Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 23 SEPTEMBRE 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/20284 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6KRC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Juillet 2018 -Tribunal de Grande Instance de MELUN - RG n° 17/00587
APPELANTE
MADAME LA COMPTABLE DES FINANCES PUBLIQUES DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DE SEINE ET MARNE
Ayant ses bureaux [Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Dominique NARDEUX de la SELARL SAULNIER NARDEUX MALAGUTTI, avocat au barreau de MELUN
Représentée par Me Cécile ALFONSI, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU
INTIME
Monsieur [J] [V]
Domicilié [Adresse 3]
[Localité 4]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 5]
Représenté par Me Jérôme BOURICARD de la SCP FGB, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Juin 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sylvie CASTERMANS, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M [J] [V], était gérant de la sarl Bureau d'Assistance Technique (BAT) jusqu'à la liquidation judiciaire de la société le 27 octobre 2014.
Par acte d'huissier du 28 février 2017 madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne a assigné M. [V] sur le fondement de l'article L 267 du livre des procédures fiscales.
Par jugement du 31 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Melun a :
débouté madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne de ses demandes ;
débouté M. [J] [V] de sa demande de dommages et intérêts ;
condamné madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne au dépens.
Madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne a relevé appel de cette décision.
Par conclusions signifiées le 29 avril 2019, madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne demande à la cour de :
Infirmer le jugement déféré ;
Déclarer M [J] [V] solidairement responsable avec la sarl Bureau d'Assistance Technique (BAT) du paiement de la somme de 90 095 euros.
Condamner M [V] au paiement de cette somme ainsi qu'au paiement de celle de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions signifées le 6 février 2019, M [J] [V] demande à la cour de :
Confirmer la décision entreprise ;
A titre subsidiaire,
Ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal administratif de Melun concernant le renvoi préjudiciel qui sera porté à sa connaissance,
Reconventionnellement et statuant à nouveau,
Recevoir monsieur [J] [V] en son appel incident,
Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M [J] [V] de sa demande d'indemnisation,
Condamner madame la comptable publique du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi résultant de la saisie conservatoire sur ses comptes personnels et au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
SUR CE,
Sur le respect des délais
M. [V] soutient que le trésor public n'a pas agi dans un délai raisonnable ; que l'administration fiscale, a eu connaissance de l'impossibilité par la société BAT de payer sa créance dès 2014, suite à un avis détenteur qui a vidé le compte de la société.
En réplique, Madame la comptable publique du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne soutient que l'action a été engagée dans un délai raisonnable. Elle oppose que ce n'est qu'à compter de la connaissance de l'irrecouvrabilité de sa créance que court le délai raisonnable.
Ceci étant exposé,
La proposition de rectification est intervenue le 20 juin 2014 et l'avis de mise en recouvrement a été établi le 12 août 2014.
Le 29 septembre 2014, la société BAT a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, convertie le 27 octobre 2014 en liquidation judiciaire. L'ouverture d'une procédure collective a dès lors placé le comptable public dans l'impossibilité d'exercer son droit de poursuite. L'avis de mise en recouvrement a été notifié au mandataire judiciaire le 25 novembre 2014.
Aucun certificat d'irrecouvrabilité n'a été adressé par le mandataire à la comptable publique du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne, mais la consultation du site internet a fait apparaître une clôture du dossier pour insuffisance d'actif le 17 octobre 2016. A compter de cette information, l'administration fiscale a fait assigner le dirigeant en responsabilité solidaire, après autorisation, dès le mois de février 2017. Il apparaît en conséquence que l'administration fiscale justifie avoir agi dans un délai raisonnable. Il convient de confirmer le caractère satisfaisant du délai.
Sur le lien de causalité entre les manquements et l'impossibilité de recouvrer les créances
L'administration fiscale conteste la décision en ce qu'elle a retenu une absence de lien de causalité entre les manquements aux obligations fiscales et l'impossibilité de recouvrer les créances.
M. [V] reproche à l'administration de n'avoir intenté aucune action durant 2 ans, de n'avoir agi que quatre mois avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société BAT. Il soutient que l'absence de déclaration annuelle de TVA s'explique parce que la société ne fonctionnait plus en 2012-2013. Il ajoute qu'à compter du mois d'avril 2012, la société n'ayant perçu aucun revenu, le défaut de déclaration de TVA ne pouvait donc faire obstacle à un recouvrement.
Ceci exposé,
En matière fiscale, le contribuable est tenu de remplir spontanément ses obligations de déclaration. En cas d'omission de déclaration de taxe, il est susceptible de voir sa responsabilité engagée.
L'impossibilité de recouvrement s'apprécie au regard des difficultés rencontrées par le comptable public pour recouvrer les sommes dues.
Ainsi que l'a rappelé le tribunal, le manquement aux obligations fiscales doit être la cause exclusive de l'impossibilité de recouvrer sans que l'on puisse imputer au comptable public un défaut de diligences ou un retard dans la mise en oeuvre des diligences permettant le recouvrement de l'impôt.
L'article L. 267 du livre des procédures fiscales recommande au comptable d'engager l'action dans un délai satisfaisant.
En l'espèce, la société BAT n'a pas déposé ses déclarations au titre de la TVA pour les exercices couvrant les périodes octobre 2011 septembre 2012, octobre 2012 et septembre 2013. Il en résulte une impossibilité de recouvrement en lien direct avec ces manquements.
Une procédure de vérification de comptabilité de la société a été engagée le 17 juin 2014,concernant notamment la TVA portant sur la période allant d'octobre 2010 à septembre 2012. Au cours de la procédure de vérification de comptabilité de la société, le gérant , M. [V], n'a pas répondu aux demandes du vérificateur. Cette résistance a abouti à la rédaction d'un procès verbal d'opposition à contrôle fiscal et à la majoration prévue par les articles 1732 et 1746 du code général des impôts, le 5 septembre 2014.
La proposition de rectification a été notifiée le 20 juin 2014. Préalablement, l'administration fiscale a adressé deux mises en demeure de déposer ses déclarations annuelles de TVA le 16 mai 2014. La proposition de rectification est intervenue le 1er octobre 2014.
Les avis de mise en recouvrement ont été établis respectivement les 12 août et 25 novembre 2014.
Des actes de poursuites ont été dirigés contre la société BAT le 26 août 2014. A la suite des investigations menées, les avis à tiers détenteur, en date des 13 juin et 19 août 2014, sont restés infructueux. Les manquements au régime déclaratif ont ainsi été constatés avant la mise en oeuvre de la procédure de liquidation judiciaire, qui a été prononcé le 27 octobre 2014.
L'avis de mise en recouvrement établi le 25 novembre 2014, soit postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, s'inscrit dans une procédure de contrôle fiscal engagée antérieurement. Le délai de mise en oeuvre de la procédure de taxation ne peut être reproché à l'administration fiscale dans la mesure où elle dispose d'un délai de reprise de trois ans à compter de la date à laquelle la taxe est exigible et qu'elle n'a pas dépassé ce délai. Il s'ensuit que le défaut de diligences de l'administration n'est pas établi.
Les manquements de M. [V] sont antérieurs à l'ouverture de la procédure collective ,de sorte que le lien de causalité entre les manquements de M [V], gérant, aux obligations fiscales et l'irrecouvrabilité de la créance est démontré.
Sur la notion de gravité
M. [V] soutient que les manquements reprochés ne présentent pas le caractère de gravité exigé.
L'administration fiscale réplique qu'en matière de TVA le délit de gravité et de répétition est suffisamment constitué par le non dépôt des déclarations de TVA et de résultats sur deux années consécutives.
Ceci exposé,
Au sens de l'article L267 du livre des procédures fiscales, l'absence de déclaration de TVA constitue une inobservation grave et répétée des obligations fiscales dès lors que le défaut de déclaration de TVA, l'absence de paiement de cette taxe constituent un détournement des fonds collectés au profit de l'Etat.
En l'espèce, le caractère de gravité est suffisamment établi par la répétition de l'absence de déclarations, ayant contraint l'administration à procéder par voie de taxation d'office et par le montant des droits éludés sur les périodes 2010 - 2011 et 2011-2012.
Sur le sursis à statuer
M. [V] sollicite le sursis à statuer dans l'attente de la décision du tribunal administratif de Melun concernant le renvoi préjudiciel qui sera portée à sa connaissance, mais ne justifie pas de la saisine de la juridiction administrative, de sorte que sa demande ne peut prospérer.
Le jugement déféré sera donc infirmé. M [J] [V] sera déclaré solidairement responsable avec la sarl Bureau d'Assistance Technique (BAT) du paiement de la somme de 90 095 euros.
***
M [J] [V] partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenu de supporter la charge des entiers dépens
Il paraît équitable d'allouer à madame la comptable publique du pôle de recouvrement de Seine et Marne la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a jugé le délai d'action de l'administration fiscale raisonnable, infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE M [J] [V] solidairement responsable avec la sarl Bureau d'Assistance Technique (BAT) du paiement de la somme de 90 095 euros ;
LE CONDAMNE à payer ladite somme à madame la comptable publique du pôle de recouvrement spécialisé de Seine et Marne ;
CONDAMNE M [J] [V] au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M [J] [V] aux entiers dépens.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS