Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 09 MAI 2018
(n°286/18 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/12105
Décision déférée à la cour : jugement du 21 juin 2017 - juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 17/80727
APPELANTE
République du Congo, agissant poursuites et diligences de son ministre de la justice, des droits humains et de la promotion des peuples autochtones
[Adresse 5]
Ministère de la Justice
Brazzaville (République du Congo)
représentée par Me Patricia Hardouin de la Selarl 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de Paris, toque : L0056
ayant pour avocat plaidant Me Kevin Grossmann, avocat au barreau de Paris, toque : D2019 ; substitué à l'audience par Me Marie-Bénédicte Thomas, avocat au barreau de Paris
INTIMÉS
Société Commissions Import Export (Commisimpex), société de droit congolais, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 7] (République du Congo)
représentée par Me Jacques-Alexandre Genet de la Selas Archipel, avocat au barreau de Paris, toque : P0122
ayant pour avocat plaidant Me Michaël Schlesinger, avocat au barreau de Paris, toque : P0122
Sas Caroil, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 411 671 027 00059
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Anne Grappotte-Benetreau de la Scp Grappotte Benetreau, avocats associés, avocat au barreau de Paris, toque : K0111
Monsieur le Procureur de la République
[Adresse 2]
[Localité 3]
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Emmanuelle Lebée, présidente, et, M. Bertrand Gouarin, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de:
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre, chargée du rapport
M. Gilles Malfre, conseiller
M. Bertrand Gouarin, conseiller
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la déclaration d'appel en date du 21 juin 2017 ;
Vu les conclusions récapitulatives de la République du Congo, en date du 20 février 2018, tendant , à titre principal, à voir infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevables les prétentions de la société Commisimpex au titre des saisies-attributions pratiquées entre les mains de la société Caroil les 14 novembre et 9 décembre 2016, statuant à nouveau, juger irrecevable l'ensemble des demandes de la société Commisimpex au titre des saisies-attribution des 14 novembre et 9 décembre 2016, en ordonner mainlevée, à titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau, infirmer le jugement en ce qu'il a validé les saisies-attributions litigieuses, en ordonner mainlevée, condamner la société Commisimpex à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens'dont la distraction est demandée';
Vu les conclusions récapitulatives de la société Commisimpex, en date du 14 mars 2018, tendant à voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l'exécution de Paris le 21 juin 2017, débouter la République du Congo et la société Caroil de leurs demandes, condamner in solidum la République du Congo et la société Caroil aux entiers dépens d'appel dont la distraction est demandée'ainsi qu'au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel ;
Vu les conclusions récapitulatives de la société Caroil, en date du 27 septembre 2017, tendant, en substance, à voir, «'à titre préliminaire'», infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel, à titre principal, annuler les saisies-attribution des 14 novembre et 9 décembre 2016, confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que la saisie de la somme de 1 534,77 euros ne correspondait pas à une créance du saisi sur le tiers saisi mais à celle d'un tiers, la SNE, sur la société Caroil., infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement la société Caroil et la République du Congo à payer à la société Commisimpex les dépens et la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la société Commisimpex à lui payer la somme de 15 000 euros au même titre ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction est demandée ;
Vu les conclusions du ministère public, en date du 13 mars 2018, tendant à voir confirmer le jugement entrepris sur le rejet de la fin de non recevoir fondée sur l'estoppel, infirmer le jugement, en ce qu'il a validé, pour le surplus, les deux saisies-attribution ;
Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.
SUR CE :
Les 15 novembre et 9 décembre 2016, en exécution de deux sentences arbitrales rendues les 3 décembre 2000 et 21 janvier 2013, sous les auspices de la Chambre de commerce internationale, toutes deux revêtues de l'exequatur, la société Commissions Import Export (Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratiquer des saisies-attribution entre les mains de la société Caroil.
Par lettres des 18 novembre et 16 décembre 2016, la société Caroil a déclaré les sommes dont sa succursale établie sur le territoire de la République du Congo était redevable à l'égard de celle-ci, à savoir des dettes fiscales ou sociales, et a émis les plus expresses réserves quant au caractère saisissable de celles-ci.
Le 12 décembre 2016, la République du Congo a assigné la société Commisimpex et la société Caroil devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, notamment la nullité de la saisie-attribution pratiquée le 14 novembre 2016.
Une procédure incidente de question prioritaire de constitutionnalité a donné lieu à un jugement du 1er mars 2017 qui a dit n'y avoir lieu à transmission à la Cour de cassation.
Le 8 mars 2017, la République du Congo a assigné la société Commisimpex et la société Caroil devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, notamment la nullité de la seconde saisie-attribution.
Les deux affaires ont été jointes.
Par jugement du 21 juin 2017, le juge de l'exécution a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel, annulé partiellement la saisie-attribution pratiquée le 14 novembre 2016, en tant qu'elle portait sur la créance de 1 534,77 euros de la SNE sur la société Caroil, rejeté les demandes de nullité des saisies du 14 novembre 2016 et du 9 décembre 2016 pour le surplus, condamné in solidum la République du Congo et la société Caroil aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure. Les deux affaires ont été jointes. C'est la décision attaquée.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l'estoppel':
À l'appui de ce chef de demande, la République du Congo et la société Caroil soutiennent, en substance, que la société Commisimpex a, par le passé, adopté un comportement diamétralement contraire à la position soutenue devant le juge de l'exécution parisien, qu'elle a, par trois fois au moins, spontanément donné mainlevée de saisies-attribution en reconnaissant l'insaisissabilité des créances de nature fiscale et sociale, que le maintien de la saisie litigieuse était donc incontestablement de nature à induire en erreur la République du Congo sur ses intentions, de sorte que les prétentions de la saisissante auraient dû être déclarées irrecevables, conformément au principe de l'estoppel, consacré par la jurisprudence, selon lequel «'nul ne peut se contredire au détriment d'autrui'».
En réplique, la société Commisimpex fait valoir qu'elle n'a jamais adopté de positions juridiquement incompatibles, qu'elle n'a jamais reconnu que des créances fiscales et sociales dues par une société française à un État étranger ne seraient pas localisées en France, ni même qu'un État étranger ne pouvait renoncer à son immunité que de façon expresse « et spéciale », puisqu'elle a systématiquement contesté l'argumentation soutenue par la République du Congo.
Les moyens soutenus par l'appelante et le tiers saisi ne font que réitérer sans justification complémentaire utile ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs pertinents et exacts que la cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
À titre surabondant, la cour ajoute que selon l'article 122 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond. Une mesure d'exécution forcée ne constitue pas en soi une action ou une prétention à laquelle on peut opposer une fin de non-recevoir. En l'absence d'action intentée par la société Commisimpex, la fin de non-recevoir soulevée par la République du Congo dans l'instance en contestation de la saisie-attribution, avant que son adversaire ait soulevé le moindre moyen en défense ou formé la moindre prétention à titre reconventionnel, manque par le fait qui aurait pu lui servir de base.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir fondée sur l'estoppel.
Au fond':
Aux termes de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.
En l'espèce, il n'est pas discuté par l'appelante que la société Commisimpex dispose d'un titre exécutoire à l'encontre de la République du Congo.
Il résulte de l'article L. 111-1 du même code que la société Commisimpex peut contraindre celle-ci, dont la défaillance n'est pas contestée, à exécuter ses obligations à son égard par des mesures d'exécution forcée à moins que la débitrice ne bénéficie d'une immunité d'exécution.
L'article L. 211-1 prévoit que le créancier peut saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.
Il convient donc d'examiner, d'abord, si la saisie-attribution a pu porter effet, c'est-à-dire si les créances saisies, de nature fiscale et sociale, étaient localisées en France avant d'examiner si la République du Congo bénéficiait d'une immunité d'exécution.
Sur ce premier point, la République du Congo soutient que le principe de territorialité des voies d'exécution, ensemble le principe de territorialité du recouvrement de l'impôt, impliquent que les créances de nature fiscale et sociale soient nécessairement et uniquement localisées sur le territoire de l'État sur lequel s'exerce l'activité donnant lieu à ladite imposition de sorte que de telles créances ne sauraient valablement être appréhendées sur le territoire d'un autre État, que considérer présentes sur le territoire français, donc rendre saisissables en France les créances fiscales d'un État étranger, reviendrait à permettre le recouvrement de l'impôt étranger sur le sol français, ce qui contreviendrait au principe de territorialité du recouvrement de l'impôt et porterait atteinte à la souveraineté de l'État étranger.
La société Caroil conclut dans le même sens, invoquant également le risque de double imposition découlant des effets de la saisie-attribution litigieuse.
Cependant, il s'agit, ainsi qu'il a été dit plus haut, de déterminer, dans un premier temps, si la créance saisie se trouve localisée en France, conformément au principe de territorialité des mesures d'exécution.
Dès lors que le litige ne concerne pas l'exercice, en France, de mesures de contraintes en vue du recouvrement par la République du Congo de créances fiscales ou sociales et que les sommes saisies ne portent pas sur la ressource fiscale ou le produit de l'impôt en eux-mêmes, mais sur une dette fiscale ou sociale d'un tiers, celle-ci et le tiers saisi invoquent vainement le principe de territorialité du recouvrement de l'impôt.
Comme le soutient la société Commisimpex le principe de l'unicité de patrimoine permet de localiser les créances du débiteur saisi sur le tiers saisi au siège social de ce dernier, ainsi que celui-ci l'a bien compris puisqu'il a déclaré les dettes qu'il avait à l'égard de la République du Congo et dont il est seul redevable, sa succursale n'ayant pas la personnalité morale, peu important les réserves qu'il ait émises relatives à leur saisissabilité.
La saisie-attribution a donc porté effet sur des dettes localisées en France.
Le risque de double-imposition invoqué par le tiers saisi n'est pas une cause de la nullité de la saisie mais une conséquence éventuelle de celle-ci dont le juge de l'exécution n'a pas à connaître.
Il convient, dans un second temps, de déterminer si la République du Congo bénéficie d'une immunité d'exécution.
Il est rappelé que la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 est inapplicable aux faits de l'espèce, son entrée en vigueur étant postérieure à la saisie-attribution litigieuse et que les parties invoquent vainement l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2018 (pourvoi n° 16.22494) qui concerne les mesures d'exécution forcée pouvant être mises en 'uvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales.
À l'appui de sa demande d'infirmation, le tiers saisi soutient, en substance, que les précédentes décisions ayant reconnu que la République du Congo avait renoncé expressément à son immunité d'exécution n'ont pas d'autorité de la chose jugée à son égard dès lors qu'il n'y était pas partie, qu'elles ne concernaient pas les mêmes créances et qu'elles n'étaient pas nécessairement toutes faites au visa des deux sentences arbitrales.
Cependant, ainsi que le soutient à bon droit la société Commisimpex, le tiers saisi, qui n'a pas engagé devant le juge de l'exécution d'action en contestation de la validité de la saisie pratiquée entre ses mains et n'est pas poursuivi personnellement par le créancier en paiement des causes de la saisie-attribution, n'est pas recevable à soulever ce moyen, étant au surplus rappelé qu'ainsi qu'elle l'admet dans ses écritures, la République du Congo a renoncé de manière expresse et générale à son immunité d'exécution, sa contestation portant sur le caractère spécial de sa renonciation et que le tiers saisi n'a pas à substituer son appréciation à celle du débiteur saisi.
À l'appui de son appel, la République du Congo soutient qu'elle bénéficie d'une immunité d'exécution, qu'en effet elle n'a jamais accepté d'affecter ses créances fiscales au paiement des créances prétendument détenues par la société Commisimpex, que les créances régaliennes saisies ne sont de nature ni civile ni commerciale et que la créance cause de la saisie n'a aucun lien avec l'objet de la saisie.
Cependant, la République du Congo ne conteste pas avoir remis à la société Commisimpex, le 3 mars 1993, différentes lettres d'engagement par lesquelles elle a, notamment «renonc[é] définitivement et irrévocablement à invoquer dans le cadre du règlement d'un litige en relation avec les engagements objet de [la lettre d'engagement] toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution ». Elle a donc expressément consenti, dans le cadre du litige l'opposant à la société Commisimpex, à l'application d'une mesure d'exécution forcée visant un bien lui appartenant.
Il n'est pas soutenu que les biens saisis seraient utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de la République du Congo, de ses missions spéciales ou de ses missions auprès des organisations internationales. Dès lors, conformément aux principes du droit international coutumier, repris par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en présence d'une renonciation expresse de la République du Congo à son immunité d'exécution, peu importe que les biens saisis soient spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins spécifiques non commerciales, qu'il s'agisse de créances fiscales et que la créance cause de la saisie n'ait aucun lien avec l'objet de la saisie.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité et de mainlevée de la saisie-attribution du 16 novembre 2016 et débouté la République du Congo de sa demande de dommages-intérêts.
En tant que de besoin, la République du Congo et la société Carail s'en étant rapportées à justice sur ce point sans pour autant acquiescer à ce chef du jugement, il convient, par adoption des motifs du premier juge, de confirmer les dispositions du jugement attaqué en ce qu'il a annulé partiellement la saisie-attribution pratiquée le 14 novembre 2016, en tant qu'elle portait sur la créance de 1 534,77 euros de la SNE sur la société Caroil.
Sur les dépens et les frais irrépétibles':
La République du Congo qui succombe doit être condamnée aux dépens.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile comme précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Condamne la République du Congo aux dépens et à payer à la société Commisimpex la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE