Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 10 OCTOBRE 2019
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/24127 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6XID
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Octobre 2018 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° J201800045
APPELANTS :
Monsieur [S] [V]
né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 4] (74)
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 1]
Madame [K] [V]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 2] (74)
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 1]
SA HOLDING GRADEL - HG agissant poursuites et diligences de son Directeur Général domicilié en cette qualité audit siège
Immatriculée au RCS de ANNECY sous le numéro 424 209 427
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Jean-didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240,
représentée par Me Nicolas CHRISMENT, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE
INTIMÉE :
SASU CM-CIC INVESTISSEMENT SCR, pris en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 317 586 220
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Cédric FISCHER de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Septembre 2019, en audience publique, devant Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre, Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère et Madame Aline DELIERE, Conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Hanane AKARKACH
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente de chambre et par Madame Hanane AKARKACH, Greffière présente lors du prononcé.
*****
FAITS ET PROCÉDURE :
La société ATF (Avanced Technical Fabrication) a été créée le 20 mars 1981 par Monsieur [S] [V], Madame [K] [V], son épouse, et la société Holding Gradel toujours détenue a ce jour par les époux [V]. Elle a pour objet la conception, la fabrication et la commercialisation d'implants chirurgicaux.
En 1999, ATF a mis en place un plan de développement a moyen terme nécessitant de nouveaux moyens financiers.
C'est dans ce contexte qu'ATF a levé 7 millions de francs de fonds propres auprès de partenaires financiers et 1 million de francs auprès des actionnaires majoritaires à savoir Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel.
Le 10 septembre 1999 sont ainsi entrés au capital d'ATF, par la souscription de 1.155 actions nouvelles émises au prix de 6.060,61 francs, les investisseurs suivants :
- SRP (412 actions) ;
- SOFISAV0lE (83 actions) ;
- SOPROMEC (330 actions) ;
- AVENIR ENTREPRISES (330 actions) ;
Monsieur [S] [V] et Madame [K] [V] ont souscrit également respectivement 83 et 82 actions nouvelles.
Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la société Holding Gradel restent les actionnaires majoritaires d'ATF (groupe majoritaire).
La société Holding Gradel est une Sa au capital de 8.523.012,94 € détenue à 99,99 % par Monsieur [S] [V] et Madame [K] [V], respectivement président et directrice générale d'ATF.
Concomitamment à leur entrée dans le capital d'ATF, les partenaires financiers ont conclu avec le groupe majoritaire un pacte d'actionnaires qui avait notamment pour objet de définir les conditions suivant lesquelles pourrait s'exercer un droit de préemption entre les actionnaires majoritaires et les partenaires financiers en cas de transmission de valeurs mobilières.
A la suite de l'augmentation de capital du 10 septembre 1999, SRP a été absorbée par la Banque de Vizille, maintenant dénommée CM CIC Investissement.
Le 11 septembre 2008, la Banque de Vizille a notifié au groupe majoritaire, ainsi qu'aux partenaires financiers, un projet de cession de sa participation dans ATF à la société Grignan Capital Gestion, soit 412 actions au prix de 350.000,00 € (849,51 € par action).
Le 28 novembre 2008, Grignan Capital Gestion a notifié au groupe majoritaire (consorts [V] et holding Gradel) l'ordre de mouvement correspondant.
Le 2 décembre 2008, les consorts [V] et la Holding Gradel n'ayant pas exercé leur droit de préemption pour acquérir les 412 actions, cette cession a fait l'objet d'une inscription dans les livres d'ATF.
Par ailleurs, la banque de Vizille a cédé au FCPR Atalante Capital Gestion, par acte sous seing privé du 14 novembre 2008, les parts qu'elle détenait dans les sociétés Orfitte Investissements 2 et Orfitte Investissements 3 à un prix que les consorts [V] jugent anormalement bas.
Le 18 juillet 2011, la société Martin Maurel Gestion a informé ATF qu'elle venait aux droits de Grignan Capital Gestion, suite à une fusion entre ces 2 sociétés.
Le 12 décembre 2017 dans le cadre d'un protocole d'accord transactionnel, la Holding Gradel a finalement acquis les 412 actions litigieuses d'ATF auprès du FCPR Atalante Capital Il, venant aux droits de Grignan Capital Gestion.
Considérant que la cession opérée en 2008 entre la Banque de Vizille et Grignan Capital Gestion aurait été faite de façon frauduleuse les empêchant d'exercer leur droit de préemption en cédant les actions à un prix très élevé, les consorts [V] et la Holding Gradel ont assigné la Sas CM-CIC Investissement (anciennement Banque de Vizille) et la société Martin Maurel Gestion (venant aux droits de Grignan Capital Gestion) devant le tribunal de commerce de Paris par actes du 24 décembre 2014.
Par acte du 28 février 2017 les consorts [V] et la Holding Gradel ont appelé dans la cause la société La Veliere Captial, en qualité de nouveau gestionnaire du FCRP Atalante Capital II.
Par jugement du 31 janvier 2018 le tribunal a donné acte aux demandeurs de leur désistement d'action et d'instance l'encontre de Rotschild Asset Management, venant aux droits de [D] [X] Gestion et de La Veliere Capital, nouvellement renommée Aqua Asset Management ainsi que de l'acceptation de ce désistement par ces dernières.
Par jugement du 11 octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris a :
- Déclaré irrecevable les demandes de Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel en ce qu'elles sont prescrites ;
- Débouté CM CIC Investissement SCR de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts ;
- Condamné solidairement Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel à payer à CM CIC Investissement SCR la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné solidairement Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 161,36 € dont 26,68 € de TVA.
Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 14 novembre 2018.
***
Dans leurs dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 2 juillet 2019, Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la Holding Gradel demandent à la cour de :
Vu les articles 1134, 1142 et 1382 du code civil,
1- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable leurs demandes en ce qu'elles sont prescrites et les a condamné solidairement à payer à CM CIC Investissement SCR la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant de nouveau,
2- Déclarer recevable et bien fondée leurs demandes,
- Dire et juger que la responsabilité contractuelle de la société CM-CIC Investissement (ex Banque de Vizille) se trouve engagée du fait de l'exécution de mauvaise foi de la clause de préemption existant au profit des requérants,
- Condamner la société CM ' CIC Investissement à leur payer la somme de 743.143 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice.
- Condamner la société CM ' CIC Investissement à leur payer une somme de 17.000 € chacun en réparation du préjudice moral subi du fait de leurs comportements déloyaux visant à frauder leurs droits de bénéficiaire du droit de préemption.
- Débouter la société CM ' CIC Investissement de l'ensemble de ses demandes,
3- Sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, condamner la société CM - CIC Investissement aux entiers dépens ;
4- Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la société CM - CIC Investissement à leur payer la somme de 20.000 € ;
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 13 mai 2019, la société CM-CIC Investissement SCR demande à la cour de:
- Confirmer le jugement rendu le 11 octobre 2018 par le tribunal de commerce de Paris sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau
- Dire et Juger irrecevable les demandes de Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et de la société Holding Gradel ;
- Dire et juger Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la société Holding Gradel mal fondés en leur action ;
- Débouter Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la société Holding Gradel de toutes leurs demandes, fins et conclusions et les condamner in solidum à lui payer d'une part 50.000 € à titre de dommages et intérêts et d'autre part, 30.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
SUR CE
Sur les fins de non recevoir
- Sur la prescription
La société CM-CIC expose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Elle fait valoir que le point de départ de la prescription se situe le 28 novembre 2008, date de la notification régulière de la cession des 412 actions ATF, que la surévaluation invoquée par les demandeurs ne pouvait leur avoir été celée, les consorts [V], en qualité d'actionnaires majoritaires et de dirigeants d'ATF étant les mieux à même d'apprécier une telle surévaluation.
Elle ajoute que, dans l'éventualité où le point de départ de la prescription devait être repoussé à la date où les consorts [V] ont eu connaissance du prix de cession des action Orfitte2, l'action serait également prescrite, cette cession ayant été publiée au greffe du tribunal de commerce le 29 octobre 2009, cette publication entraînant opposabilité aux tiers à l'acte.
Les consorts [V] soutiennent que la prescription ne peut courir que du jour où le titulaire du droit aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Ils contestent rn premier lieu la régularité de la notification de la cession qui a été faite aux majoritaires à l'adresse de la Holding Gradel alors que l'article XIII du pacte stipulait qu'elle devait être faite à l'adresse d'ATF. Ils reprochent encore à l'intimée de ne pas avoir porté à leur connaissance toutes les conditions de l'opération en violation de l'article 3 du pacte d'actionnaires.
Ils font ensuite valoir qu'ils n'ont eu connaissance de la cession par la Banque de Vizille au FCPR Atalante Capital II des titres Orfitte Investissements 2 que le 23 février 2014 à l'occasion d'une instance en référé devant le tribunal de commerce d'Annecy. Ils estiment que la publication de l'acte de cession a pour seule conséquence de permettre aux tiers de s'en prévaloir, elle n'a pas pour effet de faire courir le délai de prescription.
Ils ajoutent que la fraude à leur droit est lié à la concomitance de la cession des actions ATF à un prix anormalement haut qui serait la contrepartie de la cession des titres Orfitte, à un prix anormalement bas. Or, ne connaissant qu'une seule des opérations il n'étaient pas en mesure d'apprécier l'éventuelle surévaluation.
Aux termes de l'article 2224 du code civil applicable au litige 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'
En l'espèce la cour relève que c'est le 11 septembre 2008 par une LRAR reçue le 12 septembre 2008 que la Banque de Vizille a notifié aux appelants la cession des actions qu'elle détenait dans ATF à la société Grignan Capital Gestion afin de leur permettre d'exercer leur droit de préemption issu du pacte d'actionnaires. La notification ouvrant le droit de préemption a été régulièrement faite à Monsieur [S] [V] et à Madame [K] [V] au siège social d'ATF lequel se trouve, selon le Kbis d'ATF, à la même adresse que le siège social de la Holding Gradel, détenue à 99,9% par les époux [V]. La notification a donc bien été portée à la connaissance des majoritaires à l'adresse précisée dans le pacte.
Le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle les époux [V] et la Holding Gradel ont eu connaissance ou auraient du avoir connaissance du caractère frauduleux de la cession.
Cette date est selon eux la date à laquelle ils ont appris la cession concomitante par la banque des actions Orfitte faite à un prix anormalement bas, contrepartie du prix anormalement haut de des actions ATF. Ils affirment que l'article 3 du pacte contraignait les cédants à leur fournir cette information.
L'article 3 du pacte d'actionnaires stipulait que les projets de cession devaient comporter notamment l'indication 'des modalités de paiement du prix et de toutes autres conditions de l'opération.'
La vente des actions Orfitte par la Banque de Vizille ne peut être considérée comme entrant dans l'opération de cession des actions ATF. Il s'agit en effet d'une société tierce n'ayant aucun lien avec la société ATF si ce n'est que la propriété des actions de ces deux sociétés était détenue par la Banque de Vizille. La Banque de Vizille n'avait donc aucune obligation de les informer des autres opérations financières qu'elle avait effectuées et ce d'autant plus que la Banque a cédé pendant la même période quantité d'autres participations qu'elle détenait dans d'autres sociétés.
A la date de la notification de la cession les époux [V] étaient les actionnaires majoritaires et dirigeants d'ATF. Ils étaient donc, comme le fait justement observer le tribunal de commerce, à même d'apprécier la valeur des actions cédées et de demander des explications à la Banque s'ils estimaient que le prix de cession était hautement surévalué, ce qu'ils n'ont pas fait alors qu'ils avaient la possibilité selon l'article IX (B) du pacte d'actionnaires de solliciter une expertise en cas de désaccord sur le prix des actions.
La cour relève par ailleurs que l'acte de cession des actions Orfitte2 a été publiée au greffe du tribunal de commerce le 29 octobre 2009. La publication de cet acte l'a rendu opposable aux tiers et les époux [V] et la Holding Gradel sont réputés en avoir eu connaissance.
Dès lors, et sans qu'il soit besoin comme l'ont fait les premiers juges d'examiner si le prix de cession des actions ATF avait été réellement surévalué et le prix des actions Orfitte réellement sous évalué, la prescription est acquise au plus tard à compter de la date de publication de la cession des actions Orfitte, soit la date à laquelle les majoritaires ont pu avoir connaissance de la fraude qu'ils allèguent.
La date de prescription de l'action des époux [V] est donc le 29 octobre 2014. Ils ont engagé leur action le 24 décembre 2014. L'action est donc prescrite et le jugement sera confirmé par substitution de motifs.
Sur la demande reconventionnelle
La société CM-CIC estime que la procédure engagée tardivement, l'absence de fondement juridique sérieux, la dissimulation d'un important litige d'actionnaires les opposant à la société Martin Maurel Gestion et la réticence à produire le protocole d'accord constitue un abus d'ester en justice et sollicite la condamnation in solidum des consorts [V] à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice moral lié à sa mise en cause dans une accusation de fraude et de violation des droits des investisseurs.
Les consorts [V] contestent avoir abusé du droit d'ester en justice et estiment n'avoir fait que défendre leurs intérêts face à une banque déloyale.
Le droit d'agir en justice ou d'exercer une voie de recours n'est pas absolu, qu'il dégénère en abus pouvant donner lieu à des dommages-intérêts lorsque les circonstances traduisent une intention de nuire, une légèreté blâmable ou une témérité dans l'introduction de l'action en justice ou l'exercice du droit d'appel ;
Aucune des circonstances particulières de l'espèce ne caractérise de faute imputable aux époux [V] et à la Holding Gradel. La demande sera en conséquence rejetée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
La Sas CM-CIC Investissement - SCR sollicite le paiement de la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile .
Il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens. Il lui sera donc allouée de ce chef la somme de 15.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 11 octobre 2018,
DÉBOUTE la Sas CM-CIC Investissement - SCR de sa demande de dommages et intérêts,
CONDAMNE solidairement Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la société Holding Gradel à payer à la Sas CM-CIC Investissement - SCR la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNE solidairement Monsieur [S] [V], Madame [K] [V] et la société Holding Gradel aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La Greffière La Présidente
Hanane AKARKACH Michèle PICARD