Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRET DU 04 DECEMBRE 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/14499 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5ZNI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Mai 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2018021073
APPELANTS
Monsieur [V] [L] Responsable en France de la société VERTU OPERATIONS LIMITED, né le [Date naissance 1] 1968
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Gérard KRIEF, avocat au barreau de PARIS, toque : A0237
SARL VERTU OPERATIONS LIMITED Sarl du Royaume, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 2]
N° SIRET : 750 785 917
Représentée par Me Gérard KRIEF, avocat au barreau de PARIS, toque : A0237
INTIMES
Monsieur [I] [M] Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SARL VERTU OPERATIONS LIMITED »
[Adresse 3]
[Localité 3]
Non représenté
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 4]
[Localité 4]
Représenté à l'audience
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre, et Anne-Sophie TEXIER, Conseillère, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre
M. Laurent BEDOUET, Conseiller
Mme Anne-Sophie TEXIER, Conseillère, rédacteur
Greffier, lors des débats : Mme Marie BOUNAIX
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté par M. François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
*****
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Vertu Operations Limited Plc, dont le siège social est au Royaume-Uni (numéro d'enregistrement : 7790912), dispose d'un établissement en France situé [Adresse 2] ayant pour activité la vente et la distribution de téléphones portables de luxe et de dispositifs de communication portables.
Saisi sur requête du ministère public, lui-même alerté par un délégué du personnel, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 24 mai 2018, a ouvert une liquidation judiciaire à l'égard de la « SARL membre de la CE Vertu operations limited dont le principal établissement en France est au [Adresse 2] », après avoir relevé l'existence de créances salariales et d'inscriptions de privilèges ainsi que l'impossibilité d'un redressement tenant à la constitution d'un passif exigible, à l'absence d'activité et à la disparition du dirigeant depuis le 19 avril 2018. La SCP BTSG, prise en la personne de M. [M], a été désignée liquidateur.
La société Vertu Operations Limited et M. [V] [L], agissant en qualité de responsable de cette société en France, ont relevé appel du jugement, une première fois le 6 juin 2018 en intimant M. [M], en qualité de liquidateur de la société Vertu Operations limited, et le ministère public (RG n° 18/14499), et une seconde fois le 29 juin suivant, en intimant, à la place de M. [M], ès qualités, la société BTSG, prise en la personne de M. [M], en qualité de liquidateur de la société Vertu Operations Limited (RG n° 18/16524).
Dans leurs conclusions signifiées le 17 juillet 2018 dans l'instance 18/14499, la société Vertu Operations Limited et M. [V] [L] demandent à la cour :
- de joindre les affaires n°18/14499 et 18/16524 ;
- d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de constater que le redressement de la « branche Vertu operations limited » est possible et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce avec une période d'observation de 3 mois ;
- de condamner le liquidateur aux dépens, dont distraction au profit de Me Gérard Krief conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions signifiées le 5 octobre 2018 dans l'instance 18/16524, les mêmes formulent des demandes identiques, sauf à relever qu'ils sollicitent en outre, avant l'infirmation du jugement, que la convocation devant le tribunal de commerce soit déclarée irrégulière et donc nulle.
Dans ses conclusions signifiées le 26 juillet 2018 dans l'instance 18/16524, le liquidateur demande à la cour :
- de statuer ce que de droit quant à la recevabilité de l'appel,
- de rejeter l'appel et de confirmer le jugement ;
- y ajoutant, de condamner M. [V] [L] à lui payer 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour recours abusif et injustifié ;
- d'apprécier s'il y a lieu de prononcer à l'encontre de M. [V] [L] une amende civile ;
- de condamner M. [V] [L] à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses observations signifiées le 18 septembre 2018 dans l'instance 18/14499, le ministère public invite la cour à joindre les deux instances, à déclarer l'appel du 29 juin 2018 recevable et, enfin, sous réserve de la production de pièces justificatives comptables et relatives aux engagements pris par la société Vertu Operations Limited, de confirmer le jugement.
La société Vertu Operations Limited, qui avait été autorisée à justifier par note en délibéré du versement à venir, en cas de redressement, d'une somme de 200 000 euros destinée à financer l'activité de son établissement français, n'a pas fait usage de la possibilité ainsi été offerte.
SUR CE,
- Sur la jonction des instances
Il y a lieu, pour une bonne administration la justice, de joindre les instances 18/14499 et 18/16524.
- Sur la nullité de la convocation devant le tribunal de commerce
Les appelants ne sollicitant pas la nullité du jugement, il ne peut être tiré aucune conséquence juridique de l'exception de nullité qu'ils soulèvent, tirée de l'irrégularité de leur convocation devant le tribunal de commerce .
Dès lors, cette exception est irrecevable, faute d'intérêt.
- Sur l'ouverture de la liquidation judiciaire
La société Vertu Operations Limited expose que des difficultés financières existaient depuis des années mais que « l'entreprise [a été] complètement restructurée » par la nouvelle direction et qu'elle bénéficie de commandes fermes pour les six mois à venir. Elle ajoute qu'elle pourra, dans le cadre d'un redressement, fournir à l'établissement français les produits nécessaires à son activité ainsi qu'un financement immédiat de 200 000 euros et fait valoir que le chiffre d'affaires de cet établissement s'est élevé, en 2016, à 709 000 euros, que sa localisation est parfaitement adaptée à la vente de téléphones de luxe, que ses charges ont diminué depuis qu'il ne subsiste plus qu'un point de vente ([Adresse 2]) et deux salariés et que le prévisionnel de trésorerie est positif pour la période allant de juin à novembre.
Le liquidateur réplique que le passif sera « vraisemblablement » bien supérieur à 1,2 million d'euros, que l'actif est inexistant pour avoir été détourné en totalité, que M. [L] a fait état d'un chiffre d'affaires de 177 679 euros au titre de l'exercice clôturé le 30 novembre 2017, que la situation du personnel de la société a été très chaotique, qu'une proposition de rectification fiscale du 26 décembre 2017 concernant l'exercice clos en 2014 met en exergue l'absence de transmission des documents comptables et pièces justificatives et qu'une ordonnance de référé du 6 mars 2018 a autorisé l'expulsion de la société Vertu Operations Limited des locaux de la rue [Adresse 2].
L'article L. 640-1 du code de commerce dispose que l'ouverture de la liquidation judiciaire est applicable au débiteur en cessation des paiements « dont le redressement est manifestement impossible ».
La cessation des paiements n'étant pas discutée, il convient de déterminer si la société Vertu Operations Limited relève d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et, partant, d'examiner ses perspectives de redressement.
Dans un projet de déclaration de cessation des paiements établi le 29 mai 2018 par M. [L], il est fait état d'un passif de 1,179 million d'euros, montant proche de celui reconnu dans leurs écritures par les appelants (1,2 million d'euros), ainsi que d'un actif d'une valeur de 10 000 euros, dont le liquidateur fait valoir, sans être contredit, qu'il est désormais inexistant.
Les appelants soutiennent que l'établissement français a réalisé un chiffre d'affaires de 709 000 euros en 2016, sans d'ailleurs en justifier, mais le projet de déclaration évoqué ci-avant mentionne un chiffre d'affaires de seulement 177 679 euros au titre de l'exercice clos le 30 novembre 2017.
Il résulte par ailleurs des pièces produites par le liquidateur qu'une ordonnance de référé du 6 mars 2018 a autorisé, à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société Vertu Operations Limited des locaux de la rue [Adresse 2], qui constitue son unique point de vente à [Localité 5], et que l'instance née de l'appel formé le 14 mars 2018 contre cette décision a fait l'objet d'une radiation le 6 juin 2018.
Enfin, si la société Vertu Operations Limited fait état de la reprise de son activité, de son intention de consentir un financement de 200 000 euros à son établissement français en cas de redressement judiciaire et de la viabilité de l'activité de celui-ci, elle se borne, à l'appui de ses allégations, à produire un document intitulé « prévisionnel de trésorerie Vertu » non certifié par un expert-comptable dont la date d'établissement et l'auteur ne sont pas indiqués et qui prévoit notamment, pour le seul mois de novembre, un chiffre d'affaires (180 522,50 euros) supérieur à celui réalisé au cours de la totalité de l'exercice 2017.
Compte tenu de l'importance du passif, de l'absence d'actif, de la faiblesse du dernier chiffre d'affaires connu, de la résiliation du bail de l'unique point de vente en France de la société Vertu Operations Limited et du caractère non probant du prévisionnel de trésorerie produit, le redressement apparaît manifestement impossible.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement.
- Sur les dommages et intérêts et l'amende civile pour recours abusif
Le liquidateur conclut au caractère abusif de l'appel en faisant valoir que les éléments du dossier établissent « indubitablement » l'absence de perspectives de redressement, que les appelants fondent leur démonstration sur une seule pièce (un prévisionnel de trésorerie) et qu'ils sollicitent la réformation du jugement pour obtenir l'ouverture d'un redressement judiciaire après s'être désistés le 26 juin 2018 de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire au motif que la société Vertu Operations Limited ne disposait pas de liquidités suffisantes pour assumer le règlement de ses créances courantes.
Toutefois, il convient de relever, d'abord, que la société Vertu Operations Limited, non comparante en première instance et dont la convocation devant le tribunal de commerce, envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception retournée avec la mention « non réclamé », n'a pu faire valoir ses arguments qu'en interjetant appel.
Ensuite, force est de constater que la motivation du jugement attaqué sur l'impossibilité du redressement judiciaire, qui tient en 21 mots, est pour le moins sommaire et de surcroît partiellement infondée en ce qu'elle fait état, à la date du 15 mai 2018, de la « disparition » du dirigeant depuis le 19 avril 2018 alors que M. [L] a signé, le 7 mai 2018, deux avis de réception de lettres recommandées envoyées à l'adresse de la boutique de la rue [Adresse 2] (pièces 16 et 17 du liquidateur) et que le directeur adjoint de celle-ci a indiqué avoir constaté, le 20 avril 2018, que « le représentant légal, [V] [L] était toujours sur place et occupé les lieux » et avait confié « être sur une réouverture prochaine de la boutique avec un nouveau projet » (pièce 20 du liquidateur).
En outre, l'incapacité à régler les créances courantes n'est pas incompatible avec la possibilité d'un redressement lorsqu'un financement peut être obtenu à très bref délai, de sorte que c'est sans contradiction que les appelants ont pu, à la fois, se désister de leur demande d'arrêt de l'exécution provisoire à raison de cette incapacité et maintenir leur appel.
Enfin, les arguments invoqués par les appelants, bien qu'insuffisamment étayés par des pièces justificatives, ne sont pas manifestement dépourvus de toute pertinence.
Dans ces conditions, l'abus du droit d'interjeter appel n'est pas caractérisé.
La demande de dommages et intérêts du liquidateur sera donc rejetée.
Il n'y a pas lieu de suivre la suggestion faite à la cour par le liquidateur d'infliger à M. [L] l'amende civile prévue par l'article 559 du code de procédure civile.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Les appelants succombent tous les deux mais toute somme mise à la charge de la société Vertu Operations Limited ayant pour effet d'accroître le passif de la liquidation judiciaire, M. [L] sera seul tenu aux dépens.
M. [L] sera en outre condamné à payer au liquidateur une somme de 5 000 euros sur le fondement du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, réputé contradictoirement et en dernier ressort,
Joint les deux instances inscrites au rôle de la cour sous les numéros RG 18/14499 et RG 18/16524,
Déclare irrecevable l'exception de nullité de la convocation devant le tribunal de commerce soulevée par la société Vertu Operations Limited,
Confirme le jugement,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour recours abusif formée par le liquidateur,
Condamne M. [V] [L] à payer à la SCP BTSG, en qualité de liquidateur de la société Vertu Operations Limited, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] [L] aux dépens, dont le recouvrement pourra être opéré conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente