Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 13 NOVEMBRE 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/16608 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BZLYD
Décision déférée à la Cour : sentence partielle du 15 juin 2016 rendue à Paris par M. [U], arbitre unique,
DEMANDERESSE AU RECOURS :
Société SHACKLETON AND ASSOCIATES LIMITED
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
LONDON - ROYAUME UNI
représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D0945
assistée de Me Louis DEGOS, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J120
DÉFENDEURS AU RECOURS :
Monsieur [K] [S]
[S] INVESTMENT GROUP LLC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
EMIRATS ARABES UNIS
assigné le 5 octobre 2018
non comparant
non représenté
Monsieur [W] [K] [S]
[S] INVESTMENT GROUP LLC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
EMIRATS ARABES UNIS
assigné le 5 octobre 2018
non comparant
non représenté
Monsieur [D] [K] [D] [K] [S]
[S] INVESTMENT GROUP LLC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
EMIRATS ARABES UNIS
assigné le 5 octobre 2018
non comparant
non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 octobre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre
Mme Anne BEAUVOIS, présidente
M. Jean LECAROZ, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Dominique GUIHAL, présidente de chambre et par Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.
Par une lettre d'engagement du 29 mars 2010 (LOE), MM [K] [D] [K] [S], [W] [K] [D] [K] [S] et [D] [K] [D] [S] (ci-après les consorts [S]), ressortissants de Sharjah (Emirats Arabes Unis) ont chargé la société de droit anglais Shackleton and Associates Ltd (ci-après la société Shackleton) de les conseiller dans une procédure d'arbitrage les opposant à une société de droit du Bahreïn.
La LOE était assortie d'une clause compromissoire.
En octobre 2011, la société Shackleton a engagé une procédure d'arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce internationale pour obtenir le règlement de ses honoraires.
M. [E], arbitre unique, s'est déclaré compétent par une sentence partielle rendue à Paris le 17 juillet 2012 et a condamné les consorts [S] au paiement des sommes réclamées par une sentence finale du 1er mars 2013.
Les recours en annulation formés contre les deux sentences ont été rejetés par un arrêt de cette cour du 24 juin 2014. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 16 mars 2016. Les consorts [S] ont été condamnés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer la somme de 20.000 euros devant la cour d'appel et celle de 5.000 euros devant la Cour de cassation. La société Shackleton estimait, toutefois, que les frais réellement engagés par elle s'étaient élevés à 140.729,40 euros en appel et 44.206,16 euros en cassation.
La société Shackleton a engagé en Angleterre des procédures d'exequatur et d'exécution forcée auxquelles les consorts [S] se sont opposés. Au cours de ces procédures la société Shackleton a obtenu le 30 août 2016 le versement d'une somme de 1.783.626,42 £.
Ces différentes procédures ont elles-mêmes engendré des frais évalués par la société Shackleton à la somme de 818.274,98 £. A la suite d'une transaction intervenue le 7 juin 2018 au cours de la procédure anglaise de vérification des frais, les consorts [S] ont versé une somme globale de 328.483,19 £. Cet accord mettait fin à la procédure de vérification sans préjudice de réclamations ultérieures de dommages-intérêts. La société Shackleton estimait qu'à l'issue des différentes procédures relatives au recours en annulation et à l'exécution forcée des sentences, les frais restant à sa charge s'élevaient à 782.962,85 £.
Le 16 octobre 2014 la société Shackleton a engagé un nouvel arbitrage en application de la clause compromissoire stipulée par la LOE. Cette procédure avait pour objet, en réponse à l'intention exprimée par les consorts [S] d'exercer une action pour négligence à l'encontre de leur ancien conseil, de faire juger que celui-ci n'avait commis aucune faute. Ultérieurement, la société Shackleton a ajouté à sa prétention initiale une demande tendant à voir condamner les consorts [S] à payer des dommages-intérêts correspondant à l'ensemble des frais engagés devant les juridictions étatiques françaises et anglaises pour parvenir à l'exécution des sentences rendues par l'arbitre [E], soit la somme de 782.962,85 £.
Le 15 juin 2016, M. [U], arbitre unique, a rendu à Paris une sentence partielle par laquelle il constatait la validité de la clause compromissoire, se déclarait compétent pour connaître de la demande tendant à voir juger irrecevable une action des consorts [S] fondée sur la négligence, se déclarait incompétent pour statuer sur les frais exposés par la société Shackleton dans les procédures anglaises et françaises et condamnait les consorts [S] à rembourser la somme de 45.000 USD correspondant à leur part de l'avance sur les frais d'arbitrage.
Le 4 août 2016, la société Shackleton a formé un recours en annulation partielle de cette sentence.
Par des écritures notifiées le 27 septembre 2018 elle conclut à l'annulation de la sentence en ses dispositions par lesquelles l'arbitre unique s'est déclaré incompétent pour :
- statuer sur la demande de dommages-intérêts liée aux coûts irrécouvrables au titre de frais de procédure exposés dans les procédures anglaise et française,
- ordonner le paiement des montants de frais accordés par les tribunaux français et anglais.
Elle demande de rappeler que la sentence se trouve exequaturée en ce qui concerne ses dispositions maintenues et de condamner les consorts [S] au paiement de la somme de 300.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Shackleton soutient que l'arbitre s'est déclaré à tort incompétent et que la sentence, qui constitue un déni de justice, viole l'ordre public international.
La déclaration de recours a été transmise le 23 septembre 2016 au ministère de la Justice des Emirats Arabes Unis aux fins de signification aux consorts [S]. Ceux-ci n'ont pas constitué avocat.
SUR QUOI :
Sur le moyen tiré de ce que l'arbitre s'est déclaré à tort incompétent (article 1520, 1° du code de procédure civile) :
La société Schackleton fait valoir que sa demande portait sur l'indemnisation du préjudice résultant des frais qu'elle avait engagés dans la procédure française d'annulation de la sentence [E] et dans les procédures anglaises d'exécution de cette même sentence, que cette demande était fondée sur l'inexécution par les consorts [S] de leur obligation d'exécution spontanée de la sentence laquelle résultait du règlement d'arbitrage de la C.C.I. auquel renvoyait la clause compromissoire, qu'il s'agissait donc d'une action en responsabilité pour une faute contractuelle et, par conséquent, d'un litige découlant de la lettre d'engagement au sens de la clause compromissoire. La recourante allègue que l'arbitre s'est livré à une analyse erronée de sa compétence en exigeant un lien étroit entre la demande et le contrat, alors que tel n'est pas le sens de la jurisprudence, en retenant que les demandes relevaient de la compétence exclusive des juridictions étatiques, alors que celles-ci ne s'étaient pas prononcées sur la question des dommages-intérêts en application du principe de réparation intégrale et n'avaient retenu qu'une partie des coûts effectivement exposés, enfin, en estimant que les recours exercés par les consorts [S] relevaient de l'exercice légitime du droit de demander l'annulation d'une sentence ou d'objecter à son exécution, alors que de telles considérations ne relevaient pas de l'appréciation de la compétence.
La société Schackleton soutient que l'arbitre s'est aussi déclaré à tort incompétent à l'égard de sa demande tendant à voir ordonner le paiement des frais auxquels les consorts [S] avaient été condamnés par les juridictions françaises et anglaises au motif que ces ordonnances étaient déjà immédiatement exécutables, alors que ces frais procédaient également d'une inexécution contractuelle et que la mise en oeuvre de décisions de condamnation de ressortissants émiratis aux Emirats Arabes Unis était plus facile si ces condamnations étaient prononcées par une sentence arbitrale plutôt que par des décisions de justice étatique.
Considérant que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage et d'en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres;
Considérant qu'en l'espèce l'arbitrage ayant donné lieu à la sentence d'incompétence rendue le 15 juin 2016 par l'arbitre [U] a été engagé sur le fondement d'une clause compromissoire ainsi rédigée : 'Tout litige découlant de la présente Lettre d'Engagement sera définitivement tranché en application du Règlement de la Chambre de commerce internationale par un arbitre unique devant être nommé conformément à son règlement (...)'; que la société Shackleton expose que l'article 34 (6) du règlement d'arbitrage de la C.C.I. stipule que toute 'sentence arbitrale revêt un caractère obligatoire pour les parties. Par la soumission de leur différend au Règlement, les parties s'engagent à exécuter sans délai la sentence à intervenir', qu'il s'en déduit que les résistances des consorts [S] à l'exécution de la sentence [E] du 1er mars 2013 constituent des fautes contractuelles; que le préjudice qu'elles engendrent doit être indemnisé sur la base du principe de réparation intégrale et que le contentieux auquel cette indemnisation donne lieu découle du contrat au sens de la clause compromissoire;
Considérant, toutefois, qu'il résulte des énonciations de la requête d'arbitrage, comme des écritures devant la cour, que la demande en paiement soumise à l'arbitre [U] portait sur les frais que la société Shackleton prétendait avoir exposés devant les juridictions françaises et anglaises et dont elle faisait valoir qu'elle n'avait obtenu qu'un remboursement partiel aux termes des décisions rendues par ces juridictions;
Considérant que la qualification de dommages-intérêts attribuée par la société Shackleton aux sommes ainsi réclamées n'en change pas la nature qui est celle de frais de justice découlant, non pas du contrat, mais des différentes procédures juridictionnelles au cours desquelles ils ont été engagés;
Que c'est donc à juste titre que l'arbitre unique a jugé que ces demandes n'entraient pas dans le champ de la clause compromissoire, de sorte qu'il n'était pas compétent pour en connaître;
Considérant qu'il en va de même, a fortiori, de la demande tendant à voir ordonner par l'arbitre [U] le paiement des sommes précédemment allouées par les juridictions étatiques;
Que le moyen doit être écarté;
Sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile) :
La société Shackleton soutient qu'elle se trouve privée par la sentence de son droit d'accéder à un juge pour qu'il soit statué sur sa demande d'indemnisation intégrale de son préjudice.
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit, les sommes dont la société Schackleton demandait le paiement devant l'arbitre unique constituent des frais de justice sur lesquels se sont prononcées les juridictions étatiques devant lesquelles ces frais avaient été exposés, de sorte que la recourante n'a pas été privée de voie de droit;
Qu'il n'est pas davantage démontré que les condamnations prononcées par les tribunaux étatiques soient inexécutables; qu'à supposer établies les difficultés d'exécution aux Emirats Arabes Unis, il est loisible à la société Shackleton de poursuivre l'exécution dans d'autres pays, ainsi qu'elle l'a déjà fait avec succès au Royaume-Uni pour les sommes allouées par la sentence [E];
Que le moyen ne peut qu'être écarté;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que l'équité ne commande pas de faire bénéficier la société Shackleton, qui succombe, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation partielle de la sentence rendue à Paris entre les parties le 15 juin 2016.
Rejette la demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Shackleton & Associates Ltd aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE