Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 9
ARRÊT DU 17 MAI 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/22529
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Août 2016 - Tribunal d'Instance d'AULNAY SOUS BOIS - RG n° 11-15-001755
APPELANTS
Monsieur [G] [P]
né le [Date naissance 1] 1959 au PORTUGAL
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Claire JOSSERAND-SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque: C0841
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2016/051243 du 04/11/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
Madame [S] [Z] épouse [P]
née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 2] (PORTUGAL)
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Claire JOSSERAND-SCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, toque: C0841
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2016/051243 du 04/11/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉE
SA COFIDIS venant aux droits de la SA GROUPE SOFEMO
N° SIRET : 325 307 106 00097
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier HASCOET de la SELARL HAUSSMANN/KAINIC/HASCOET/HELAIN, avocat au barreau d'ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-José BOU, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Philippe DAVID, Président
Mme Marie MONGIN, Conseiller
Mme Marie-José BOU, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Camille LEPAGE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Philippe DAVID, Président et par Mme Camille LEPAGE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant offre préalable acceptée le 26 novembre 2008, la société GROUPE SOFEMO a consenti à M. [G] [P] et à son épouse, Mme [S] [Z], un prêt d'un montant de 19 600 euros destiné à financer l'installation d'une pompe à chaleur par la société A 2 Airs, remboursable en 180 mensualités au taux d'intérêt de 7,42%.
Par lettre du 16 avril 2013, les époux [P] se sont plaints auprès de la société GROUPE SOFEMO du dysfonctionnement de la pompe à chaleur et de la non-livraison de certains éléments prévus dans le contrat conclu avec la société A 2 AIRS, ajoutant que celle-ci avait fermé depuis plusieurs années.
A la suite d'une nouvelle lettre du 25 juin 2014 aux termes de laquelle les époux [P] ont notamment fait valoir qu'ils n'avaient jamais reçu de tableau d'amortissement, la société GROUPE SOFEMO leur a adressé le 30 juin 2014 un tableau d'amortissement.
Se prévalant du non-paiement des mensualités à partir du mois de juin 2014, la société GROUPE SOFEMO a prononcé la déchéance du terme.
A la suite d'une fusion absorption, la société COFIDIS est venue aux droits et obligations de la société GROUPE SOFEMO.
Le 30 octobre 2015, la société COFIDIS a assigné les époux [P] devant le tribunal d'instance d'Aulnay-sous-Bois pour obtenir leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 20 008,71 euros, outre intérêts au taux de 7,42 % à compter du 24 novembre 2014, et de celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement réputé contradictoire du 5 août 2016, le tribunal a condamné solidairement les époux [P] à payer à la société COFIDIS la somme de 18 542,35 euros avec intérêts au taux contractuel de 7,42 % à compter du jugement et celle de 10 euros avec intérêts au taux légal à compter de la même date, a dit que les intérêts échus pour une année entière seraient capitalisés, a débouté la société COFIDIS de sa demande de dommages et intérêts et de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et a condamné les époux [P] aux dépens.
Par déclaration du 11 novembre 2016, les époux [P] ont interjeté appel de cette décision.
Dans leurs conclusions du 3 février 2017, les appelants demandent à la cour d'infirmer le jugement rendu. Invoquant avoir subi une erreur sur la substance du contrat, ils prient la cour de prononcer la nullité du contrat et de débouter la société COFIDIS de ses prétentions.
Dans ses conclusions du 3 avril 2017, la société COFIDIS demande à la cour de déclarer les époux [P] irrecevables en leur demande de nullité pour cause de prescription et en tout état de cause mal fondés. Elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a réduit l'indemnité de 8 % au montant de 10 euros. Elle réclame la condamnation solidaire des époux [P] à lui payer la somme de 20 008,71 euros, outre intérêts au taux de 7,42 % à à compter du 24 novembre 2014. A titre infiniment subsidiaire, en cas de nullité du contrat, elle sollicite leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 8 765,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2014 et, en tout état de cause, celle de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 février 2018.
SUR CE,
Sur la nullité
Au visa de l'article 1109 du code civil, les époux [P] font valoir qu'ils n'ont jamais exactement su ce à quoi ils s'engageaient et en veulent notamment pour preuve que ce n'est que le 30 juin 2014, à la suite d'un courrier de réclamation de leur part, qu'ils ont reçu le tableau d'amortissement. Ils prétendent n'avoir appris que les prélèvements s'échelonnaient jusqu'en 2025 qu'à l'obtention de ce document et en déduisent que le contrat est nul en raison de leur erreur sur sa substance, à savoir la contrepartie due par eux.
Ils estiment être recevables à invoquer la nullité aux motifs qu'ils ne se sont aperçus de leur erreur que le 30 juin 2014, à la réception du tableau d'amortissement, et que l'exception de nullité est perpétuelle lorsque l'action en exécution de l'obligation litigieuse est introduite après l'expiration du délai de prescription.
Au visa de l'ancien article 1304 du code civil, la société COFIDIS soutient que l'offre datant du 26 novembre 2008, les emprunteurs auraient dû agir en nullité avant le 26 novembre 2013 et ajoute que dès que le contrat est exécuté, le caractère perpétuel de l'exception de nullité ne peut être opposée. Elle relève qu'en matière de prêt à la consommation, le tableau d'amortissement n'est pas obligatoire et que les époux [P] ont eu connaissance de toutes les conditions figurant sur l'offre mentionnant notamment que le prêt était remboursable en 180 échéances. Elle conteste donc qu'ils aient découvert les griefs qu'ils invoquent en 2014.
Elle conteste de même que l'erreur soit démontrée.
Aux termes de l'article 1304 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
L'exception de nullité est perpétuelle mais la perpétuité de l'exception, qui ne s'applique que si l'action en exécution de l'obligation a été introduite après l'expiration du délai de prescription de l'action en nullité, ne joue pas en cas d'exécution ou de commencement d'exécution de la convention ou de la clause arguée de nullité.
En l'espèce, les époux [P] prétendent avoir été victimes d'une erreur sur la contrepartie due par eux, faute d'avoir su dans quelle mesure ils s'engageaient, et ne s'en être aperçus qu'à la réception du tableau d'amortissement, le 30 juin 2014.
L'offre préalable de prêt a été souscrite le 26 novembre 2008 et mentionne, tant sur l'exemplaire du prêteur que sur l'exemplaire emprunteur produit par les époux [P] -qui apparaissent ainsi avoir eu l'offre et qui d'ailleurs ont reconnu par leur signature être en possession de l'offre-, un remboursement en 180 mensualités après un différé d'amortissement de 270 jours à compter de la date de mise à disposition des fonds.
Mais les époux [P] justifient que le prêteur leur a adressé le 30 juin 2014 un tableau d'amortissement faisant état d'une fin de remboursement du prêt le 20 novembre 2015 alors qu'il n'est pas établi qu'auparavant, ils aient reçu du prêteur un échéancier du prêt. Or, selon l'offre préalable, les fonds devaient être débloqués au profit du vendeur ou du prestataire de services après instruction en ce sens de l'emprunteur et il résulte de l'attestation de livraison-demande de financement versée aux débats que cette instruction a été donnée le 24 décembre 2008 de telle sorte que, compte tenu en outre d'un nombre de mensualités de 180 et du différé d'amortissement de 270 jours après la mise à disposition des fonds, le prêt devait commencer à s'amortir en septembre/octobre 2009 pour se terminer 15 ans après, en août/septembre 2024. Il suit de là que le tableau d'amortissement adressé aux emprunteurs en juin 2014 a en effet révélé à ces derniers un élément dont ils n'avaient pas connaissance, à savoir le fait que le prêt devait en réalité être remboursé jusqu'en novembre 2025.
Ainsi, c'est à juste titre que les appelants font valoir que le délai pour agir en nullité du fait de leur prétendue erreur a commencé à courir à la réception de ce document. L'action en nullité n'est donc pas prescrite et il importe peu que le contrat ait été exécuté, l'exécution n'étant pas un obstacle à l'exception elle-même mais seulement à la perpétuité de l'exception. En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription.
Selon l'ancien article 1110 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
En l'espèce, ainsi qu'il résulte des énonciations précédentes, les époux [P] n'ignoraient pas tout de ce à quoi ils s'engageaient puisqu'ils ont contracté sur la base d'une offre de nature à leur laisser penser que leur emprunt serait terminé en 2024 dès lors que l'exécution de la prestation financée était réalisée à bref délai, ce qui est effectivement advenu puisque l'attestation de livraison a été signée le 24 décembre 2008. Mais le tableau d'amortissement qui leur a été adressé en juin 2014 fait état d'une fin de remboursement au 20 novembre 2015 et le capital restant dû réclamé par le prêteur correspond d'ailleurs aux mentions de ce tableau d'amortissement.
La société COFIDIS prétend que si ce tableau d'amortissement est différent d'un autre qu'elle verse aux débats (mais dont il n'est pas justifié qu'il ait été porté à la connaissance des époux [P] avant le litige et qui, en toute hypothèse, n'est pas celui sur la base duquel les sommes restant dues par les emprunteurs sont calculées), c'est en raison du fait qu'à l'origine, les mensualités devaient être prélevées le 5 de chaque mois alors qu'ensuite, elles l'ont été à la demande des emprunteurs le 20 de chaque mois. Mais cette indication n'est pas de nature à expliquer la fin de remboursement de l'emprunt en novembre 2025 telle que résultant du tableau d'amortissement adressé aux époux [P]. Force est ainsi de constater que la société COFIDIS ne justifie pas cette fin de remboursement par une modification convenue avec les emprunteurs après la conclusion du prêt, ayant par exemple eu pour objet de reporter des mensualités et d'allonger en conséquence la durée de remboursement.
Les époux [P] sont donc bien fondés à invoquer une erreur en ce qu'ils ont découvert en 2014 que les remboursements devaient s'échelonner jusqu'à la fin de l'année 2025 alors que s'ils ne peuvent prétendre avoir antérieurement tout ignoré du prêt, en revanche, ils étaient fondés à croire que celui-ci s'achèverait plus d'un an plus tôt.
Or, la fin de remboursement d'un prêt et sa durée constituent une qualité substantielle d'un tel contrat. En l'espèce, l'erreur sur la durée totale du prêt et la fin des remboursements à effectuer, qui est de plus d'une année, apparaît déterminante du consentement des emprunteurs et elle est parfaitement excusable en l'état des informations qui leur ont été fournies lors de leur engagement.
Il convient donc de prononcer la nullité du contrat de prêt.
Sur les conséquences de la nullité
Les époux [P] prétendent que du fait de la nullité, la société COFIDIS doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Mais, comme le fait valoir l'intimée, la nullité d'un contrat emporte la remise des parties dans l'état antérieur où elles se trouvaient. S'agissant d'un prêt et sauf circonstance particulière comme la faute du prêteur dans la remise des fonds prêtés qui n'est en l'espèce pas invoquée, elle oblige les époux [P] à rembourser le capital prêté, sous déduction des sommes déjà remboursées à la société COFIDIS, ce même si les fonds ont été versés directement au vendeur ou prestataire de services.
Ainsi, il convient de condamner solidairement les époux [P] à payer à la société COFIDIS la somme de :
capital : 19 600
- échéances payées : 12 906,58
+ cotisations d'assurance : 2 072
total : 8 765,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2015, date de l'assignation, à défaut de mise en demeure antérieure parvenue à ses destinataires.
Sur la capitalisation des intérêts
Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront des intérêts.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dépens de première instance et d'appel seront supportés pour moitié par la société COFIDIS d'une part et par les époux [P]. Il n'y a pas lieu à condamnation au titre des frais non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement :
- Infirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la société COFIDIS de sa demande de dommages et intérêts et de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant :
- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
- Prononce la nullité du contrat de prêt souscrit suivant offre préalable acceptée le 26 novembre 2008 ;
- Condamne solidairement M. et Mme [P] à payer à la société COFIDIS la somme de 8 765,12 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 2015 ;
- Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront des intérêts ;
- Déboute les parties de toute autre demande ;
- Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés pour moitié par M. et Mme [P] d'une part et par la société COFIDIS d'autre part.
Le greffierLe président