Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 24 SEPTEMBRE 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/02411 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B455N
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 juin 2015 rendu par le tribunal de grande instance de Paris qui a dit que Madame [Q] [I] était française, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 6 septembre 2016.
Par arrêt rendu le 29 novembre 2017, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris et a renvoyé les parties devant la cour de céans, autrement composée
APPELANT
LE MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de MADAME LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté à l'audience par Mme HONORAT, substitut général
INTIMEE
Madame [Q] [I] née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1] (Comores)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Laurent TOINETTE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 juin 2019, en audience publique, le ministère public et l'avocat de l'intimée ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne BEAUVOIS, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Anne BEAUVOIS, présidente
M. Jean LECAROZ, conseiller
Mme Sylvie CASTERMANS, conseillère, appelée à compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue le 7 janvier 2019 par Mme le premier président de la cour d'appel de Paris
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Anne BEAUVOIS, présidente et par Mélanie PATE, greffière
Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a assigné le 5 février 2013 devant ce tribunal Mme [Q] [I], née aux Comores, en annulation du certificat de nationalité qui lui avait été délivré le 17 novembre 1999 et en constatation de son extranéité.
Par jugement du 19 juin 2015, le tribunal de grande instance de Paris a dit que Mme [Q] [I], née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 2] (Comores), est de nationalité française.
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a interjeté appel de ce jugement et par arrêt rendu le 6 septembre 2016, la cour d'appel a confirmé le jugement.
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt rendu le 29 novembre 2017, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 septembre 2016 au visa de l'article 455 du code de procédure civile pour défaut de réponse aux conclusions du ministère public « qui contestait, pour la première fois en cause d'appel, la force probante du jugement comorien supplétif d'acte de naissance de Mme [I] argué de faux, du jugement comorien annulant l'acte de naissance n° 201 dressé le 2 juin 1984 qui aurait été obtenu par fraude, des actes de l'état civil dépourvus d'une légalisation valable et de l'acte de mariage des parents de l'intéressée dressé sur transcription d'un jugement supplétif jamais produit. »
Le 23 janvier 2018, la procureure générale près la cour d'appel de Paris a saisi cette cour désignée comme cour de renvoi.
Par arrêt du 5 février 2019 statuant sur déféré, la cour d'appel a confirmé l'ordonnance rendue par le magistrat chargé de la mise en état qui a rejeté la demande tendant à voir déclarer caduque la déclaration de saisine et déclaré recevable la saisine.
Par dernières conclusions notifiées le 17 mai 2019, le ministère public demande à la cour de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de constater l'extranéité de Mme [Q] [I] et d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2019, Mme [Q] [I] demande à la cour de confirmer le jugement du 19 juin 2015 en toutes ses dispositions, de débouter le ministère public de ses demandes et de laisser les dépens à la charge du Trésor public.
SUR QUOI :
Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile par la production du récépissé délivré le 27 février 2018.
En application de l'article 10 de la loi n° 75-560 du 3 juillet 1975 relative à l'indépendance du territoire des Comores, les Français de statut civil de droit local originaires de ce territoire pouvaient, lorsqu'ils avaient leur domicile en France, se faire reconnaître la nationalité française par déclaration souscrite dans les formes des articles 101 et suivants du code de la nationalité.
L'article 11 de cette loi prévoyait que ces déclarations produiraient effet à l'égard des enfants mineurs de dix-huit ans du déclarant dans les conditions prévues à l'article 84 du code de la nationalité. Ce dernier texte dispose : « L'enfant mineur de dix-huit ans, légitime, naturel ou ayant fait l'objet d'une adoption plénière, dont l'un des parents acquiert la nationalité française, devient français de plein droit ».
Mme [Q] [I] se dit née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1] (Comores), de [O] [I] né à [Localité 2] (Comores) en 1934 et de [Z] [R] née à [Localité 2] (Comores) le [Date naissance 2] 1966, son épouse.
Elle est titulaire d'un certificat de nationalité française en date du 17 novembre 1999. Aux termes de ce certificat, elle est française en application de l'article 18 du code civil (loi du 22 juillet 1993) comme enfant né d'un père français, son père étant français en sa qualité d'originaire des Comores et ayant conservé cette nationalité par l'effet de la déclaration souscrite le 26 septembre 1977 devant le juge d'instance de Marseille sous le n° 809/77 (dossier n° 19898 DX 77) en application de l'article 9 de la loi 3 juillet 1975, étant précisé que le père de l'intéressée a épousé en premières noces à [Localité 3] le [Date mariage 1] 1968 [M] [A], mariage dissous par jugement rendu le 19 décembre 1983 par le tribunal de grande instance de Marseille, et en secondes noces à [Localité 2] le 12 mars 1984 la mère de l'intéressée.
Ce certificat de nationalité a été délivré, selon les énonciations qu'il contient, notamment au vu d'une copie conforme d'un acte de naissance légalisé de l'intéressée et d'un jugement supplétif de son acte de naissance rendu le 31 mai 1984.
Selon l'article 30 du code civil, la charge de la preuve incombe au ministère public qui conteste la nationalité française de Mme [Q] [I].
La force probante d'un certificat de nationalité française dépend des documents qui ont servi à l'établir et si le ministère public prouve que ce certificat a été délivré à tort à l'intéressé ou sur la base d'actes erronés, ce certificat perd toute force probante. Il appartient alors à l'intéressé de rapporter la preuve de sa nationalité française à un autre titre.
Conformément à l'article 47 du code civil, « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».
Le ministère public soutient que le certificat de nationalité française a été délivré à tort dès lors que le jugement supplétif d'acte de naissance est un faux, portant parfois la date du 3 mai 1984, parfois celle du 31 mai 1984, et qu'il n'est en tout état de cause pas conforme à la conception française de l'ordre public international de procédure, que Mme [Q] [I] ne dispose pas en conséquence d'un état civil probant au sens de l'article 47 du code civil.
Le ministère public produit en premier lieu une copie conforme délivrée le 31 mai 1999 du jugement supplétif n° 171 d'acte de naissance, rendu le 31 mai 1984 par le tribunal de cadi de Mboudé (sa pièce n°2) et d'un extrait, délivré le 2 juin 1999, de l'acte de naissance de Mme [I] (sa pièce n°1) portant le n° 201, dressé le 2 juin 1984, au vu du jugement supplétif n°171 du 31 mai 1984, pièces qui auraient été remises par Mme [I] au greffier en chef du service de la nationalité pour établir son certificat de nationalité française.
Le ministère public a communiqué également aux débats en cause d'appel :
- en pièce n° 2bis, une copie délivrée le 28 mars 2014 d'un jugement supplétif n° 171 d'acte de naissance rendu le 3 mai 1984, visant les articles 69 et suivants de la loi comorienne n°84-10/AF du 15 mai 1984 ;
- en pièce n° 2-2 une nouvelle copie délivrée le 10 octobre 2008 du jugement supplétif n° 171 du 31 mai 1984 ;
- en pièce n° 3, le jugement d'annulation rendu le 20 mars 2014 par le tribunal de première instance de Moroni qui a annulé l'acte de naissance n°201 du 2 juin 1984 au motif que « l'acte de naissance n°201 du 02/06/1984 d' [I] [Q] est établi non conforme à la loi en ce sens que son jugement supplétif n° 171 du 31/05/1984 faisant l'objet de l'établissement de l'acte de naissance susvisé n'a pas été communiqué au Parquet conformément aux articles 427 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile et l'article 69-4 de la loi 84-10 du 15 mai 1984 relative à l'état civil », ordonné la communication au Parquet du jugement supplétif avant l'établissement de l'acte de naissance de la requérante, dit que l'irrégularité constatée sur l'acte de naissance de l'intéressée n'a aucun incident sur sa filiation.
Après ce jugement d'annulation de son acte de naissance n° 201 du 2 juin 1984, Mme [I] a produit à la procédure une copie certifiée conforme (sa pièce n° 25), délivrée le 14 avril 2018, de son nouvel acte de naissance n°46, dressé le 5 mai 2014 en exécution du « jugement supplétif n° 171 du 3 mai 1984 rendu par le cadi de Mboudé, communiqué au parquet le 29 mars 2014 » régulièrement légalisé, ce qui n'est pas contesté par le ministère public, et une nouvelle copie conforme délivrée le 13 avril 2018, du jugement supplétif de naissance n°171 daté du 3 mai 1984, visé au parquet du parquet du tribunal de 1ère instance de Moroni le 29 mars 2014, portant une mention de légalisation au verso en date du 26 avril 2018.
Mme [I] prétend que l'indication de la date du 3 mai 1984 au lieu du 31 mai 1984 concernant la date à laquelle le jugement supplétif a été rendu, dans certaines expéditions produites de ce même jugement supplétif d'acte de naissance n°171 s'expliquerait par une simple erreur de plume, ledit jugement n'ayant pu être rendu le 3 mai 1984 puisqu'il vise les dispositions d'une loi du 15 mai 1984.
Cependant, elle a produit deux expéditions de ce jugement supplétif portant le n° 171 du 3 mai 1984 visant la loi du 15 mai 1984, l'une délivrée le 28 mars 2014, l'autre délivrée le 13 avril 2018 (sa pièce n°24) établies à plusieurs années d'écart, ce qui ne convainc pas d'une simple la erreur de plume. De plus, le nouvel acte de naissance n°46 du 5 mai 2014 de l'intéressée (sa pièce n°25) a été établi en exécution du « jugement supplétif n° 171 du 3 mai 1984 rendu par le cadi de Mboudé, communiqué au parquet le 29 mars 2014 » et non en vertu d'un jugement supplétif en date du 31 mai 1984.
En outre, selon les articles 69 et 71 de la loi comorienne n°84-10 du 15 mai 1984 relative à l'état civil, lorsqu'une naissance n'aura pas été déclarée dans le délai légal de 15 jours prévu par l'article 31 de la même loi, « il ne pourra être relaté sur les registres de l'état civil qu'en exécution d'un jugement supplétif rendu par le tribunal de première instance ou du cadi du lieu où l'acte aurait dû être dressé ». Selon l'article 69 de ladite loi, le dossier doit être communiqué au ministère public, pour conclusions, et le dispositif du jugement doit être transmis par le ministère public à l'officier d'état civil du lieu où le fait s'est produit, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la procédure se déroule devant le tribunal de première instance ou le tribunal du cadi.
Or, ce jugement supplétif de naissance n°171 du tribunal du cadi de Mboudé, rendu à la seule demande de M. [O] [I], sans communication du dossier au ministère public, qui n'est donc pas contradictoire à l'égard du ministère public, violait l'ordre public international de procédure et ne pouvait pas recevoir application en France. De même, l'acte de naissance dressé le 2 juin 1984 en exécution de cette décision, au surplus annulé par la décision d'une juridiction comorienne le 20 mars 2014, à raison de la non-conformité du jugement supplétif d'acte de naissance à la loi comorienne, ne pouvait servir à établir la naissance de Mme [I].
Le certificat de nationalité française en date du 17 novembre 1999 a donc été délivré à tort à Mme [I], sans qu'il puisse être fait grief au ministère public de n'avoir pas fait procéder à une vérification sur place par le consulat de France, laquelle en toute hypothèse n'aurait été d'aucun effet sur l'irrégularité internationale du jugement supplétif en cause.
Il appartient en conséquence à Mme [I] de faire la preuve qu'elle est française.
Or, la transmission le 29 mars 2014 au procureur de la République, du jugement supplétif, en exécution du jugement rendu le 20 mars 2014 qui a annulé l'acte de naissance n°201 du 2 juin 1984, ne rend pas conforme à l'ordre public international de procédure ledit jugement qui a été rendu sans respect du contradictoire à l'égard du ministère public.
Au surplus, la nouvelle copie, délivrée le 13 avril 2018, dudit jugement supplétif produite par Mme [I] n'est pas régulièrement légalisée. En effet, la mention de la légalisation portée le 26 avril 2018 ne porte pas sur la signature de celui qui a délivré l'acte mais sur celle de « Mboude, officier d'état civil de Mboude ». En l'absence de convention bilatérale entre la France et les Comores, ce document ne peut donc se voir reconnaître aucune force probante en France, faute d'être régulièrement légalisé par le consul de France aux Comores ou par le consul des Comores en France.
Le nouvel acte de naissance n° 46 dressé le 5 mai 2014, au vu du jugement supplétif n°171 et de sa communication au parquet du 29 mars 2014, n'est pas en conséquence de nature à établir que Mme [I] dispose d'un état civil fiable et certain au sens l'article 47 du code civil.
La circonstance que Mme [I] ait fait transcrire son acte de naissance par le service central de l'état civil à [Localité 4] n'a pas pour effet de purger l'acte étranger de ses vices et de ses irrégularités, et l'acte transcrit n'a pas plus de valeur que l'acte étranger. Il n'apporte pas plus que l'acte de naissance n°46, enregistré le 5 mai 2014, en exécution du jugement rendu le 3 mai 1984 par le cadi de Mboudé au vu duquel il a été transcrit, la preuve d'un état civil fiable et certain au sens de l'article 47 du code civil.
Mme [I], faute de disposer d'un état civil fiable et certain, n'établit pas qu'elle peut bénéficier de l'effet collectif attaché à la déclaration souscrite le 26 septembre 1977 par M. [O] [I] devant le juge d'instance de Marseille sous le n° 809/77 (dossier n° 19898 DX 77) en application de l'article 9 de la loi 3 juillet 1975.
Le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 19 juin 2015 sera donc infirmé et il y a lieu de constater l'extranéité de Mme [I].
Succombant en ses prétentions, Mme [I] supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré.
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 19 juin 2015.
Statuant à nouveau :
Dit que Mme [Q] [I], se disant née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 1] (Comores), n'est pas de nationalité française.
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Condamne Mme [Q] [I] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE