Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 24 OCTOBRE 2018
(n°552 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05047 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5HN4
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Février 2018 -Président du TGI de PARIS - RG n° 18/50607
APPELANTE
Commune VILLE DE PARIS Prise en la personne de Madame la Maire de [Localité 1], Madame [K] [A]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée et assistée par Me Fabienne DELECROIX de l'ASSOCIATION DELECROIX GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229
INTIMÉE
Madame [I] [E]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]
Représentée et assistée par Me Jean-Paul YILDIZ de l'AARPI YS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0794
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Septembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie GRALL, Conseillère, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Martine ROY-ZENATI, Première Présidente de chambre
Mme Christina DIAS DA SILVA, Conseillère
Mme Sophie GRALL, Conseillère
Qui ont en délibéré,
Greffier, lors des débats : Mme Anaïs SCHOEPFER
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Martine ROY-ZENATI, Première Présidente de chambre et par Anaïs SCHOEPFER, Greffière.
Mme [I] [E] est propriétaire depuis l'année 1980 d'un appartement de deux pièces d'une surface de 30 m² situé au 1 er étage escalier C, porte de droite d'un immeuble situé au [Adresse 3] et en constituant le lot 37.
Lors de la visite du contrôleur le 2 février 2017 dans le cadre d'une opération de contrôle de l'occupation des locaux d'habitation, le logement était occupé par une touriste canadienne qui a indiqué avoir loué l'appartement pour une durée de 4 mois via le site Lodgis. Un constat d'infraction a été dressé le 12 juin 2017.
Par acte du 17 novembre 2017, la ville de Paris a fait assigner Mme [E] devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés aux fins de :
- Faire injonction à Mme [E] de produire aux débats, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 7 jours à compter de la signification des présentes, l'historique des transactions recensant les locations effectuées et correspondant à l'appartement sis [Adresse 3],
- Se réserver la liquidation de l'astreinte,
- Constater l'infraction commise par Mme [E],
- La condamner à lui payer une amende civile de 50.000 euros,
- Ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3], sous astreinte de 1.000 euros/m2 par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer,
- Se réserver la liquidation de l'astreinte,
- Condamner Mme [E] à payer à la ville de Paris la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue en la forme des référés le 22 février 2018, le juge délégué par le président du tribunal de grande instance de Paris a :
- Débouté la ville de Paris de ses demandes ;
- Condamné la ville de Paris à payer à Mme [E] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- Condamné la ville de Paris aux dépens.
Par déclaration du 8 mars 2018, la ville de Paris a interjeté appel de cette ordonnance en ce qu'elle a :
- Débouté la ville de Paris de ses demandes tendant à voir :
* constater l'infraction aux dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation commises par Mme [I] [E],
* condamner Mme [E] à payer une amende de 50.000 euros,
* ordonner le retour à l'habitation sous astreinte,
* condamner Mme [E] à payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la ville de Paris à payer à Mme [E] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la ville de Paris aux dépens.
Par ses conclusion notifiées le 10 septembre 2018, la ville de Paris demande à la cour de :
- La dire recevable et bien fondée en son appel ;
- Rejeter les exceptions ;
- Infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la ville de Paris de ses demandes de condamnation de Mme [E] à lui payer une amende de 50.000 euros, une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de voir ordonner le retour à l'habitation sous astreinte ;
Statuant à nouveau,
- Constater l'infraction commise par Mme [E] au titre de son appartement sis [Adresse 3] ;
En conséquence,
- Condamner, Mme [E] à payer à la ville de Paris une amende civile de 50.000 euros.
- Ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation, sis [Adresse 3], sous astreinte de 1.000 euros/m² par jour de retard à compter de l'expiration du délai qu'il plaira au tribunal de fixer ;
- Se réserver la liquidation de l'astreinte,
- Condamner Mme [E] à payer à la ville de Paris la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter Mme [E] de ses demandes et la condamner aux dépens.
Elle fait valoir :
- Que la cour doit dire la ville de Paris recevable et bien fondée en son appel dès lors que le fait que l'acte introductif ait été délivré au nom et pour le compte de la ville de Paris alors que l'action est réservée au maire de la commune n'a pas d'incidence comme cela a déjà été tranché par la cour d'appel de Paris ;
- Que la cour doit infirmer l'ordonnance et constater que Mme [E] a enfreint les dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation dès lors que:
* le local est bien à usage d'habitation au 1er janvier 1970, la preuve de cet usage pouvant être rapportée par tout moyen comme en l'espèce : la fiche récapitulative qui recense l'appartement en cause, le relevé de propriété qui porte mention d'une affectation à l'habitation, le règlement de copropriété, l'acte de vente du 2 avril 1980,
* le changement d'usage est établi dès lors que plusieurs locations de courte durée ont été consenties à des locataires qui n'élisent pas leur résidence principale dans le local peu important que cette durée soit inférieure ou supérieure à trois mois et que ces derniers y élisent leur résidence secondaire,
* le constat d'infraction a force probante jusqu'à preuve du contraire. Ce dernier établit l'occupation du logement sur la base des déclarations de la locataire. De plus, il est inopérant de relever l'absence de notations et commentaires d'internautes sur l'annonce et
de contester les simulations de réservation.
- Que la cour doit condamner Mme [E] à payer à la ville de Paris une amende civile de 50.000 euros dès lors que :
* la sanction applicable est celle prévue par la loi en vigueur lors de la commission du dernier acte de location meublée de courte durée. Ainsi, il s'agit de la loi du 18 novembre 2016, entrée en vigueur le 20 novembre 2016 en ce qu'elle est d'application immédiate et que le dernier fait délictuel est toujours en cours le 20 novembre 2016,
* pour être dissuasif il importe que le montant de l'amende soit établi en proportion des profits or le gain peut être estimé à 11.160 euros par année et le montant de la compensation nécessaire pour obtenir l'autorisation de changement d'usage d'un local d'habitation et pouvoir exercer une activité d'hébergement hôtelier est de 35.000 euros, en conséquence l'amende de 50.000 euros est proportionnelle ;
- Que la cour doit ordonner le retour à l'habitation des locaux transformés sans autorisation dès lors que Mme [E] ne justifie pas que le local est retourné à l'habitation régulière.
Par ses conclusions notifiées le 7 septembre 2018, Mme [E] demande à la cour de :
In limine litis :
- Dire la ville irrecevable en ses demandes et en son appel pour défaut de droit d'agir sur le fondement de l'article L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
- Confirmer en conséquence la décision dont appel en toutes ses dispositions ;
- Débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses demandes ;
Sur le fond :
A titre principal :
- Juger que la ville succombe dans la démonstration de l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 du lot de copropriété n°37 de l'immeuble du [Adresse 3] ;
- Juger que Mme [I] [E] ne loue pas son bien de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile au sens de l'article L.631-7 dernier alinéa du code de la construction et de l'habitation ;
- Juger en conséquence qu'elle ne s'est pas rendue coupable d'un changement d'usage prohibé au sens dudit article ;
- Confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions ;
- Débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- La dispenser de peine ;
A titre très subsidiaire :
- Ramener l'amende à de plus juste proportions ;
En tout état de cause :
- Débouter la ville de Paris de sa demande de retour à l'habitation sous astreinte;
- Condamner la ville de Paris à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la ville de Paris aux entiers dépens.
Elle fait valoir :
- In limine litis, que la cour doit dire la ville de Paris irrecevable en ses demandes et en son appel pour défaut de droit d'agir sur le fondement de l'article L.651-2 du code de la construction et de l'habitation et en conséquence débouter la ville de Paris de l'intégralité de ses demandes dès lors que tant l'acte introductif d'instance que la déclaration d'appel ont été délivrés au nom et pour le compte de la ville de Paris alors que l'article précité confère une capacité exclusive à agir au 'maire de la commune' et non à la ville ou la commune en tant que telle. Or, assimiler ces deux entités revient à assimiler deux personnalités juridiques distinctes ;
- À titre principal, que la cour doit confirmer l'ordonnance dès lors que :
* la ville de Paris n'établit pas l'usage d'habitation des locaux en l'absence des fiches de révisions foncières qui sont déterminantes quant à la démonstration de cet usage en ce qu'elles établissent l'usage du bien au 1er janvier 1970 celui là même déterminant l'usage actuel,
* la ville de Paris ne démontre par la répétition de locations de courte durée à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile puisque :
Mme [E] n'a jamais conclu de baux inférieurs à trois mois,
Mme [E] a conclu ces baux à destination d'étudiants et de locataires étrangers réticents à s'engager sur de longues durées qui n'ont pas d'intérêt à y établir leur résidence principale et non d'une clientèle de passage,
* le rapport d'enquête est non probant en ce qu'il :
n'a pas constaté la moindre occupation ou location saisonnière des lieux mais uniquement des locations de plus de quatre-vingt-dix jours,
atteste de l'absence de notations ou de commentaires d'internautes sur l'appartement,
prétend justifier de locations saisonnière de courte durée à une clientèle de passage par des simulations de réservation qui n'ont pourtant aucune force probante en ce que seule une location effective confirmée par une présence, un contrat et/ou un paiement serait à même de le prouver ;
- À titre subsidiaire, que la cour doit la dispenser de peine en raison de la grande complexité de la législation sur l'usage, de la difficile identification de l'usage d'un bien au 1er janvier 1970 seul à même d'établir l'usage actuel, de sa bonne foi, des comportements singuliers de la ville de Paris qui n'a jamais pris attache avec elle pour lui permettre éventuellement de régulariser sa situation et procède à un usage dévoyé de la loi en demandant une amende à titre indemnitaire à son profit alors que cette dernière ne peut avoir qu'un objet préventif et punitif, et enfin de l'absence de dommage ;
- À titre très subsidiaire, que la cour doit ramener l'amende à de plus juste proportions en regard de sa parfaite bonne foi, de sa constante coopération avec les services de la Ville, de l'absence de toute location saisonnière, et de la faiblesse des loyers pratiqués par cette dernière en regard du loyer de référence majoré.
- Que la cour doit débouter la ville de Paris de sa demande de retour à l'habitation sous astreinte dès lors qu'elle a démontré que le local incriminé était actuellement loué pour une longue durée et occupé par les mêmes personnes depuis le 5 septembre 2017 et en aucun cas dans le cadre de baux de courte durée à des fins de tourisme.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur la recevabilité de l'action :
Considérant que Mme [E] soulève l'irrecevabilité de la ville de Paris à agir sur le fondement de l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation telle que modifié par la loi 2016-1547, selon lequel l'amende prévue par ce texte est prononcée à la requête du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé expliquant que le maire succède dans l'exercice de cette compétence au procureur de la République et qu'il ne saurait être confondu avec la commune ;
Considérant que l'article L 651-2 du code de la construction et de l'habitation tel que modifié doit être lu au regard de l'article L 2122-21, 8° du code général des collectivités territoriales, selon lequel le maire est chargé de représenter la commune en justice et des dispositions de l'article L 631-7-1 du code de la construction et de l'habitation ; qu'en vertu de ces dernières, l'autorisation de changement d'usage visée à l'article L 631-7, à compter du 1er janvier 2009, relève aussi de la compétence du maire de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé et il revient au conseil municipal, ou à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale si ce dernier dispose de la compétence «plan local d'urbanisme», de fixer les conditions dans lesquelles l'autorisation est délivrée ainsi que les compensations exigées au regard des objectifs de mixité sociale ;
Qu'il s'ensuit que le pouvoir conféré par l'article L 651-2, deuxième alinéa, du code de la construction et de l'habitation au maire de la commune dans lequel l'immeuble transformé irrégulièrement est situé vise à lui permettre d'assurer le respect des conditions déterminées par le conseil municipal ou l'établissement public de coopération intercommunal dans lesquelles le changement d'usage de locaux destinés à l'habitation est autorisé ; qu'il s'en déduit que dans l'exercice de ce pouvoir le maire agit au nom de la commune ; que le moyen d'irrecevabilité doit dès lors être rejeté ;
- Sur le fond :
Considérant que l'article 631-7 du code de la construction et de l'habitation prévoit que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable ;
Qu'il définit comme suit les locaux destinés à l'habitation :
«Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1.
Pour l'application de la présente section, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve.»
Considérant qu'en l'espèce pour rapporter la preuve de l'affectation du local dont s'agit, la ville de Paris produit aux débats un relevé de propriété mentionnant Mme [E] comme propriétaire avec une affectation d'habitation et comme date de l'acte l'année 1989; qu'elle verse encore la Déclaration Récapitulative modèle 'R' datée du 20 novembre 1970 qui ne contient cependant aucune information sur l'usage du bien à cette date ; qu'elle soutient que la preuve de l'usage d'habitation du local résulte encore du règlement de copropriété du 24 février 1955 comprenant l'état descriptif de division qui mentionne les lots à usage professionnel et ceux à usage d' 'appartement' ainsi que de l'acte d'acquisition du local par Mme [E] qui porte mention du fait que les locaux vendus constituent une unité d'habitation et que l'acquéreur déclare que les droits et biens immobiliers sont actuellement à usage d'habitation ;
Considérant que force est de constater que l'ensemble de ces éléments ne permettent pas d'établir que le local en cause appartenant actuellement à Mme [E] était à usage d'habitation au 1er janvier 1970, l'usage des lieux ayant pu subir des modifications depuis la division de l'immeuble intervenu en 1955 jusqu'au jour de son acquisition par l'intimée, cette dernière n'en devenant propriétaire qu'au cours de l'année 1980, son acte d'acquisition datant du 2 avril 1980 ;
Que faute pour la ville de Paris de prouver l'affectation du bien appartenant à Mme [E] à l'usage d'habitation au 1er janvier 1970 elle n'est pas fondée à invoquer un changement d'usage illicite au sens de l'article L 661-7 du code de la construction et de l'habitation ; que l'ordonnance entreprise doit donc être confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de ses réclamations par substitution de motifs ;
Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ;
Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à Mme [E], contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après;
Que partie perdante la ville de Paris ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Y ajoutant,
Condamne la ville de Paris à payer à Mme [E] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la ville de Paris aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE