Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2019
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/16161 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B36OF
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juin 2017 -Tribunal de Commerce de SENS - RG n° 2016F00002
APPELANTE
SAS MATREX
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 2]
N° SIRET : 411 301 567
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Dominique REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0875
INTIMÉE
SARL [E]
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1]
N° SIRET : 332 919 703
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Antoine SIMON de l'ASSOCIATION L.E.A - Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0159
Ayant pour avocat plaidant Me Philippe MISSEREY, avocat au barreau de POITIERS, substitué à l'audience par Me Antoine SIMON de l'ASSOCIATION L.E.A - Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : K0159
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 juin 2019, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre, chargé du rapport
Madame Christine SOUDRY, Conseillère
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Patrick BIROLLEAU dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Madame Hortense VITELA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, Président de chambre et par Madame Hortense VITELA, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [E], après avoir été le VRP de la société Matrex de 1982 à 1987, a créé, en 1987, la société [E], laquelle est devenue agent commercial de la société Matrex par contrat d'agence commerciale signé le 15 octobre 1987.
Le contrat stipulait que la société [E] disposerait d'un secteur exclusif et serait rémunérée à la commission, dans les conditions prévues par le statut d'ordre public des agents commerciaux et que le taux de base de commission était variable avec une clause intitulée 'clause de majoration' indiquant une majoration de 8 % dans l'hypothèse où l'agent déterminait le prix sans aucune intervention des services techniques et commerciaux.
Par lettre du 18 décembre 2014, faisant état de différents griefs, la société Matrex a mis un terme au contrat d'agent commercial de la société [E].
Par une lettre reçue le 29 décembre 2014, la société [E] a pris acte de la résiliation du contrat et demandé le versement des commissions pendant les trois mois suivant la cessation effective à la date de la résiliation du 19 décembre 2014. Par courrier en date du 12 janvier 2015, la société Matrex a indiqué qu'elle ne souhaitait pas lui accorder un préavis de trois mois.
Par acte du 16 décembre 2015, la société [E] a assigné la société Matrex devant le tribunal de commerce de Sens aux fins de la voir condamner à lui payer les commissions lui restant dues ainsi que l'indemnité de préavis et l'indemnité compensatrice de cessation du contrat.
Par jugement rendu le 13 juin 2017, le tribunal de commerce de Sens a :
- dit recevables et partiellement fondées les demandes de la société [E] ;
- débouté la société Matrex de toutes ses demandes et conclusions ;
- condamné la société Matrex à payer à la société [E] une indemnité d'un montant de 62.272, 84 euros en application de l'article L134-12 du code de commerce ;
- condamné la société Matrex à payer à la société [E] une indemnité d'un montant de 15 568.21 euros en application de l'article L 134-12 du code de commerce et de l'article 8 du contrat d'agent commercial, avec intérêts légaux et capitalisation en application de l'article 1154 du code civil à compter de l'assignation ;
- condamné la société Matrex à payer à la société [E] une indemnité d'un montant de 5.731,20 euros au titre d'un rappel de commissionnement sur l'affaire Palamatic, avec intérêts légaux et capitalisation en application de l'article 1154 ancien du code civil ;
- condamné la société Matrex à payer à la société [E] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement nonobstant appel et sans constitution de garantie ;
- condamné la société Matrex aux entiers dépens.
La société Matrex a interjeté appel à l'encontre de cette décision le 8 août 2017.
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PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société Matrex, par dernières conclusions notifiées le 30 mai 2019, demande à la cour de :
- infirmer le jugement dont appel en l'intégralité de ses dispositions, excepté en ce qui concerne la condamnation prononcée au titre du rappel de commissionnement sur l'affaire Palamatic, laquelle sera confirmée ;
- débouter la société [E] de l'intégralité de ses demandes ;
Avant dire droit sur la réparation du préjudice subi par la société Matrex,
- ordonner une mesure d'expertise et commettre à cette fin tout expert qu'il plaira à la cour avec mission d'usage en la matière, et notamment de :
* convoquer les parties au lieu de sa convenance, les entendre les parties ainsi que tous sachants, se faire communiquer toutes pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;
* examiner les comptes et notamment le grand livre comptable de la société [E] sur les exercices 2013 et 2014 afin de déterminer le nombre et le montant des commandes prises et des factures émises directement par la société [E] auprès des sociétés clientes de la société Matrex ;
* établir, en considération de ces éléments, le montant des sommes encaissées directement par la société [E] en violation de son contrat d'agent commercial ;
* déterminer l'origine et la provenance du matériel vendu directement par la société [E] auprès des sociétés Toyota Industrial Equipement ;
* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre de statuer sur les responsabilités encourues et les préjudices subis ;
- dire que l'expertise sera menée et que l'expert accomplira sa mission conformément aux articles 263 et suivants du code de procédure civile et dans le délai qui sera fixé par la présente juridiction ;
En tout état de cause,
- condamner la société [E] à payer à la société Matrex la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés par Maître Dominique Régnier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle invoque la faute grave de la société [E] dans l'exécution du mandat exclusive de toute indemnité. Elle indique qu'alors que toute prise de commande directe par [E] auprès de clients de Matrex et toute facturation directe de ces clients était proscrite, et que, de même, toute prise d'intérêt direct dans la vente et l'installation d'articles similaires à ceux de Matrex était prohibée par l'article 9 du contrat 'concurrence déloyale', la société [E] a transgressé ces interdictions à deux reprises : en concluant directement un contrat avec la société Novoferm (la société [E] a donc pris un intérêt direct et concurrent dans une opération de vente) et en vendant à Toyota industrial équipement, client habituel de la société Matrex) 300 rouleaux libres pour un montant de 2.103,80 euros. La rupture du contrat, justifiée par une faute grave, n'ouvre droit ni à indemnité de préavis, ni à indemnité compensatrice.
Sur le préjudice résultant des manquements de [E], la société Matrex demande que soit ordonnée une expertise. Outre la perte des contrats Novoferm et Toyota, les pièces versées aux débats révèlent une activité occulte de la société [E] au préjudice de Matrex. Depuis la rupture du contrat de la société [E], la société Perochaud, acquéreur/revendeur du matériel Matrex a cessé ses relations commerciales avec Matrex.
Subsidiairement, la société Matrex fait valoir que si la cour entrait en voie de condamnation, il conviendrait de minorer le montant de l'indemnité allouée par le premier juge. Le préjudice est en effet réduit car [O] et [E] ont poursuivi leurs relations commerciales, [E] continuant à acheter, dans son intérêt propre, du matériel Matrex.
La société [E], appelante à titre incident, par dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2017, demande à la cour, au visa des articles L. 134-1 et suivants, et notamment des articles L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, de :
- débouter Matrex de son appel et de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il considère que la résiliation du contrat d'agent commercial est intervenue sans faute grave de la société [E] et que donc cette dernière a droit à une indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité de cessation de contrat ;
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il limite le montant de l'indemnité de cessation de contrat à 62.272,84 euros et, statuant à nouveau, condamner la société Matrex à payer à la société [E] à ce titre la somme de 124.545,68 euros à ce titre, avec intérêts légaux et capitalisation à compter de l'assignation ;
- le confirmer pour le surplus en ce qu'il condamne la société Matrex à payer à la société [E] les sommes de 15.568,21 euros au titre de l'indemnité de préavis, 5.731,20 euros au titre de commissions arriérées, avec intérêts légaux et capitalisation à compter de l'assignation et 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Matrex à payer à la société [E] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle indique la faute grave est toujours appréciée de manière restrictive car elle prive l'agent de la protection légalement prévue en fin de contrat. Les motifs graves de la rupture doivent être invoqués dans la lettre de rupture, mais, en l'espèce, les motifs avancés ne correspondent à aucune réalité : ainsi, Matrex, par la plume de son PDG M. [Z], quelques jours avant la notification de la lettre de rupture du contrat d'agence commerciale pour prétendue faute grave, préparait ainsi déjà la poursuite de sa relation avec la société [E] ; il était même prévu de « maintenir ([E]) dans une relation privilégiée ». Si les griefs étaient avérés, ils interdiraient tout maintien d'une quelconque relation avec la société [E].
La société [E] se défend de la prétendue revente de produits concurrents en faisant usage du nom et du logo de Matrex :
- d'une part, les propos tenus quant à la prétendue affaire Novoferm sont également inexacts et dénigrants; la société Matrex n'a aucunement été lésée puisque les convoyeurs à rouleaux lui ont bien été commandés et que Matrex a reçu paiement de ces commandes ;
- d'autre part, dans l'affaire [J] [G], il n'y a eu aucune revente ou représentation de produits concurrents (la société [E] n'a dégagé aucune marge sur cette opération et aurait agi exclusivement dans l'intérêt commun des parties).
Elle indique, en outre, que la demande d'expertise de la société Matrex est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel, et ne vise qu'à pallier l'incapacité de Matrex de démontrer l'existence de ces prétendues autres opérations.
Enfin, sur le montant de l'indemnité de cessation de contrat et l'indemnité de préavis, la société [E] fait valoir d'une part, que, selon une jurisprudence constante, l'indemnité de cessation en matière d'agence commerciale, qui vient réparer le préjudice subit par l'agent commercial, s'évalue à deux années de commissions - la société [E] ayant été un agent loyal pendant près de 27 ans - et s'élèverait donc à 123.545,68 euros, d'autre part, l'indemnité de préavis est fixée par l'article 8 du contrat à 3 mois, soit 15.568, 21 euros.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
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MOTIFS :
Sur le droit à indemnités de l'agent commercial
Aux termes des articles L 134-11 et L 134-13 du code de commerce, la faute grave de l'agent commercial est de nature à le priver de son préavis et de l'indemnité compensatrice de cessation du contrat de l'article L. 134-12 du code de commerce.
La société Matrex soutient que son agent commercial, la société [E] a manqué à son obligation contractuelle de loyauté et de non-concurrence en contractant directement avec des clients de Matrex sans en informer son mandant.
Le contrat du 15 octobre 1987 stipule :
- en son article 7 'exclusivité' : 'AC ([E]) s'engage à ne pas représenter directement ou indirectement des sociétés réalisant des articles d'usage ou de composition similaire à ceux de Matrex.' ;
- en son article 9 'clause de non concurrence' : 'Durant toute la durée du contrat, AC ([E]) s'engage à ne pas représenter directement ou indirectement des sociétés réalisant des articles d'usage ou de composition similaire à ceux de Matrex et à ne pas prendre d'intérêts directs ou indirects dans leur fabrication, leur vente ou leurs installations.'
Il ressort des pièces de la procédure que :
Sur l'affaire Novoferm :
- la société [E] a pris une commande directe auprès de la société Novoferm, cliente de Matrex, pour des transporteurs à rouleaux, d'autres pièces et une prestation de montage, en vue d'une installation devant être réalisée par la société Perochaud, acquéreur et revendeur de matériel Matrex ;
- le 18 juillet 2014, [G] a commandé à Matrex les transporteurs à rouleaux (pièce [E] n°21) ;
- le 25 juillet 2014, [O] a facturé [G] (pièce [E] n°22) ;
- [E] a passé commande à [G] de la prestation complète ;
- le 1er août 2014, [G] a facturé [E] au titre de cette prestation (pièce [E] n°23) ;
- [E] a facturé directement Novoferm.
S'il est établi que la société [E] a fait signer un bon de commande par un client de Matrex, alors qu'elle n'en avait pas le pouvoir ainsi que le prévoit l'article 6 du contrat - aux termes duquel la commande est faîte par le client directement à Matrex et (...) la facturation est effectuée directement au client par Matrex - cet élément ne saurait caractériser un manquement grave aux obligations de l'agent commercial dès lors d'une part, que les commandes ont bien été passées à Matrex, d'autre part, que celle-ci a été réglée de ces achats et n'a subi aucun préjudice au titre des actes incriminés, enfin, que [E] n'a représenté aucune entreprise concurrente de Matrex. Aucune faute grave de l'agent commercial ne se trouve donc caractérisée de ce chef.
Sur l'affaire Toyota : [E] a acheté à [G] des matériels [O] pour le prix de 2.104,80 euros TTC (pièces [E] n°11 et 12) et les a revendus à la société Toyota Industrial Equipement pour le prix de 2.104,80 euros TTC (pièce [E] n°13).
Si [E] a transgressé l'interdiction faîte à l'agent commercial de prendre directement des commandes auprès de clients de son mandant - il n'est pas, à cet égard, contesté que tant [G] que Toyota figurent parmi les clients de Matrex - et n'a pas informé Matrex de l'opération, la vente ne s'est toutefois pas inscrite dans une opération portant sur des produits concurrents de ceux de Matrex - s'agissant précisément de matériels fabriqués par cette dernière - et n'a causé aucun préjudice à Matrex, l'opération portant sur une revente de matériels 'd'occasion'. La dissimulation à son mandant de cette transaction ne saurait constituer, eu égard à son montant réduit, un manquement caractérisé au devoir de loyauté de l'agent commercial. Ces éléments ne permettent donc pas de qualifier le manquement intervenu de faute grave exclusive de toute indemnité.
Le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a écarté toute faute grave de l'agent commercial et a reconnu le droit à indemnité de ce dernier.
Sur les demandes de paiement de la société [E]
Sur l'indemnité compensatrice de rupture, il y a lieu de faire droit à la demande de la société [E] en application de l'article L. 134-12 du code de commerce. Si le quantum de cette indemnité n'est pas réglementé, son montant doit réparer le préjudice subi, résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.
En l'espèce, compte tenu de la durée effective du contrat d'agent commercial pendant 27 ans et de l'apport à Matrex d'un chiffre d'affaires annuel moyen de 600.000 euros, il y a lieu d'accorder à la société [E] une indemnité compensatrice de deux années de commissions, fixée sur la moyenne annuelle des trois dernières années de commissions, soit, pour un montant moyen de commissions de 62.272,84 euros au titre des trois années complètes 2012, 2013 et 2014 [(72.862,22 + 56.796,79 + 57.159,52) / 3] selon décompte non contesté - pièce [E] n°4), la somme de 124.545,68 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation, en application de l'article 1154 ancien du code civil, à compter de l'assignation. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.
Sur l'indemnité de préavis et le rappel de commissionnement, les parties ne contestent pas le montants retenus par le tribunal de commerce. Le jugement sera confirmé sur ces points.
L'équité commande de condamner Matrex à payer à [E] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur le montant de l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial ;
Statuant à nouveau sur le point infirmé ;
CONDAMNE la SAS Matrex à payer à la SARL [E] la somme de 124.545,68 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation, en application de l'article 1154 ancien du code civil, à compter de l'assignation ;
CONDAMNE la SAS Matrex à payer à la SARL [E] la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
CONDAMNE la SAS Matrex aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La Greffière Le Président
Hortense VITELA Patrick BIROLLEAU