Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 11
ARRÊT DU 24 MAI 2019
(n°146, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/06858 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B27JO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 15/12055
APPELANTE
SA CICOBAIL
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 722 004 355
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065
Ayant pour avocat plaidant Me Laurence TURPIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R036 substituant Me Jacques SENTEX, avocat au barreau de PARIS, toque : R036
INTIMÉE
SCI L'ENSEIGNE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 491 473 591
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Alexandre SUAY de l'AARPI DELVOLVÉ PONIATOWSKI SUAY ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0542
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Mars 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de la chambre
Mme Françoise BEL, Président de chambre
Mme Agnès COCHET-MARCADE, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Michèle LIS SCHAAL, Présidente de la chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Cicobail est une société anonyme accordant des crédits-baux.
La société l'Enseigne est une société civile immobilière. Ses associés sont la société Loëndal et la société Gyptis, également gérante de la société l'Enseigne. M. [R] [B] [K] est gérant de la société Gyptis.
Par acte authentique du 31 octobre 2006, la société Cicobail a accordé à la société l'Enseigne un crédit bail immobilier pour l'acquisition de différents locaux à usage commercial, pour un montant de 3.3 millions d'euros et une durée de 15 ans.
L'article 5 du contrat prévoyait que le loyer trimestriel de crédit-bail comprenait une part de remboursement en capital et une part d'intérêts résultant de l'application à l'encours financier avant amortissement d'un coefficient indexé sur l'Euribor 3 mois, avec possibilité pour le crédit-preneur à l'issue de la première année à taux révisable, de demander la consolidation du taux pendant des périodes de 3, 4 ou 5 ans, la consolidation s'effectuant sur le taux redevenu variable après chaque période consolidée.
Le 19 mai 2015, la société l'Enseigne estimant que la société Cicobail avait unilatéralement modifié le taux d'intérêt applicable en juillet 2007, l'a mise en demeure de lui restituer la somme de 516.376,52 € au titre des loyers indus.
Par acte du 4 août 2015, la société l'Enseigne a fait assigner la société Cicobail devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de la voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamner à lui payer la somme de 634.271,62 € au titre des intérêts indûment perçus, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de lui voir ordonner, sous astreinte, d'appliquer pour le futur le taux conventionnel.
Par jugement du 3 mars 2017, le tribunal de grande instance de Paris a condamné la société Cicobail à payer à la société l'Enseigne la somme de 475.900,87 € correspondant à la différence entre les loyers payés et les loyers au taux conventionnel du 4 août 2010 au 30 avril 2016, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2015, a ordonné à la société Cicobail de calculer les loyers postérieurs au 30 avril 2016 suivant le taux conventionnel, a rejeté toute autre demande et condamné la société Cicobail à payer à la société L'Enseigne la somme de 2.500 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a considéré que la société Cicobail ne démontrant pas que la lettre du 1er avril 2007 signée de M. JF [S] demandant la consolidation du taux engageait valablement la société l'Enseigne, celle-ci ne pouvait se prévaloir d'une acceptation par cette dernière de la modification du taux d'intérêt du contrat de crédit-bail, relevant en outre que s'agissant d'une modification du contrat elle devait donner lieu à un avenant en application de l'acte en cause.
Le tribunal a en revanche considéré prescrite l'action en répétition de l'indu pour les échéances antérieures au 4 août 2010, l'assignation introductive d'instance datant du 4 août 2015.
La société Cicobail a relevé appel de la décision le 29 mars 2017.
Prétentions et moyens des parties
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 15 septembre 2017 par la société Cicobail, aux fins de voir la cour :
infirmer la décision entreprise ;
Statuant à nouveau :
débouter la SCI l'Enseigne de sa demande à toutes fins qu'elle comporte ;
subsidiairement, dire et juger que la différence entre les loyers payés et les loyers au taux conventionnel pour la période du 1er novembre 2010 au 30 avril 2016 ne saurait, en tout état de cause, excéder 453.568,22 € ;
En tout état de cause,
débouter la SCI l'Enseigne de toutes ses demandes,
condamner la SCI l'Enseigne à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
La société Cicobail fait valoir, en substance, que les accords conclus en 2007 ont été souscrits soit par M. [S], soit par Mme [D] avec qui elle était en relation constante, étant son seul interlocuteur juridique dont elle recevait des instructions au niveau de la gestion de l'ensemble des dossiers de financements, cette dernière se présentant au nom du 'service financier' du 'groupe [K]-[S]' ce qui rendait légitime sa croyance en ses pouvoirs selon la théorie du mandat apparent. Elle précise qu'une simple modification de taux ne nécessitait pas un avenant contractuel. Elle considère que l'exécution sans difficulté notable du contrat par le paiement des factures pendant 7 années ne fait que confirmer la réalité de cet accord.
Subsidiairement, elle fait valoir que le tribunal a fait une juste application des dispositions de l'article 2224 du code civil sur la prescription, mais conteste le quantum qui ne tient pas compte du différé d'amortissement d'un mois consenti en juillet 2007, du paiement dû terme à échoir, du recadrage par trimestre civil prévu et effectué le 1er Janvier 2007, des reports d'échéance demandés et consentis, de la référence qui doit être l'Euribor de début de période moins deux mois. Procédant à un nouveau calcul, elle aboutit pour le différentiel du 1er novembre 2010 au 30 avril 2016 à un montant de 453.568,22 € au lien de 475.900,87 €.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 31 juillet 2017 par la société l'Enseigne aux fins de voir la cour :
confirmer le jugement rendu le 3 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Paris, sauf en ce qu'il a dit que l'action en répétition de l'indu est prescrite pour les échéances antérieures au 4 août 2010 et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation sous astreinte au titre de la fixation des échéances de loyer à intervenir,
Et statuant à nouveau,
condamner la société Cicobail à lui payer la somme de 653.003,25 € correspondant à la différence entre les loyers payés et les loyers au taux conventionnel entre le 1er juillet 2007 et le 30 avril 2017, outre les intérêts au taux légal calculés à compter du 19 mai 2015, date de la lettre de mise en demeure,
A titre subsidiaire,
condamner la société Cicobail à lui payer la somme de 520.803,03 € correspondant à la différence entre les loyers payés et les loyers au taux conventionnel entre le 4 août 2010 et le 30 avril 2017, outre les intérêts au taux légal calculés à compter du 19 mai 2015, date de la lettre de mise en demeure,
En tout état de cause,
ordonner à la société Cicobail de facturer les loyers à venir suivant le taux d'intérêt conventionnel de l'article 5 des conditions particulières du contrat de crédit-bail et ce, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard,
condamner la société Cicobail à lui payer la somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
La société l'Enseigne soutient qu'elle n'a pas valablement consenti à la modification du taux prévu au contrat, seul son gérant, la société Gyptis, étant habilité à l'engager vis à vis des tiers en application de l'article 1849 du code civil et de ses statuts, que ce gérant n'ayant jamais consenti à cette consolidation effectuée en 2007, celle-ci est donc nulle et lui est inopposable.
Elle soutient que la société SGC n'avait aucun pouvoir de l'engager, que la société Cicobail n'avait aucune légitimité à croire que cette société était son mandataire, les relations avec Mme [D] du service financier de la société SGC et non d'une soit-disant groupe et concernant d'autres sociétés étant inopérante, la société SGC ayant une activité de mandataire en gestion immobilière et ayant assuré pour elle uniquement la gestion locative des immeubles dont elle était propriétaire, ce que la société Cicobail savait parfaitement ainsi qu'il résulte d'un courrier de sa part daté du 22 juin 2015, la mandat apparent étant par ailleurs exclu en matière de gestion immobilière. Elle ajoute que la société Cicobail devait vérifier que l'accord donné à la modification du contrat l'était par une personne habilitée à la représenter.
Elle expose ensuite que le contrat ne prévoyait pas la possibilité de consolidation la première année, et qu'une telle dérogation au contrat nécessitait un avenant.
Elle soutient que compte-tenu de l'absence de caractère immédiatement apparent de l'erreur de taux, et de la complexité des calculs du crédit-bail, la prescription n'a pu commencer à courir qu'à la date où un audit approfondi lui a permis de se rendre compte de l'erreur au cours du mois d'avril 2014.
Elle fait valoir que la société Cicobail ne s'est pas exécutée sur la rectification du taux, et qu'il convient donc de prononcer une astreinte sur ce point.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur le consentement de la SCI L'Enseigne à la consolidation du taux d'intérêt
La SCI L'Enseigne a par acte authentique du 31 octobre 2006 conclu avec la société Cicobail un contrat de crédit-bail immobilier d'une durée de 15 ans concernant l'acquisition de différents locaux à usage commercial.
L'article 5 des conditions particulières dudit contrat prévoit un taux révisable et la possibilité pour le crédit-preneur de demander la consolidation du taux d'intérêt à l'issue de la première année. Il n'est pas contesté que la société Cicobail a mis en oeuvre à compter du 1er avril 2007 la consolidation en taux fixe du contrat de crédit-bail.
La SCI L'Enseigne dénie tout consentement à la consolidation du taux d'intérêt, cette consolidation n'ayant pas été approuvée par son gérant, la société Cicobail se prévalant pour sa part d'un mandat apparent de M. [S] et de Mme [D].
S'il ressort des éléments versés au débat par la société Cicobail que celle-ci était en relation avec Mme [D] pour la gestion des contrats de crédit-bail de différentes SCI dont la SCI L'Enseigne, Mme [D] se présentant tantôt comme faisant partie du service financier du 'groupe JFTorres' notamment dans le courriel du 2 mars 2007 par lequel elle sollicitait de la société Cicobail des informations sur 'les nouvelles conditions des dossiers .... SCI L'Enseigne', ou comme faisant partie de la SCI L'Enseigne ainsi qu'il ressort de la lettre adressée à la société Cicobail le 22 mars 2007 rédigée à l'en-tête de cette SCI et par laquelle Mme [D], signant pour le gérant, demandait un report des échéances du prêt en cause du 1er au 25 de chaque trimestre, il n'en demeure pas moins que l'accord sur la consolidation en taux fixe dont se prévaut la société Cicobail, n'émane pas de Mme [D] mais d'une lettre datée du 19 janvier 2007 à en-tête, non de la SCI L'Enseigne, mais d'une société Financière de Lerins signée de M. [S], entité avec laquelle la société Cicobail ne démontre pas avoir été auparavant en relation comme agissant au nom et pour le compte de la SCI L'Enseigne. La circonstance à supposer démontrée que ces sociétés appartiennent au 'groupe JFTorres' est inopérante, ces entités ayant une personnalité juridique distincte.
Aussi, la société Cicobail ne peut invoquer avoir cru de bonne foi que la société Financière de Lerins représentée par M. [S], agissait en vertu d'un mandat de la SCI L'Enseigne et dans les limites de ce mandat.
En raison de l'absence totale de consentement de la SCI L'Enseigne, la consolidation du taux d'intérêt du crédit-bail ne peut être considérée comme valable et la société Cicobail ne peut arguer utilement de la ratification d'un mandat par la SCI en raison du règlement pendant plusieurs années des loyers.
Il convient en conséquence, ainsi que l'a pertinemment retenu le tribunal, de dire que la société Cicobail ne peut se prévaloir de la modification du taux d'intérêt du contrat de crédit-bail acceptée le 19 janvier 2007. Le jugement déféré est en conséquence confirmé sur ce point.
Sur la restitution de l'indu
Selon les dispositions de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
La SCI L'Enseigne réclame le remboursement de la totalité du trop perçu par la société Cicobail à compter du mois d'avril 2007 aux motifs qu'elle n'a pris connaissance de la consolidation en taux fixe qu'au cours du mois d'avril 2014 à l'occasion d'un audit.
Néanmoins, la SCI L'Enseigne a acquitté régulièrement les loyers au taux consolidé et ne démontre pas qu'elle a été dans l'incapacité de s'apercevoir plus tôt de cette modification alors que la société Cicobail l'a informée par lettre du 31 mai 2007 envoyée à l'adresse qui était celle de son siège social au moment de la conclusion de l'acte authentique du 31 octobre 2006, qu'à la suite de la consolidation à taux fixe de ses loyers, elle avait procédé à la régularisation informatique de son dossier et qu'en outre, Mme [D] qui se présentait indistinctement à la société Cicobail comme agissant en qualité de 'service financier' du 'groupe JFTorres' ou de la SCI L'Enseigne s'est par courriel du 20 octobre 2008 renseignée sur la durée de la consolidation pour une période de 3, 4 ou 5 ans selon les stipulations de l'acte du 30 octobre 2006.
En conséquence par l'effet de la prescription, le crédit-preneur ne peut contester le jeu de la consolidation du taux d'intérêt plus de cinq ans avant sa demande en date du 4 août 2015, soit pour les échéances antérieures au 4 août 2010.
Selon les calculs fournis par les parties, la SCI L'Enseigne reprenant les calculs de la société Cicobail, entre les échéances du 1er novembre 2010 et celle du 30 avril 2016 l'écart des loyers indexés s'élèvent à la somme de 453.568,22 €. Il n'est pas contesté par la société Cicobail qu'elle a continué à appliquer le taux d'intérêt consolidé après le 30 avril 2016 ce malgré l'injonction du tribunal de calculer les loyers postérieurs suivant le taux conventionnel déterminé par l'article 5 des conditions particulières du contrat de crédit-bail. L'écart des loyers indexés est de 67.234,81 € pour la période du 1er mai 2016 au 30 avril 2017.
En conséquence, il y a lieu de condamner la société Cicobail à restituer à la SCI L'Enseigne la somme de 520.803,03 € avec intérêt au taux légal à compter du 19 mai 2015 date de la mise en demeure, sur la somme de 409.406,90 € selon prorata des sommes dues au jour de cette mise en demeure.
Il est également enjoint à la société Cicobail, sous astreinte, selon les modalités prévues au dispositif, de calculer les loyers postérieurs suivant le taux conventionnel déterminé par l'article 5 des conditions particulières du contrat de crédit-bail.
Sur les autres demandes
Partie perdante, la société Cicobail est condamnée aux dépens et à payer à la SCI L'Enseigne, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 5.000 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant de la somme à payer par le société Cicobail à la SCI L'Enseigne au titre de la différence des loyers payés et en ce qu'il a rejeté la demande d'injonction sous astreinte de la SCI L'enseigne au titre de la fixation des échéances de loyer à intervenir ,
Et statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la société Cicobail à payer à la SCI L'Enseigne la somme de 520.803,03 € correspondant à la différence entre les loyers payés et les loyers au taux conventionnel entre le 4 août 2010 et le 30 avril 2017, avec intérêt au taux légal à compter du 19 mai 2015 date de la mise en demeure sur la somme de 409.406,90 €,
Fait injonction à la société Cicobail de calculer les loyers à compter du 30 avril 2017 suivant le taux d'intérêt conventionnel déterminé à l'article 5 des conditions particulières du contrat de crédit-bail du 31 octobre 2006 ce dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et sous astreinte provisoire passé ce délai de 100 € par jour de retard pendant trois mois à l'expiration desquels il pourra à nouveau être statué,
Réserve à cette juridiction le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Cicobail à payer à la SCI L'Enseigne la somme de 5.000 €,
Condamne la société Cicobail aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT