Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 10 AVRIL 2018
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18415
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2015 rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de CRÉTEIL - RG n° 10/09336
APPELANT
Monsieur [C], [T], [G] [M] né le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 1]
COMPARANT
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0044
assisté de Me Véronique TRUONG, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : A437
INTIMEE
Madame [R] [U] divorcée [M] née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 2] (Suisse)
[Adresse 2]
[Adresse 2] - SUISSE
représentée par Me Florence CHOPIN, avocat au barreau du VAL-DE-MARNE, toque : PC 189
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dominique GUIHAL, présidente
Mme Dominique SALVARY, conseillère
M. Jean LECAROZ, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
Le MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de Madame le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de PARIS
élisant domicile en son parquet au [Adresse 3]
représenté par Madame de CHOISEUL PRASLIN, substitut général
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le 11 septembre 2015, M. [C] [M] a interjeté appel d'un jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil qui, sur une demande d'exequatur par Mme [R] [U] de plusieurs décisions de juridictions helvétiques, a :
- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par M. [M] en application des articles 74 et 771 du code de procédure civile,
- déclaré irrecevables et rejeté les demandes reconventionnelles de M. [M] relatives à la fraude,
- déclaré exécutoires en France :
- un jugement de la 2ème cour de Baden, canton d'Argovie du 12 janvier 2009, qui autorise les époux à résider séparément, se prononce sur la garde de l'enfant, le droit de visite du père, la contribution de celui-ci à l'entretien du jeune [J] et de sa mère
- un jugement du tribunal cantonal, 5ème chambre du canton d'Argovie du 15 juin 2009 modifiant partiellement le précédent sur la pension due à Mme [U]
- un jugement de la Haute Cour de la 1ère chambre des affaires civiles du Canton d'Argovie du 8 novembre 2011 rejetant pour l'essentiel l'appel interjeté par M. [M] du jugement du président de la 2ème chambre du tribunal de district de Baden du 28 mai 2010 qui a prononcé la dissolution du mariage et statué sur les conséquences du divorce,
- ordonné les mesures de publicité à l'état civil,
- rejeté la demande de dommages-intérêts de M. [M],
- rappelé que l'exécution provisoire s'attachait de droit à la décision,
- condamné M. [M] à payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire initialement attribuée à la chambre 3-3 de la cour d'appel a été redistribuée à la chambre 1-1 en mars 2017.
Par des conclusions notifiées le 27 février 2018, M. [M] demande à la cour de :
- lui donner acte de ce qu'il verse les pensions alimentaires pour l'enfant mais que sa situation financière le place dans l'impossibilité d'exécuter les décisions helvétiques,
- lui donner acte de ce que Mme [U] a indiqué n'avoir jamais fait valoir de résidence suisse devant les tribunaux helvétiques avant 2009,
- constater que les critères de compétence posés par les articles 5, 7 et 8 de la convention de La Haye n'ont pas été respectés,
- constater que les jugements helvétiques n'ont pas respecté les termes de l'article 11 de la convention de La Haye sur la loi applicable aux obligations alimentaires, en ne tenant pas compte de ses ressources financières,
- constater que les juridictions helvétiques ont fait une mauvaise appréciation de la loi française pourtant expressément visée en allouant à Mme [U] une soulte sur un bien lui appartenant en propre,
- annuler et à tout le moins infirmer la décision entreprise
- constater l'impossibilité matérielle dans laquelle il se trouve d'exécuter les décisions dont l'exequatur est poursuivi,
- condamner Mme [U] à lui payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions notifiées le 20 février 2018, Mme [U] demande à la cour de :
- déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par M. [M] en application des articles 74 et 771 du code de procédure civile,
- déclarer irrecevables et en tout cas mal fondées les demandes de modification des dispositions pécuniaires des décisions helvétiques,
- débouter M. [M] de ses demandes,
- subsidiairement, si le jugement était annulé, faire application des dispositions de l'article 562 alinéa 2 et déclarer exécutoires en France les décisions helvétiques en cause.
- condamner M. [M] au paiement d'une somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI :
Sur l'incompétence du juge aux affaires familiales pour prononcer l'exequatur d'un jugement étranger :
Considérant que c'est à juste titre que le premier juge a décidé que l'exception d'incompétence matérielle fondée sur l'article 212-8 du code de l'organisation judiciaire était irrecevable faute d'avoir été présentée in limine litis;
Sur la demande d'annulation du jugement fondée sur la mention de l'exécution provisoire de droit :
Considérant que le fait que le jugement ait indiqué de manière erronée qu'il était exécutoire de plein droit n'est pas une cause d'annulation; que la demande de ce chef sera rejetée;
Sur l'exequatur :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la convention de La Haye du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et l'exécution de décisions relatives aux obligations alimentaires : 'La décision rendue dans un Etat contractant doit être reconnue ou déclarée exécutoire dans un autre Etat contractant :
1. si elle a été rendue par une autorité considérée comme compétente au sens des articles 7 ou 8 ; et
2. si elle ne peut plus faire l'objet d'un recours ordinaire dans l'Etat d'origine.
Les décisions exécutoires par provision et les mesures provisionnelles sont, quoique susceptibles de recours ordinaire, reconnues ou déclarées exécutoires dans l'Etat requis si pareilles décisions peuvent y être rendues et exécutées.'
Que suivant l'article 5 : 'La reconnaissance ou l'exécution de la décision peut néanmoins être refusée :
1. si la reconnaissance ou l'exécution de la décision est manifestement incompatible avec l'ordre public de l'Etat requis; ou
2. si la décision résulte d'une fraude commise dans la procédure; ou
3. si un litige entre les mêmes parties et ayant le même objet est pendant devant une autorité de l'Etat requis, première saisie; ou
4. si la décision est incompatible avec une décision rendue entre les mêmes parties et sur le même objet, soit dans l'Etat requis, soit dans un autre Etat lorsque, dans ce dernier cas, elle réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance et à son exécution dans l'Etat requis.';
Que suivant l'article 7 : 'L'autorité de l'Etat d'origine est considérée comme compétente au sens de la convention :
1. si le débiteur ou le créancier d'aliments avait sa résidence habituelle dans l'Etat d'origine lors de l'introduction de l'instance; ou
2. si le débiteur et le créancier d'aliments avaient la nationalité de l'Etat d'origine lors de l'introduction de l'instance; ou
3. si le défendeur s'est soumis à la compétence de cette autorité soit expressément, soit en s'expliquant sur le fond sans réserves touchant à la compétence.';
Considérant que Mme [R] [U], de nationalité suisse, et M. [C] [M], de nationalité française, se sont mariés le [Date mariage 1] 2005 à [Localité 3] (Confédération helvétique); que de leur union est issu l'enfant [B], né le [Date naissance 3] 2006 à [Localité 2] (Confédération helvétique); que le 6 février 2008, Mme [U] a déposé une requête en divorce devant la cour de Baden qui est à l'origine des décisions de justice dont l'exequatur est sollicité;
Considérant que le 8 février 2010, M. [M] a saisi d'une requête en divorce le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil, lequel par jugement du 10 janvier 2011 s'est dessaisi au profit du tribunal cantonal de Baden; que sur appel de M. [M], cette cour, par un arrêt du 9 avril 2013, a écarté les moyens de l'appelant relatifs à l'incompétence des juridictions helvétiques et, tenant compte des décisions intervenues en Suisse, a déclaré sans objet la procédure de divorce qu'il avait introduite en France; que le pourvoi de M. [M] a été rejeté le 24 septembre 2014;
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi que l'avait relevé cette cour dans l'arrêt du 9 avril 2013, Mme [U] est de nationalité suisse, le mariage a été célébré en Suisse où l'enfant est né et que Mme [U] a quitté le domicile conjugal en France le 10 octobre 2017 pour s'installer avec l'enfant en Suisse où elle avait conservé ses activités professionnelles;
Que, contrairement à ce que prétend M. [M], il n'y avait aucune ambiguïté sur la rupture et sur la fixation par Mme [U] de sa résidence en Suisse, dès lors que dans le cadre d'une médiation familiale organisée à [Localité 2] (Suisse) les époux avaient signé le 23 novembre 2007 une convention constatant leur accord pour divorcer et organiser amiablement pour la durée de la procédure les modalités des relations du père avec l'enfant dont la résidence était fixée au domicile de la mère;
Que les moyens tirés de ce que les juridictions helvétiques ne seraient pas compétentes, faute de fixation par Mme [U] de sa résidence en Suisse, et que leurs décisions auraient été obtenues par fraude ne peuvent qu'être écartés;
Considérant, en deuxième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, la fixation de la résidence de l'enfant en Suisse auprès de sa mère a été faite d'un commun accord, que les décisions de justice qui statuent dans le même sens et fixent un droit de visite et d'hébergement pour le père ne heurtent aucun principe d'ordre public international qui résulterait de l'article 373-2 du code civil;
Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que prétend M. [M], le jugement du 15 juin 2009 est motivé par référence aux ressources et charges des parties sur le seul point qui était contesté, à savoir, l'allocation d'entretien pour Mme [U];
Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 12 de la Convention de La Haye susvisée : 'L'autorité de l'Etat requis ne procède à aucun examen au fond de la décision, à moins que la Convention n'en dispose autrement.';
Qu'il n'appartient donc pas à cette cour de réviser l'appréciation par le juge helvétique des capacités contributives des parties, ni de corriger d'éventuelles erreurs de droit qui auraient été commises par ce juge, fût-ce dans l'application de la loi française;
Considérant enfin que les décisions en cause ne contiennent par ailleurs rien qui soit manifestement contraire à la conception française de l'ordre public international; qu'elles sont exécutoires et que les pièces requises par l'article 17 de la convention ont été produites;
Qu'il convient par conséquent de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions à l'exception de celle qui rappelle que l'exécution provisoire est de droit;
Considérant que l'appelant, qui succombe, sera condamné à payer à l'intimée la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS :
Déclare irrecevable le moyen d'incompétence matérielle.
Infirme le jugement rendu le 8 septembre 2015 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil mais seulement en ce qu'il a rappelé que l'exécution provisoire était de droit.
Le confirme pour le surplus.
Rejette toute autre demande.
Condamne M. [M] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et au paiement à Mme [U] de la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE