Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 17 MAI 2018
(n°2018 - 153, 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/20722
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 14/09003
APPELANT
Monsieur [V] [O]
Né le [Date naissance 1] 1963 en ALGÉRIE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Carol AIDAN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0021
INTIME
Monsieur [N] [H]
Né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 1] (ALGÉRIE)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Marie-Laure BONALDI, avocat au barreau de PARIS, toque : B0936
Assisté à l'audience de Me Abdellah ETTALBI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1026
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre, chargée du rapport et de Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Mme Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.
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Les 20 juin et 29 juillet 2008, M. [H] a remis à M. [O] deux chèques d'un montant respectif de 60 000 et 20 000 euros destinés à financer partiellement l'acquisition par celui-ci d'un fonds de commerce de bar-tabac exploité sous l'enseigne Le Mariland à [Localité 2]. La cession du fonds a été réalisée le 15 janvier 2009 au prix de 400 000 euros financé à concurrence de 280 000 euros par un prêt bancaire consenti à M. [O]. M. [H] a occupé jusqu'au 1er octobre 2010 les fonctions de gérant de fait de l'établissement en même temps qu'un emploi de barman. M. [O] a revendu le fonds de commerce le 1er octobre 2012 à la Snc Le Mariland BH ayant pour associé lui-même et M. [E].
Estimant avoir remis la somme de 80 000 euros à titre de prêt, M. [H] a mis M. [O] en demeure le 22 mai 2013 de lui rembourser les fonds, puis l'a assigné le 16 juin 2014 en paiement de cette même somme. M. [O] a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action et soutenu sur le fond que la somme litigieuse avait été apportée par M. [H] en qualité d'associé de fait, tenu de participer aux pertes.
Par jugement du 20 septembre 2016 revêtu de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Bobigny a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, a dit que la somme de 80 000 euros remise par M. [H] constituait un prêt remboursable à tout le moins au moment de la vente du fonds de commerce, a condamné M. [O] à lui payer cette somme assortie des intérêts calculés au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 mai 2013 et capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil ainsi qu'aux dépens, et a débouté les parties du surplus de leurs prétentions. Le tribunal a retenu que le point de départ de la prescription quinquennale édictée par l'article 2224 du code civil issu de la loi 2008-561 du 17 juin 2008 devait être fixé à la date du 1er octobre 2012 à laquelle le fonds de commerce avait été revendu, qu'il résultait de plusieurs attestations que M. [O] s'était engagé à rendre les sommes remises quand il en aurait les moyens et en tous cas au moment de la revente totale ou partielle du fonds de commerce, et que M. [H] ne pouvait être considéré comme associé de fait puisque, barman salarié de l'entreprise, il était dans un lien de subordination exclusif de toute affectio societatis.
M. [O] a relevé appel de cette décision et, dans ses dernières conclusions notifiées le 23 mai 2017, il poursuit l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, entendant faire juger que l'action de M. [H] est prescrite et l'ensemble de ses prétentions irrecevable. Subsidiairement, il demande de juger que M. [H] ne rapporte pas la preuve du prêt allégué qu'il est irrecevable à faire par témoins, de le débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, et de le condamner à lui rembourser les sommes versées au titre de l'exécution provisoire et à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens. Il expose qu'il avait fait le projet de reprendre le fonds de commerce avec M. [J] et M. [H], lequel apportait une participation de 80 000 euros gagnés au jeu, mais que, n'ayant pas la nationalité française, les intéressés ne pouvaient être associés de droit d'une entreprise exploitant un débit de tabac. Il relève que M. [H], chargé de gérer de fait l'établissement, se considérait bien comme associé jusqu'à ce qu'il reconnaisse de graves erreurs de gestion qui ont entraîné la convocation en justice du concluant puis la cession du fonds et que, une fois les dettes payées, il ne restait plus rien à partager. Il conteste formellement s'être obligé au remboursement des fonds remis et soutient que, s'agissant d'un apport et non d'un prêt, M. [H] ne pouvait en solliciter le remboursement que dans les cinq ans suivant la remise faite le 29 juillet 2008 ou à titre subsidiaire suivant l'acquisition du fonds le 15 janvier 2009. Il fait valoir que le prêt ne peut être prouvé par les attestations produites ni par la remise de chèques, et que la commune intention des parties doit être recherchée au jour du versement des fonds, lequel correspond bien à la création d'une société en participation ou société de fait dont la preuve peut être administrée par tous moyens. Il ajoute que l'existence de l'affectio societatis ne pouvait être écartée par le tribunal alors que M. [H], assurant seul la gestion de fait depuis l'acquisition du fonds et n'ayant perçu de rémunération qu'à compter de septembre 2009, n'était tenu par aucun lien de subordination.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2017, M. [H] demande de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner M. [O] à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. Il expose qu'il avait fait le projet de s'associer avec M. [O] pour l'acquisition du fonds de commerce, mais qu'avant même la réalisation de la cession il s'est vu écarté de l'affaire par son ami qui lui a fait comprendre qu'il souhaitait acquérir seul le fonds tout en lui promettant de le rembourser au plus tard au jour de sa revente et en lui proposant un emploi de barman, mais que M. [O] n'a eu de cesse de repousser l'échéance du remboursement, s'engageant finalement devant témoins à le faire au 25 juin 2013. Il fait valoir que le délai de prescription n'a pas pour point de départ la date de la remise des chèques mais la date du 25 juin 2013 fixée d'un commun accord. Il soutient que les deux chèques constituent un commencement de preuve par écrit corroboré par les attestations versées aux débats ainsi que par la lettre de réclamation adressée à l'appelant le 22 mai 2013 et restée sans réponse. Il ajoute qu'il n'avait pas exigé d'écrit en raison des circonstances dans lesquelles les sommes avaient été remises à M. [O] et des relations d'amitié ancienne qui existaient entre eux. Il observe qu'il n'a jamais reçu une quelconque somme au titre des bénéfices et de la vente de la part de M. [O] qui prétend être son associé mais ne s'est jamais comporté comme tel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le point de départ du délai à l'expiration duquel une action ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance. En l'absence de terme fixé pour le remboursement du prêt allégué par M. [H] au soutien de son action, le délai de cinq ans pour agir prévu par l'article 2224 du code civil issu de la loi 2008-561 du 17 juin 2008 a pris effet à compter de la première réclamation emportant l'exigibilité de la créance, exprimée par mise en demeure du 22 mai 2013. M. [O] prétend en vain faire partir le délai depuis la date de remise des chèques en juillet 2008 ou de l'acquisition du fonds en janvier 2009 au motif que les sommes ont été remises à titre d'apport, alors que le droit dont M. [H] se prétend titulaire se fonde sur une convention qu'il entend qualifier de prêt. L'action introduite le 16 juin 2014 est en conséquence recevable ainsi que l'a exactement jugé le tribunal.
En matière de prêt, la preuve de la remise des fonds pas plus que l'absence d'intention libérale ne suffisent à établir l'obligation de restitution des sommes versées. La preuve d'une telle obligation, qui incombe à celui qui en réclame l'exécution, ne peut conformément aux articles 1341 et suivants anciens du code civil être que littérale lorsque le montant est supérieur à 1 500 euros sauf commencement de preuve par écrit ou impossibilité matérielle ou morale d'apporter cette preuve. Pour valoir commencement de preuve, l'écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s'en prévaut. Les deux chèques émis les 20 juin et 29 juillet 2008 par M. [H] lui-même ne peuvent dès lors servir d'écrit contre M. [O]. Aucune impossibilité matérielle ou morale de se procurer la preuve écrite de l'obligation n'est par ailleurs démontrée. Le fait que les parties soient originaires du même village ne suffit pas à caractériser l'existence de liens de proximité tels qu'ils aient pu dispenser M. [H] d'exiger un écrit. Les circonstances dans lesquelles les fonds ont été remis ne font que traduire l'entretien de relations d'affaires entre personnes averties, dans ce contexte, des formalités nécessaires à la préservation de leurs droits.
Aucune preuve autre que littérale ne peut, dès lors, être reçue pour établir le prêt allégué. C'est donc à tort que le tribunal a admis les témoignages produits par M. [H] en démonstration de l'obligation de M. [O] de lui restituer les fonds remis. Le jugement sera, en conséquence, infirmé en ce qu'il a dit que la somme remise constituait un prêt remboursable et M. [H] débouté de ses prétentions.
Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euros les frais non compris dans les dépens que M. [O] a été contraint d'exposer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [H] ;
Statuant à nouveau dans cette limite, et y ajoutant,
Déboute M. [H] de toutes ses demandes ;
Condamne M. [H] aux dépens de première instance et d'appel, et à verser à M. [O] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que l'infirmation de la décision vaut condamnation à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire, les intérêts légaux courant à compter de la signification du présent arrêt.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE