RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 19 MARS 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/01977 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2RYJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Novembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F15/02419
APPELANT
Monsieur [S] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Sophie ETCHEGOYEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1227
INTIMÉE
SA LA CIGALE SA
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Janvier 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Denis ARDISSON, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, présidente
Monsieur Denis ARDISSON, président
Monsieur Didier MALINOSKY, vice-président placé
Greffier, lors des débats : Mme Caroline GAUTIER
ARRET :
- Contradictoire
- Mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- Signé par Madame Anne HARTMANN, présidente, et par Mme Nadia TRIKI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La société La Cigale, qui exploite avec dix salariés une salle de concert et de spectacle, a embauché M. [S] [Z] le 1ère novembre 1988 en qualité d'intermittent du spectacle, puis en 1990 en qualité de régisseur général et enfin, selon un contrat du 1er octobre 2010 à durée indéterminée et suivant un forfait jour annuel de 217 jours, en qualité de directeur technique et responsable de l'accueil, en dernier lieu, pour une rémunération mensuelle fixe de 5.385 euros bruts avec application de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012.
Le 25 avril 2013, M. [S] [Z] a réclamé le bénéfice d'un congé individuel de formation qu'il a exécuté dans le cadre d'une formation commencée le 7 octobre 2013, prise en charge par l'Assurance formation des activités du spectacle et qui s'est terminée le 25 juin 2014. Le 26 juin suivant, M. [S] [Z] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 15 septembre 2014 puis a pris ses congés payés du 15 septembre au 7 octobre 2014. A la suite de sa déclaration médicale d'aptitude à la reprise du travail, M. [S] [Z] a réintégré l'entreprise le 6 octobre 2014 et depuis le 10 octobre 2014, il est en arrêt de travail.
M. [S] [Z] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris qui le 10 mars 2015 a convoqué la société La Cigale pour entendre prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et pour réclamer sa condamnation à lui verser, au principal, au titre du rappel de salaires : 56 786,95 euros, au titre des congés payés afférents : 5.678,69 euros, au titre de l'indemnité destinée à compenser le préjudice du fait de la privation du bénéfice des repos compensateurs : 26.130,34 euros, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 25.391,29 euros, à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle :66.928,40 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 230.000,00 euros, à titre d'indemnité pour violation de l'obligation de sécurité résultat : 50.782,59 euros, au titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 50.782,59 euros, les frais irrépétibles ainsi que la remise de l'attestation de travail destinée au Pôle emploi, le solde de tout compte et le certificat de travail.
Vu le jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 25 novembre 2016 qui a :
- dit n'y avoir lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail,
- débouté M. [S] [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société La Cigale de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,
- condamné M. [S] [Z] aux entiers dépens;
Vu l'appel interjeté le 27 janvier 2017 par M. [S] [Z] ;
* *
Vu les conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 13 décembre 2018 pour M. [S] [Z] afin de voir, en application de l'article 1184 du code civil :
- constater que la société La Cigale s'est rendue coupable de manquements particulièrement graves à l'égard de M. [S] [Z],
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S] [Z] aux torts exclusifs de la société La Cigale à la date du 16 juin 2016,
- fixer à titre principal, le salaire de référence de M. [S] [Z] à la somme de 8.463,765 euros, et à titre subsidiaire, à la somme de 5.385,60 euros,
- dire à titre principal que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
- dire à titre subsidiaire que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner solidairement (sic) la société La Cigale à verser à M. [S] [Z] :
56.786,95 euros à titre de rappel de salaire outre 5.678,69 euros à titre de congés payés afférents,
26.130,34 euros à titre de dommages et intérêts du fait de la privation des repos compensateurs,
50.782,59 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
50.782,59 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité résultat,
25.391,29 euros à titre d'indemnité de préavis outre 539,13 euros à titre de congés payés afférents,
72.647,316 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
230.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul ou licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
50.782,59 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité résultat,
16.156,80 euros à titre d'indemnité de préavis, outre1.615,68 euros à titre de congés payés afférents,
46.587,38 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
150.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul ou licenciement sans cause réelle et sérieuse,
en tout état de cause,
- condamner la société à payer 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner la délivrance de bulletins de salaires conforme aux salaires sous astreinte,
- assortir les condamnations qui seront prononcées des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil,
- assortir de l'exécution provisoire l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la société La Cigale en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile (sic),
- condamner la société La Cigale aux entiers dépens de l'instance, y compris les frais éventuels d'exécution ;
Vu les conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 7 janvier 2019 pour la société La Cigale en vue de voir :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [S] [Z] de l'ensemble de ses demandes,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- condamner M. [S] [Z] à titre reconventionnel, à régler à la société la Cigale :
10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] [Z] aux entiers dépens ;
* *
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
1. Sur la validité et l'abus du forfait jour
Pour prétendre au paiement de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents, de l'indemnité de repos non pris et de dommages-intérêts pour travail dissimulé de novembre 2012 à octobre 2013, M. [S] [Z] conclut, en premier lieu, à la nullité du forfait de 217 jours en ce qu'il stipule à son contrat du 1er octobre 2010 que 'le forfait annuel est convenu pour une durée d'un an à compter de la prise d'effet du contrat de travail et il est renouvelable par tacite reconduction d'année en année', et en soutenant que ce forfait devait être soumis chaque année au salarié ainsi que cela résulterait de l'article 27.5 de la convention collective nationale de la branche chanson, variétés, jazz musiques actuelles du 30 avril 2003 qui disposait que 'Le forfait en jours est nécessairement annuel. Il est convenu pour une durée de 1 an renouvelable, dès la prise d'effet du contrat de travail ou de l'avenant qui le prévoit ; en conséquence, un contrat à durée déterminée conclu de date à date pour une durée inférieure à 1 an ne peut pas inclure une convention de forfait en jours'.
Au demeurant, il ne s'évince pas des termes de cette convention la condition que lui prête le salarié, la clause de renouvellement tacite du forfait n'étant par ailleurs pas contraire au droit commun du contrat de travail, et tandis que la convention collective nationale qui est substituée à la convention du 30 avril 2003 adoptée pour les entreprises du secteur privé du spectacle vivant entrée en vigueur le 1er juillet 2013 dispose en son article 8.11 que 'le recours au forfait en jours nécessite l'accord exprès de chaque salarié concerné. En conséquence, la mise en 'uvre d'une convention de forfait en jours doit résulter d'un écrit, c'est-à-dire d'une clause expresse figurant dans le contrat de travail ou dans un avenant à celui-ci', il en résulte que le moyen manque en droit et doit être écarté.
En second lieu, M. [S] [Z] prétend établir la preuve de l'abus de l'employeur dans le dépassement du forfait de 217 heures en se prévalant, d'une part, de la liste des tâches qu'il avait la charge d'exécuter, d'autre part, des plannings des concerts et des représentations ainsi que des témoignages de personnes ayant travaillé avec lui, et enfin, de tableaux qu'il a établis pour récapituler ses horaires de travail faisant apparaître sa disponibilité exceptionnelle et le dépassement du forfait jour.
Toutefois, les indications de ces courriels comme le contenu général des attestations ne permettent pas de déduire le dépassement horaire de travail dans la journée, la semaine ou le mois correspondant, et la reconstitution unilatérale, plus de deux ans après l'exécution du contrat de travail ne saurait être retenue outre ou contre les horaires constitués mensuellement par l'employeur au fur et à mesure et sur la base de l'état des horaires exécutés et déclarés par le salarié lui-même, de sorte que le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a écarté cette prétention et les demandes subséquentes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, des repos compensateurs et à titre d'indemnité pour travail dissimulé.
2. Sur les causes de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et les demandes subséquentes
Pour conclure à la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur alléguée sur fond de harcèlement moral et de violation de l'obligation de sécurité de résultat dont il soutient avoir été la victime, M. [S] [Z] se prévaut de la dégradation de son état de santé attesté par ses arrêts maladie qui se sont succédé depuis octobre 2014 ainsi que de son hospitalisation dans un établissement psychiatrique, et dont les liens avec ses conditions de travail sont attestés par le docteur [C] dans un certificat médical du 23 décembre 2014 qui indique que '[son état psychique] semble en lien direct avec un syndrome post traumatique lié au travail'.
M. [S] [Z] fait ainsi grief à l'employeur, en premier lieu, de l'absence de paiements des heures supplémentaires accomplies ainsi que la surcharge de travail qui en est résultée avant son départ dans le cadre de son congé individuel de formation. Au demeurant, le moyen est écarté au point 1. ci-dessus, et au surplus, ainsi que le relève la société La Cigale dans ses conclusions, cette allégation est tardive pour servir d'appréciation à la résiliation d'un contrat de travail qui s'est ultérieurement poursuivi, la cour relevant, de surcroît, que cette période a été suivie d'une formation de neuf mois, puis de congés et d'arrêt maladie de quatre mois.
M. [S] [Z] oppose, en deuxième lieu, que depuis le retour de sa formation, il a été évincé de son travail dont les tâches étaient réparties au profit de trois autres régisseurs embauchés par contrat d'usage, l'absence de fourniture de tout travail par l'employeur ainsi que sa mise à l'écart des réunions techniques qui entraient dans ses attributions et l'accueil 'glacial' qui lui a été réservé, l'employeur ayant décidé de ne rien changer à l'organisation du travail et ayant arrêté son intention de voir partir M. [S] [Z], ainsi que l'un de ses collègues de travail le lui avait indiqué alors qu'il était en période de formation, l'employeur ayant provoqué la rupture conventionnelle de son contrat de travail. Cependant, les quelques courriels échangés entre M. [S] [Z] et l'employeur à l'occasion de la reprise de son activité dans l'entreprise n'établissent pas la réalité de pressions exercées pour son départ, la longue liste des doléances que M. [S] [Z] a dressées dans un courriel qu'il a transmis à l'employeur le 6 novembre 2014 n'étant pas de nature à suppléer la preuve du grief. Le surplus des allégations reposant sur de simples affirmations ou sur la réponse, pondérée, que l'employeur a apportée au courriel du 6 novembre dans lequel de M. [S] [Z] le mettait en cause, ne sont pas davantage de nature à caractériser des manquements suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
En troisième lieu, M. [S] [Z] se prévaut des retards de l'employeur dans les déclarations de salaire et dans les paiements des indemnités journalières versées par l'assureur de maladie Ciprès en mai, juin et octobre 2015. Néanmoins, l'employeur n'est pas utilement contesté dans les lettres (pièces n°40) qu'il a systématiquement adressées à l'assureur pour le versement des indemnités ainsi que dans la preuve de la célérité avec laquelle il a reversées celles-ci au salarié (pièce n°38), de sorte que là encore, le moyen manque en fait.
Les premiers juges seront en conséquence confirmés en ce qu'ils ont écarté la demande de rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, et ont en outre écarté tout manquement de ce dernier à son obligation de sécurité résultat, alors que la reprise du travail de M. [S] [Z] était précédée de la constatation de son aptitude et que dans les quatre jours qui ont suivi, aucun manquement de l'employeur n'est caractérisé avant que M. [S] [Z] ne soit à nouveau placé en arrêt maladie.
3. Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive, les frais irrépétibles et les dépens
La société La Cigale n'établit pas plus que devant les premiers juges que le droit d'agir de M. [S] [Z] a dégénéré en abus, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement qui a écarté la demande de dommages et intérêts présentée à ce titre.
Par ailleurs, M. [S] [Z] succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens. En cause d'appel, il est équitable de le condamner aux dépens et de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [S] [Z] aux dépens ;
Laisse à chacune des parties, la charge des frais qu'elle a exposé sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La Greffière Le Président