Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20087 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6J5B
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2018 -Président du TGI de MEAUX - RG n° 18/541
APPELANT
Monsieur [D] [S]
Domicilié [Adresse 9]
[Localité 4]
Né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 5]
Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Représenté par M. Daniel ROUZAUD, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME
MADAME LA COMPTABLE DES FINANCES PUBLIQUES DU PÔLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DE SEINE ET MARNE
Ayant ses bureaux [Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Fabrice NORET, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Juin 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sylvie CASTERMANS, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société Courtage Negoce International, 'CNI', a été constituée sous forme de sarl au capital de 50 000 francs, le 21 mars 1997, à parts égales entre M. [D] [S] et M. [R] [J]. En 2004, les statuts ont été modifiés M. [S] est demeuré gérant à durée indéterminée de la société CNI.
Entre octobre 2006 et juin 2007, l'administration fiscale a effectué une vérification de comptabilité. Le 17 juillet 2007, l'administration fiscale a notifié à la société CNI une proposition de rectification, en modifiant la base de calcul et le montant de ses impositions.
L' administration a procédé à l'émission de deux avis de mise en recouvrement à l'encontre de la société CNI les 23 et 28 juillet 2008 pour un montant de 7 878 840 euros au titre de la TVA, l'impôt sur les sociétés, la contribution sur l'impôt sur les sociétés et de 93 601 euros au titre de la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés pour la période de 2003 à 2006.
Par jugement du 12 novembre 2007, la société CNI a été placée en redressement judiciaire.
L'administration fiscale a déclaré sa créance le 31 juillet 2008 pour un montant de 7 972 441 euros.
Par jugement du 05 octobre 2015, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la résolution du plan et placé la société CNI en liquidation judiciaire.
Statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, le président du tribunal de grande instance de Meaux,a par jugement du 05 juillet 2018 :
Rejeté les prétentions de M. [S] au titre de la tardiveté de l'action, de la prescription,
Condamné M. [S] solidairement avec la société CNI au paiement de la somme de 7 702 905,02 euros au titre des impositions, droits, taxes, pénalités éludés par la société, outre 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
M. [D] [S] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions signifées le 19 avril 2019, M. [S] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions,
- Déclarer irrecevable l'action de Madame la comptable des finances publiques pour les
motifs sus exposés, tant à raison de son caractère tardif au regard du délai raisonnable et
satisfaisant visé par les instructions et circulaires administratives que par suite de la prescription de celle-ci en application de l'article 2224 du code civil.
A titre subsidiaire,
- Juger que Madame la Comptable des Finances Publiques n'établit pas :
l'existence de man'uvres frauduleuses ou d'inobservations graves et répétées imputables à Monsieur [S].
- le lien de causalité entre le comportement de Monsieur [S] et l'impossibilité de recouvrer les impôts litigieux auprès de la société CNI.
- Juger mal fondée la demande de condamnation formulée à l'encontre de Monsieur [S] au visa de l'article L 267 du livre des procédures fiscales.
- Debouter madame la comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne de l'intégralité de ses demandes pour les motifs sus exposés.
- ordonner la mainlevée de l'inscription sur les biens suivants situés : [Adresse 8] et au [Adresse 7] - au [Adresse 6] »
- condamner madame la comptable des finances publiques à lui rembourser :
- la somme de 145 612 euros correspondant à la part lui revenant sur le prix de vente de l'immeuble de pissos (40)
- la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et tous les dépens.
Par conclusions signifées le 23 janvier 2019 , madame la comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne,
Débouter Monsieur [D] [S] de ses prétentions.
Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement du président du tribunal de grande instance de Meaux du 05 juillet 2018.
Y ajoutant,
Condamner Monsieur [D] [S] à. payer au comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé de Seineet Marne une somme de dix mille euros (10 000 euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d`appel en reconnaissant à Me Noret, Avocat, le droit de recouvrement direct de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur l'irrecevabilité de l'action en raison de sa tardiveté et de la prescription
M. [S] fait valoir que le délai satisfaisant doit s'inscrire à l'intérieur même du délai général de prescription, que le tribunal s'est abstenu de justifier sa décision par une motivation suffisante au regard des faits, que l'administration n'a pas agi dans un délai raisonnable.
Il soutient qu'il est évident que l'administration fiscale savait au plus tard le 1er juillet 2010, que la société CNI était dans l'incapacité d'exécuter le plan et dans l'impossibilité d'opérer le règlement d'une créance de 8 millions d'euros ; que ce n'est que le 15 novembre 2017, que l'administration fiscale a pris l'initiative de faire délivrer à M [D] [S] une assignation, soit plus de cinq ans après la connaissance du caractère irrecouvrable.
En réplique, l'administration considère qu'elle a agi dans des délais raisonnables ; elle rappelle que suite aux notifications des avis de mise en recouvrement, les créances ont été contestées, que la société CNI a porté la contestation devant le conseil d'état, lequel a rejeté les demandes le 19 novembre 2013 ; que par ailleurs, la société a fait l'objet d'une procédure de redressement en 2007, qu' un plan a été arrêté ; que le 1er juillet 2010 la société CNI a demandé une modification du plan qui a été refusée par décision du 26 juillet 2010 et que ce n'est qu'à compter du jugement du 05 octobre 2015 prononçant la liquidation judiciaire que le délai a commencé à courir.
Ceci étant exposé, le délai raisonnable s'apprécie au regard des circonstances de l'espèce. Pour engager la procédure de mise en cause du dirigeant au titre de l'article L.267 du livre des procédures fiscales, le délai raisonnable ne court que du jour où le comptable a connaissance de l'irrecouvrabilité de sa créance. Contrairement à ce qui est allégué le simple fait d'être informé d'une situation précaire ne suffit pas à caractériser un manquement de diligence dans les poursuites à entreprendre, encore faut-il que le créancier soit légalement autorisé à agir.
En l'espèce, la proposition de rectification de l'administration est intervenue en 2007, les avis de mise en recouvrement ont été mis en oeuvre le 16 juillet 2008. Ces créances étant contestées devant le conseil d'état, l'action de l'administration s'est trouvée paralysée jusqu'au 19 novembre 2013. Par jugement du 12 novembre 2007, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au profit de la société CNI et un plan de redressement a été arrêté le 02 février 2009 incluant la dette fiscale.
Le 1er juillet 2010 la société CNI a sollicité une modification du plan qui a été refusée par décision du 26 juillet 2010. Il s'en est suivi un recours qui a de nouveau paralysé l'action de l'administration. A compter du jugement du 27 octobre 2015, date à laquelle la liquidation judiciaire a été ouverte, l'administration le 07 décembre 2015, a déclaré, ses créances au passif, sans avoir pu diligenter préalablement des poursuites aux fins de recouvrement en raison de l'ouverture de la procédure collective.
Il résulte de la chronologie des faits susrelatée que le délai raisonnable n'a commencé à courir qu'à compter du jugement de liquidation judiciaire du 27 octobre 2015, date à laquelle l'administration a eu formellement connaissance du caractère irrécouvrable de sa créance. L'assignation de M. [S] étant intervenue le 15 novembre 2016 soit dans l'année du jugement d'ouverture de la liquidation, l'allégation de tardiveté n'est pas démontrée, quand bien même cette action a dû être réitérée à la suite de vices de procédure.
Il est également soulevé la prescription de l'action, or les créances fiscales ne sont pas atteintes par la prescription quadriennale dès lors que les procédures devant le conseil d'état ont suspendu la procédure et la déclaration de créances en ont interrompu le cours.
Sur le bien fondé des demandes
A titre subsidiaire, M. [S] fait valoir que Mme la comptable des finances publiques n'établit pas l'existence de man'uvres frauduleuses ou d'inobservations graves et répétées qui lui sont imputables ; que les deux conditions cumulatives doivent impérativement être réunies pour que le dirigeant soit déclaré solidairement responsable du paiement de la dette fiscale de la société ; que l'impossibilité de recouvrement, doit nécessairement résulter des manquements aux obligations fiscales graves et répétées ; que cette démonstration n'est pas rapportée.
En réplique, l'administration fait valoir que la vérification de la comptabilité a permis de constater que les prestataires et fournisseurs n'avaient pas les moyens de réaliser les prestations ou les livraisons facturées ; que le contrôle a démontré la facturation fictive ; que le lien de causalité entr les manoeuvres frauduleuses et l'impossibilité de recouvrement est caractérisé par la participation à un réseau de factures fictives avec diverses sociétés de M. [S] et de deux membres de sa famille.
Ceci exposé, M. [S] invoque un comportement irréprochable et une absence de preuve de l'existence d'une faute.
M. [S] étant dirigeant de droit de la société CNI, peut voir sa responsabilité solidaire poursuivie avec ladite société sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales. Il incombe à l'administration de démontrer que les man'uvres frauduleuses ou les inobservations imputables au dirigeant ont rendu impossible le recouvrement de l'impôt.
Il est de règle que l'absence de règlement spontané de l'impôt, au moment où il doit être acquitté, constitue une inobservation des obligations fiscales. Le caractère de gravité s'apprécie au regard des manquements. Le défaut de paiement de la TVA est considéré comme un manquement grave dans la mesure où l'entreprise redevable conserve dans sa trésorerie des fonds collectés destinées à être reversé au trésor.
En l'espèce, le contrôle opéré par l'administration fiscale a permis de déceler la mise en place d'une fausse facturation sur plusieurs années. Les manquements s'étant répétés sur une période de trois années, le contrôle a abouti à des rehaussements d'impôt sur les sociétés et de TVA sur la période 2003 à 2006.
La preuve des manquements graves et répétés est ainsi rapportée. Contrairement à ce qui est allégué par M. [S], l'administration démontre également,en versant aux débats les décisions du tribunal administratif et du conseil d'état, que la société CNI a été reconnue coupable des manoeuvres frauduleuses.
Dès lors, M. [S], en sa qualité de dirigeant de droit de la société, ne pouvait ignorer les man'uvres frauduleuses qui se déroulées sur la période de 2003 à 2006.
De plus, il résulte des développements qui précèdent que la proposition de rectification de l'administration, intervenue en 2007 et les avis de mise en recouvrement du 16 juillet 2008 n'ont pu être mis en oeuvre du fait des recours engagés par la société CNI, et de l'impossibilité pour l'administration d'exercer son droit de poursuite du fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire puis de l'adoption d'un plan au profit de la société CNI.
Le comptable du SIE de Meaux a déclaré les créances le 31 juillet 2008, puis le 07 décembre 2015. Le 23 juin 2017, le mandataire n'a versé au comptable public que la somme de 270 000 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire, sans aucun autre paiement. Il est ainsi avéré que la créance fiscale demeurera impayée par la société CNI.
Il s'ensuit que les diligences normales de l'administration ont été accomplies dans les délais et que le lien de causalité entre les inobservations répétées imputables au dirigeant et l'impossibilité de recouvrer les impôts litigieux auprès de la société CNI. est caractérisé. M. [S] sera débouté de l'ensemble de ses demandes. Le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions.
M. [D] [S], partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenu de supporter la charge des dépens
Il paraît équitable d'allouer à la comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
DÉBOUTE M. [D] [S] de toutes ses demandes ;
CONDAMNE M. [D] [S] à payer à Mme la comptable des finances publiques du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
LE CONDAMNE aux entiers dépens, qui seront recouvrés par Me Noret, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS