Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 28 MAI 2019
(n° 255 , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03659 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2V7Z
Décision déférée à la Cour : sentence du 10 Juillet 2015 rendu par le tribunal arbitral composé de MM. Train et Amkhan Bayno, arbitres, ainsi que de M. Karrer, président
APPELANTES
Société INTERNATIONAL EXHIBITS HOLDING APS
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1] (DANEMARK)
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Claire HABIBI substituant Me Arnaud PICARD, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J001
Société UEG EXHIBITS GROUP ADM APS
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1] (DANEMARK)
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Claire HABIBI substituant Me Arnaud PICARD, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J001
IRAQ CULTURAL PROJECT ORGANISATION
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2] (IRAQ)
représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018
assistée de Me Claire HABIBI substituant Me Arnaud PICARD, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J001
DÉFENDEURS AU RECOURS :
THE MINISTRY OF CULTURE OF THE REPUBLIC OF IRAQ agissant en la personne de Monsieur [N] F. [W]
[Adresse 2]
[Adresse 2] (IRAK)
représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat postulant du barreau de PARIS, toque: D2090
assisté de Me Arnaud ALBOU substituant Me AMIR-ASLANI avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : L38
THE MINISTRY OF CULTURE OF THE REPUBLIC OF IRAQ
[Adresse 2]
[Adresse 2] (IRAQ)
représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat postulant du barreau de PARIS, toque: D2090
assisté de Me Arnaud ALBOU substituant Me AMIR-ASLANI avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : L38
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 avril 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dominique GUIHAL, présidente de chambre
Mme Anne BEAUVOIS, présidente
M. Jean LECAROZ, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Dominique GUIHAL, présidente de chambre et par Mélanie PATE, greffière présente lors du prononcé.
La société de droit danois United Exhibits Group Holding (UEG Holding), ainsi que la société de droit irakien en cours de constitution Iraq Cultural Project Organisation (ICPO) dont le capital devait être détenu à hauteur de 90 % par une société holding danoise et à concurrence de 10 % par l'Etat irakien, ont conclu le 20 juillet 2004 avec le ministre de la Culture d'Irak un contrat portant sur l'organisation d'une exposition internationale itinérante des artefacts provenant du site archéologique de Nimroud.
Plusieurs avenants sont intervenus relativement à l'organisation d'une exposition préliminaire à Bagdad, puis sur un report du calendrier et sur l'indemnisation en cas d'annulation.
La société holding danoise a été constituée le 30 novembre 2004 par UEG Holding avec deux autres investisseurs sous le nom d'International Exhibits Holding APS (IEH) et a souscrit le capital de la société irakienne ICPO.
Le 19 décembre 2006, UEG Holding a déposé le bilan et elle a été liquidée en janvier 2011.
Le 29 mai 2009, M. [B], président d'UEG Holding, a créé une nouvelle société dénommée UEG ADM APS (UEG ADM).
Le ministère de la culture irakien n'a jamais mis à disposition les artefacts et le 30 octobre 2011 a prononcé l'annulation du contrat du 20 juillet 2004.
IEH , UEG ADM et ICPO ont engagé une procédure d'arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce internationale en application de la clause compromissoire stipulée par cette convention.
Par une sentence rendue à Paris le 10 juillet 2015, le tribunal arbitral composé de MM. Train et Amkhan Bayno, arbitres, ainsi que de M. Karrer, président :
- s'est déclaré incompétent à l'égard d'IEH et d'UEG ADM,
- s'est déclaré compétent à l'égard d'ICPO et du ministère de la culture,
- a rejeté la demande d'indemnité de 90.379.341 USD formée par ICPO en retenant la force majeure,
- a rejeté la demande reconventionnelle de 7.000.000 USD du ministère de la Culture,
- a partagé les frais d'arbitrage.
Le 15 février 2017 IEH, UEG ADM et ICPO ont déposé un recours contre cette sentence.
Par des conclusions notifiées le 28 février 2019, elles en sollicitent l'annulation en faisant valoir que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré incompétent à l'égard des deux premières et que la sentence qui méconnaît le principe d'égalité des armes et qui a été obtenue par des fraudes du ministère de la Culture destinées à accréditer la thèse de la force majeure viole l'ordre public international. Elles demandent que les prétentions du défendeur soient rejetées, qu'il soit condamné à payer les frais de l'arbitrage, soit la somme de 3.124.873,05 euros, ainsi que 20.000 euros à chacune d'elles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions notifiées le 26 mars 2019, le ministère de la Culture demande à la cour de rejeter les prétentions des recourantes et de les condamner in solidum au paiement de la somme de 45.000 euros en application de l'articles 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI :
Sur le moyen tiré de ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort incompétent à l'égard d'IEH et d'UEG ADM (article 1520, 1° du code de procédure civile) :
Les recourantes exposent, en premier lieu, que le contrat du 20 juillet 2004 prévoyait à la charge de la société holding danoise, à savoir IEH, l'obligation de créer la société irakienne ICPO et de la financer, afin de permettre la production de l'exposition, de sorte qu'IEH était bien partie à cette convention. Elles soutiennent, en second lieu, qu'IEH a effectivement financé le projet, conformément aux prévisions contractuelles, et que le ministère de la Culture avait connaissance de cette exécution matérielle du contrat et l'approuvait. Elles font valoir, en troisième lieu, que le fait que l'article 8.2 du contrat permette à ICPO de céder les droits et obligations découlant du contrat à la société Holding danoise, sans avoir à solliciter l'accord du ministère de la Culture ni même à l'avertir traduit le fait que la société hoding danoise (i.e. IEH) jouerait un rôle majeur dans l'exécution du projet, à savoir en assurer le financement, mais également exercer un pouvoir de direction sur ICPO. En quatrième lieu, les recourantes font valoir que par acte du 27 février 2005, UEG Holding a transféré tous ses droits et obligations à IEH tout en continuant à participer activement à l'exposition, ce qui a donné à IEH la qualité de partie. Elles invoquent, en cinquième lieu, la théorie du groupe de sociétés. Elles allèguent qu'IEH et UEG ADM, qui font partie du groupe UEG, étant intervenues volontairement dans la procédure arbitrale, les arbitres auraient dû de ce seul fait se déclarer compétents à leur égard, qu'au demeurant, le ministère de la Culture a contracté avec le groupe UEG dont les diverses entités étaient interchangeables à ses yeux. Enfin, les recourantes soutiennent que le ministère de la Culture a accepté en connaissance de cause entre 2009 et 2011 de négocier un règlement amiable avec UEG ADM et que c'est d'ailleurs à cette dernière qu'elle a envoyé sa lettre de résiliation.
Le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage et d'en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres;
Les branches du moyen concernant IEH :
En premier lieu, le contrat du 20 juillet 2004 a été conclu entre, d'une part, le ministère irakien de la Culture (MdC) et, d'autre part, ICPO (en cours de constitution) conjointement avec United Exhibits Group Holding A/S, n° CVR 12086997, Sundkrogsgade 30, Copenhague (UEGH). Il a été signé par le ministre irakien de la culture et par M.[B] pour ICPO en cours de constitution et pour UEG Holding.
Après la désignation des parties, le contrat énonce :
'Considérant qu'ICPO doit être constituée en société à responsabilité limitée appartenant aux Associés suivants :
(1)Le MdC, et
(2)Une société de Holding Danoise détenue à parts égales par les actionnaires suivants : UEGH, le Fonds danois d'industrialisation pour les Pays en Développement et un groupe d'investisseurs privés.
Considérant qu'ICPO a été constituée avec les priorités et les objectifs suivants :
Objectif 1 : Développer, produire, distribuer et présenter l'exposition itinérante internationale provisoirement intitulée 'Gold of Nimrud - Hidden Treasures of Iraq' (dénommée ci-après L'exposition); et
Objectif 2 : Constituer des ressources afin de donner à ICPO la possibilité de participer activement, sur une base commerciale, et de contribuer à la réhabilitation des infrastructures culturelles d'Irak tout en faisant connaître l'importance du patrimoine culturel d'Irak à un public international.'
La constitution et le financement d'IEH et d'ICPO sont présentés dans un préambule et ne sont pas repris dans le corps des articles. Cet exposé préliminaire est un rappel de l'environnement des relations contractuelles qui n'a pour effet, ni de créer des obligations en vertu du contrat, ni de faire d'IEH une partie au contrat.
Au demeurant, IEH a finalement été constituée sur une base différente de ce qui était envisagé dans ce préambule puisque le capital a été souscrit, en trois parts égales, par UEG Holding et par deux investisseurs privés, les sociétés danoises RHL Holding ApS et MEKA APS (pacte d'actionnaires du 21 février 2005, pièce UEG n° 32).
En deuxième lieu, les recourantes soutiennent que les fonds procurés par la souscription du capital d'IEH et par les lignes de crédit mises à sa disposition par ses actionnaires ont permis à ICPO de disposer de 7.500.000 USD au moyen desquels elle a payé les frais de reproduction de la salle du trône du palais de Nimroud par une société tierce, engagé des frais de conception du design et de la documentation de l'exposition, mandaté des intermédiaires pour la mise en place des assurances, la recherche des sponsors ou encore la logistique. Elles ajoutent qu'à l'issue d'un voyage en Europe une délégation irakienne a approuvé l'état d'avancement des travaux.
Toutefois, le contrat du 20 juillet 2004 portait sur l'organisation de l'exposition des artefacts issus des fouilles de Nimroud dans douze musées à travers le monde sur une période de cinq ans entre mars 2005 et mars 2010. Il prévoyait qu'ICPO/UEG Holding étaient chargées du transport, de l'assurance et de la sécurité des objets et que le ministère de la Culture devait mettre les artefacts à disposition moyennant une commission de 500.000 USD pour chacun des sites d'exposition, ainsi que la remise à la fin du prêt de tous les éléments de scénographie, des dessins et modèles, et tous supports d'enregistrement et de documentation se rapportant aux expositions. Le contrat avait ainsi pour objet la réalisation matérielle de l'opération, non le montant et les modalités de son financement. La circonstance qu'IEH, ait servi de véhicule financier entre ses trois associés et ICPO n'a pas fait participer IEH à l'exécution du contrat du 20 juillet 2004 et n'a pas eu pour effet de faire d'IEH une partie à ce contrat. Le fait que des sommes aient commencé à être engagées par ICPO pour l'exécution du contrat avec les fonds procurés par IEH ne change rien à cette analyse, peu important que ces premières diligences aient recueilli l'approbation du ministère de la Culture.
En troisième lieu, IEH se prévaut de l'article 8.2 du contrat aux termes duquel :
'Le présent Accord ne peut pas être cédé, en tout ou partie, par une Partie sans l'approbation écrite préalable des autres Parties. Toutefois, les Parties conviennent du fait qu'ICPO peut céder ses droits et obligations au titre du présent Accord à la Société Holding Danoise qui détient la majorité des actions d'ICPO et en est donc l'actionnaire majoritaire.'
Contrairement à ce que soutient IEH, cette stipulation n'a pas pour effet de faire d'elle une partie au contrat aussi longtemps que la cession n'intervient pas, ce qui ne s'est pas produit puisqu'ICPO était elle-même demanderesse à l'arbitrage et qu'elle est recourante contre la sentence.
Quant à l'acte du 27 février 2005 par lequel UEG Holding a transféré tous ses droits et obligations en vertu du contrat à IEH, il est dépourvu de toute portée, conformément à l'article 8.2 précité, faute d'avoir été approuvé par les autres parties.
Les branches du moyen communes à IEH et UEG ADM :
IEH et UEG ADM invoquent le principe selon lequel l'effet de la clause d'arbitrage international contenue dans un contrat s'étend aux parties directement impliquées dans l'exécution de celui-ci.
En premier lieu, contrairement à ce que prétendent les recourantes, le seul fait qu'IEH et UEG ADM se soient spontanément présentées comme demanderesses à l'arbitrage ne suffit pas à en faire des parties à la convention d'arbitrage, pas plus que le fait qu'elles aient admis leur qualité de défenderesses reconventionnelles sur la demande subsidiaire d'indemnité formée par l'Irak au cas où le tribunal arbitral passerait outre son exception d'incompétence.
En deuxième lieu, les recourantes soutiennent que l'intention du ministère de la Culture était de contracter indistinctement avec le 'groupe UEG' et non spécifiquement avec l'une ou l'autre société de ce groupe, le seul interlocuteur qui importait à ses yeux, au-delà des différentes formes sociales, étant M. [B], président d'UEG. Elles se prévalent en ce sens de procès-verbaux de réunions ainsi que d'échanges de correspondances qui visent le 'Groupe United Exhibits' ou encore 'UEG/ICPO'. Elles font encore valoir qu'une autre société du groupe, United Exhibits II A/S, a été expressément visée par le contrat de 2004 (article 2.10) comme participant à l'exécution de ce contrat en tant que distributeur exclusif des reproductions d'artefacts, ce qui renforce la thèse d'un contrat passé avec un groupe plutôt qu'avec une société.
Toutefois, il n'est nullement démontré que le ministère de la Culture ait considéré IEH, dont UEG Holding n'est actionnaire qu'à hauteur du tiers et qui apparaît de façon distincte dans le contrat de 2004 en tant que 'Société Holding Danoise', comme faisant partie d'un 'groupe UEG'.
En ce qui concerne UEG ADM, elle a été créée le 29 mai 2009 par M. [B] à la suite du dépôt de bilan en décembre 2006 d'UEG Holding et de United Exhibits II ultérieurement liquidées en janvier 2011.
Contrairement à ce que prétend UEG ADM, il ne résulte d'aucune pièce du dossier que le ministère de la Culture ait été informé de la liquidation d'UEG Holding. Le seul élément produit par les recourantes (pièce n° 2) est une présentation intitulée 'Les tombes dorées d'Irak, les trésors de Nimroud' à laquelle est annexée une chronologie d'activités de 2004 à 2012 dont rien ne permet de savoir si elle a été effectivement remise à la partie irakienne. Au demeurant, ce document mentionne la 'dissolution' du prestataire United Exhibits II et indique qu'une nouvelle société UEG ApS reprend ses missions. Il ne fait aucune allusion à la faillite d'UEG Holding.
Dans la suite des relations l'ambiguïté a été entretenue. Un compte rendu a été dressé le 29 septembre 2011 de réunions tenues du 25 au 29 septembre 2011 entre le ministère irakien de la culture et 'UEG/ICPO' pour tenter d'obtenir la remise des artefacts ou le versement de la somme de 15.000.000 USD prévue par l'addendum n° 4 au bénéfice d'UEG Holding en cas de résiliation du contrat de 2004. L'interlocuteur du ministère est toujours désigné comme 'UEG/ICPO', mais à la dernière page sous l'indication 'pour UEG/ICPO' est apposé un cachet rond : 'UEG-UEG ADM APS Frederiksberggade, 15, 3 DK-1459 CPHK' (pièce recourantes n° 14). Les recourantes en déduisent abusivement que le ministère de la Culture savait qu'UEG ADM venait aux droits d'UEG Holding et qu'il avait accepté de négocier avec elle en cette qualité.
De la même façon, UEG ADM prétend qu'elle a été destinataire de la lettre du 30 octobre 2011 annulant le contrat (pièce recourantes n° 15). En réalité, il s'agit d'un courriel destiné à UEG ApS envoyé à l'adresse teit@ueg.dk. Si UEG ADM soutient que ce courriel lui était nécessairement destiné puisque UEG Holding n'existait plus, cette déduction n'a de sens que si le ministère de la Culture avait alors connaissance de cette disparition, ce qu'il conteste et qui n'est pas établi. Quant au courrier envoyé le 6 mars 2013 par l'Ambassade de la République d'Irak à la société UEG ADM, il se prévaut précisément de ce que cette société n'était pas constituée à la date du contrat de 2004 pour déclarer que ce contrat est caduc.
Le fait qu'UEG ADM, constituée dans des conditions peu explicites après la faillite d'UEG Holding et de United Exhibits II, se soit, sous couvert de la proximité de dénominations entre l'ancienne et la nouvelle société, imposée dans les relations avec le ministère de la Culture, sans informer celui-ci de la liquidation d'UEG Holding, ne peut lui conférer la qualité de partie au contrat ni à la clause compromissoire.
Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le tribunal arbitral se serait à tort déclaré incompétent à l'égard de IEH et de UEG ADM n'est pas fondé.
Sur le moyen tiré de la violation de l'ordre public international (article 1520, 5° du code de procédure civile) :
Les recourantes font valoir, en premier lieu, que le tribunal arbitral n'a pas respecté l'égalité de traitement entre les parties, d'une part, en ce qu'il a accordé au ministère de la Culture des délais pour conclure très supérieurs à ceux dont elles-mêmes ont bénéficié, et spécialement, accepté la présentation tardive d'un moyen tiré de la force majeure sur lequel est précisément fondée la sentence, d'autre part, en ce qu'il n'a pas rendu de sentence partielle sur la compétence alors qu'il avait annoncé son intention de le faire, enfin, en ce qu'il a clôturé hâtivement la procédure sans leur permettre de s'exprimer une dernière fois.
Les recourantes soutiennent, en second lieu, que la sentence repose sur de fausses déclarations et des témoignages biaisés produits par le ministère de la Culture.
Sur le moyen pris en sa première branche :
Le principe d'égalité des armes implique que chaque partie ait la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse.
La procédure arbitrale a été engagée le 21 décembre 2012. Jusqu'en septembre 2013 le ministère de la Culture a été défaillant de sorte que c'est la Cour d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale qui a nommé le second arbitre et approuvé l'acte de mission. Par la suite, le défendeur a, quoiqu'avec retard, versé la provision séparée. Si des délais successifs lui ont été accordés pour soumettre ses écritures et ses pièces, ces décisions étaient justifiées par la nécessité d'accorder à un Etat désorganisé par des années de guerre et toujours en proie aux désordres, les moyens d'assurer effectivement sa défense contre des parties qui n'étaient pas exposées à de telles tribulations. Le tribunal arbitral relève à cet égard que 'il est bien connu que, début juin 2014, des extrémistes sunnites ont pris le contrôle du nord-ouest de l'Irak, y compris Mossoul, et que même Bagdad a paru menacée' (sentence, § 442). Il rappelle qu'en juin 2014, le ministère a demandé un délai supplémentaire de deux mois pour déposer sa réponse sur le quantum de la demande principale en faisant valoir qu'en raison de la situation catastrophique en Irak, il avait perdu tout contact avec ses avocats et qu'il envisageait même de quitter Bagdad pour Bassorah (sentence, § 115)
En premier lieu, les recourantes font valoir qu'elles n'ont disposé que de deux mois et demi après la première conférence sur la gestion de la procédure du 4 juin 2013 pour déposer leur mémoire en demande alors que le ministère de la Culture avait bénéficié d'un délai de cinq mois à compter de la réception de ce mémoire (14 août 2013). Toutefois, les demanderesses à l'arbitrage, ayant pris l'initiative de la procédure, ont en réalité bénéficié d'un délai de huit mois entre le dépôt de la requête et celui de leur mémoire.
En deuxième lieu, les recourantes font valoir qu'elles n'ont disposé que d'un mois pour répondre à l'exception d'incompétence soulevée par le défendeur dans son mémoire du 14 janvier 2014. Elles n'allèguent pas, toutefois, qu'elles auraient demandé un délai supplémentaire qui ne leur aurait pas été accordé.
En troisième lieu, après avoir annoncé dans le calendrier de procédure modifié du 17 décembre 2013 qu'il rendrait une sentence partielle sur la compétence en avril 2014, le tribunal arbitral s'en est finalement abstenu et a statué sur la compétence dans la sentence finale. Contrairement à ce que prétendent les recourantes, cette décision qui s'imposait de la même manière à toutes les parties, ne créait aucune inégalité entre elles.
En quatrième lieu, les recourantes soutiennent que le ministère de la Culture n'aurait invoqué le moyen tiré de la force majeure - qui a emporté la décision du tribunal arbitral - que dans des conclusions du 19 septembre 2014, alors que la clôture devait intervenir le 24 février 2015. En réalité, la question de la possibilité de sortir les artefacts des coffres de la Banque centrale compte tenu du contexte sécuritaire de l'Irak (y compris l'allégation d'une amélioration de la situation entre 2007 et 2011), était au centre des débats et avait notamment été développée par les recourantes dès leur mémoire du 30 mai 2014 (sentence, § 109, (c)). Ce mémoire était accompagné de rapports factuels sur l'amélioration de la situation en Irak de 2006 à 2011, établi par le Groupe Leshekovna le 9 août 2012, ainsi que de déclarations de témoins portant précisément sur ce point, en particulier celle de M. [R], militaire américain auquel les recourantes envisageaient de confier la sécurité de l'opération (sentence, § 110 et 111). Au demeurant, après le mémoire du défendeur du 19 septembre 2014, les recourantes ont répondu dans un mémoire du 13 octobre 2014, et, de nouveau, dans des conclusions post-audience du 23 février 2015 portant sur des questions juridiques et, spécialement, sur les caractères de la force majeure en droit danois.
En dernier lieu, les recourantes font valoir qu'il était prévu dans le calendrier du 12 février 2015 qu'elles pourraient déposer un ultime mémoire en réplique sur la demande indemnitaire du ministère, mais que le président du tribunal arbitral avait décidé inopinément par un courrier du 24 avril 2015 de clôturer à cette date la procédure relative à la demande reconventionnelle et de dispenser les recourantes de leur dernier mémoire. Toutefois, la demande reconventionnelle ayant été intégralement rejetée, les recourantes ne démontrent pas que le tribunal arbitral, qui s'estimait suffisamment éclairé après les précédents échanges de mémoires, aurait méconnu le principe d'égalité de traitement en les dispensant d'ultimes explications qu'elles ont d'ailleurs, en réalité, déposées.
Il résulte de ce qui précède que le moyen, en ce qu'il allègue une atteinte au principe d'égalité des armes, doit être écarté.
Sur le moyen pris en sa seconde branche :
Les recourantes soutiennent que la sentence viole l'ordre public international en ce qu'elle repose sur de fausses déclarations et des témoignages biaisés.
La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.
Il appartient au juge de l'annulation d'examiner l'ensemble des circonstances susceptibles de caractériser la fraude alléguée, sans que puisse être utilement opposé le moyen tiré de la prohibition de la révision au fond des sentences, dès lors que la contestation porte précisément sur l'altération, par les manoeuvres d'une partie, de l'appréciation des faits à laquelle se sont livrés les arbitres.
En premier lieu, les recourantes prétendent que le ministère de la Culture n'a pas répondu à l'allégation selon laquelle la dilapidation du trésor était le motif véritable de sa non représentation et que le tribunal arbitral, en acceptant la thèse de la force majeure, avait fondé sa sentence sur une explication contraire à la réalité. Le tribunal arbitral auquel ce moyen a été soumis n'a pas estimé nécessaire de procéder à des mesures d'instruction complémentaires. Sa décision n'a donc nullement été surprise sur ce point.
En deuxième lieu, les recourantes font valoir que le ministère de la Culture a présenté la route qui relie le centre de Bagdad à l'aéroport comme exposée à des bombardements incessants et surnommée 'la route de la mort', alors qu'il résulte d'une note du ministère des Finances du 5 janvier 2017, que cette route avait été employée sans interruption depuis 2003 pour les transferts de devises de la Banque centrale vers ses succursales à travers le pays ainsi que vers les autorités locales. Il apparaît, toutefois, que le tribunal arbitral a fondé sa décision non pas sur l'impossibilité d'assurer la sécurité d'un transport direct du trésor depuis la Banque centrale jusqu'à l'aéroport, mais sur celle d'assurer cette sécurité pendant toutes les opérations de restauration et d'exposition des artefacts en Irak (sentence, § 444, 445 et 456), de sorte que les informations contenues dans la note invoquée par les recourantes - établie, au demeurant, plusieurs années après l'arbitrage et obtenue dans des conditions qui ne paraissent pas très claires -, n'auraient pas été de nature à affecter l'appréciation du tribunal arbitral.
En troisième lieu, les recourantes prétendent que le ministère de la Culture aurait fait pression sur deux témoins irakiens afin qu'ils reviennent sur leurs attestations initiales : M. [O] [K], directeur de la Bibliothèque et des Archives nationales irakiennes et Mme [M] [V], archéologue et conseillère du ministère de la Culture. Elles font valoir que le premier, dans un courriel envoyé le 8 mai 2014 à Mme [V] [E], et la seconde dans une attestation établie le 19 mai 2014, avaient tous deux exposé que le refus d'exécuter le contrat de 2004 ne s'expliquait pas seulement par la situation en matière de sécurité mais surtout par l'instabilité politique, le manque d'intérêt pour l'exposition, la crainte des accusations de corruption (pièces recourantes n°s 152 et 168).
Toutefois, l'accusation de pressions sur Mme [V] n'est aucunement étayée. Il n'apparaît pas du reste que ce témoin ait été entendu par le tribunal arbitral qui n'a eu connaissance que de son attestation initiale et qui l'a relativisée en soulignant que l'intéressée, même si elle se rendait régulièrement à Bagdad, résidait, en réalité à Londres (sentence, § 470).
En ce qui concerne M. [K], il a établi le 3 octobre 2014 une attestation devant les avocats du ministère de la Culture (pièce défendeur n° 45) dans lequel il expose que le courriel qu'il a envoyé à Mme [E] avait été obtenu dans des conditions contestables, en lui dissimulant le fait que cette pièce serait utilisée dans un procès contre le ministère de la Culture. M. [K] explique qu'il avait eu le sentiment en 2004 que le refus du ministère de prêter les artefacts pour des motifs de sécurité était exagéré, qu'il pensait que le trésor serait plus en sécurité à l'étranger qu'en Irak, que toutefois, il n'avait pas été associé de manière étroite au projet, qu'il ignorait, en particulier, que l'exposition itinérante devait être précédée d'une présentation en Irak, et il reconnaît que cet aspect du programme était incompatible avec l'insécurité qui régnait en Irak.
Le tribunal arbitral était parfaitement éclairé sur le fait que le courriel du 8 mai 2014 avait été envoyé à une personne, Mme [E], qui travaillait pour UEG, tandis que le témoignage du 3 octobre 2014 avait été recueilli par les conseils du ministère de la Culture. Les arbitres étaient donc en mesure de se faire leur propre opinion sur les différences entre ces deux documents. Au demeurant, ce ne sont pas les explications données par M. [K] sur les mobiles du ministère de la Culture qui ont retenu l'attention du tribunal, mais le blog tenu par l'intéressé de décembre 2006 à juillet 2007, document contemporain des faits, non altéré pour les besoins de la cause et qui, selon les termes de la sentence, 'décrit de manière impressionnante les terribles conditions à Bagdad' (sentence, § 470). Lorsque les arbitres ajoutent : 'Sa crainte d'être incompris en Irak était palpable', ils font allusion à ce blog, et non pas à l'attestation établie par M. [K] le 3 octobre 2014.
En dernier lieu, les recourants allèguent que dans un article de presse publié le 20 décembre 2015 dans un journal irakien, ainsi que sur ses pages Facebook, le ministère de la culture a, en violation de son obligation de confidentialité, révélé le fait qu'il avait délibérément retardé l'arbitrage en raison de son manque d'arguments et non pas parce que la situation sécuritaire faisait obstacle à l'organisation de sa défense, ni, du reste, qu'elle empêchait l'exposition (pièces recourantes n° 83 et 85). Toutefois la violation éventuelle de l'engagement de confidentialité souscrite au moment de l'arbitrage n'est pas une cause d'annulation de la sentence. Pour le surplus les pièces incriminées par les recourantes sont des éléments de la communication publique du ministère de la Culture, dépourvus de toute précision, et qui, au surplus, ne contiennent aucunement, contrairement à ce que prétendent les recourantes, un aveu de duplicité des autorités irakiennes, lesquelles reconnaissent seulement qu'elles ont dû retarder le déroulement de l'arbitrage parce qu'au départ, elles manquaient de pièces pour étayer leur défense.
Par conséquent, le moyen, en ce qu'il allègue la fraude procédurale, n'est pas fondé.
Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de la violation de l'ordre public international doit être écarté et que le recours en annulation de la sentence doit être rejeté.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Les recourantes, qui succombent, ne sauraient bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et seront condamnées sur ce fondement à payer au ministère de la Culture la somme de 45.000 euros.
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation de la sentence rendue à Paris entre les parties le 10 juillet 2015.
Rejette les demandes des sociétés ICPO, IEH ApS et UEG ADM ApS.
Les condamne in solidum aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement au ministère de la Culture de la République d'Irak de la somme de 45.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE