RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 29 Mars 2018
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/02737
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 15/04473
APPELANT
Monsieur [T] [E]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1981 à
représenté par Me Stéphanie WIMART, avocat au barreau de PARIS, toque : E1254
INTIMEE
SA SFFE EQUIPEMENT THERMIQUE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Thomas CARTIGNY, avocat au barreau de PARIS, toque : P155 substitué par Me Déborah WILLIG, avocat au barreau de PARIS, toque : P155
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Stéphane MEYER, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente,
Monsieur Stéphane MEYER, Conseiller,
Madame Emmanuelle BESSONE, Conseillère,
qui en ont délibéré
En présence d'[J] [O], stagiaire PPI
Greffier : Mme Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
- signé par Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente, et par Madame Marine BRUNIE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [T] [E] a été engagé par la société SFFE, pour une durée indéterminée à compter du 8 octobre 2007, en qualité d'agent technique. Il a signé une lettre de démission datée du 27 juin 2008 et a été engagé par la société SFFE ET, pour une durée indéterminée à compter du 1er juillet 2008, en qualité d'ouvrier d'exécution.
Par lettre du 19 février 2013, Monsieur [E] était convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique, fixé au 28 février, date à laquelle il lui a été remis une lettre d'information et un bulletin relatifs à l'adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle.
Les parties s'opposent quant à la signature de ce contrat par Monsieur [E].
En dernier lieu, il percevait un salaire mensuel brut de 2 491,70 euros.
Le 15 avril 2015, Monsieur [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses demandes.
Par jugement du 26 novembre 2015, assorti de l'exécution provisoire, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné la société SFFE ET à payer à Monsieur [E] les sommes suivantes et a débouté ce dernier de ses autres demandes :
- 1 000 € à titre de dommages intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
- 1 091 € à titre de rappel d'indemnité de trajet
- 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- les intérêts au taux légal
- les dépens
- le conseil a également ordonné la remise d'une attestation destinée à Pôle-emploi et des bulletins de paie rectifiés.
A l'encontre de ce jugement notifié le 28 janvier 2016, Monsieur [E] a interjeté appel le 19 février 2016.
Lors de l'audience du 19 janvier 2018, Monsieur [E] demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société SFFE ET à lui payer les sommes suivantes :
- 25 900 € bruts à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre subsidiaire, à titre de dommages intérêts pour non respect de l'ordre des licenciements,
- 7 912,11 € à titre de rappel d'indemnité de trajet
- 10 000 € à titre du manquement à l'obligation de sécurité
- 10 000 € au titre du manquement à l'obligation de loyauté
- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- les intérêts au taux légal
- les dépens
- il demande également que soit ordonnée la remise de l'attestation Pôle-emploi et des bulletins de salaires rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document
Au soutien de ses demandes, Monsieur [E] expose :
- que le gérant de la société a signé le contrat de sécurisation professionnelle à sa place et que la rupture du contrat de travail, qui n'est intervenue que lors de l'envoi des documents de fin de contrat, constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque dépourvue d'énonciation des motifs
- à titre subsidiaire, que le licenciement est dépourvu de motif économique
- que l'entreprise a manqué à son obligation de recherche active de reclassement
- à titre plus subsidiaire, que les critères d'ordre du licenciement n'ont pas été respectés
- qu'il n'a pas perçu d'indemnisation de ses petits déplacements, comme prévu par la convention collective applicable
- que l'entreprise a manqué à son obligation de sécurité en l'exposant à l'amiante
sur divers chantiers.
- que l'entreprise a également manqué à son obligation de loyauté, puisqu'il a été initialement embauché à compter du 8 octobre 2007 par une société appartenant au même groupe, puis a été contraint de signer une lettre de démission pour être à nouveau embauché, lui faisant ainsi perdre des avantages liés à l'ancienneté.
En défense, la société SFFE ET demande l'infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, sa confirmation en ce qu'il a débouté Monsieur Monsieur [E] de ses autres demandes, et la condamnation de ce dernier à lui rembourser les sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire, ainsi qu'à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir :
- que Monsieur [E] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle en signant le bulletin afférent, une simple erreur matérielle ayant seulement été commise par interversion des bulletins que chacune des parties devait signer
- que le caractère réel et sérieux du motif économique est établi tant au niveau de l'entreprise que du groupe auquel elle appartient
- qu'elle a respecté ses obligations au titre du reclassement
- que les critères d'ordre du licenciement ont été respectés
- que la demande d'indemnité de trajet est prescrite et en tout état de cause mal fondée
- que Monsieur [E] n'a pas été atteint d'une maladie professionnelle liée à l'amiante, n'a jamais été exposé à l'amiante et qu'elle n'a jamais été inscrite sur une liste des entreprises ouvrant droit à l'ACAATA
- que Monsieur [E] avait démissionné de son premier contrat de travail de façon libre et non équivoque et n'avait jamais remis en cause cette démission.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande d'indemnités de trajet
Il est constant que Monsieur [E] n'a formulé pour la première fois cette demande qu'à l'audience du conseil de prud'hommes du 15 juillet 2015, alors qu'aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, la prescription en matière salariale était de à 5 ans, à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de I'exercer, ce dont il résulte que demande est irrecevable pour la période antérieure au 15 juillet 2010.
En ce qui concerne la période postérieure, aux termes de l'article 7 de la convention collective du bâtiment de la Région parisienne, bénéficient des indemnités de petits déplacements, les ouvriers non sédentaires du bâtiment pour les petits déplacements qu'ils effectuent quotidiennement pour se rendre sur le chantier avant le début de la journée de travail et pour en revenir après la fin du travail.
Cependant, Monsieur [E] ne fournit aucune précision et ne produit aucune pièce relatives à des trajets effectués en dehors de ses horaires de travail.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.
Sur la demande formée au titre de l'obligation de sécurité
La réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel.
En l'espèce, Monsieur [E] expose avoir ressenti un sentiment d'insécurité du fait d'une exposition à l'amiante sur les chantiers sur lesquels il travaillait pour le compte de la société SFFE ET.
Cependant, la société SFFE ET ne figurant pas sur la liste fixée par arrêté ministériel, des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA, le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.
Sur la demande formée au titre de l'obligation de loyauté de l'employeur
Aux termes de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
En l'espèce, au soutien de sa demande formée à cet égard, Monsieur [E] expose qu'il avait été engagé par la société SFFE, pour une durée indéterminée à compter du 8 octobre 2007, et que le 27 juin 2008, il lui a été imposé de signer une lettre de démission et dans le même temps un nouveau contrat à durée indéterminée, avec la Société SFFE ET, alors que ces deux sociétés sont dirigées par la même personne.
Cependant, il s'agit de deux entreprises distinctes alors que Monsieur [E] n'invoque pas l'existence d'un co-emploi et il ne prouve ni même n'allègue, que ce soit la société SFFE ET, plutôt que la société SFFE, qui l'ait ainsi incité à démissionner.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.
Sur le licenciement et ses conséquences
Aux termes de l'article L. 1233-66 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, dans les entreprises non soumises à l'article L. 1233-71, l'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable ou à l'issue de la dernière réunion des représentants du personnel, le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique.
Aux termes de l'article L. 1233-68 du même code, un accord conclu et devant être agréé, définit notamment les formalités afférentes à l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle et les délais de réponse du salarié à la proposition de l'employeur.
Aux termes de l'article 6 de la convention du 19 juillet 2011 relative au contrat de sécurisation professionnelle, agréée par arrêté n°0245 du 21 octobre 2011, le salarié manifeste sa volonté de bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle en remettant à l'employeur le bulletin d'acceptation dûment complété et signé, alors que l'absence de réponse au terme du délai de réflexion de délai de vingt et un jours est assimilée à un refus du contrat. Pour être recevable, le bulletin d'acceptation doit être accompagné de la demande d'allocation de sécurisation professionnelle dûment complétée et signée par le salarié et comporter une copie de la carte d'assurance maladie et d'une pièce d'identité, ou du titre en tenant lieu.
En l'espèce, il est constant que, le 28 février 2012, date de l'entretien préalable auquel Monsieur [E] avait été convoqué, la société SFFE ET lui a remis un document intitulé 'bulletin d'acceptation et récépissé du document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle', composé de deux volets, que le premier volet, constituée par le bulletin d'acceptation, n'a été signée que par le gérant de la société et que Monsieur [E] n'a signé que le second, constitué par le récépissé de remise du document de présentation et mentionnant seulement, conformément aux règles applicable, qu'il disposait d'un délai de réflexion de 21 jours pour faire connaître sa réponse.
Monsieur [E] n'a donc pas alors expressément manifesté son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle et il est constant qu'il n'a pas ultérieurement fait.
Ni le fait, allégué par la société SFFE ET, que Monsieur [E] n'a pas contesté son acceptation devant le conseil de prud'hommes, ni le fait qu'il a bénéficié du dispositif d'aide et a perçu les indemnités afférentes, ne sont de nature à pallier l'absence d'acceptation expresse du salarié.
Il est également constant que la société SFFE ET n'a pas adressé à Monsieur [E] de lettre de licenciement conforme aux dispositions de l'article L.1233-16 du code du travail, mais seulement ses documents de fin de contrat, manifestant ainsi sa volonté de rompre ce contrat, laquelle constitue un licenciement de plein droit dépourvu de cause réelle et sérieuse en l'absence de motivation.
Le jugement doit donc être infirmé sur ce point.
L'entreprise comptant plus de dix salariés, Monsieur [E], qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Au moment de la rupture, Monsieur [E], âgé de 32 ans, comptait un peu plus de 5 ans d'ancienneté. Il justifie de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'au 16 juillet 2014.
Au vu de cette situation, il convient d'évaluer son préjudice à la somme de 15 000 euros.
Enfin, sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de trois mois.
Sur les autres demandes
Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la remise d'un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d'une attestation destinée à Pôle-emploi, conformes, sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société SFFE ET à payer à Monsieur [E] une indemnité de 1 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d'une indemnité de 1 000 euros en cause d'appel.
Il n'y a pas lieu à ordonner le remboursement des sommes qui ont pu être perçues par Monsieur [E] en exécution du jugement entrepris, le présent arrêt constituant un titre exécutoire permettant de plein droit une telle restitution.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [T] [E] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il a condamné la société SFFE ET à lui payer une indemnité de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant de nouveau sur les seuls points infirmés,
Condamne la société SFFE ET à payer à Monsieur [T] [E] la somme de 15 000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter du présent jugement
Y ajoutant,
Condamne la société SFFE ET à payer à Monsieur [T] [E] une indemnité de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .
Déclare Monsieur [T] [E] irrecevable en sa demande d'indemnité de trajet au titre de la période antérieure au 15 juillet 2010.
Déboute Monsieur [T] [E] du surplus de ses demandes.
Ordonne le remboursement par la société SFFE ET des indemnités de chômage versées à Monsieur [T] [E] dans la limite trois mois d'indemnités
Rappelle qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle-emploi.
Déboute la société SFFE ET de sa demande d'indemnité.
Condamne la société SFFE ET aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT