Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 23 OCTOBRE 2018
(n° 435 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 15/18840 - N° Portalis 35L7-V-B67-BXDRT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Septembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09057
APPELANTS
Monsieur [R], [T] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2] (USA)
SA ALLIANZ IARD
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 542 110 2911
Représentés par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450
Ayant pour avocat plaidant Me Rémi JEANNIN de la SCP BERNARD HUGUES JEANNIN PETIT, avocat au barreau D'AIX EN PROVENCE,
INTIME
Monsieur [H] [L] [Y] [U]
[Adresse 3]
[Localité 4] (Suisse)
né le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 5] (92)
Représenté et ayant pour avocat plaidant Me Marie-Claude ALEXIS de la SELAS ALEXIS SELAS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0194
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 Juillet 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne LACQUEMANT, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christian HOURS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Nadyra MOUNIEN
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Christian HOURS, Président de chambre et par Lydie SUEUR, Greffière présent lors du prononcé.
*****
Mme [W] [N] est propriétaire de locaux commerciaux situés dans un immeuble à [Localité 1], donnant pour le rez de chaussée sur la [Adresse 4] au 18 et pour le premier étage sur la [Adresse 5] au 4, donnés à bail par deux contrats du 5 mars 1990 à la société Giausserand, qui les a mis en location gérance à la société Marionnaud Beautérama.
Le 28 mars 2002, son avocat, Me [R] [W], avocat au barreau de Grasse, a fait signifier au locataire un congé pour le 29 septembre 2002 avec offre de renouvellement moyennant un loyer de 100 000 euros par an pour les locaux du rez de chaussée au lieu du loyer initial de 62 307 francs et de 37 000 euros par an pour les locaux du premier étage au lieu du loyer initial de 70 000 francs).
En l'absence d'accord, le conseil de Mme [N] a fait signifier le 20 septembre 2004 à la société Marionnaud Parfumerie, qu'il croyait venir aux droits de la locataire, un mémoire demandant la fixation d'un loyer annuel de 310 800 euros pour les deux baux cumulés.
Le 5 avril 2006, le conseil de Mme [N] a fait assigner devant le juge des loyers commerciaux la société Marionnaud Parfumerie en fixation des nouveaux loyers.
La société Marionnaud Lafayette, qui était en réalité le nouveau titulaire des baux, a été assignée par Me [W], conseil de Mme [N], le 4 octobre 2006, soit plus de deux ans après la notification du mémoire du 20 septembre 2004.
Par jugement du 14 mai 2007, confirmé par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 4 juin 2009, le tribunal de grande instance de Grasse, retenant la prescription biennale prévue à l'article L145-60 du code du commerce, a déclaré prescrite l'action de Mme [N] en fixation des loyers. Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté le 24 novembre 2010 par la Cour de cassation.
Mme [N] est décédée le [Date décès 1] 2012.
Le 3 juin 2014, M. [H] [L] [U], venant à ses droits, a fait assigner la société Allianz Iard, assureur de M. [W], devant le tribunal de grande instance de Paris en paiement:
- de la somme de 3 712 747, 41 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation ;
- de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
- des entiers dépens.
Le 26 novembre 2014, Me [W] est intervenu volontairement à l'instance aux côtés de la société Allianz Iard.
Par jugement du 3 septembre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a :
- dit que M. [W] avait commis une faute (en assignant tardivement la société Marionnaud Lafayette) ;
- dit que la garantie de la société Allianz était due dans les limites de la police souscrite ;
- condamné in solidum M. [W] et la société Allianz à payer à M. [U] la somme de 3 000 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- rejeté les autres demandes de M. [U] ;
- condamné M. [W] et la société Allianz à payer la somme de 5 000 euros à M. [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens, qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [W] et la société Allianz, qui ont interjeté appel de ce jugement, demandent à la cour, aux termes de leurs dernières conclusions du 14 juin 2018, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 septembre 2015 et, statuant à nouveau, de :
- déclarer M. [U] irrecevable en toutes ses demandes comme prescrites ;
- à titre subsidiaire, l'en débouter ;
- à titre infiniment subsidiaire,
- le débouter de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Allianz en ce qu'elles dépasseraient le plafond de la garantie souscrite ;
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission principalement de déterminer la véritable valeur locative 2002 des locaux litigieux et ce aux frais avancés de l'intimé sur lequel pèse la charge de la preuve ;
- juger que la demande ne saurait, si elle était admise, porter intérêts légaux qu'à compter de l'arrêt, l'action en responsabilité ne pouvant donner lieu qu'à une décision constitutive de droits et non à une décision déclarative de droits ;
- juger que le point de départ des intérêts capitalisés ne peut être antérieur à la demande de capitalisation du créancier, formée par conclusions de M. [U] notifiées le 7 décembre 2015 ;
- en tout état de cause,
- condamner reconventionnellement M. [U] à restituer à la société Allianz la somme de 3 015 184, 40 euros (ou à défaut la différence entre la somme au paiement de laquelle les appelants seront condamnés par l'arrêt à intervenir et celle de 3 015 184, 40 euros) avec intérêts au taux légal à compter du versement, ou à défaut, des écritures du 29 janvier 2016 qui valent sommation de payer, les intérêts étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
- le condamner reconventionnellement à payer à la société Allianz la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution forcée du jugement du tribunal de grande instance de Paris dont appel ;
- le condamner reconventionnellement à payer à la société Allianz la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Me Porcher, outre les frais de l'hypothèque judiciaire provisoire publiée au 1er bureau du service de la publicité foncière de Grasse, ainsi que ceux de l'hypothèque judiciaire définitive à régulariser en vertu de l'arrêt à intervenir.
Aux termes de ses dernières conclusions du 18 juin 2018, M. [U] demande à la cour de confirmer le jugement du 3 septembre 2015, sauf en ce qu'il a limité le préjudice indemnisé à la somme de 3 000 0000 euros et, statuant à nouveau, de :
- déclarer la société Allianz et M. [W] irrecevables, ou subsidiairement mal fondés, en leur appel, et en tout état de cause les débouter de l'ensemble de leurs demandes ;
- juger que lorsque M. [U] a assigné le 3 juin 2014, l'action n'était pas prescrite; - écarter les indices de références fournis par M. [W] et la société Allianz ainsi que les pré-rapports et rapports de Mme [Z] ;
- condamner in solidum la société Allianz Iard et M. [W] à lui payer la somme de 4 141 693,27 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices matériels ;
- subsidiairement, juger que son préjudice doit s'évaluer à la somme de 1600 euros le m² suivant le calcul auquel a procédé M. [L] [H], expert judiciaire ;
- en conséquence, condamner les appelants in solidum à lui payer la somme de 3 454 170 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel subi ;
- juger en tout état de cause que cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2014, date de l'assignation introductive d'instance ;
- dire que les intérêts échus seront eux-mêmes capitalisés, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;
- les condamner à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par Me [O], conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant que M. [W] et la société Allianz, appelants, soutiennent que les demandes formées par M. [U] sont irrecevables comme prescrites en ce que :
1) l'exploit introductif d'instance a été délivré le 3 juin 2014, alors que l'action en responsabilité de M. [U] était prescrite depuis le 19 juin 2013 à minuit, par application des dispositions de l'article 2225 du nouveau code civil ;
2) la date du prononcé de la décision du 14 mai 2007 constitue le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité de M. [U] à l'encontre de son ancien conseil;
3) la Cour de cassation a en effet écarté un des moyens du pourvoi qui tentait, en se fondant sur le fait que l'avocat recherché en responsabilité avait continué d'assister le demandeur au pourvoi postérieurement au prononcé de l'arrêt ayant constaté l'irrecevabilité de l'appel, de repousser le point de départ de la prescription jusqu'à la date d'achèvement définitif des dernières procédures en cours ;
Considérant que M. [U] réplique que :
1) les appelants fondent l'intégralité de leurs moyens sur un arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 janvier 2016 dans une espèce bien différente de celle qui intéresse la cour;
2) l'article 2225 du code civil dispose que l'action en responsabilité se prescrit à compter de la fin de la mission de la personne qui a représenté ou assisté la victime en justice ;
3) Me [W] a bien assisté Mme [N] dans le cadre de la procédure d'appel et lui a conseillé ensuite de se pourvoir en cassation, le jugement du 14 mars 2007 n'a ainsi pas mis fin à sa mission,
4) bien qu'il soit difficile de déterminer la date de la fin de la mission de Me [W], puisqu'il n'a jamais rendu compte officiellement à la fin de son mandat, il faut postuler qu'elle aurait dû prendre fin au plus tard à l'époque de la décision de la Cour de cassation rejetant le pourvoi de sa cliente, soit le 25 novembre 2010, qui a mis fin à l'instance pour laquelle il avait été mandaté;
5) les appelants ne peuvent alléguer que la prescription serait acquise puisque, après le décès de Mme [N], le 12 avril 2012, il a assigné le 3 juin 2014 et conclu à la condamnation in solidum de la société Allianz et de Me [W] le 15 janvier 2015, soit moins de cinq ans après l'arrêt de la Cour de cassation ;
Considérant que l'action en responsabilité contre un avocat au titre d'une faute commise dans l'exécution de sa mission de saisir une juridiction d'une action déterminée se prescrit à compter du prononcé de la décision constatant l'irrecevabilité de cette action ;
Considérant que le tribunal de Grasse a, par jugement du 14 mai 2007, déclaré prescrite l'action en fixation des loyers que Me [W] avait introduite à la demande de sa cliente, Mme [N] ;
Considérant que M. [U], venant aux droits de Mme [N], décédée le [Date décès 1] 2012, n'a exercé l'action en responsabilité contre la société Allianz, assureur couvrant la responsabilité de Me [W], que le 3 juin 2014, les demandes contre Me [W] n'ayant été formulées que plus tard, par conclusions du 14 janvier 2015 ;
Considérant qu'à la date du 14 mai 2007, Mme [N], puis son fils, qui s'occupait de ses affaires et disposait d'ailleurs déjà d'une consultation d'un avocat lui présentant cette option, ont disposé avec le jugement du tribunal de Grasse des éléments leur permettant de diligenter une action contre Me [W], quitte à solliciter le sursis à statuer jusqu'à l'issue d'un éventuel recours pour l'exercice duquel cet avocat n'a plus représenté sa cliente ;
Considérant qu'il n'existait aucune impossibilité pour Mme [N] d'agir contre Me [W] même si celui-ci avait encore un mandat d'assistance devant la cour ; qu'en tout état de cause, tout empêchement aurait disparu après l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 4 juin 2009 confirmant le jugement, de sorte que Mme [N], puis son fils, disposaient encore, jusqu'au 19 juin 2013, très largement du temps nécessaire pour diligenter une procédure contre son ancien conseil ;
Considérant en effet qu'en conséquence de la loi du 17 juin 2008 ayant réduit à 5 années depuis la date de son entrée en vigueur, soit le 19 juin 2008, le délai auparavant décennal de prescription, l'action de M. [U] est prescrite depuis cette date du 19 juin 2013; qu'ayant été introduite postérieurement, elle doit être déclarée irrecevable ;
Considérant que cet arrêt infirmatif constitue le titre permettant à la société Allianz d'obtenir le remboursement de la somme qu'elle a versée en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Paris qui était revêtu de l'exécution provisoire ; que les intérêts courent au taux légal à compter de sa signification ;
Considérant sur la demande reconventionnelle de la société Allianz du fait des conditions de la mesure de saisie-attribution diligentée par M. [U] sur ses comptes pour avoir paiement de la condamnation prononcée par le tribunal que force est de constater qu'elle ne justifie d'aucun préjudice, de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef ;
Considérant qu'en équité, il convient de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés à l'occasion de la procédure de première instance et d'appel ;
Considérant que M. [U] succombant à l'instance doit en supporter les dépens, dont distraction au profit de Me Porcher, outre les frais de l'hypothèque judiciaire provisoire publiée au 1er bureau du service de la publicité foncière de Grasse, ainsi que ceux de l'hypothèque judiciaire définitive à régulariser en vertu de l'arrêt ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Déclare irrecevable l'action de M. [U] contre la société Allianz et Me [W];
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 3 septembre 2015 ;
Rappelle que cet arrêt constitue le titre permettant à la société Allianz d'obtenir le versement des sommes qu'elle a versées à M. [U] en exécution du jugement du 3 septembre 2015 assorti de l'exécution provisoire, les sommes portant intérêts au taux légal à compter de sa signification ;
Déboute la société Allianz de sa demande de dommages et intérêts ;
Laisse à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel ;
Condamne M. [U] à supporter les dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Porcher, outre les frais de l'hypothèque judiciaire provisoire publiée au 1er bureau du service de la publicité foncière de Grasse, ainsi que ceux de l'hypothèque judiciaire définitive à régulariser en vertu de l'arrêt.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,