Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 17 MAI 2018
(n° 2018 -145, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/11777
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Mars 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/07732
APPELANT
Monsieur [T] [F]
Né le [Date naissance 1] 1933 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté et assisté de Me Sophie HUMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0950
INTIMES
La Conférence des Evêques de France
[Adresse 2]
[Localité 3]
Monsieur [X] [O], en qualité de président de la Conférence des Evêques de France (CEF)
[Adresse 2]
[Localité 3]
ET
L'Union des Associations Diocésaines de France (UADF)
[Adresse 2]
[Localité 3]
ET
L'Association Diocésaine de Saint-Denis
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentés et assistés de Me Bertrand OLLIVIER de l'AARPI OLLIVIER et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0189
L' Union Saint Martin
N° SIRET : 309 918 183 00034
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée et assistée de Me Agathe MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0509
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Mars 2018, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Mme Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Mme Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré,
Rapport ayant été fait à l'audience par Mme Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sabrina RAHMOUNI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
***********
Vu l'appel interjeté le 11 juin 2015, par M. [T] [F] d'un jugement en date du 24 mars 2015, par lequel le tribunal de grande instance de Paris a principalement :
- Constaté l'intervention volontaire de M. [X] [O],
- déclaré irrecevables les demandes formées à l'encontre de la Conférence des Evêques de France,
- débouté M. [T] [F] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [T] [F] aux dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Agathe Martin sur le fondement des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
-condamné M. [T] [F] à verser à chacun des défendeurs que sont M. [O], l'Union des Associations Diocésaines de France, l'Union Saint-Martin et l'Association Diocésaine de Saint Denis la somme de 150 euros (cent cinquante euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 18 juillet 2016 aux termes desquelles M. [T] [F] demande pour l'essentiel à la cour, outre divers dire et juger, d'infirmer le jugement déféré et de :
- Condamner solidairement la Conférence des Évêques de France, représentée par Monseigneur [O], l'Union des Associations Diocésaines, l'Union Saint-Martin et l'Association Diocésaine de Saint-Denis à verser à M. [F] la somme de 11 214,00 euros au titre du complément de retraite pour les années 2007 à 2015 incluses,
- juger que ce complément de retraite, révisé chaque année sur la base de 85% du SMIC net, sera dû à M. [F] jusqu'à son décès,
- les condamner solidairement à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
- les condamner solidairement à lui verser chacune la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner les défenderesses aux dépens.
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 5 février 2018, par l'Union des Associations Diocésaines de France, L'Association Diocésaine de Saint-Denis et Monseigneur [X] [O] tendant à voir pour l'essentiel:
- Confirmer le jugement déféré,
- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à leur payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 14 décembre 2017, par l'Association Union Saint-Martin tendant à voir pour l'essentiel :
- Confirmer le jugement déféré,
- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.
SUR CE, LA COUR :
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; il convient de rappeler que :
* M. [T] [F], né le [Date naissance 1] 1933, a été ordonné prêtre le 26 juin 1964 à l'âge de 31 ans pour le service du diocèse de [Localité 5] dans le département de la Seine-Saint-Denis ;
* après six années de sacerdoce, il a quitté le ministère au mois d'août 1970 ;
* à compter du 1er juillet 1997, M. [F] a liquidé sa pension auprès de la Caisse d'Assurance Vieillesse Invalidité et Maladie du Culte (CAMIVAC) ;
* en plus de sa pension de retraite versée par la CAVIMAC, M. [F] a perçu, du 1er janvier 2000 au 1er juillet 2008, une allocation complémentaire USM2-partage, puis, entre le 1er juillet 2008 et le 1er janvier 2012, une allocation complémentaire dite USM2-intégralité ;
* par courrier du 14 décembre 2011, l'Union Saint-Martin a informé M. [F] qu'à compter du 1er janvier 2012, le bénéfice de 1'allocation complémentaire USM2- intégralité serait soumise à des conditions de ressources au niveau du foyer fiscal ;
* les revenus annuels de M. [F] dépassant les seuils prévus, il s'est vu privé du versement de l'allocation complémentaire à compter du 1er janvier 2012 ;
* par actes d'huissier des 29 mars et 4 avril 2013, M. [T] [F] a fait assigner la Conférence des Evêques de France, l'Union des Associations Diocésaines de France, l'Union Saint-Martin et l'Association Diocésaine de Saint-Denis devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement des compléments de retraite qu'il estime lui rester dus et voir dire que ce complément révisé chaque année sur la base de 85% du SMIC sera due jusqu'à son décès ;
* le 24 mars 2015 est intervenue la décision dont appel.
M. [F] fait principalement valoir que la Conférence des Évêques de France est représentée par son Président, Monseigneur [O], qui a la capacité à agir, au sens de l'article 31 du code de procédure civile.
Il ajoute que son engagement religieux s'analyse en un contrat synallagmatique entre lui et son diocèse, qu'au titre de l'obligation d'assistance sociale en contrepartie de l'activité de ministre du culte, les parties défenderesses se sont engagées à verser un complément de retraite sur la base du différentiel entre le minimum interdiocésain de ressources garanties (MIG) et le montant de la pension complète CAVIMAC au prorata des trimestres validés, sans condition de ressources du foyer fiscal.
Il ajoute encore qu'en instituant le bénéfice d'une allocation complémentaire sur la base du différentiel entre le minimum interdiocésain de ressources garanties (MIG) et le montant de la pension complète CAVIMAC au prorata des trimestres validés et en versant volontairement cette allocation pendant des années, sans condition de ressources du foyer fiscal, les demanderesses ont pris un engagement unilatéral et transformé une obligation naturelle en obligation civile ;
Il précise qu'en imposant une condition de ressources du foyer fiscal, le 25 novembre 2011, les parties défenderesses ont modifié abusivement l'engagement unilatéral pris et que cette modification est également abusive en ce qu'elle est discriminatoire et contraire au principe d'égalité des citoyens.
Les intimés répondent que la Conférence des Evêques de France est dépourvue de la personnalité morale de droit civil.
Ils vont valoir l'absence de support contractuel aux prétentions du demandeur, l'absence d'obligation naturelle opposable à l'UADF, l'absence de novation d'une éventuelle obligation naturelle en une prétendue obligation civile.
Ils ajoutent que M. [F] dispose de ressources supérieures au seuil d'octroi de l'aide proposée par l'USM2.
L'Union Saint-Martin fait valoir qu'il n'existe aucun contrat conclu entre M. [T] [F] et les intimés, qu'un ministre du culte répond à une vocation, c'est-à-dire à un appel pour un service à caractère spirituel, qu'il n'y a donc pas, en la matière, comme le rappelle Jean Savatier, de contrat civil, que les ministres du culte ne sont pas considérés comme des salariés par le droit du travail puisqu'en droit canonique le prêtre est lié à son évêque par un lien de communion et non de subordination, lien enraciné dans le sacrement de l'ordination et qu'au demeurant, ce prétendu contrat sui generis a été rompu par M. [T] [F]. Elle ajoute que M. [F] dispose d'autres revenus lui permettant de prétendre à des ressources supérieures à celles, moyennes, des prêtres diocésains qui ont exercé toute leur carrière en tant que ministre du culte et qu'il ne saurait invoquer ni une rupture d'égalité entre les prêtres qui ont quitté le ministère et ceux qui s'y sont maintenus, ni une discrimination liée à l'âge ou aux convictions.
***********
Selon l'article 32 du code de procédure civile, Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir';
M. [F] soutient que la Conférence des Evèques de France est un groupement doté de la personnalité juridique et peut à ce titre être attraite en justice.
L'article 447 du droit canon définit la Conférence des Evêques comme une institution à caractère permanent, qui est la réunion des Évêques d'une nation ou d'un territoire donné, exerçant ensemble certaines charges pastorales pour les fidèles de son territoire, afin de mieux promouvoir le bien que l'Église offre aux hommes, surtout par les formes et moyens d'apostolat adaptés de façon appropriée aux circonstances de temps et de lieux, selon le droit.
Il s'agit dès lors d'une organisation interne purement religieuse dépendant de la volonté de la hiérarchie ecclésiastique, ainsi que le précise l'article 449 lequel précise qu'il revient à la seule Autorité Suprême de l'Église, après qu'elle ait entendu les Évêques concernés, d'ériger, de supprimer ou de modifier les conférences des Évêques ;
Si le deuxième paragraphe de cet article vient préciser que la Conférence des Évêques légitimement érigée jouit de plein droit de la personnalité juridique, il s'agit de la personnalité juridique en droit canonique et non en droit français.
La Conférence des Evêques n'est pas érigée en association, elle n'a aucun bien, ne perçoit aucune cotisation et ne rémunère aucun de ses membres, elle a pour principale mission de promouvoir des formes et des méthodes d'apostolat et aucune référence n'est faite dans ses statuts à la loi de 1901 ou à la loi de 1905 permettant d'affirmer qu'elle a adopté une forme juridique lui faisant bénéficier de la personnalité morale en droit français.
Dans ses conditions le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré la demande irrecevable à l'encontre de la Conférence des Evêques de France.
Le régime des cultes a été créé en 1979 et a prévu le versement d'une retraite aux religieux quand bien même ceux-ci n'avaient jamais cotisé, instituant un régime subsidiaire s'appliquant en l'absence d'un autre régime obligatoire.
En 1999 a été institué une caisse d'assurance vieillesse invalidité des cultes dénommée CAVIMAC, unique pour l'ensemble des cultes ; ce système permet à l'heure actuelle aux prêtres retraités de bénéficier de la retraite à taux plein entre 65 et 67 ans quel que soit le nombre de trimestres cotisés, sur une base qui ne peut être inférieure à 100 % d'un revenu théorique moyen équivalent au ' minimum contributif majoré ' pour les périodes cotisées avant 1998 et équivalente à 50% du SMIC pour les périodes postérieures à 1998 ; cette caisse fonctionne sous la tutelle de l'Etat.
En 1993 un fonds d'action sociale de la CAMAVIC (caisse vieillesse avant la fusion avec la CAMAC donnant naissance à la CAVIMAC), a mis en place une allocation complémentaire ressources (ACR) pour les anciens ministres du culte (AMC), soumise à condition de ressources.
Dès avant, en 1979, la Conférence des Evêques avait souhaité apporter une aide financière supplémentaire au profit tant des prêtres retraités que des prêtres ayant quitté leur ministère. L'UADF a mis en place les aides décidées par les évêques, dotations intitulées USM 1 puis USM 2, calculées en considération des revenus du retraité ou du prêtre retiré, augmentées de 20 % par enfant à charge.
En 1999 l'USM 2-Intégralité et l'USM2-Partage ont été mises en place par l'UADF suite à une nouvelle décision de la CEF.
Le 25 novembre 2011, la CEF a décidé de modifier les conditions d'attribution de la dotation globale votée, l'allocation versée aux AMC étant désormais soumise à des conditions de ressources, à compter du 1er janvier 2012, à savoir les AMC dont les revenus annuels imposables n'excèdent pas 19 200 euros pour une personne seule et 31 200 euros pour un couple.
M. [F], dont les revenus annuels soumis à imposition excèdent les seuils fixés, a perdu le bénéfice de l'allocation qui lui était versée depuis sept ans et demi.
Le jugement déféré a justement relevé que l'article 1er de la loi du 19 février 1950 dite 'Loi Viatte' a posé comme principe que l'exercice du ministère du culte catholique n'est pas considéré comme une activité professionnelle au regard de la législation sociale, en tant qu'il se limite à une activité exclusivement religieuse. Aucun contrat de travail n'est conclu entre les parties. Le ministre du culte répondant à une vocation, service à caractère spirituel, M. [F] n'est pas fondé à arguer de l'existence d'un lien contractuel avec son diocèse, au sens des articles 1101 et suivants anciens du code civil.
Quand bien même serait admise l'existence d'un contrat synallagmatique, le jugement déféré a pertinemment retenu que M. [F], en quittant de sa propre initiative le ministère sacerdotal, a rompu ce lien contractuel et qu'en conséquence, il ne peut valablement se prévaloir des dispositions des articles 1136, 1120, 1121 et 1184 anciens du code civil, motif pris que les défendeurs, en n'exécutant pas leur engagement tenant à la poursuite du versement de l'allocation litigieuse, auraient violé leurs obligations contractuelles.
S'agissant de la nature de l'aide attribuée par l'UADF, il convient d'observer qu'il s'agit d'une aide qui doit être demandée annuellement et à laquelle il est possible de renoncer, ainsi que cela ressort du formulaire type utilisé par l'Union Saint-Martin ainsi que des différents courriers de remerciements produits aux débats, de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a décidé qu'il s'agissait d'une aide à caractère social et non d'un complément de retraite et que le paiement volontaire de cette somme par l'UADF ne peut induire une obligation naturelle pérenne.
Le jugement déféré a parfaitement relevé que l'argument relatif à la rupture d'égalité entre les citoyens était inopérant, dès lors que le mécanisme critiqué n'est pas d'origine légale et ne peut fonder une violation de l'article 1er de la (déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) Déclaration des droits de l'homme et du citoyen tant à l'égard des convictions religieuses que des différences de montant de l'aide au regard de l'âge des demandeurs.
Le jugement déféré sera confirmé.
Sur les autres demandes
L'appelant qui succombe sera condamné à payer à M. [O], à l'UADF et à l'Union Saint-Martin, chacun, une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens de l'appel ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement rendu le 24 mars 2015 par le tribunal de grande instance de Paris en son intégralité ;
Condamne M. [T] [F] à payer M. [X] [O], à l'Union des Associations Diocésaines de France et à l'Union Saint-Martin, chacun une somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne M. [T] [F] au paiement des dépens de l'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE