RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 27 Février 2019
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 16/05252 - N° Portalis 35L7-V-B7A-BYSBK
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 14/09279
APPELANT
M. [F] [Y]
né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 1] ([Localité 1])
demeurant au [Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Christine BAUDE TANNENBAUM, avocat au barreau de PARIS, toque : D1209
INTIMÉE
Société ESPACE 2
sise [Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 332 724 376
représentée par Me Johanne ZAKINE, avocate au barreau de PARIS, toque : P0145
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Janvier 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Bruno BLANC, Président
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
M. Olivier MANSION, Conseiller
qui en ont délibéré
Présence lors des débats de Mme Julie Bourlon, stagiaire avocat
Greffière : Clémentine VANHEE, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
- signé par M. Bruno BLANC, Président et par Mme Clémentine VANHEE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La société Espace 2 exerce une activité de promotion et construction immobilière depuis 1984 .
La société ESPACE 2 a engagé Monsieur [F] [Y] pour un contrat à durée indéterminée du 12 octobre 2007, prenant effet le 5 novembre 2007, en qualité de Directeur de Programme, moyennant une rémunération annuelle de 71 500 € outre une prime d'objectif de 10 000 €. Monsieur [Y] bénéficiait également d'un véhicule de fonction, d'un téléphone et d'un ordinateur portable.
La Société ESPACE 2 a fait l'objet d'un plan de sauvegarde, suivant un jugement du Tribunal de Commerce de PARIS en date du 4 mars 2009.
Maître [B] ayant été désigné mandataire judiciaire et Maître [E], Administrateur.
Par courrier RAR du 10 février 2009, la société ESPACE 2 a convoqué Monsieur [F] [Y] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé au 18 février 2009.
Au cours de cet entretien lui furent remis les documents relatifs a la convention de reclassement personnalisée, que le salarié accepta.
Son contrat de travail fut donc rompu d'un commun accord à l'issue du délai de réflexion de14 jours, soit le 4 mars 2009.
Monsieur [F] [Y] a également fait l'objet d'un licenciement pour motif économique contemporain.
Par ordonnance sur requête en date du 17 mars 2010, le Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS a désigné Maître [H] [F] avec pour mission de se rendre aux sièges sociaux respectifs des sociétés PACTIM et GIPHIM (créées pour les besoins de l'activité de Messieurs [O] et [Y]), et chez Madame [U], propriétaire indivis d'un terrain à bâtir situé [Adresse 3], avec pour mission, en substance :
- De se faire remettre les pièces et documents permettant de révéler les conditions de négociation du projet EIFFEL HORIZON,
- Se faire remettre tous documents et pièces y compris données informatiques relatifs aux dossiers de l'opération de construction ' vente de l'immeuble situé [Adresse 3] (').
Le Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS a également autorisé l'Huissier désigné à réaliser des actes de saisie réelle des fichiers ESPACE 2 et à faire sommation interpellative à Monsieur [C] [O], Monsieur [F] [Y] et Madame [Q] [U] de fournir des réponses quant aux négociations et à la conclusion de la vente de l'immeuble situé [Adresse 3].
Maître [H] [F] a exécuté sa mission le 30 avril 2010 et dressé un procès-verbal de constat daté du même jour, ainsi qu'un constat complémentaire du 29 mai 2010.
Il a été sollicité la rétractation de l'ordonnance qui a été rejetée par ordonnance du 16 juin 2010, laquelle a en outre mis hors de cause Maître [B], Maître [E], es-qualité, la société ARIE PROMOTION et Maître [F] qui avaient été mis en cause .
Par arrêt du 8 février 2011,la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions et condamné in solidum la SCI [Adresse 4], la société GIPHIM, Monsieur [C] [O] et Monsieur [F] [Y] aux entiers dépens .
Les anciens salariés ont saisi le Tribunal de Commerce, par assignation du 8 juin 2010, en vue d'obtenir une expertise judiciaire visant à se faire remettre par la société ESPACE 2, Maîtres [B] et [E] es qualité, et la société ARIE PROMOTION « tous documents de nature à éclairer le tribunal sur la consistance des programmes en cours de commercialisation » ainsi que « les chiffres d'affaires réalisés par l'une ou l'autre société dans le cadre des prestations de commercialisation des programmes de promotion au cours des exercices 2008, 2009 et 2010 » .
Par ordonnance du Tribunal de Commerce du 26 novembre 2010, le juge des référés a débouté les requérants de leur demande d'expertise et fait droit aux demandes reconventionnelles de la société ESPACE 2, en condamnant les anciens salariés à lui restituer, sous astreinte, « l'intégralité des documents papier, des fichiers informatiques en leur possession et appartenant à la société ESPACE 2 et notamment l'original du disque dur de marque WESTERN DIGITAL, portant le n° WMAS 1090777 », et en les condamnant au paiement d'une somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile .
Les défendeurs ont relevé appel de cette ordonnance le 10 décembre 2010. La procédure après avoir été interrompue pour défaut de diligence de ces derniers, a repris sur assignation de la société ESPACE 2.
La Cour d'APPEL de PARIS a rendu son arrêt le 17 janvier 2013 aux termes duquel elle a :
- déclaré irrecevable la demande de désignation d'un expert formée par les appelants,
- confirmé la décision du Tribunal de commerce, sauf en ce qu'elle a ordonné la restitution du disque dur, la cour ayant estimé que cette demande ne relevait pas du juge des référés compte tenu du désaccord des parties sur la propriété de ce disque dur.
- Condamné les appelants à payer à la société ESPACE 2 une indemnité de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile ainsi qu'aux dépens .
Compte tenu de la vente de l'intégralité des lots appartenant à la SCI 69 SELLIER, et dès lors que la société ESPACE 2 justifiait d'une créance fondée en son principe, les juges de l'exécution de Paris et de Nanterre ont autorisé la société ESPACE 2 à prendre diverses mesures conservatoires à l'encontre des débiteurs, pour sûreté de sa créance, ce qui a été confirmé par deux ordonnances des 13 novembre 2012 et 28 janvier 2013 .
Ces décisions ont fait l'objet d'un recours devant les Cour d'appel de PARIS et VERSAILLES, lesquels ont abouti à une mainlevée partielle des mesures prises par arrêts des 23 mai et 28 novembre 2013.
Par acte du 6 octobre 2011, la société ESPACE 2 assigné au fond Messieurs [O] et [Y], ainsi que les sociétés PACTIM, GIPHIM, SCI 69 SELLIER, maîtres de l'ouvrage de l'opération, pour obtenir la réparation des préjudices subis du fait des agissements présentés comme déloyaux des défendeurs.
Messieurs [O] et [Y] ont soulevé l'incompétence du Tribunal de Grande Instance de PARIS au profit du Conseil de Prud hommes, sur le fondement de l'article L 1411-1 du Code du Travail.
Par ordonnance du 23 novembre 2012, le juge de la mise en état a constaté que le litige opposant la société ESPACE 2 à Monsieur [C] [O] et à [F] Monsieur [Y] relèvait de la compétence exclusive du Conseil de Prud'hommes de Paris et sursit à statuer sur les demandes formées par la société ESPACE 2 à l'encontre des sociétés GIPHIM, PACTIM et de la SCI 69 SELLIER jusqu'à l'intervention de la décision prud'homale.
Cette ordonnance a été confirmée par la Cour d'appel de Paris le 18 février 2014.
C'est dans ces conditions que l'affaire a été renvoyée au Conseil de Prud'hommes et a donné lieu au jugement du 24 novembre 2015, dont Messieurs [O] et [Y] ont relevé appel.
La cour est régulièrement saisie de l'appel interjeté par Monsieur [F] [Y] du jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Paris le 24 novembre 2015, qui a :
« - Dit que Messieurs [F] [Y] et [C] [O] n'ont pas respecté les articles 15, 16 et 18 de leur contrat de travail,
Les a condamnés à verser à la SA ESPACE 2, au titre du coût salarial :
' Pour Monsieur [C] [O] : 269 755 €
' Pour Monsieur [F] [Y] : 232 022 €, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, jusqu'au jour du paiement,
ainsi que de la somme de 1 000 € chacun au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Débouté la SA ESPACE 2 du surplus de ses demandes,
Débouté les défendeurs de leurs demandes reconventionnelles et les a condamnés au paiement des dépens. »
Vu les conclusions en date du 15 janvier 2019, au soutien de ses observations orales, par lesquelles Monsieur [F] [Y] demande à la cour de :
Vu notamment l'article 1383-2 du Code Civil,
Constater l'irrecevabilité des demandes de la société ESPACE 2 sur le fondement de la responsabilité contractuelle en raison des déclarations faites par la société ESPACE 2 à l'audience du 13 février 2018 avec toutes conséquences de droit,
Déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par Monsieur [F] [Y],
Réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclarer mal fondée la société ESPACE 2 en l'ensemble de ses demandes,
L'en débouter,
A titre subsidiaire, et à supposer par impossible que la Cour constate l'existence de fautes lourdes témoignant d'une intention de nuire du salarié, désigner avant dire droit tel expert judiciaire qu'il plaira à la Cour de désigner avec mission de donner à la Cour tous éléments comptables et financiers permettant de chiffrer le préjudice allégué par l'employeur.
Surseoir à statuer dans l'attente de la fin de la mission d'expertise,
A titre infiniment subsidiaire, ramener les demandes de remboursement de salaires de l'employeur à de plus justes proportions.
Rappeler que l'hypothèque provisoire prise par la société ESPACE 2 sur l'immeuble appartenant en partie à Monsieur [Y] et situé [Adresse 5] devra être levée dès le prononcé de l'arrêt à intervenir et au plus tard dans les 8 jours de sa notification aux frais de la société ESPACE 2.
Rappeler que le nantissement provisoire des parts sociales détenues par Monsieur [Y] dans le capital de la société PACTIM devra être levé dès le prononcé de l'arrêt et au plus tard dans les 8 jours de sa notification aux frais de la société ESPACE 2.
Condamner la société ESPACE 2 au versement d'une indemnité de 25 000 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'en tous les dépens,
Vu les observations orales en date du 15 janvier 2019, au soutien de ses observations orales, par lesquelles la société Espace 2 demande à la cour de :
Vu les articles 1134, 1147 et suivant anciens du Code Civil
Vu l'article L 1222-1 du Code du travail
DECLARER recevable la société ESPACE 2 en ses demandes,
DIRE ET JUGER que Monsieur [F] [Y] a manqué lourdement à ses obligations contractuelles de loyauté et d'exclusivité à l'égard de la société ESPACE 2, de façon à engager sa responsabilité pécuniaire ;
Subsidiairement,
Vu l'article 1382 ancien du Code civil,
DIRE et JUGER que la responsabilité délictuelle de Monsieur [F] [Y] est engagée au titre des actes de concurrence déloyale perpétrés au préjudice de la société ESPACE 2 ;
En conséquence,
CONFIRMER le jugement prononcé le 24 novembre 2015 en ce qu'il a condamné Monsieur [F] [Y] à verser à la Société ESPACE 2 une indemnité de 232.022 € avec intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement jusqu'au paiement ainsi qu'une paiement d'une somme
de 1.000 € chacun au titre de l'article 700, outre les entiers dépens ;
RECEVOIR la Société ESPACE 2 en son appel incident ;
Ajoutant à la décision de première instance,
1. A titre principal,
CONDAMNER Monsieur [F] [Y] à payer à la société ESPACE 2 :
- Au titre de la perte de marge commerciale : 878.691 € (1 757 383 € /2)
A titre subsidiaire, si la Cour estime que le préjudice doit s'analyser en une perte de chance de n'avoir pu réaliser l'opération, il conviendra de retenir un pourcentage d'au moins 80 % de cette somme soit 702.953 €;
- Au titre des honoraires de gestion et de commercialisation : 538.595 € (1 077 191 €/2) constituant une perte de marge complémentaire;
Subsidiairement, Monsieur [F] [Y] sera au minimum condamné au paiement d'une somme de 276.564 € (553 129 €/2) représentant la moitié des honoraires de gestion et de commercialisation figurant sur la propre balance financière de la SCI 69 SELLIER.
2. Subsidiairement :
CONDAMNER Monsieur [F] [Y] à payer à la société ESPACE 2 une indemnité correspondant à l'enrichissement dont il a indûment bénéficié à savoir :
- 389 103 € au titre de sa participation dans le capital des sociétés SCI 69 SELLIER et PACTIM.
- 232 022 € à titre de dommages et intérêts correspondant au coût salarial de Monsieur [Y]
dépensés en pure perte par la société ESPACE 2 alors qu'il travaillait pour son propre compte.
En tout état de cause,
CONDAMNER Monsieur [F] [Y], à payer à la société ESPACE 2 la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;
CONDAMNER Monsieur [F] [Y], à payer à la société ESPACE 2 la somme de 2.753 € (5 506,18 €/2) au titre des frais de constat ;
L'affaire a été plaidée à l'audience du 15 janvier 2019 date à laquelle les parties ont été informées de la mise en délibéré de l'affaire au 27 février 2019 par mise a disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant, en premier lieu, qu'il n'y a pas lieu de prononcer la jonction des dossiers de Monsieur [Y] ( RG 16 5252 ) et de Monsieur [O] ( RG 16 5247 ) s'agissant de situation différentes pour les deux salariés ;
I. Sur les demandes au titre de la responsabilité de Monsieur [Y] :
Considérant qu'à titre principal, la responsabilité de Monsieur [Y] est recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle (article 1134 et 1147 et suivants anciens du Code Civil), et subsidiairement sur le fondement délictuel (article 1382 et 1383 anciens du Code Civil);
Considérant cependant , sur le terrain contractuel, qu'aucune faute n'est établie à l'encontre du salarié ; que Monsieur [Y] qui savait son avenir professionnel délicat était fondé à créer sa propre entreprise, le contract de travail ne comportant par ailleurs aucune clause de non concurrence ;
Que le salarié établit que la société ESPACE 2 connaissait avant son licenciement le projet immobilier EIFFEL HORIZON ;
Qu'en l'espèce, il n'est démontré aucune faute lourde imputable au salarié emportant le remboursement des salaires versés au salarié durant l'exécution du contrat de travail ;
Que par ailleurs, la société ESPACE 2 ne démontre aucun préjudice à elle causé par Monsieur [Y] ;
Que , sur le fondement délictuel, force est de constater que l'employeur n'établit :
- aucun détournement de clientèle,
- aucune confusions entre l'entreprise créée par le salarié et la sienne;
- aucun débauchage de personnel;
- aucun dénigrement ;
- aucune manoeuvre à caractère déloyal ;
Qu'en conséquence, le jugement sera infirmé ;
II : Sur les autres demandes :
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS :
Déclare recevable l'appel interjeté par Monsieur [F] [Y] ;
Rejette la demande de jonction ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déboute la société ESPACE 2 de l'ensemble de ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société ESPACE 2 aux dépens .
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT