Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 24 MAI 2018
(n° 325/18 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/08685
Décision déférée à la cour : jugement du 26 avril 2017 -juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris - RG n° 16/84185
APPELANT
Monsieur Laurent X...
né le [...] à Tunis (Tunisie)
[...]
Panama City (République du Panama)
représenté par Me Jacques-Alexandre D... , avocat au barreau de Paris, toque : P0122
ayant pour avocat plaidant Me Y... Z... A..., avocat au barreau de Paris, toque : P0122
INTIMÉES
Société Autoridad del canal de Panama agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal ou statutaire domicilié [...]
[...] (République du Panama)
représentée par Me Florence E... - de Maria - Guerre, avocat au barreau de Paris, toque : L0018
ayant pour avocat plaidant Me Benjamin B..., avocat au barreau de Paris, toque : J006
Société Standard Chartered Bank, société de droit étranger ayant son établissement [...] [...] , RCS de Paris 508 395 858, prise en la personne de son représentant légal en exercice
[...] )
représentée par Me Patricia F... 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de Paris, toque : L0056
ayant pour avocat plaidant Me Rémi C..., avocat au barreau de Paris, toque : J014
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mai 2018, en audience publique, devant la cour composée de:
Mme Emmanuelle Lebée, présidente de chambre, chargée du rapport
M. Gilles Malfre, conseiller
M. Bertrand Gouarin, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M. Sébastien Sabathé
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Emmanuelle Lebée, présidente, et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu la déclaration d'appel en date du 26 avril 2017 ;
Vu les conclusions récapitulatives de M. X..., en date du 13 juillet 2017, tendant à voir infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, dire que l'Autorité du canal de Panama est une émanation de la République du Panama, dire valable et régulière la saisie-attribution de créances pratiquée le 15 novembre 2016 à la requête de M. X... au préjudice de la République du Panama et de son émanation l'Autorité du canal de Panama entre les mains de la Standard Chartered Bank, dire que la saisie pratiquée produira ses effets à hauteur des sommes dont le tiers saisi s'est reconnu débiteur, condamner l'Autorité du canal de Panama à lui payer une somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles, condamner au même titre la Standard Chartered Bank à lui payer la somme de 15 000 euros, condamner les intimées aux dépens de première instance et d'appel les concernant, dont la distraction est demandée';
Vu les conclusions récapitulatives de l'Autorité du canal de Panama, en date du 14 septembre 2017, tendant à voir confirmer le jugement rendu par le juge de l'exécution de Paris le 26 avril 2017 en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 15 novembre 2016 par M. X... au préjudice de l'État du Panama et de l'Autorité du canal de Panama et a ordonné que les coûts de cette mainlevée restent à la charge de celui-ci, subsidiairement, infirmer le jugement concernant la demande de dommages et intérêts présentée par l'Autorité du canal de Panama, et statuant à nouveau, condamner en conséquence M. X... à lui verser des dommages et intérêts d'un montant qui sera déterminé au plus tard le jour de l'audience en réparation du préjudice matériel subi du fait de cette saisie abusive, le condamner également à lui verser la somme de 10000 euros au titre du préjudice moral subi, en tout état de cause, rejeter les demandes de M. X..., le condamner à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les conclusions récapitulatives de la Standard Chartered Bank, en date du 11 avril 2018, tendant à voir dire l'appel irrecevable et (sic) mal fondé, débouter M. X... de ses demandes, confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnité de procédure, condamner M. X... à lui payer la somme de 130 000 euros à titre d' indemnité de procédure, celle de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Pour plus ample exposé du litige, il est fait renvoi aux écritures visées.
SUR CE :
Se fondant sur une sentence arbitrale exécutoire en France à l'encontre de la République du Panama, M. X... a fait signifier le 15 novembre 2016 une saisie-attribution entre les mains de la succursale parisienne d'une banque, la société Standard Chartered Bank, ayant son siège social à Londres (Royaume-Uni) à l'encontre de l'État du Panama et de ses émanations, dont, selon lui, l'Autorité du canal de Panama. La banque a informé l'huissier de justice que la succursale new-yorkaise de la banque détenait des fonds pour le compte de l'Autorité du canal de Panama.
Par acte d'huissier du 15 décembre 2016, la Standard Chartered Bank a assigné M. X... devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris afin de voir, notamment, annuler la saisie-attribution. Par acte d'huissier du 22 décembre 2016, l'Autorité du canal de Panama a assigné M. X... devant le même juge afin de voir annuler ou déclarer caduque la saisie-attribution, obtenir une indemnité pour saisie abusive et une indemnité de procédure de 20 000 euros. Les deux instances ont été jointes.
Par jugement du 26 avril 2017, le juge de l'exécution a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution, les coûts de cette mainlevée restant à la charge de M. X..., rejeté les demandes de dommages-intérêts des parties, condamné M. X... aux dépens, à payer à la société Standard Chartered Bank la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au même titre, la somme de 10 000 euros à l'Autorité du canal de Panama.
Pour statuer ainsi, le premier juge a principalement relevé que la créance objet de la saisie étant localisée au domicile du tiers-saisi, le principe de territorialité faisait échec à ce qu'une saisie-attribution de droit français produise ses effets sur une créance localisée dans la succursale étrangère d'une banque étrangère.
Sur les moyens tirés de la régularité de la saisie-attribution :
À l'appui de son appel, M. X... soutient, en premier lieu, que le premier juge a confondu la signification à personne et la signification à domicile, que le procès-verbal de saisie-attribution a été valablement signifié, conformément à l'article 690 du code de procédure civile, à l'établissement en France du tiers saisi, que la Standard Chartered Bank et l'Autorité du canal de Panama ne démontrent pas que le procès-verbal n'a pas été régulièrement signifié et que cette irrégularité leur aurait causé un grief.
En deuxième lieu, M. X... critique le jugement en ce qu'il a dit que la signification d'un acte de saisie-attribution de créance pratiquée entre les mains d'un établissement de crédit ne serait régulière que lorsqu'elle serait faite au siège social français d'une banque ou auprès de sa succursale française tenant les comptes du débiteur, présupposant ainsi que seuls ces destinataires seraient en mesure d'accéder aux informations leur permettant de respecter les obligations légales déclaratives mises à la charge du tiers saisi alors, selon l'appelant, que la Standard Chartered Bank était parfaitement en mesure de recevoir un acte de saisie en son établissement français et que la personne responsable dudit établissement, la représentant en France, était parfaitement en mesure de satisfaire à l'obligation de déclaration pesant sur la personne morale de l'étendue de ses obligations portant sur des sommes d'argent à l'égard du débiteur saisi, fussent-elles nées à raison de l'activité d'autres établissements de la Standard Chartered Bank dans le monde.
En troisième lieu, M. X... soutient que la saisie n'était en rien contraire au principe de territorialité des voies d'exécution puisqu'il existe un lien de rattachement avec le territoire français, le tiers saisi pouvant parfaitement être appréhendé par un huissier français pour répondre des dettes de la personne morale, si ce tiers est établi en France.
Il ajoute que peu importe que la banque tienne ou non des comptes en France,cette tenue de comptes étant désormais dématérialisée et la saisie portant en effet sur toutes les obligations de sommes d'argent dont l'établissement de crédit est redevable envers le débiteur saisi, son client, dont la créance de restitution du dépositaire sur sa banque n'est qu'un exemple parmi d'autres, que le principe de l'unité de la personne morale permet d'appréhender entre les mains d'une personne morale étrangère établie en France toutes obligations portant sur des sommes d'argent, qu'ainsi le créancier qui effectue une saisie-attribution auprès d'une succursale en France d'une banque ayant son siège social à l'étranger peut appréhender toutes les créances de son débiteur envers cette banque, partout dans le monde.
En quatrième lieu, M. X... affirme que toute tentative de localisation d'une créance, pour les seuls besoins d'une mesure de saisie, ne peut qu'être artificielle et aléatoire, qu'admettre la localisation de la créance au siège social à l'étranger reviendrait à refuser toute saisie auprès d'une succursale française d'une banque étrangère, que l'huissier de justice est compétent pour pratiquer une saisie-attribution de créances entre les mains d'un tiers saisi établi en France, qu'il y ait son siège social ou un établissement secondaire, le principe de territorialité des voies d'exécution n'imposant que la seule territorialité de l'action matérielle de l'autorité d'exécution. L'action matérielle de l'huissier de justice s'est bien réalisée sur le territoire français, où la Standard Chartered Bank a un établissement secondaire qui la rend justiciable tout à la fois du juge français et de la loi française.
L'Autorité du canal de Panama soutient que la saisie litigieuse est caduque en ce que, de première part, elle n'a pas été dénoncée au débiteur et à la personne poursuivie, la preuve de la remise effective de l'acte de signification à la République du Panama et à la personne poursuivie n'étant pas rapportée, de deuxième part, en ce qu'elle a été pratiquée en l'absence de titre exécutoire à son encontre, de troisième part, en ce que le prétendu titre exécutoire, en l'espèce l'ordonnance d'exequatur, en vertu duquel elle aurait été pratiquée, n'a pas été signifié au débiteur et à la personne poursuivie.
Le tiers-saisi expose que la saisie pratiquée en France sur la base d'une sentence arbitrale annulée enfreint la portée accordée aux ordonnances d'exequatur, que la signification de la saisie aurait dû être adressée au siège social de la banque et que, en tout état de cause, la saisie-attribution ne saurait avoir d'effet attributif extraterritorial sur les comptes ouverts par le débiteur saisi dans les livres de sa succursale new-yorkaise.
En premier lieu, le premier juge a relevé à bon droit, ainsi que le soutiennent également les intimés, que la saisie entre les mains d'un établissement de crédit n'est régulièrement effectuée qu'au siège social de cet établissement ou auprès de la succursale de cet établissement qui tient les comptes de dépôt du débiteur saisi, la tenue de ceux-ci étant nécessairement localisée en raison de leur soumission aux règles locales de fonctionnement d'un compte bancaire.
En second lieu, il est de principe que les voies d'exécution, dans chaque pays, relèvent expressément du droit interne de ce pays sans qu'il y ait à considérer la nationalité de la partie qui les a requises ou qui les subit, dès lors que leur application est restreinte au territoire de la juridiction qui les a ordonnées. Corrélativement, en vertu du principe de l'indépendance et de la souveraineté des États, le juge français ne peut, sauf convention internationale ou législation communautaire l'y autorisant, non invoquées en la cause, ordonner ou autoriser une mesure d'exécution, forcée ou conservatoire, devant être accomplie dans un État étranger.
En droit international privé français, il est admis que la créance est en principe localisée au domicile du débiteur et spécialement, s'agissant d'un établissement de crédit, à sa succursale dès lors qu'elle tient les comptes du débiteur. Il s'en déduit que lorsque la créance objet de la saisie est localisée à l'étranger, le principe de territorialité fait échec à ce qu'une saisie-attribution puisse produire des effets en France.
Il convient donc de rechercher où était localisée la créance saisie.
En l'espèce, la créance résulte de l'ouverture de comptes bancaires par l'Autorité du canal de Panama dans la succursale new-yorkaise de la Standard Chartered Bank dont le siège est [...] .
Il résulte de la saisie-attribution un effet attributif immédiat sur des créances détenues à l'étranger par l'Autorité du canal de Panama, ce qui contrevient au principe de territorialité du droit français des procédures civiles d'exécution.
Dans ces conditions, le procès-verbal de saisie-attribution ayant été irrégulièrement signifié, dès lors que cette succursale ne détenait pas les comptes du débiteur saisi, à une succursale d'une banque étrangère, et la créance du débiteur sur le tiers saisi n'étant pas localisée en France, la saisie-attribution n'a pu produire effet de sorte qu'il convient de confirmer le jugement ayant ordonné sa mainlevée, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens.
Sur les dommages-intérêts':
L'Autorité du canal de Panama demande à la fois des dommages-intérêts «'matériels'» pour une somme indéterminée et la somme de 10 000 euros pour préjudice moral.
Il n'y a pas lieu de statuer sur une demande de dommages-intérêts «'matériels'» dont le montant n'est pas précisé. L'Autorité du canal de Panama ne motive pas sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral. Il n'y sera donc pas fait droit.
Le tiers-saisi sollicite la somme de 130 000 euros à titre «'d'indemnité de procédure'» sans motiver ce chef de demande. Il n'y sera pas fait droit.
Sur les dépens et les frais irrépétibles':
M. X... qui succombe doit être condamné aux dépens, débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à chacun des défendeurs, en application de ces dernières dispositions, la somme dont le montant est précisé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement ;
Condamne M. X... à payer à l'Autorité du canal de Panama et à la Standard Chartered Bank la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Rejette toute autre demande ;
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE