Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 09 OCTOBRE 2019
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06134 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5UKY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/10111
APPELANT
Monsieur [V] [P] [U] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Marie-claude MARTIN KANDALA, avocat au barreau de PARIS, toque : B0204
INTIMEE
SAS ATOS INFOGERANCE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Laurent LECANET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne ROUGE, Présidente de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Fabienne ROUGE, présidente de chambre
Madame Laurence SINQUIN, conseillère
Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, conseillère
Greffier : Mme Nasra SAMSOUDINE et Mme Marine BRUNIE, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- Par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- Signé par Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre et par Madame Nasra SAMSOUDINE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Monsieur [V] [Y] a été engagé par la Société ATOS EURONEXT, à compter du 1er janvier 2002, avec reprise d'ancienneté au 15 février 1993, en qualité de Directeur Général Adjoint ' Directeur Division Opérations et Services.
Le 2 mai 2005 il signe un nouveau contrat de travail avec la société ATOS INFOGERANCE dans le cadre d'un transfert en qualité de Vice Président- Directeur Qualité Sécurité Risques sa rémunération comprenant une partie fixe de 10500 € et une partie variable avec une prime d'objectifs.
Par courrier du 28 septembre 2017 monsieur [Y] a pris acte de la rupture, invoquant un non-paiement, en dépit de ses relances régulières, de l'intégralité de ses primes d'objectif sur les années 2014 et 2015, la définition tardive de ses objectifs, un déclassement manifeste, par la réduction de son niveau de responsabilité et depuis 2012 un harcèlement moral, par mise à l'écart et isolement systématique.
La société ATOS INFOGERANCE emploie plus de 50 salariés.
La convention collective applicable est la convention collective des bureaux d'études techniques et sociétés de conseils.
Par jugement du 9 avril 2018, le Conseil de prud'hommes de Paris a débouté Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société ATOS INFOGERANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné Monsieur [Y] aux dépens.
Monsieur [Y] en a interjeté appel.
Par conclusions récapitulatives du 26 juin 2019, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [Y] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société ATOS INFOGERANCE à lui payer les sommes suivantes :
- 172.972,00 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-241.821,00 € à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle spéciale,
- 43.243,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
-4.324,00 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
-10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,
- 71.741,00 € au titre des primes dues de 2014 à 2017,
- 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code procédure civile avec intérêts de droit à compter de la demande. Il sollicite le rejet de la demande de la Société ATOS INFOGERANCE en paiement de la somme de 43243€ à titre de dommages et intérêts pour préavis non exécuté et de la condamner aux dépens
Par conclusions récapitulatives du 12 octobre 2018 , auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société INFOGERANCE demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes et de l'infirmer en ce qu'il a débouté la Société ATOS INFOGERANCE de ses demandes reconventionnelles . Elle demande de débouter Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 43.243€ à titre de dommages et intérêts pour préavis non-exécuté, subsidiairement de ramener ses demande à de plus justes proportions et de le condamner au paiement de la somme de 5000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui sont recouvrés par Maître Laurent LECANET conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
L'ordonnance de clôture était rendue le 2 juillet 2019
MOTIFS
Sur la rupture du contrat de travail
Principe de droit applicable :
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Il est cependant nécessaire que les manquements invoqués soient démontrés et de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail
Les faits reprochés à l'employeur n'ont pas besoin d'être mentionné dans la lettre de prise d'acte d'autres manquements peuvent être invoqués à l'appui de la prise d'acte.
La prise d'acte de la rupture entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, il s'ensuit que le juge qui décide que les faits invoqués justifiaient la rupture, laquelle produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit accorder au salarié qui le demande, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents, l'indemnité de licenciement et les dommages-intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse
Application du droit à l'espèce
Monsieur [Y] reproche deux manquements à son employeur , un harcèlement moral par mise à l'écart progressive et déclassement et le non paiement de la totalité de ses primes depuis 2014.
Sur le harcèlement
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; en vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Monsieur [Y] soutient avoir subi un déclassement par réduction de son niveau de responsabilité, un amoindrissement de ses missions une baisse de son niveau d'autonomie.
La société ATOS INFOGERANCE soutient que monsieur [Y] a accepté en 2005 un nouveau contrat de travail qui correspondait à un poste fonctionnel sans responsabilités opérationnelles .
Il convient de constater que monsieur [Y] se plaint de son déclassement progressif non depuis 2005 mais depuis fin 2011. Pendant cette période il participait à la création du centre de Service au Maroc et en assumait la responsabilité.
A compter de fin 2011, la société décidait de mettre un terme à la mission de monsieur [Y] au Maroc, sans donner de motifs à ce changement d'affectation, excepté une nouvelle organisation.
Les différents mails écrits au cours des années 2011, 2012 , 2014, 2015, 2016 et 2017 montrent que monsieur [Y] se sent victime d'un déclassement et que ses aspirations à retrouver des postes de directeur opérationnel sont régulièrement déçues. Cependant cette perception n'est pas étayée par des faits précis. Les missions qui lui sont attribuées sont valorisées par sa hiérarchie et des clients objectivement importants lui sont attribués comme GDF ou le CEA.
Il ne démontre pas en quoi les fonctions de gestion de programme LEAN (qui concerne l'amélioration de l'efficacité opérationnelle et offshore ( transfert d'activité vers les centres bas coûts) ) ou le soutien au démarrage d'un contrat d'INFOGERANCE full offshore pour un des principaux fournisseurs d'énergie, constituent des déclassements . Monsieur [Y] a jusqu'à la date de sa lettre de rupture accepté les postes proposés même s'il espérait et demandait à retrouver des postes opérationnels. Aucun organigramme n'est versé aux débats qui aurait pu permettre de constater que le niveau hiérarchique de celui-ci diminuait par l'ajout de nouveau échelon hiérarchique. Aucune objectivation de la diminution de ses responsabilités n'est apportée par monsieur [Y], en conséquence le déclassement n'est pas démontré.
Monsieur [Y] au titre du harcèlement moral se plaint d' un isolement résultant notamment de son absence de participation à des réunions depuis 2012, à l'absence de bureau et d'assistante
Monsieur [Y] verse aux débats deux mails datés du 7 septembre 2011 et du 22 septembre 2012 dans lesquels il se plaint de ne pas être invité au meeting d'ATOS GROUP MANAGEMENT ni au top 700 précisant pour cette dernière réunion s'y être rendu une fois.
La société ne réplique pas sur cette mise à l'écart , il sera cependant constater qu'il s'agit de deux réunions sur une période de temps de plusieurs années , pour lesquelles il n'est pas démontré que monsieur [Y] participait chaque année au meeting ATOS GROUP ou au top 700, lui même n'évoquant qu'une participation à ce dernier événement l'année précédente.
Ces absences d'invitation à ces deux réunions dont l'objet et l'importance ne sont pas expliqués ne constituent pas des faits de harcèlement.
L'attestation de monsieur [O] insuffisamment précise et ne portant pas sur la période litigieuse, permet d'établir que lors de son affectation en tant que responsable d'Atos au Maroc, monsieur [Y] participait au CODIR local, ce qui n'avait plus lieu d'être dés lors qu'il ne travaillait plus avec le Maroc ; Cette mise à l'écart est justifiée par son changement d'affectation.
Monsieur [Y] se plaint de ne pas être tenu informé des nominations ou événements de l'entreprise, la production des mails par lesquels il se plaint de cet état de fait n'est corroborée par aucune attestation émanant de tiers.
Enfin monsieur [Y] dit avoir subi une brutale remise en cause de son professionnalisme.
Il verse aux débats le mail de monsieur [J] lui rappelant les règles de sécurité et de confidentialité. Il convient de mettre cette critique en perspective avec l'agressivité larvée de monsieur [Y] dans sa prise de contact avec son nouveau supérieur hiérarchique, puisqu'il lui déclarait ne pas le connaître, alors qu'il lui avait adressé des mails précédemment. Peu après monsieur [J], lui indiquait ' ton expérience va nous être précieuse'.
Aucune remise en cause brutale de son professionnalisme n'est établie ,
Aucun élément du dossier n'établit la perte d'une assistante, l'absence de bureau et une brutale remise en cause de son professionnalisme ,ni des faits répétés laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Monsieur [Y] verse aux débats son dossier médical duquel il résulte une souffrance au travail qui est manifestement liée au ressenti de ce qu'il vit comme un déclassement et une mise à l'écart, les certificats médicaux mentionne qu'il se plaint du manque de reconnaissance de l'entreprise ,' se sent mis au placard.'
Il sera souligné comme l'observe la société que monsieur [Y] a conservé sa rémunération dont la part variable a été diminuée à sa demande qu'il a gardé sa qualification de directeur de département, sa classification et son statut.
Il sera relevé que monsieur [Y] prend acte de la rupture à l'arrivée d'un nouveau supérieur hiérarchique , alors qu'il avait espéré se voir confier ce poste.
Sur le grief du non paiement des primes
Le contrat de travail de monsieur [Y] en date du 2 mai 2005 prévoit un salaire mensuel de base brut de 10500€ et une partie variable constituée d'une prime d'objectif de 42000€ liée à la réalisation à 100% des objectifs définis par sa hiérarchie .
A la demande de monsieur [Y] le 21 octobre 2016 un avenant à son contrat de travail prévoit une modification de sa rémunération augmentant la rémunération mensuelle de base à la somme de 12066,34€ et diminuant le montant de la prime d'objectifs à 38000€ pour un exercice fiscal complet et pour des objectifs atteints à 100% qui précise' Vos objectifs et les critères afférents au calcul de votre part variable seront définis et communiqués par votre hiérarchie' .
La société ATOS verse aux débats des objectifs semestre par semestre dont aucun élément ne permet de considérer que ceux-ci ont été communiqués avec retard comme le prétend monsieur [Y].
Si monsieur [Y] a contesté les primes qui lui ont été allouée en 2014, 2015 et 2016 c 'est parce qu'elles sont basées sur des objectifs financiers à 20% et des objectifs personnels pour 80% .
La société est libre dans la fixation des objectifs, dés lors que ceux-ci ne sont pas irréalisables, ce que ne prétend pas monsieur [Y], rien dans le contrat de travail et l'avenant de 2016 ne s'oppose à une telle répartition puisque ces objectifs sont fixés par la hiérarchie.
Il sera souligné que pour tenir compte de la contestation de celui-ci l'avenant du 21 octobre 2016 a réduit le montant de la prime et a augmenté son fixe.
Dés lors ce reproche ne peut justifier la prise d'acte au tort de l'employeur et monsieur [Y] sera débouté de sa demande en paiement de ces primes.
Il convient de confirmer le jugement du conseil des prud'hommes qui a considéré qu'en l'absence de manquement suffisamment graves de l'employeur la prise d'acte s'analyse comme une démission .
Sur les demandes indemnitaires
La rupture du contrat de travail s'analysant comme une démission , monsieur [Y] sera débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité de licenciement statutaire.
Celui-ci n'ayant pas effectué son préavis, pour cause d'arrêt maladie, sera débouté de ses demandes fondées de ce chef.
Sur le non respect de l'obligation de formation
L'article L6314-1 du code du travail prévoit que tout salarié a droit à une formation et l'article L6315-1 du code du travail doit bénéficier tous les deux ans d'un entretien professionnel consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle.
Monsieur [Y] indique n'avoir bénéficié ni de formation , ni de d'entretien professionnel, mais ne démontre aucun préjudice particulier résultant du non respect par son employeur de ces obligations , il sera donc débouté de sa demande d'indemnisation.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour la non réalisation du préavis
Lors de la prise d'acte monsieur [Y] était en arrêt maladie et ne pouvait effectuer son préavis . La société ne justifie pas du caractère brutal de la prise d'acte, ni du préjudice causé par le départ de monsieur [Y] qui était en train de refuser la mission proposée.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE monsieur [Y] à payer à la société ATOS INFOGERANCE en cause d'appel la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,
LAISSE les dépens à la charge de monsieur [Y], dont distraction au profit de Maître LECANET
LE GREFFIER LA PRESIDENTE