RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 31 Mai 2018
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/07314
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/01449
APPELANTE
Madame Léa X...
née le [...] à MAROC (99020)
[...]
comparante en personne, assistée de Me Rachel Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : W04 substitué par Me Frédéric L... , avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
La société GEODIS Ile de France Services
Sise [...]
représentée par Me Ronan Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : P.505 substitué par Me Léa A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D0295
INTIMEE
La société SEINE EXPRESS
Sise [...]
représentée par Me Ronan Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : P.505 substitué par Me Léa A..., avocat au barreau de PARIS, toque : D0295
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:
M. Stéphane MEYER, Conseiller faisant fonction de président
Mme Isabelle MONTAGNE, Conseillère
Madame Emmanuelle BESSONE, Conseillère
qui en ont délibéré
En présence de M. B... C..., étudiant stagiaire Paris Descartes/ENM et de Mme Audrey D..., stagiaire PPI
Greffier : Mme Marine BRUNIE, lors des débats
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
- signé par M. Stéphane MEYER, conseiller faisant fonction de président et par Mme Marine BRUNIE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame Léa X... a été engagée par la société SEINE EXPRESS, pour une durée indéterminée à compter du 8 décembre 2008, en qualité de responsable grands comptes, avec le statut de cadre.
Suivant avenant du 4 janvier 2012, elle a intégré les effectifs de la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES, dépendant du même groupe.
Le 17 décembre 2012, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES lui a notifié un avertissement.
Par lettre du 31 janvier 2013, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES l'a convoquée pour le 7 février suivant à un entretien préalable à un licenciement.
Le 7 février 2013, Madame X... a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé, notamment, une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts des deux sociétés.
Le 12 février 2013, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse, caractérisée par divers problèmes de comportement à l'égard de ses collègues et de sa hiérarchie.
En dernier lieu, elle percevait un salaire mensuel brut de 4515 euros.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.
Devant le conseil de prud'hommes, outre la résiliation judiciaire de son contrat de travail, Madame X... a demandé l'annulation de la sanction disciplinaire et formé diverses demandes afférentes à la rupture, à caractère indemnitaire ainsi que relatives à des heures supplémentaires.
Par jugement du 6 mai 2015, le conseil de prud'hommes de Paris a annulé la sanction disciplinaire du 17 décembre 2012, a condamné la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES à payer à Madame X... 27090 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens et a débouté cette dernière de ses autres demandes.
A l'encontre de ce jugement notifié le 24 juin 2015, Madame X... a interjeté appel le 16 juillet 2015.
Lors de l'audience du 29 mars 2018, Madame X... demande à la cour la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré l'avertissement nul, son infirmation pour le surplus et la condamnation de la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES à lui payer les sommes suivantes:
- 80000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle ni sérieuse
- 60 287,65 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées de 2012 à 2013
- 6028,76 € pour les congés payés afférents
- 36 287,68 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos de 2012 à 2013
- 3628,76 € pour les congés payés afférents
- 9659,12 € au titre du rappel de la rémunération variable en 2012
- 965,91 € pour les congés payés afférents
- 27 000 € de dommages intérêts au titre de l'illicéité de la clause de non-concurrence
Elle demande également la condamnation de la société SEINE EXPRESS à lui payer les sommes suivantes:
- 117 916,66 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées de 2009 à 2011
- 11 791,66 € pour les congés payés afférents
- 72 240,84 € au titre de la contrepartie obligatoire en repos de 2009 à 2011
- 7224,08 € pour les congés payés afférents.
Elle demande également la condamnation solidaire des deux sociétés à lui payer les sommes suivantes:
- 4515 € de dommages intérêts au titre du manquement relatif à l'absence de
rémunération des heures supplémentaires
- 54 567,26 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
- 10 000 € de dommages intérêts pour violation de l'obligation générale de sécurité.
- 6679,20 € à titre de rappel de salaire de 2012 à 2013 au titre de l'inégalité de traitement
- 667,92 € pour les congés payés afférents
- à titre subsidiaire, sur ce dernier point, elle demande que soit ordonnée une mesure d'instruction aux fins d'enjoindre la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES de communiquer les contrats de travail, avenants et bulletins de paie jusqu'en 2013 des salariés suivants : Monsieur Nicolas E..., Monsieur Dominique F... et Madame Pascale G....
Madame X... demande enfin :
- que soit ordonnée la remise de l'attestation destinée à Pôle emploi, d'un bulletin de salaire conforme, le tout sous astreinte de 150 € par jour de retard, la Cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte
- la condamnation solidaire des deux sociétés à lui payer une indemnité globale de 6000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- les intérêt au taux légal avec capitalisation annuelle.
A titre subsidiaire, Madame X... demande la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES à lui payer la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses demandes, Madame X... expose:
- que le motif du licenciement est inconsistant et fallacieux et révèle une atteinte à la liberté d'expression, la véritable cause de ce licenciement résidant dans une volonté d'évincer une salariée revendiquant le respect de ses droits
- que l'avertissement du 17 décembre 2012 n'était pas fondé
- qu'en toute hypothèse, les faits énoncés au soutien du licenciement avaient déjà été sanctionnés par cet avertissement
- qu'elle subissait une charge de travail excessive et a effectué des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées
- que cette situation constituait une violation, par l'employeur, de son obligation de sécurité
- qu'elle a été victime d'une inégalité de traitement, sa rémunération étant inférieure à celles de ses collègues placés dans une situation identique
- que l'employeur ne l'a pas mise en mesure d'atteindre l'intégralité des objectifs et de bénéficier ainsi de l'enveloppe maximale prévue pour la rémunération variable de l'année 2012
- que le contrat de travail stipulait une clause de non concurrence illicite.
En défense, les sociétés GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES et SEINE EXPRESS demandent l'infirmation du jugement en ce qu'il a annulé l'avertissement et en ce qui concerne les condamnations prononcées et la condamnation de Madame X... à rembourser à la société GEODIS 8955,21 € versés au titre de la clause de non concurrence, ainsi qu'à leur payer une indemnité de 3500 €sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elles font valoir :
- que la lettre de licenciement vise des faits postérieurs à l'avertissement
- que cet avertissement était justifié
- que le licenciement était justifié par le comportement inacceptable de Madame X...
- que la demande au titre des heures supplémentaires n'est pas fondée et que Madame X... n'avait jamais émis de réclamation à cet égard
- que les griefs relatifs à la violation de l'obligation de sécurité ne sont pas fondés
- que la clause de non concurrence était licite et que, pour le cas où elle ne le serait pas, Madame X... devrait rembourser l'indemnité perçue à ce titre.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
***
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les demandes relatives au temps de travail
Aux termes de l'article L. 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou d'un contrat.
Aux termes de l'article L. 3171-4 du même code, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il appartient donc au salarié de produire au préalable des éléments de nature à étayer sérieusement sa demande.
En l'espèce, Madame X... expose qu'elle effectuait, par semaine, au minimum 19 heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées.
Au soutien de cette allégation, elle produit des courriels, ainsi que des tableaux de calcul effectués sur une base globale de 19 ou 27 heures supplémentaires selon les années, mais ne fournit aucune indication relative aux heures de travail qu'elle prétend avoir effectuées, ni aucun décompte journalier, permettant à l'employeur de les contester en connaissance de cause.
Elle n'étaye donc pas suffisamment sa demande de paiement de salaire pour heures supplémentaires et le jugement doit être confirmé en ce qu'il l'en a déboutée, ainsi que de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé qui en est la conséquence.
Elle doit également être déboutée de sa demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos et de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, qui en constituent également les conséquences.
Sur la demande formée au titre de la rémunération variable
Au soutien de cette demande, Madame X... produit une lettre du 13 avril 2012, valant avenant à son contrat de travail, prévoyant, en plus de la rémunération fixe, une rémunération variable, calculée d'après la réalisation des objectifs fixés et expose que l'entreprise ne l'a pas mise en mesure d'atteindre l'intégralité de ces objectifs et de bénéficier ainsi de l'enveloppe maximale prévue pour la rémunération variable de l'année 2012.
Cependant, l'enveloppe maximale de la part variable prévue par l'avenant était de16 000 euros pour 2012 et il résulte des pièces produites par les parties qu'au titre de cette année, Madame X... a perçu la somme totale de 15390,64 euros.
Or, elle ne rapporte pas la preuve du fait que l'absence de versement de la différence proviendrait de manquements de l'entreprise.
Elle doit donc être déboutée de cette demande, nouvelle en cause d'appel.
Sur les demandes formées au titre de l'égalité de traitement
Il résulte des dispositions de l'article L. 3221-2 du code du travail, que l'employeur doit assurer l'égalité de traitement entre salariés lorsqu'ils effectuent un même travail ou un travail de valeur égale.
Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.
En application des dispositions de l'article 1315 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une inégalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser cette inégalité et il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence.
