RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 24 Janvier 2019
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/04289 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5LFF
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 13 Mars 2018 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 17/00878
APPELANT DU CHEF DE LA COMPETENCE
M. Jean-Dominique X...
34 rue Michel Ange
[...]
représenté par Me Patrick Y..., avocat au barreau de PARIS, toque : C0514
INTIMEE DU CHEF DE LA COMPETENCE
SOCIETE SPI SPIRITS
28th October Street, 319 Kanika Business Center, 3rd Floor,
Office 301
[...]
représentée par Me Emmanuel Z... de l'AARPI C... Z..., avocat au barreau de PARIS, toque : R016, substitué par Me Natali A...
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 novembre 2018 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant
Monsieur François LEPLAT, Président
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François LEPLAT, Président
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
Madame Monique CHAULET, Conseiller
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François LEPLAT, Président et par Madame FOULON, Greffier.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. Jean-Dominique X... a été engagé le 26 novembre 2012 par la société de droit chypriote Spi Spirits Ltd au poste de Directeur commercial de la région Europe, selon contrat de travail écrit et rédigé en anglais.
Dans l'exercice de ses fonctions, il était amené à se déplacer dans toute l'Europe.
Il s'est vu notifier son licenciement par courrier du 21 mars 2017, avec dispense d'exécuter son préavis.
Estimant que son employeur ne lui avait pas versé l'intégralité des sommes lui revenant au titre du solde de tout compte, il a saisi, le 12 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Paris en sa formation de référé.
Le conseil statuant en référé s'est déclaré en partage de voix sur l'exception d'incompétence formée par la société Spi Spirits Ltd au profit des juridictions chypriotes, à raison de la clause contractuelle attributive de compétence.
Par ordonnance de référé entreprise du 13 mars 2018 le conseil de prud'hommes de Paris a :
Dit le conseil de prud'hommes de Paris incompétent,
Débouté la société de droit chypriote Spi Spirits Ltd de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Renvoyé le demandeur à mieux se pouvoir et l'a condamné aux dépens.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 29 mars 2018 par M. Jean-Dominique X..., sa requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe et l'ordonnance du délégataire du premier président l'y ayant autorisé ;
Vu les dernières écritures figurant dans l'assignation à jour fixe, signifiées le 10 juillet 2018 par lesquelles M. Jean-Dominique X... demande à la cour de :
Vu l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Paris du 13 mars 2018,
Vu les articles 21 et 23 du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012,
Infirmer l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Paris du 13 mars 2018,
Déclarer le conseil de prud'hommes de Paris compétent pour juger le litige entre M. Jean-Dominique X... et la société Spi Spirits,
Condamner la société Spi Spirits à payer à M. Jean-Dominique X... la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières écritures signifiées le 22 octobre 2018 au terme desquelles la société Spi Spirits Ltd demande à la cour de :
Vu l'article R.1455-5 et suivants du Code du travail,
In limine litis et avant tout débat au fond
CONFIRMER dans toutes ses dispositions l'ordonnance déférée et SE DÉCLARER incompétent au profit des juridictions chypriotes, en application de la clause attributive de compétence juridictionnelle du contrat, en l'occurrence le « Industrial Disputes Tribunal » de Limassol à Chypre,
A titre principal
DIRE ET JUGER qu'il n'y pas lieu à référé, les demandes se heurtant manifestement à une contestation sérieuse, en raison du choix de la loi applicable et qu'il n'existe aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite,
A titre subsidiaire
PRENDRE acte des dispositions de la clause 9 du contrat de travail et appliquer la loi chypriote,
En tout état de cause
CONDAMNER M. X... à verser à la société la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Le CONDAMNER au paiement des entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et à l'ordonnance déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence :
Poursuivant l'infirmation de l'ordonnance de référé entreprise, M. Jean-Dominique X... soutient qu'il n'a pas conclu son contrat de travail à Limassol (Chypre) mais depuis Paris et qu'il a exercé ses missions depuis Paris, lieu de son domicile, d'où il se déplaçait à travers l'Europe.
Il conteste la clause contractuelle d'élection de for, dont il indique qu'elle ne satisfait pas aux conditions fixées par l'article 23 du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, selon lequel : "Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions : / 1) postérieures à la naissance du différend ; ou / 2) qui permettent au travailleur de saisir d'autres juridictions que celles indiquées à la présente section", alors que cette clause, qui a été rédigée avant tout différend et n'élargit pas les règles de compétence prévues à la section 5 du Règlement, doit être considérée comme étant non écrite.
Affirmant qu'il n'a jamais travaillé à Chypre, mais qu'il accomplissait habituellement son travail depuis son domicile parisien, il considère que l'article 21 lui permettait de saisir le conseil de prud'hommes de Paris de ses demandes.
La société Spi Spirits Ltd soutient quant à elle la validité de la clause attributive de compétence aux tribunaux chypriotes et alors que, selon elle, M. Jean-Dominique X... aurait réalisé la quasi-totalité de ses missions hors de France.
* * *
Selon l'article 21 du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 : "1. Un employeur domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait : / a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile ; ou / b) dans un autre État membre : / i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail; ou / ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouve ou se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur. / 2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre peut être attrait devant les juridictions d'un État membre conformément au paragraphe 1, point b)."
Ainsi M. Jean-Dominique X... peut soit saisir les juridictions du domicile de l'employeur, en l'espèce les juridictions chypriotes, soit celles du lieu où ou à partir duquel il accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail, qu'il affirme être celui de son domicile[...].
La clause contractuelle de for qui impose à M. Jean-Dominique X... la saisine des juridictions chypriotes étant antérieure à la naissance d'un différend avec son employeur et n'élargissant en rien le champ des possibilités de saisine d'autres juridictions ouvertes par l'article 21 précité, doit être déclarée non écrite.
Pour asseoir la compétence du conseil de prud'hommes de Paris, reste à M. Jean-Dominique X... à démontrer que c'est depuis Paris qu'il accomplissait habituellement son travail.
A cet égard, la société Spi Spirits Ltd ne conteste pas que son salarié n'a jamais exercé ses missions à Chypre ou depuis Chypre et, même si elle n'est pas critiquée en ce qu'elle justifie de ce que la France ne représentait que 2% de ses parts de marché, M. Jean-Dominique X... produit divers élément à l'appui de ses dires :
- un échange de courriels du 14 novembre 2012, par lequel il indique, concernant son lieu de travail que : "vous mentionnez Limassol Chypre, mais je ne travaillerai pas là bas car je travaillerai essentiellement depuis ma maison et voyagerai", ce à quoi Kaspar B..., Directeur des ressources humaines de Stoli et Spi Group (auquel appartient la société Spi Spirits Ltd) lui a répond : "En ce qui concerne vos questions concernant votre lieu de travail, taxes et les problèmes de sécurité sociale - la réponse courte est que vous resterez résident fiscal français, ce qui veut dire que toutes vos taxes seront payées en France et vous ferez partie du système de sécurité sociale français",
- un relevé de sa carte Air France qui établit que tous les vols étaient pris au départ et à l'arrivée de Paris pour des trajets de courte durée (en moyenne de 7 jours par mois),
- ses bulletins de salaires, tous adressés par la société Spi Spirits Ltd, en français, à son adresse du [...] arrondissement de Paris, ainsi d'ailleurs que sa lettre de licenciement
- l'organigramme de Stoli et Spi Group qui le mentionne comme étant basé à Paris.
Il n'est pas sérieusement critiqué quand il affirme par ailleurs s'être déplacé 56 jours en 2016 et avoir ainsi travaillé 173 jours sur 229 travaillés à Paris.
En application de l'article 21 1 b) i) du Règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012, pouvait donc attraire la société Spi Spirits Ltd devant le conseil de prud'hommes de Paris.
Infirmant l'ordonnance de référé de départage entreprise la cour renverra donc les parties devant le conseil de prud'hommes de Paris.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable d'allouer à M. Jean-Dominique X... une indemnité de procédure de 3.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme l'ordonnance de référé de départage entreprise, sauf en ce qu'elle a débouté la société de droit chypriote Spi Spirits Ltd de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau,
Déclare non écrite la clause contractuelle attributive de compétence,
Déclare compétent le conseil de prud'hommes de Paris pour connaître de la présente instance,
Renvoie les parties devant le conseil de prud'hommes de Paris,
Et y ajoutant,
Condamne la société de droit chypriote Spi Spirits Ltd à payer à M. Jean-Dominique X... la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société de droit chypriote Spi Spirits Ltd aux dépens de première instance d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT