RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 29 MARS 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/15102 (jonction avec S 16/15104)
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Octobre 2016 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° F14/15733
DEMANDERESSE AU CONTREDIT
DEFENDERESSE AU CONTREDIT
SOCIETE EXPERTISE ET CONSEIL
N° SIRET : 317 441 533
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me David LÉVY, avocat au barreau de PARIS, toque : L0101
DEFENDERESSE AU CONTREDIT
DEMANDERESSE AU CONTREDIT
SOCIETE GROUPE LEGRAND
N° SIRET : 389 879 321
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Anne KLEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E1972 substitué par Me Olivier GIOVENAL
DEFENDERESSE AUX CONTREDITS
Madame [A] [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant
comparante en personne et assistée de Me Elsa LEDERLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : T07, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 juin 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Madame Martine CANTAT, Conseiller
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.
*********
Statuant sur les contredits formés, le 24 octobre 2016, par la SAS EXPERTISE ET CONSEIL (instance enrôlée sous le numéro 16/15102) et la SA GROUPE LEGRAND (instance enrôlée sous le numéro 16/15104) à l'encontre du jugement rendu le 13 octobre 2016 par le conseil de prud'hommes de PARIS qui s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige opposant [A] [R] à :
1) la SAS EXPERTISE ET CONSEIL
2) la SA GROUPE LEGRAND.
Vu les conclusions déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement par la SAS EXPERTISE ET CONSEIL qui demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de juger le conseil de prud'hommes matériellement incompétent pour connaître des demandes de [A] [R] sur le fondement d'un manquement à l'obligation de sécurité, de la renvoyer devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de PARIS ;
Vu les conclusions déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement par la SA GROUPE LEGRAND qui demande à la cour de juger que le jugement déféré est nul en raison de la violation manifeste du principe du contradictoire et de juger que le conseil de prud'hommes est matériellement incompétent au profit du tribunal de commerce de PARIS ;
Vu les conclusions déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement par [A] [R] qui demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré
- débouter la SAS EXPERTISE ET CONSEIL et la SA GROUPE LEGRAND de leurs contredits respectifs
Et évoquant au fond,
- condamner solidairement les SAS EXPERTISE ET CONSEIL et SA GROUPE LEGRAND à lui verser les sommes suivantes :
' 28 640 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
' 2 863,40 € à titre de titre de congés payés sur préavis
' 38 546,37 € à titre de titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
' 105 860 € à titre de rappel d'heures supplémentaires
' 10 586 € à titre de congés payés pour heures supplémentaires
' 58 984,89 € à titre de rappel de contrepartie obligatoire en repos
' 57 277,98 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé
' 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat
' 229 112 € (24 mois) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
' 81 000 € à titre de rappel de salaire en qualité de Présidente de la société LA CLE du 7 septembre 2009 au 31 mars 2014
' 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
- ordonner à la société EXPERTISE ET CONSEIL de procéder à la rectification des bulletins de salaire afin d'y inscrire un solde de congés payés de 53,27 jours
- condamner les sociétés EXPERTISE & CONSEIL et GROUPE LEGRAND à lui verser la somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner solidairement les sociétés EXPERTISE & CONSEIL et GROUPE LEGRAND à remettre sous astreinte de 50 € par jour et par document à compter du prononcé du jugement à intervenir les documents de fin de contrat conformes et en original, à savoir attestation pôle emploi, solde de tout compte, certificat de travail
- assortir les condamnations à l'encontre des sociétés EXPERTISE & CONSEIL et GROUPE LEGRAND des intérêts légaux avec anatocisme à compter du jour du prononcé de la condamnation
La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties
SUR CE LA COUR,
Les sociétés EXPERTISE ET CONSEIL, LEGRAND FIDUCIAIRE et LA CLE appartenaient toutes au même groupe.
La société LEGRAND FIDUCIAIRE est un cabinet d'expertise comptable spécialisé dans le domaine des comités d'entreprise.
La SAS EXPERTISE ET CONSEIL est également un cabinet d'expertise comptable dont l'activité principale provient de dossiers de sous-traitance confiés par la société LEGRAND FIDUCIAIRE.
En avril 2006, la société LA CLE, spécialisée dans le conseil, la formation et l'assistance juridique auprès de comités d'entreprise, a été rachetée par la société LEGRAND FIDUCIAIRE.
La SAS EXPERTISE ET CONSEIL est devenue la holding de la société LEGRAND FIDUCIAIRE.
En 2014 les sociétés LA CLE et LEGRAND FIDUCIAIRE ont fusionné par absorption de la première par la seconde pour devenir la SA GROUPE LEGRAND.
[A] [R] expose que :
- le 14 février 2000 elle a été engagée par la société EXPERTISE ET CONSEIL, en qualité de directeur de mission, selon un contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective des cabinets d'expertise comptable et commissaire aux comptes,
- en juin 2008, elle a acquis 2,03 % du capital de la société EXPERTISE ET CONSEIL,
- du 7 septembre 2009 au 31 mars 2014, elle a été contrainte d'assumer outre ses fonctions de directeur de mission de la SAS EXPERTISE ET CONSEIL, la présidence de la société LA CLE,
- elle a donc travaillé à la fois sur PARIS et CRÉTEIL tout en accomplissant de nombreux déplacements sur toute la France,
- les relations entre les parties se sont dégradées en raison de l'importance de ses tâches et de la dégradation de son état de santé.
C'est dans ces conditions, que [A] [R] a, le 9 décembre 2016, saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation de son contrat de travail, la SAS EXPERTISE ET CONSEIL et la SA GROUPE LEGRAND soulevant alors une exception d'incompétence.
MOTIFS
Sur la jonction :
Il existe entre les litiges un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble.
Il convient par conséquent d'ordonner la jonction entre les instances enrôlées sous les numéros 16/15102 et 16/15104.
Sur la nullité du jugement :
La SA GROUPE LEGRAND conclut à la nullité du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de PARIS au motif que [A] [R], considérant qu'elle et la SAS EXPERTISE ET CONSEIL n'étaient qu'une même personne, ne lui a pas adressé ses pièces et conclusions en violation du principe de la contradiction.
Il résulte du dossier de première instance que :
- [A] [R] a, par acte d'huissier en date du 6 juillet 2015, fait assigner en intervention forcée la SA GROUPE LEGRAND 'pour le compte de laquelle elle travaille également, se trouvant dans une situation de co-emploi à l'égard des deux sociétés appartenant au même groupe',
- la SA GROUPE LEGRAND a déposé et fait viser par le greffier des conclusions aux fins d'incompétence matérielle du conseil de prud'hommes au profit du tribunal de commerce contestant toute relation de nature salariale à l'égard de [A] [R], sans à aucun moment invoquer le fait qu'elle n'aurait pas été destinataire des pièces versées aux débats par cette dernière.
La SA GROUPE LEGRAND a été à même de faire valoir et a fait valoir ses moyens de droit devant les premiers juges.
Il n'y a pas lieu d'annuler le jugement déféré.
Sur le contredit formé par la SAS EXPERTISE ET CONSEIL :
Aux termes de l'article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions de ce même code entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient.
Il règle les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.
Il n'est pas contesté que les parties sont liées par un contrat de travail en date du 24 janvier 2000.
La SAS EXPERTISE ET CONSEIL soutient que la demande de résiliation du contrat de travail relève non pas de la compétence du conseil de prud'hommes mais de celle du tribunal des affaires de sécurité sociale de NANTERRE qui a été saisi par [A] [R] d'une demande tendant à voir reconnaître le caractère professionnel de la maladie à l'origine de ses arrêts de travail et que le tribunal a reconnu le caractère professionnel de sa maladie par décision du 23 mars 2016.
Elle fait valoir qu'elle invoque de nouveau le même manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur devant le conseil de prud'hommes.
C'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé qu'il était compétent pour statuer sur la demande de [A] [R] dès lors qu'elle sollicite la résiliation de son contrat de travail non seulement en raison des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité mais également à ses obligations nées de l'exécution du contrat de travail, dès lors qu'elle soulève la nullité de la convention de forfait annuel prévue dans son contrat de travail et sollicite en conséquence le paiement d'heures supplémentaires, des congés payés afférents, et de la contrepartie en repos compensateur, ainsi que le paiement d'une indemnité pour travail dissimulé, l'examen de ces demandes relevant de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes.
Le jugement est confirmé sur ce point.
Sur le contredit formé par la SA GROUPE LEGRAND :
Il convient de relever que [A] [R] qui n'invoque pas expressément avoir été placé dans un lien de subordination à l'égard de la SA GROUPE LEGRAND sollicite la condamnation solidaire des deux sociétés demanderesses au contredit en raison, selon elle, de l'immixtion de cette société la SA GROUPE LEGRAND dans la gestion économique et sociale de la société LA CLE dont elle a été la présidente du mois de septembre 2009 au mois de mars 2014, date à laquelle cette société a fusionné avec la société LEGRAND FIDUCIAIRE pour devenir la SA GROUPE LEGRAND, filiale à 100 % de la SAS EXPERTISE ET CONSEIL.
Elle soutient en premier lieu que les trois sociétés avaient une activité complémentaire :
- la société LEGRAND FIDUCIAIRE était spécialisée dans l'expertise comptable auprès des comités d'entreprise,
- la société EXPERTISE ET CONSEIL assurait la sous-traitance des dossiers confiés par la société LEGRAND FIDUCIAIRE,
- la société la CLE dont [A] [R] était présidente avait une activité de conseil, formation et assistance juridique auprès des comités d'entreprise.
En second lieu, elle fait valoir qu'il existait une confusion des pouvoirs entre les mains de M. [A] président de la société LEGRAND FIDUCIAIRE, de la société EXPERTISE ET CONSEIL et unique administrateur du GIE GROUPE LEGRAND constitué en 2007 entre les sociétés LA CLE et LEGRAND FIDUCIAIRE.
Elle ajoute enfin, qu'outre le fait que le personnel était interchangeable, la société LEGRAND FIDUCIAIRE facturait les prestations destinées au comité d'entreprise alors que la société EXPERTISE ET CONSEIL facturait les seules missions d'expertises classiques ou de commissaire aux comptes et analysant les comptes consolidés de 2011, expose que
- le chiffre d'affaires global consolidé était de 3 324 007 euros
- le chiffre d'affaires mission CE de LEGRAND FIDUCIAIRE était de 3 166 350 euros (production vendue - refacturation de frais)
- le chiffre d'affaires de la société EXPERTISE ET CONSEIL correspondant au différentiel, soit 157 657 euros,
et, par conséquent que, l'activité de la société EXPERTISE ET CONSEIL était totalement dépendante de l'activité consacrée aux comités d'entreprise.
Une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre, hors l'existence d'un lien de subordination, que s'il existe entre elles au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activité et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.
Or il résulte des pièces versées aux débats que c'est la SAS EXPERTISE ET CONSEIL, avec laquelle [A] [R] était liée par un contrat de travail, qui en l'espèce est la société-mère alors que la SA GROUPE LEGRAND est une filiale.
Par ailleurs, les seules relations avérées, auxquelles au demeurant celle-ci se réfère dans ses écritures, sont celles la liant à la société LA CLE, en sa qualité de présidente, et donc de titulaire d'un mandat social, pour lequel était expressément prévue une rémunération ainsi que cela résulte du procès-verbal de l'assemblée générale de du 22 décembre 2009 de cette société.
En revanche, s'il existe une confusion de direction ainsi qu'une complémentarité entre les activités des sociétés SAS EXPERTISE ET CONSEIL et GROUPE LEGRAND, outre un lien capitalistique entre elles, ces seuls éléments ne permettent pas pour autant d'en déduire que c'est la filiale, et non la société mère, qui occupe une position de domination économique, rien ne permettant de plus de démontrer que la SA GROUPE LEGRAND se soit immiscée dans la gestion économique et sociale de la SAS EXPERTISE ET CONSEIL.
Il convient par conséquent d'accueillir le contredit, d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de PARIS en ce qu'il s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant [A] [R] à la SA GROUPE LEGRAND, et de dire le tribunal de commerce de PARIS compétent.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité ne commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de [A] [R].
PAR CES MOTIFS
Ordonne la jonction entre les instances enrôlées sous les numéros 16/15102 et 16/15104
Rejette le contredit formé par la SAS EXPERTISE ET CONSEIL
Confirme le jugement en ce que le conseil de prud'homme de PARIS s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant [A] [R] à la SAS EXPERTISE ET CONSEIL
Renvoie l'affaire devant cette juridiction pour qu'il soit statué sur le fond concernant le litige opposant [A] [R] à la SAS EXPERTISE ET CONSEIL
Accueille le contredit formé par la SA GROUPE LEGRAND
Infirme le jugement en ce que le conseil de prud'homme de PARIS s'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant [A] [R] à la SA GROUPE LEGRAND
Renvoie le litige opposant [A] [R] à la SA GROUPE LEGRAND devant le tribunal de commerce de PARIS
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
Laisse les frais du présent contredit à la charge de la SAS EXPERTISE ET CONSEIL.
LE GREFFIER LE PRESIDENT