En l'espèce, Madame X... fait valoir que sa rémunération annuelle brute de base était inférieure à celles de ses collègues alors qu'ils étaient placés dans une situation identique, ces derniers percevant une rémunération annuelle de base d'au moins 45 000€ bruts alors que la sienne n'était que de 40 000 €.
Au soutien de ce grief, elle ne produit que sa lettre adressée le 7 avril 2012 à la direction, aux termes de laquelle elle se plaignait de percevoir un salaire qui n'était pas, selon elle, conforme à ses fonctions et compétences mais elle ne produit aucun élément de fait susceptible de caractériser une inégalité de traitement, alors que, de son côté, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES produit les bulletins de paie de Messieurs E... et F... et de Madame G..., dont elle a demandé que la production fût ordonnée et qui font apparaître des rémunérations brutes totales moins élevées que la sienne.
Madame X... doit donc être déboutée de ses demandes, nouvelles en cause d'appel, formées au titre de l'inégalité de traitement.
Sur la demande d'annulation des sanctions disciplinaires
Il résulte des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail qu'en cas de litige relatif à une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction, que l'employeur fournit les éléments retenus pour prendre la sanction et qu'au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, la juridiction forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'elle estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Aux termes de l'article L. 1333-2du même code, la juridiction peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
En l'espèce, le 17 décembre 2012, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES a notifié à Madame X... un avertissement libellé dans les termes suivants:
« Dans le cadre du dossier STMP, nous vous avons signifié que votre méthode de montage du dossier ne s'inscrivait pas dans la démarche de co-validation de l'offre technique et tarifaire avec le Directeur d'Agence tel que le prévoit le process commercial de la région Ile de France.
Nous vous rappelons votre rôle de support au Directeur d'Agence qui nécessite son adhésion dans toute négociation tarifaire.
En ce qui concerne le dossier RC CONCEPT, l'agressivité de vos écrits (mail du 29 novembre 2012) au Directeur des Opérations, dont vous mettez en copie son Directeur d'Agence et ses collaborateurs directs, n'est pas tolérable.
Ce type d'écrit va à l'encontre d'une construction positive et suscite un rejet de nos clients internes.
Par ailleurs, vos derniers échanges avec votre hiérarchie directe (mail du 30 novembre 2012) est inacceptable. Le dialogue doit toujours être privilégié mais ne peut se faire dans le cadre d'une telle agressivité. Les termes et le ton utilisés sont irrespectueux.
Votre comportement va à l'encontre des valeurs de l'entreprise et nous interpelle sur votre capacité à prendre le recul nécessaire à votre fonction.
Nous n'accepterons plus que de tels faits se reproduisent et attendons de vous que vous vous inscriviez dans un esprit de collaboration et d'écoute, tans envers votre hiérarchie qu'envers vos clients internes. »
Au soutien des griefs relatifs au dossier STMP, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES ne produit aucun élément, alors que Madame X... a contesté ce grief de façon circonstanciée par lettre du 24 janvier 2013.
Les deux courriels reprochés à Madame X... sont rédigés dans les termes suivants:
- celui du 29 novembre 2012 :
« N..., pour rappel, je ne gère pas ce client, puisque tu m'as dit au téléphone que M... le reprend en gestion. Malgré ceci, je suis intervenue [...] Je ne vois pas pour quelles raisons je dois continuer à mener des actions
qui me prennent beaucoup de temps et m'empêchent de travailler sur ma prospection. Cordialement »
- celui du 30 novembre 2012 :
« ma valeur ajoutée n'est pas dans la gestion des petites tâches. Je gère un dossier de A à Z ou je ne le gère pas [...] Certes tu es mon responsable hiérarchique, et par conséquent tu as un droit de regard sur mes résultats, mon relationnel avec les clients et mon relationnel avec les DA. MAIS EN AUCUN CAS SUR MA PERSONNE : il y a un an, à mon arrivée, tu t'es permis de me dire que mes études ne m'ont servi à rien [...] Aujourd'hui, c'est pire : tu pointes ton doigt vers la porte en me signifiant que j'étais dans le mensonge [...] Il n'est pas question pour moi de supporter une telle humiliation de ta part quel que soit ton niveau de management chez GEODIS.
Je galère depuis une semaine toute seule dans mon coin avec les agences, les DA d'un côté et les clients de l'autre et quand je te laisse des messages, tu ne me rappelles même pas.
Si tu considères que tu as des droits n'oublies pas que tu as aussi des devoirs vis à vis de tes commerciaux dont le respect. Cordialement, »
En eux-mêmes, ces courriels, exprimés en termes certes véhéments, mais dépourvus de tous propos insultants ou outranciers, ne dépassent pas les limites admissibles de la liberté d'expression d'un salarié dans l'entreprise, telle qu'elle résulte, notamment, des dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail.
Cependant, en adressant son courriel du 29 novembre destiné au directeur des opérations en copie au directeur d'agence et à ses collaborateurs directs et celui du 30 novembre, destiné au directeur grands comptes Ile de France, en copie au directeur commercial région, Madame X... a donné, à ses propos, un retentissement qui dépasse les limites admissibles.
Le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a annulé cet avertissement.
Sur le licenciement et ses conséquences
Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement du 12 février 2013, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants:
« [...] malgré vos entretiens [...] votre comportement ne s'est pas amélioré et il va à l'encontre des attendus de votre fonction de 'responsable grands comptes' positionnée comme 'fonction support' vis à vis de nos clients internes. [...].
Les Directeurs d'agence nous remontent leur difficulté à travailler avec vous car vous 'imposez', vous ne travaillez pas en 'collaboration avec eux' et de ce fait, vous ne pouvez faire adhérer vos interlocuteurs.
En date du 30 janvier 2013, Monsieur Dominique I... nous a une nouvelle fois remonté son insatisfaction. Un client de l'agence du 77 souhaite faire un regroupement de ses poses en le traitant en affrètement. Vous avez traité ce dossier et vous avez confié ce client à l'agence du 94 et ce sans que le Directeur d'Agence du 77 et votre hiérarchie n'en soient informés.
Ce comportement est inacceptable au sein de la cellule Grand Compte de la Région. Ce comportement entraîne une' suspicion' de nos directeurs d'agences, envers l'ensemble de la Direction commerciale régionale.
Ceci prouve réellement votre problème à travailler 'en collaboration' avec les agences alors qu'il s'agit d'un pré-requis du poste.
De plus, au-delà du problème de communication et de positionnement 'fonctionnel' que vous ne mettez pas en pratique, votre discours va à l'encontre des valeurs du 'groupe' et 'de la fonction commerciale'.
Le client FVS nous informe que vous lui avez indiqué 'les tarifs sont plus attractifs dans notre agence du 94 que du 77". Ainsi, le Directeur de l'agence du 77, conscient comme il nous l'indique que 'vous ne le portez pas forcément dans son coeur' nous informe resté 'perplexe' de la méthode employée qui va à l'encontre de l'esprit 'groupe', 'région' et 'réseau' inculqué depuis des années au sein de Calberson.
Ce comportement prouve une nouvelle fois votre manque réel d'orientation client qui est dangereux pour l'image et la confiance de la direction commerciale IDF au sein de la région.
Parallèlement, votre comportement, en constante polémique envers votre hiérarchie, est devenu intolérable au sein de 'l'équipe grands comptes' et de la 'direction commerciale IDF'. Ceci prouve un manque réel de 'prise de recul' et de 'savoir être' et votre incapacité à vous remettre en question.
Malgré les différentes 'alertes' qui vous ont été données (dont un avertissement en date du 17 décembre 2012), vous persistez dans votre comportement et n'acceptez aucune remarque. En date du 28 janvier 2013, votre hiérarchie vous a proposé un rendez vous le 1er février afin d'échanger. Vous lui avez répondu 'je crois que je suis chez un client donc je ne sais pas' et pourtant en date du 29 janvier 2013 il reçoit un mail indiquant que vous prenez un congé payé le 1er février. Comme Mr N... K... vous l'a expliqué par téléphone, il souhaitait échanger suite à votre 'réaction polémique et agressive' lors de votre rencontre du 24 janvier 2013 au cours de laquelle vous lui avez remis un courrier en mains propres. Vous avez une nouvelle fois refusé le dialogue et l'échange et vous avez préféré rester sur votre courrier.
A aucun moment vous avez montré malgré vos différents échanges avec votre hiérarchie une 'prise de conscience' que votre comportement polémique, agressif est préjudiciable tant à l'équipe qu'à l'entreprise. ».
Contrairement à ce que prétend Madame X..., les faits reprochés sont, pour la plupart d'entre eux, postérieurs à la lettre d'avertissement du 17 décembre 2012, ce dont il résulte que l'employeur n'avait pas alors épuisé son pouvoir disciplinaire.
Au soutien de ses griefs, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES produit un courriel du 30 janvier 2013, aux termes duquel Monsieur I..., directeur d'agence 77, expose au directeur grands comptes IDF qu'un acheteur aurait déclaré à l'un de ses collaborateurs, que Madame X... aurait déclaré à cet acheteur, que les tarifs étaient plus attractifs dans l'agence du 94 que du 77.
Cette relation des faits par une personne qui n'y a pas assisté mais qui se contente de répéter les propos d'un collaborateur relatifs aux déclarations d'un client, ne peut, à elle seule, établir la réalité des faits reprochés à la salariés.
La société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES ne produisant aucun autre élément au soutien de ses griefs, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a estimé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et non pas nul, Madame X... ne rapportant pas la preuve du fait que ce licenciement aurait porté atteinte à sa liberté d'expression.
L'entreprise comptant plus de dix salariés, Madame X..., qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Elle justifie de sa situation de demandeur d'emploi jusqu'au mois avril 2016 et exerce, depuis 2017, en qualité d'auto-entrepreneur avec une baisse de revenus. Cependant, au moment de la rupture, elle était âgée de 33 ans et comptait environ quatre ans d'ancienneté.
Au vu de cette situation, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé son préjudice à 27090 euros, correspondant aux six derniers mois de salaires, cette somme devant être mise à la charge unique de la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES, la société SEINE EXPRESS n'étant plus l'employeur de Madame X... au moment du licenciement.
Sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de trois mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour illicéité de la clause de non-concurrence
Il résulte de dispositions de l'article L 1121-1 du code du travail que, pour être valable, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié, être limitée dans le temps et dans l'espace et doit comporter une contrepartie financière.
En l'espèce, l'article 4 de l'avenant 4 janvier 2012 au contrat de travail conclu entre les parties stipulait une clause de non-concurrence ainsi rédigée:
« Compte tenu de la nature de ses fonctions et des informations techniques, informatiques et commerciales dont elle dispose, Madame Léa X... s'engage pendant une durée de 9 mois sur l'ensemble de la Région Ile de France (27, 28, 75, 76, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95) en cas de rupture de son contrat de travail, pour quel motif que ce soit :
- à ne pas entrer au service d'une société concurrente
- à ne pas créer une société de service dont l'activité concurrence directement l'activité de la société
- à ne pas s'intéresser directement ou indirectement à toute activité pouvant concurrencer l'entreprise que ce soit dans ses aspects techniques, informatiques ou commerciaux
- à ne pas débaucher du personnel des entreprises de la région Geodis Ile de France Service.
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, Madame Léa X... percevra, après son départ effectif de la société, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 3 mois de salaire de base [...] ».
Au soutien de sa demande tendant à voir déclarer cette clause nulle, Madame X... fait valoir que la région Ile de France est limitée aux départements suivants : 75, 77, 91, 92, 93, 94 et 95, que les départements 27, 28 et 76 n'en font pas partie et qu'il existerait ainsi une contradiction, de telle sorte que cette clause ne serait pas précisément définie dans l'espace et aurait ainsi porté atteinte à sa liberté de travail et à sa recherche d'emploi.
Cependant, s'il est indéniable que les départements 27 (Eure), 28 (Eure et Loir) et 76 (Seine-Maritime) ne font pas partie de la région Ile-de-France, il n'en reste pas moins que, malgré cette erreur, la clause, énumérant clairement les département concernés, répondait au critère de limitation dans l'espace.
Par ailleurs, Madame X... ne fait pas valoir que les autres critères (protection des intérêts légitimes de l'entreprise, spécificités de l'emploi, limitation dans le temps et existence d'une contrepartie financière) ne seraient pas respectés par cette clause.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.
La clause étant valable, la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES doit être déboutée de sa demande reconventionnelle en remboursement de l'indemnité correspondante.
Sur les frais hors dépens
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES à payer à Madame Léa X... 27090 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 700 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens et l'a déboutée de ses autres demandes.
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré nulle la sanction disciplinaire du 17 décembre 2012
Y ajoutant,
Déboute Madame Léa X... du surplus de ses demandes
Déboute la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES de sa demande reconventionnelle
Déboute les sociétés GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES et SEINE EXPRESS de leurs demandes d'indemnités
Ordonne le remboursement par la société GEODIS ILE DE FRANCE SERVICES des indemnités de chômage versées à Madame Léa X... dans la limite de trois mois d'indemnités
Rappelle qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle-emploi.
Condamne Madame Léa X... aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT