Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 24 JANVIER 2019
(n° 2019 - 21, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/01894 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2QFZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 13/10525
APPELANT
Monsieur [U] [Q]
Né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assisté à l'audience de Me Alexandre GABARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0086
INTIMÉ
POLE EMPLOI, pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté et assisté à l'audience de Me Julie GIRY de la SELARL RBG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0042
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Décembre 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre et Madame Patricia LEFEVRE, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre
Madame Patricia LEFEVRE, conseillère
Madame Marie-José BOU, conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Madame Fatima-Zohra AMARA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre et par Fatima-Zohra AMARA, greffière présent lors du prononcé.
***********
M. [U] [Q] a été embauché en 1976 par la société MTE, filiale du groupe Jeumont Schneider, absorbée par la société Alsthom en 1987. Il a exercé ses fonctions au sein de plusieurs filiales du groupe Alsthom devenu GEC Alsthom, puis Alcatel Alsthom ; le 28 avril 1994, il a conclu un nouveau contrat de travail, avec reprise de son ancienneté au sein des autres sociétés du groupe à compter du 1er novembre 1976, avec la société américaine Alcatel Networks systèmes INC devenue Alcatel USA Marketing Inc qui l'a détaché en Allemagne auprès de la société Alcatel Sel Mobile Satelliten Communications.
Après avoir été licencié le 29 janvier 2003 par la société Alcatel USA Marketing, M. [U] [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de diverses demandes dirigées contre les sociétés Alcatel Marketing USA, Alcatel SA et Alcatel Alenia Space venant aux droits d'Alcatel Space industries. La société Alcatel Marketing USA a soulevé une exception d'incompétence territoriale, rejetée par le conseil de prud'hommes le 13 juin 2006, décision confirmée par un arrêt de la cour de ce siège du 5 avril 2007, devenu irrévocable après le rejet d'un pourvoi par un arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2008. Au fond, par un arrêt du 12 mars 2009 confirmant partiellement le jugement rendu le 26 septembre 2007 par le conseil de prud'hommes, la cour d'appel de ce siège a condamné les sociétés Alcatel SA et Alcatel Alenia Space au paiement de diverses sommes ainsi qu'à la remise de documents sociaux conformes.
M. [U] [Q] s'est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi à compter du 31 décembre 2003 et a confirmé sa demande d'allocations auprès de l'Assedic de l'ouest francilien (Antenne de Suresnes) le 8 avril 2004. Cette demande a été rejetée, par courrier des Assedic du 4 mai 2004, au motif d'une absence de contrat de travail lié à son activité dans l'entreprise. Son dossier lui avait été retourné, le 16 avril 2004, au motif que n'y était pas joint d'attestation Assedic, puis M. [U] [Q] a été avisé que son dossier avait été transmis par l'Assedic, pour examen, au Groupement des Assedic de la région parisienne (GARP), Secteur Prestations Expatriés, qui à son tour, a refusé de l'instruire, au même motif de l'absence de l'attestation Employeur.
Par un courrier du 20 mai 2009, M. [U] [Q] a informé le directeur général du GARP des décisions rendues en sa faveur et il a réitéré sa demande tendant à obtenir le bénéfice de l'ARE, courrier auquel l'établissement Pôle emploi services (délégation Missions nationales), depuis lors substitué à l'Assedic, a répondu, par un courrier du 5 juin 2009. Il lui était indiqué que, dès réception de l'attestation d'employeur Pôle emploi, il pourrait la (sa demande) porter auprès de l'antenne Pôle emploi de Suresnes dont il dépendait, ce courrier se concluant par l'indication que son activité en 2003 étant en Allemagne via un contrat américain ayant à la base un détachement par une société française, il faudra attendre l'attestation de la société pour connaître le type d'affiliation à retenir.
M. [U] [Q] n'a obtenu une attestation correctement renseignée que le 24 juin 2011 et par courrier du 30 novembre 2011, Pôle emploi lui notifiait que sa demande d'allocation, déposée le 3 mai 2004, n'a pu recevoir de suite favorable. En effet, votre activité professionnelle n'entre pas dans le champ d'application du régime d'assurance chômage. Vous en avez été avisé par notification du 03 mai 2004. Vous êtes inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi en catégorie 1 depuis le 31 décembre 2003. Le jour même M. [U] [Q] a déposé à l'antenne Pôle emploi de Suresnes un nouveau dossier tendant au réexamen de sa situation, demandant, en vain, à cette antenne puis à Pôle emploi à être rétabli dans ses droits et à être indemnisé à compter de son inscription, le 31 décembre 2003.
C'est dans ce contexte que M. [U] [Q] a, par acte extra-judiciaire en date du 26 juillet 2013, fait assigner l'établissement public Pôle emploi devant le tribunal de grande instance de Bobigny qui, par jugement en date du 16 décembre 2016, a constaté que son action en paiement des indemnités chômage était prescrite, a déclaré irrecevables ses demandes principales et accessoires de ce chef, a déclaré recevable sa demande de dommages et intérêts mais l'a rejetée et a condamné M. [U] [Q] à payer à Pôle emploi une indemnité de procédure de 3 500 euros et aux dépens.
M. [U] [Q] a relevé appel, le 23 janvier 2017 et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 21 août 2017, il demande à la cour, au visa de l'article 1240 du code civil, d'infirmer le jugement déféré et de condamner Pôle emploi au paiement de la somme de 852 380,36 euros au titre de l'ARE (montant arrêté au 6 juillet 2014, date de son 65ème anniversaire) avec intérêts au taux légal à compter des dates auxquelles les allocations auraient dû lui être versées. Il réclame également
- que Pôle emploi soit condamné :
* à lui fournir les documents correspondants, mois par mois, justifiant des allocations perçues, et des versements des cotisations sociales et que Pôle emploi soit enjoint, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de notifier à l'organisme de retraite compétent dans les 15 jours suivant le prononcé du jugement à intervenir, le décompte de l'intégralité de ses trimestres de cotisations, depuis le 26 juin 2004 ;
* au paiement de la somme de 250 000 euros, en réparation de l'ensemble de ses préjudices subis du fait du retard de traitement de sa situation et de l'absence d'aide juridique, avec intérêts au taux légal, à compter de la date de réception de la réclamation préalable ;
* à la capitalisation des intérêts ;
* à l'allocation d'une indemnité de procédure de 12 000 euros et la condamnation de l'intimé aux entiers dépens (en ce compris les éventuels frais d'expertise), dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, le 23 juin 2016, Pôle emploi soutient, au visa des articles 122 du code de procédure civile, L. 351-6-2 alinéa 2 du code du travail repris par l'article L. 5422-4 alinéa 2 du même code, des articles 2222 et 2224 du code civil et du règlement général annexé à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2004, la prescription de l'action en responsabilité quasi-delictuelle engagée par M. [U] [Q] et en conséquence, l'infirmation de la décision querellée de ce chef et sa confirmation pour le surplus. A titre subsidiaire, il demande à la cour de dire que les demandes de M. [U] [Q] ne sont pas fondées et de l'en débouter, dès lors qu'il ne justifie pas de son affiliation au régime de l'assurance-chômage, et que ses services n'ont commis aucune faute dans la gestion de son dossier.
A titre infiniment subsidiaire, au constat que M. [U] [Q] n'était pas éligible au maintien de ses droits jusqu'à l'âge de la retraite, Pôle emploi demande à la cour de limiter ses droits à une durée de 1095 jours à compter de la fin de contrat, soit du 27 juin 2004 au 26 juin 2007 et de prononcer son admission à charge pour ses services de déterminer le calcul de ses droits sur la période de référence, soit du 1er septembre 2002 au 31août 2002 (en réalité 2003).
En toute hypothèse, Pôle emploi réclame l'allocation de la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture est intervenue le 7 novembre 2018.
SUR CE, LA COUR,
Considérant que M. [U] [Q] soutient la recevabilité de son action en paiement comme de son action en responsabilité, la première sur le fondement de L. 54422-4 alinéa 2 du code du travail et de l'alinéa 1 de l'article 9 du titre 3 du règlement intérieur du 4 juillet 2001, le courrier du 4 mai 2004, ne pouvant constituer la notification de la décision visée au code du travail, dès lors qu'elle n'a pas date certaine, faute d'envoi en recommandé, qu'elle a un caractère provisoire et qu'il n'y est pas fait mention des voies de recours ; qu'il ajoute que les principes tels qu'ils peuvent se déduire du code de la justice administrative imposent que la notification d'un organisme public fasse mention des voies de recours ;
Que Pôle emploi réplique que l'action en paiement engagée par M. [U] [Q] est prescrite depuis le 4 mai 2006, eu égard au courrier de rejet du 4 mai 2004, qu'il n'a jamais contesté avoir reçu ; qu'il rappelle le caractère privé de ses rapports avec les travailleurs privés d'emploi et estime que son règlement interieur est dépourvu de valeur contraignante et ne peut pas aller à l'encontre de la loi ; qu'il retient que les textes du code de la justice administrative n'ont pas vocation à s'appliquer ;
Considérant au préalable que la cour doit faire le constat que si Pôle emploi soutient à titre subsidiaire, dans le corps de ses écritures, une prescription des demandes portant sur le paiement des indemnités dues avant le 25 juillet 2008, au visa de l'article 2277 (ancien) du code civil ; que ce subsidiaire comme le texte qui le fonde, ne figurent pas au dispositif des conclusions de Pôle emploi, qui seul, en application de l'article 954 du code de procédure civile, saisi la cour ;
Considérant que L. 54422-4 alinéa 2 du code du travail énonce que la demande en paiement de l'allocation d'assurance est déposée auprès de l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 par le travailleur involontairement privé d'emploi dans un délai de deux ans à compter de sa date d'inscription comme demandeur d'emploi. L'action en paiement est précédée du dépôt de la demande en paiement. Elle se prescrit par deux ans à compter de la date de notification de la décision prise par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1. ;
Que Pôle emploi ne conteste pas que l'article 9 § 1 de son règlement intérieur impose que toutes les décisions résultant de l'instruction et du suivi d'un dossier sont notifiées. Toute notification contient la décision, ses fondements juridiques et réglementaires et les voies de recours susceptibles d'être engagées le cas échéant ;
Que ce texte a, ainsi que l'invoque d'ailleurs Pôle emploi, valeur contraignante pour ses agents ; qu'il vient préciser les formes qu'ils doivent respecter lorsqu'ils notifient une décision à un demandeur d'emploi, afin que celui-ci soit, en conformité avec l'obligation d'information pesant sur cet établissement public, pleinement informé de ses droits et notamment des motifs du rejet de sa demande et de son droit à recours ; que par conséquent, dès lors que la loi impose une notification pour faire courir la prescription, celle-ci doit respecter les formes prévues par l'article 9 § 1 sus-mentionné, l'action de M. [U] [Q] étant, dès lors, recevable eu égard à l'absence d'indication des recours, notamment internes à l'organisme public, ouverts à l'allocataire, la décision déférée devant être infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action en paiement de M. [U] [Q] ;
Considérant au fond, que M. [U] [Q] affirme justifier de son éligibilité au bénéfice de l'ARE, les documents remis par ses employeurs attestant de son affiliation au régime d'assurance chômage français, rappelant qu'il était employé par des sociétés de droit français disant que le versement par son dernier employeur de la taxe FICA (qui contribue aux soins médicaux du social Seccurity and Medicare et non la perte d'emploi) est indifférent ;
Mais considérant que M. [U] [Q] ne conteste nullement, ainsi qu'il ressort de l'attestation remise par les sociétés françaises anciennement dénommées Alcatel SA et Alcatel Alenia Space, en exécution de la décision de la cour d'appel de Paris du 12 mars 2009, qu'il n'a pas cotisé aux ASSEDIC au titre des rémunérations perçues de la société Alcatel Marketing USA en exécution d'un contrat de travail de droit américain, souscrit aux Etats Unis et d'une activité exercée, en exécution de ce contrat, en Allemagne ; qu'il ne conteste pas plus, l'absence de toute cotisation au régime français d'assurance chômage à compter de la signature d'un contrat de travail avec cette société américaine ;
Qu'ainsi que le rappelait la cour d'appel dans son arrêt du 12 mars 2009, le fait que les trois sociétés Alcatel aient été jugées co-employeurs n'implique nullement que le droit français ait vocation à régir l'ensemble des relations contractuelles qui ont pu se nouer, la condamnation des sociétés françaises reposant uniquement sur leur refus de lui attribuer un poste, en leur sein, après son licenciement par la société Alcatel Marketing USA ;
Que cette décision ne vient nullement préjuger de l'éligibilité de M. [U] [Q] au régime d'assurance chômage ou d'une obligation de ces sociétés de l'affilier à ce régime, pour une activité au titre d'un contrat de travail conclu hors communauté européenne et d'une activité hors de France ; qu'il s'ensuit, les allocations sollicitées relevant d'un régime d'assurance et non de solidarité, que M. [U] [Q] ne justifie pas de son droit à l'indemnisation qu'il revendique ;
Considérant que Pôle emploi oppose à l'action en responsabilité de M. [U] [Q], la prescription de l'article 2224 du code civil ; que celui-ci affirme la recevabilité de sa demande de dommages et intérêts, disant que le défaut de conseil de Pôle emploi s'est prolongé dans le temps bien au-delà de la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, que l'information qui lui était due ne lui a été délivrée que le 21 novembre 2012, lors d'un entretien avec Mme [A] et que la prescription a été interrompue par sa réclamation préalable du 26 mars 2013, soit avant l'écoulement du délai de prescription ;
Considérant que les griefs de M. [U] [Q] ne se limitent pas à une absence d'information lors du refus du 4 mai 2004 mais au comportement de Pôle emploi tout au long du traitement de son dossier et notamment à l'occasion de la reprise de ses échanges épistolaires en 2009, soit moins de cinq années avant la délivrance de l'assignation du 26 juillet 2013, son action étant dès lors, ainsi que l'a retenu le tribunal, recevable ;
Considérant au fond, que M. [U] [Q] sollicite l'indemnisation d'un préjudice matériel en raison du non-versement d'un revenu de remplacement ainsi que d'un préjudice moral, au motif, que son absence d'indemnisation a généré des effets préjudiciables en cascade (absence d'éligibilité à des formations ou à des avantages sociaux) ;
Or, et sans qu'il y ait à examiner les griefs de M. [U] [Q], la cour doit faire le constat que les préjudices allégués sont en lien de causalité exclusif avec le refus légitime de Pôle emploi de lui accorder le bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi ; que dès lors les demandes indemnitaires présentées par l'appelant ne peuvent pas prospérer ;
Considérant que M. [U] [Q] qui succombe pour l'essentiel sera condamné aux dépens d'appel et devra rembourser les frais irrépétibles de Pôle emploi dans la limite de 2 000 euros, la décision déférée devant être confirmée sur la charge des dépens et le montant de l'indemnité de procédure allouée à Pôle emploi en première instance ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en paiement exercée par M. [U] [Q] et le confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare M. [U] [Q] recevable à agir en paiement à l'encontre de l'établissement public Pôle emploi ;
Le déboute de ses demandes ;
Condamne M. [U] [Q] à payer à l'établissement public Pôle emploi la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE