
- réformer le jugement déféré,
- déclarer le conseil de prud'hommes de Créteil compétent pour connaître du différend l'opposant à l'UNION AFRICAINE,
- renvoyer la procédure devant le conseil de prud'hommes de Créteil pour qu'il soit statué au fond,
- condamner l'UNION AFRICAINE à lui payer la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les conclusions soutenues à l'audience du 14 décembre 2017 pour l'organisation internationale d'Etats africains UNION AFRICAINE (ci-après dénommée l'UA), défenderesse au contredit, qui au visa du statut du personnel applicable à la relation contractuelle ayant existé entre les parties demande à la cour de':
in limine litis,
- confirmer le jugement déféré du conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé M. [W] [V] à mieux se pourvoir,
- dire que le seul tribunal compétent est le tribunal administratif ad hoc de l'UNION AFRICAINE en Ethiopie tel qu'il est constitué,
à titre subsidiaire,
- déclarer la demande de M. [W] [V] irrecevable':
- en raison de la saisine du tribunal administratif du chef des demandes de M. [W] [V],
- en raison de la tardiveté de la saisine du tribunal administratif ad hoc de l'UNION AFRICAINE,
La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
SUR CE, LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Créée en 2002, l'Union africaine (l'UA) qui a remplacé l'Organisation de l'unité africaine (l'OUA) est une organisation internationale d'Etats africains dont le siège est situé en Ethiopie à [Localité 2].
Par lettre du 14 mars 2008 qu'il a signée le 31 mars 2008, M. [W] [V] a été engagé par l'UA à effet au 26 juin 2008 sous contrat à durée déterminée d'une durée de deux ans en qualité d'expert en transformation institutionnelle pour le programme support de la Commission de l'Union européenne.
Son lieu d'affectation était [Localité 2].
Le contrat qui n'était pas renouvelable automatiquement était soumis à la circulaire AD/PER/75/3656 du 03 juin 2004 relative aux conditions de travail et de rémunérations des personnels consultants et autres membres du personnel.
A son terme, le contrat n'a pas été reconduit mais il a été proposé à M. [W] [V] une extension de deux mois jusqu'au 25 août 2010 pour lui permettre de liquider, préparer et soumettre sa sortie et la remise de son rapport, entre autres, sur le programme de transformation institutionnelle de la Commission de l'Union africaine, extension que l'intéressé a contestée.
Le 08 novembre 2010, le bureau occupé jusqu'alors par M. [W] [V] a été vidé de tous ses biens et effets.
Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [W] [V] a saisi le 12 décembre 2010 le tribunal administratif ad hoc de l'UA, «'en application de la Décision de la Huitième session ordinaire du Conseil des Ministres de septembre 1967 à [Localité 3] (CM/170/Rev. 2 portant règles et procédures pour le Tribunal Administratif Ad hoc de l'Union Africaine)'».
Dans cette saisine, l'intéressé rappelait notamment les dispositions de l'article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et se plaignait d'une violation des statuts et règlements du personnel de l'UA (rupture illégale du contrat de travail, entrave à l'exercice normal du contrat de travail et des missions, incitation au détournement par virement et transfert de lignes budgétaires, atteinte aux libertés de conscience au travail) et sollicitait en particulier':
- l'annulation immédiate de l'acte administratif, non signé à ce jour par l'ordonnateur principal et/ou l'ordonnateur délégué,
- la remise en l'état de ses fonctions et sa réintégration immédiate,
- la condamnation de la Commission de l'UA pour rupture illégale de contrat de travail,
- la condamnation de la Commission de l'UA pour discrimination de traitement et violation de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples,
- la condamnation de la Commission de l'UA au rétablissement des privations qui lui avaient été faites,
- la condamnation de la Commission de l'UA à la réparation de son préjudice matériel et moral.
M. [W] [V] a dû quitter le territoire éthiopien le 21 mai 2012 sans qu'à cette date il n'ait été donné une suite quelconque à la procédure qu'il avait introduite devant le tribunal administratif ad hoc de l'UA.
C'est dans ces conditions que le 24 juin 2013, M. [W] [V] domicilié à [Localité 1] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil de la procédure qui a donné lieu au jugement déféré.
MOTIFS
Ainsi que le rappelle exactement M. [W] [V], l'UA bénéficie en vertu de la Convention de l'OUA sur les privilèges et immunités en date du 25 octobre 1965 d'une immunité de juridiction.
C'est dans ce cadre qu'aux termes d'une résolution adoptée lors de sa huitième session ordinaire à [Localité 2] qui s'est déroulée du 27 février au 04 mars 1967, le Conseil des Ministres de l'OUA, après avoir rappelé la nécessité d'assurer au personnel administratif de l'OUA la protection traditionnelle contre toute violation des dispositions du règlement et statut du personnel ainsi que le respect des contrats d'engagement et de toute autre pièce justificative d'emploi, a décidé de différer la création du tribunal administratif recommandée par sa précédente résolution CM/59, au regard des frais supplémentaires qu'induirait pour les Etats membres l'institution d'un tribunal administratif permanent, et d'instituer un tribunal administratif ad hoc répondant aux principes suivants':
a) chaque année le Conseil des Ministres nommera trois Etats membres par ordre alphabétique, l'un d'entre eux devant être remplacé chaque année';
b) chacune des Etats membres ainsi nommés désignera un membre compétent de sa propre délégation. Ces membres constitueront, le cas échéant, à la fin de chaque session ordinaire, un tribunal administratif';
c) le tribunal administratif examinera les recours contre les décisions du secrétaire général administratif et se prononcera sur ces recours. (pièce n° 29 du demandeur au contredit).
L'article 27 du statut du personnel de l'OUA en vigueur lors du recrutement de M. [W] [V] dispose': «'Le Tribunal Administratif institué par le Conseil des Ministres connaît des recours formulés par les fonctionnaires ou leurs ayants droit qui invoquent la non-observation des conditions d'emploi, y compris toute clause applicable du Statut et du Règlement du Personnel, ou contestent une mesure disciplinaire.'» (pièce n° 30 du demandeur au contredit).
Le règlement du personnel de l'UA adopté le 27 juillet 2010 lors de la quinzième session ordinaire de la Conférence tenue à Kampala (Ouganda) reprend en son article 62.2 des dispositions similaires, en rappelant que le tribunal administratif se réunit conformément aux termes de ses statuts et règlement intérieur (pièce n° 1.1 de la défenderesse au contredit).
M. [W] [V] ne conteste pas que le contrat de travail à durée déterminée qu'il a conclu le 30 mars 2008 avec l'UA est régi par le statut et le règlement du personnel de cette organisation internationale, et pour cause puisque sa saisine du tribunal administratif ad hoc de l'UA en date du 12 décembre 2010 est précisément fondée sur une violation alléguée desdits statut et règlement.
Il s'ensuit que le tribunal administratif ad hoc de l'UA est compétent pour connaître du litige opposant M. [W] [V] à l'UA.
Pour néanmoins conclure à la compétence de la juridiction prud'homale française en invoquant la règle subsidiaire du privilège de juridiction édictée par l'article 14 du code civil en faveur des Français, M. [W] [V] qui a la double nationalité béninoise et française fait valoir en substance que le tribunal administratif ad hoc de l'UA n'a dans les faits jamais été constitué, que privé ainsi du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, il a été confronté à un déni de justice qui perdurait lorsqu'il a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil, près de deux ans et demi après sa saisine du tribunal de l'UA.
Il se prévaut à cet égard de l'arrêt de rejet rendu le 25 janvier 2005 par la chambre sociale de la Cour de cassation sur le pourvoi n° 04-41012 dirigé contre l'arrêt de la 18ème chambre D de la cour d'appel de Paris en date du 7 octobre 2003 (ses pièces n° 34 et 61).
L'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de se prononcer sur sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international constitue un déni de justice.
Il appartient à la cour de rechercher si une telle impossibilité est établie en l'espèce.
Contrairement au litige ayant donné lieu à l'arrêt précité de la Cour de cassation, que ne pouvait trancher le tribunal administratif institué à compter du 1er janvier 1998 par la Banque africaine de développement dans la mesure où il n'était pas compétent pour statuer sur une requête dont le fait générateur était antérieur à sa création, le présent litige opposant M. [W] [V] à l'UA relève bien de la sphère de compétence du tribunal administratif ad hoc institué par cette organisation internationale.
Si l'intéressé rappelle que le droit «'à un tribunal'» a été consacré par les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ne soutient pas pour autant que le tribunal administratif ad hoc de l'UA ne serait pas indépendant ni impartial et fonde exclusivement la compétence des juridictions françaises sur le fait que ce tribunal n'a jamais été institué et qu'aucun juge n'a été désigné pour en assurer le fonctionnement (page 8 de ses conclusions).
Il ressort des productions que le tribunal administratif ad hoc institué dès l'année 1967 par l'OUA n'a dans les faits pas été constitué durant de longues années, au point que lors de son discours prononcé en ouverture de la 28ème session ordinaire du Comité Représentatif Permanent de l'organisation qui s'est tenue du 20 au 22 juin 2014, la Présidente de la Commission de l'UA a qualifié ledit tribunal de «'moribond'» (pièce n° 54 T du demandeur).
Le rapport d'activité du tribunal administratif de l'UA fait lui-même état d'une période d'inactivité de 1999 à 2014, aucune session n'ayant eu lieu au cours de ces années (pièce n° 4 bis de la défenderesse).
Toutefois, la défenderesse au contredit justifie qu'à compter de l'année 2015, le tribunal administratif de l'UA a été constitué et a rendu plusieurs jugements (ses pièces n° 4 bis et 4 ter).
Elle produit en outre l'avis d'inscription de la plainte de M. [W] [V] au rôle du tribunal administratif en date du 13 novembre 2015 ainsi que le listing des audiences du 30 mai au 03 juin 2016 sur lequel figure, à la date du 1er juin de 14h30 à 17h00, la procédure introduite par
M. [W] [V] (ses pièces n° 8 bis et 4 quater).
Il résulte de ces éléments que la juridiction de l'UA, première saisie, a en définitive audiencé la procédure introduite devant elle le 12 décembre 2010 par M. [W] [V] et qu'elle est en mesure de statuer sur le litige.
Dans ces conditions, l'impossibilité pour l'intéressé d'accéder à un juge chargé de se prononcer sur ses prétentions n'est pas établie, de sorte que le déni de justice allégué n'est pas constitué.
Par ailleurs, en contractant le 31 mars 2008 avec l'UA et en saisissant le 12 décembre 2010 le tribunal administratif ad hoc de l'UA du contentieux l'opposant à cette organisation internationale, procédure dont il n'allègue pas et a fortiori ne justifie pas s'être désisté à ce jour, M. [W] [V] a renoncé à se prévaloir de la règle subsidiaire du privilège de juridiction édictée par l'article 14 du code civil français.
En conséquence, il convient de rejeter le contredit, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé M. [W] [V] à mieux se pourvoir et de dire que seul le tribunal administratif ad hoc de l'UNION AFRICAINE est compétent pour connaître du litige.
M. [W] [V] qui succombe n'obtiendra aucune indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les frais de contredit ainsi que les dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
Rejette le contredit';
Confirme le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé M. [W] [V] à mieux se pourvoir';
Y ajoutant,
Dit que seul le tribunal administratif ad hoc de l'UNION AFRICAINE est compétent pour connaître du litige opposant M. [W] [V] à l'UNION AFRICAINE';
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [W] [V]';
Condamne M. [W] [V] aux frais de contredit ainsi qu'aux dépens de première instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT