Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 05 AVRIL 2018
(n° 211/18 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/10051
Décision déférée à la cour : jugement du 09 mai 2017 -juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 16/83221
APPELANT
Les Etats-Unis d'Amérique, agissant poursuites et diligences en la personne de son chef du département de la justice domicilié en cette qualité audit siège
Etat Souverain, US Department of Justice
[Adresse 1], N
[Adresse 2])
représenté par Me Florence Guerre de la Selarl Pellerin - De Maria - Guerre, avocat au barreau de Paris, toque : L0018
ayant pour avocat plaidant Me Nathalie Meyer Fabre, avocat au barreau de Paris, toque : C0091, ainsi que Me Carla Baker-Chiss, avocat au barreau de Paris, toque : C0091
INTIMÉS
Madame [P] [Y], agissant en qualité d'ayant droit de M. [D] [L], décédé le [Date décès 1] 2008
née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 1] (Tunisie)
[Adresse 3]
[Localité 2]
Monsieur [H] [L], agissant en qualité d'ayant droit de M. [D] [L], décédé le [Date décès 1] 2008
né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 2]
[Adresse 4]
[Localité 3])
Madame [Q] [L], agissant en qualité d'ayant droit de M. [D] [L], décédé le [Date décès 1] 2008
née le [Date naissance 3] 1984 à [Localité 2]
[Adresse 3]
[Localité 2]
tous représentés par Me Jacques-Alexandre Genet de la Selas Archipel, avocat au barreau de Paris, toque : P0122
ayant pour avocat plaidant Me Michaël Schlesinger, avocat au barreau de Paris, toque : P0122
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 février 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre, chargée du rapport
M. Gilles Malfre, conseiller
M. Bertrand Gouarin, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Gilles Malfre, conseiller pour la présidente empêchée, et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la déclaration d'appel en date du 18 mai 2017 ;
Vu les conclusions récapitulatives des États-Unis d'Amérique, en date du 23 janvier 2018, tendant à voir, à titre principal, surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation à intervenir, à titre subsidiaire, infirmer le jugement rendu le 9 mai 2017 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris, prononcer la nullité et la caducité de la saisie-attribution de créance du 15 mai 2014 et ordonner sa mainlevée, à titre encore plus subsidiaire, la cantonner à la somme de 136 000 euros, en tout état de cause, condamner les consorts [L] à leur payer la somme de 10 000 euros aux termes de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens
Vu les conclusions récapitulatives des consorts [L] en date du 6 février 2018, tendant à voir confirmer le jugement attaqué et condamner les États-Unis à leur payer la somme de 50 000 euros à titre de indemnité de procédure ainsi qu'aux dépens ;
Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.
SUR CE :
Par jugement du 5 octobre 2009, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné solidairement l'ambassadeur des États-Unis d'Amérique et les États-Unis d'Amérique à verser aux ayants-droits de M. [L] la somme de 136 000 euros sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Par un second jugement du 22 mai 2012, le conseil de prud'hommes a liquidé l'astreinte à la somme de 734 000 euros et condamné 1'ambassadeur des États-Unis pris en sa qualité de représentant des États-Unis et en qualité de Chef de mission diplomatique en France et les États-Unis d'Amérique représentés par le chef du Département de Justice à Washington à payer cette somme aux ayants droit de M. [L].
En exécution de ces décisions, les consorts [L] ont fait procéder le 15 mai 2014 à une saisie des loyers dus par la société de droit américain Jones Day, saisie signifiée en son bureau situé à [Adresse 5].
Le 8 juillet 2014, les États-Unis d'Amérique ont fait appel des deux décisions servant de fondement aux poursuites.
Par acte du 14 août 2014, les États-Unis d'Amérique ont assigné les consorts [L] pour voir déclarer nulle et caduque la saisie-attribution du 15 mai 2014 et en voir ordonner la mainlevée immédiate.
Par jugement du 12 mai 20l5, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appe1.
Par arrêt du 20 septembre 2016, les appels formés à l'encontre des deux décisions du conseil de prud'hommes ont été déclarés irrecevables.
Par jugement du 9 mai 2017, le juge de l'exécution, statuant en formation collégiale, a débouté les États-Unis d'Amérique de leurs demandes. C'est la décision attaquée.
Sur la demande de sursis à statuer :
Les États-Unis d'Amérique demandent le sursis à statuer dans l'attente de la décision à rendre par la Cour de cassation sur le pourvoi qu'ils ont formé à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 20 septembre 2016.
Aux termes de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution et aux termes de l'article R. 121-1 du même code, le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution.
En l'espèce, comme le relèvent à bon droit les intimés, la demande de sursis à statuer aurait pour effet de suspendre l'exécution des jugements dont l'exécution est poursuivie. La demande de sursis à statuer ne peut par conséquent qu'être rejetée.
Sur la nullité de la saisie-attribution :
Les États-Unis d'Amérique invoquent en premier lieu la violation du principe de territorialité des voies d'exécution en ce que la créance saisie est localisée à l'étranger et ne peut donc, en vertu de ce principe, être appréhendée en France, en ce que l'huissier instrumentaire était incompétent pour pratiquer la saisie-attribution querellée et que l'acte de saisie était dirigé contre une entité dépourvue de personnalité morale.
En réalité «'l'incompétence'» de l'huissier de justice instrumentaire serait une conséquence du principe de territorialité et l'absence de personnalité morale de l'entité saisie est un fait invoqué à l'appui du moyen.
À l'appui de ce moyen, les États-Unis exposent que la créance saisie est une créance de loyers, née d'un contrat de bail établi entre les États-Unis d'Amérique, propriétaire des lieux loués, et la société Jones Day, locataire, que le locataire est une société de droit américain dont le siège est à [Adresse 6]), États-Unis d'Amérique.
Ils ajoutent que le bureau parisien de ce cabinet est dépourvu de la personnalité morale. Il ne jouit d'aucune autonomie dans la gestion du bail dont est issue la créance saisie, ne représente pas sa maison mère dans les rapports avec le bailleur et n'est pas débiteur de la créance saisie.
Les consorts [L] répliquent qu'une créance, par nature incorporelle, ne pouvant être localisée dans l'espace, peut être appréhendée par un huissier français, notamment au siège social du tiers saisi qui se trouve en France, ou dans l'un des établissements dont il dispose sur le territoire français, doté de la personnalité juridique, sans que cela porte atteinte au principe de territorialité des voies d'exécution.
Ils ajoutent qu'aux termes de l'article R. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier procède à la saisie par acte d'huissier de justice signifié au tiers. Ce texte ne précisant pas le lieu où la notification de l'acte doit être effectuée, ce sont les règles de droit commun qui s'appliquent et, conformément à l'article 690 alinéa 1er du code de procédure civile «'la notification destinée à une personne morale ['] est faite au lieu de son établissement.'»
Les intimés rappellent que le contrat a été signé en France, porte sur des locaux situés à Paris et que les loyers sont payés à Paris de sorte que cette créance peut parfaitement être appréhendée par un huissier de justice.
Il est de principe que les voies d'exécution, dans chaque pays, relèvent expressément du droit interne de ce pays sans qu'il y ait lieu de considérer la nationalité de la partie qui les a requises ou qui les subit, dès leur que leur application est restreinte au territoire de la juridiction qui les a ordonnées. Corrélativement, en vertu du principe de l'indépendance et de la souveraineté des États, le juge français ne peut, sauf convention internationale ou législation communautaire l'y autorisant, non invoquées en la cause, ordonner ou autoriser une mesure d'exécution, forcée ou conservatoire, devant être accomplie dans un État étranger.
En droit international privé français, il est admis que la créance est en principe localisée au domicile du débiteur. Il s'en déduit que lorsque la créance objet de la saisie est localisée à l'étranger, le principe de territorialité fait échec à ce qu'une saisie-attribution puisse produire des effets en France.
Il convient donc de rechercher où était localisée la créance saisie.
En l'espèce, elle résulte d'un contrat de bail signé entre les États-Unis d'Amérique et une société de droit américain dont le siège est dans l'Ohio et elle se trouve nécessairement localisée sur le territoire des États-Unis, peu important à cet égard que le bien loué soit situé en France, que le loyer soit réglé à partir d'un compte bancaire situé en France, que le «'partnership'» en France de cette société d'avocats lui confère des droits comme celui d'ester en justice et qu'un de ses membres ait accepté de recevoir l'acte de saisie.
Il résulte de la saisie-attribution un effet attributif immédiat sur des créances détenues à l'étranger par les États-Unis, ce qui contrevient au principe de territorialité du droit français des procédures civiles d'exécution. Dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, il sera donné mainlevée de la saisie-attribution dès lors qu'elle ne pouvait produire d'effet.
Sur les demandes accessoires :
Les intimés qui succombent doiventt être condamnés aux dépens, déboutés de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des États-Unis d'Amérique.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau,
Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution du 15 mai 2014 ;
Condamne les consorts [L] aux dépens de première instance et d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
LE GREFFIERPOUR LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE