Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 17 OCTOBRE 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02411 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7GLA
Décision déférée à la cour : jugement du 30 janvier 2019 -juge de l'exécution de Paris - RG n° 18/81332
APPELANTE
Société CITIBANK
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 1]
[Adresse 1] (Etats-Unis d'Amerique)
représentée par Me Aude Gonthier de la Scp Reynaud Associes, avocat au barreau de PARIS,
ayant pour avocat plaidant Me Stéphane Bonifassi, Me Nevena Ivanova et Me Marie Poirot avocat au barreau de Paris, toque : A 619
INTIMÉE
Société RASHEED BANK
société de droit irakien agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6] Irak
représentée par Me Nathalie Lesenechal, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
ayant pour avocat plaidant Me Ardavan Amir-Aslani, avocat au barreau de Paris, toque L38
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Emmanuelle Lebée, et M Gilles Malfre,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Emmanuelle Lebée, conseillère faisant fonction de présidente de chambre
M. Gilles Malfre, conseiller, chargé du rapport
M. Bertrand Gouarin, conseiller
Greffière, lors des débats : Mme Juliette Jarry
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Emmanuelle Lebée, conseillère faisant fonction de présidente de chambre et par Juliette Jarry, greffière présente lors du prononcé.
Par jugement du 27 septembre 2000, le tribunal d'arrondissement d'Amsterdam a notamment condamné in solidum les sociétés Rasheed Bank et Rafidain Bank à payer diverses sommes à la société Citibank. Se fondant sur cette décision, la société Citibank a fait pratiquer le 28 juillet 2011 une saisie conservatoire de créances, entre les mains de la société Natixis, au préjudice de la société Rasheed Bank, pour un montant de 3 839 385,79 euros.
Par ordonnance du 31 août 2011, devenue irrévocable à la suite d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 décembre 2017 rendu après cassation d'un précédent arrêt d'appel du 4 février 2014, le président du tribunal de grande instance de Paris a rendu exécutoire en France le jugement du 27 septembre 2000. Par acte du 26 juin 2014, la saisie conservatoire de créances a été convertie en saisie-attribution.
Par acte du 18 septembre 2014, la société Rasheed Bank a assigné la société Citibank devant le juge de l'exécution de Paris, notamment pour obtenir la mainlevée de la saisie conservatoire de créances du 28 juillet 2011.
Par jugement du 30 janvier 2019, le juge de l'exécution a rejeté la demande de nullité de l'assignation, a déclaré irrecevables les contestations de la saisie conservatoire de créances, a déclaré recevables les contestations de l'acte de conversion, a annulé cet acte du 26 juin 2014 et a condamné la société Citibank aux dépens.
La société Citibank a relevé appel de ce jugement, selon déclaration du 31 janvier 2019.
Par ordonnance du 16 avril 2019, le premier président de la cour d'appel a sursis à l'exécution du jugement entrepris, au motif que les éléments produits par la société Citibank caractérisaient des moyens sérieux de réformation en ce qu'ils établissent que la société Rasheed Bank exerce des activités purement privées et réalise des opérations commerciales courantes, outre que les fonds étaient déposés dans les comptes d'une banque commerciale aux fins de dépôt de gage-espèces et étaient utilisés par la société Rasheed Bank à des fins commerciales, de sorte qu'ils se rattacheraient à une opération financière de droit privé.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 2 juillet 2019, l'appelante poursuit, à titre principal, l'annulation du jugement, à titre subsidiaire, son infirmation en ce que le jugement a annulé l'acte de conversion du 26 juin 2014 et l'a condamnée aux dépens, elle demande à la cour, statuant à nouveau, de dire et juger que les créances saisies entre les mains de Natixis ne sont pas susceptibles d'être couvertes par une immunité d'exécution, de valider l'acte de conversion et de débouter la société Rasheed Bank de ses demandes. Dans tous les cas, elle entend que l'intimée soit condamnée à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions signifiées le 4 septembre 2019, la société Rasheed Bank sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de l'appelante à lui payer, en cause d'appel, la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
La régularité de l'assignation devant le juge de l'exécution, l'irrecevabilité de la contestation de la saisie conservatoire et la recevabilité de la contestation de l'acte de conversion ne sont plus contestées devant la cour.
Sur la demande d'annulation du jugement :
L'appelante fait valoir que la décision entreprise n'est pas motivée quant à l'application de l'immunité d'exécution sur les biens saisis, soutenant que le premier juge n'a pas examiné les nombreux éléments qu'elle a produits aux débats quant au fait que la société Rasheed Bank exerce des activités privées et réalise des opérations commerciales courantes, outre que les fonds étaient déposés dans les comptes d'une banque commerciale aux fins de dépôt d'un gage-espèces pratiqué dans le cadre d'une activité bancaire internationale de financement d'importations.
Elle note que le juge de l'exécution a appliqué la convention de l'Onu du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens mais a uniquement relevé, pour annuler l'acte de conversion, que la saisie portait sur la créance de restitution de la société Rasheed Bank sur des fonds que détient la société Natixis, ce dont il ne résultait pas, en soi, la preuve d'un rattachement de ce bien à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé, et qu'en l'absence d'autres éléments, le créancier succombait dans l'administration de la preuve qui lui incombe.
Toutefois, ainsi que le relève justement l'intimée, le juge n'est pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, de sorte qu'une motivation, même estimée incomplète, n'ouvre pas droit à l'annulation de la décision, en application de l'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile.
Sur la validité de l'acte de conversion du 26 juin 2014 :
Le premier juge doit être approuvé en ce qu'il a rappelé qu'à la date de la saisie conservatoire et de sa conversion, devait, en principe, être appliquée la règle en vertu de laquelle les États étrangers et leurs émanations bénéficient d'une immunité d'exécution, sauf lorsque le bien saisi se rattache à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice.
C'est d'une manière inopérante que l'intimée soutient que la convention de l'Onu du 2 décembre 2004, en particulier son article 19, ne refléterait pas la coutume internationale, en tous les cas, le droit coutumier national. Or, comme l'a justement indiqué le juge de l'exécution, cet article 19 stipule que l'affectation des biens saisis à une opération relevant du droit privé constitue une condition suffisante pour permettre l'exercice d'une voie d'exécution, sans qu'il soit nécessaire que les biens aient un lien avec la demande en justice.
De plus, comme l'a justement retenu le premier juge, l'exigence d'un lien entre le bien saisi et la demande en justice est contraire à l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, par l'atteinte disproportionnée qu'elle porte, sans but légitime, au droit à l'exécution forcée des décisions de justice du créancier.
Dans tous les cas, il est le relevé que cette exigence que les biens aient un lien avec la demande ayant fait l'objet de la procédure n'a pas été reprise dans la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 insérant l'article L. 111-1-2 dans le code des procédures civiles d'exécution, cette disposition ayant uniquement prévu que les biens visés par la mesure d'exécution forcée entretiennent un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. Cette disposition, bien que postérieure à la saisie conservatoire et sa conversion, doit être appliquée au présent litige, du fait de la nécessité d'une cohérence des règles en la matière et pour des impératifs de sécurité juridique.
Il convient par conséquent de vérifier si les biens saisis se rattachent à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé, ces biens devant entretenir un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée.
Contrairement à ce que plaide l'appelante, c'est en inversant la charge de la preuve qu'elle soutient qu'il appartient à l'intimée de prouver que les biens en question sont couverts par l'immunité d'exécution. En effet, cette immunité étant de principe s'agissant des biens d'un État ou de ses émanations, il incombe au saisissant de rapporter la preuve contraire. Cette solution résulte d'ailleurs de l'article L. 111-1-2, en ce qu'il conditionne la mise en oeuvre des mesures d'exécution forcée à une autorisation judiciaire préalable, à l'occasion de laquelle le requérant doit donc démontrer que les biens qu'il entend saisir ne sont pas couverts par une immunité d'exécution.
Il n'appartient cependant pas au saisissant, comme le fait plaider à tort l'intimée, d'établir la volonté de l'État ou de ses émanations d'affecter le bien saisi à une opération commerciale, sauf à imposer au saisissant une preuve impossible, l'État ou ses émanations étant toujours libres, in fine, d'affecter un bien par nature commercial, à une opération non commerciale et de le faire par conséquent échapper dans tous les cas à des poursuites.
Il résulte des déclarations en date du 29 juillet 2011 de la banque Natixis, tiers saisi, que les biens saisis ont été déposés par la société Rasheed Bank, au titre de la constitution d'un gage-espèces, ce compte courant de gage-espèces ayant un solde créditeur de 3 720 949,41 euros. Le 7 mars 2018, le tiers saisis a informé l'huissier de justice de l'existence d'un second compte enregistrant les intérêts produits par ce compte courant de gage-espèces, avec un solde créditeur de 1 969 301,75 euros au 31 juillet 2017.
Il est rappelé que la convention de gage-espèces est une technique qui repose sur la remise au créancier, pour le garantir de sa créance, d'une somme d'argent que le créancier ne restituera qu'en cas de dénouement positif du crédit. Les fonds remis au titre de gage-espèces sont autonomes du crédit documentaire que la constitution du gages-espèces vise à garantir, de sorte que ces fonds sont saisissables, même si un accord sur la prorogation du crédit documentaire est intervenu. Il n'est pas contestable que la constitution d'un tel gage-espèces est un instrument de garantie bancaire dans le cadre du commerce international.
Par ailleurs, au vu de ses statuts et des extraits de son site officiel «'internet'», la Rasheed Bank exerce des activités privées et réalise des opérations commerciales, ce que ne conteste pas l'intimée, faisant cependant observer que ces opérations privées ne sont nullement exclusives.
En outre, alors que l'appelante verse aux débats un faisceau d'éléments, notamment le rapport d'expertise financière du 16 janvier 2019, tendant à démontrer que le compte courant gage-espèces a dû être constitué au milieu des années 1990 et probablement avant, en tous les cas, à une époque où la Rasheed Bank exerçait des activités purement privées et réalisait des opérations commerciales courantes, se présentant à cette époque, ainsi que cela résulte de l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juillet 1999 produit par l'appelante, comme une banque indépendante de l'Etat irakien et non comme une émanation dudit État à l'occasion du présent litige, l'intimée n'apporte aucun élément probant permettant de combattre cette présomption, en particulier la date et les circonstances dans lesquelles elle a constitué ce compte courant de gage-espèces.
Il en est de même de l'absence de mouvements sur ce compte de gages-espèces. En effet, la Citibank rappelle que les fonds saisis n'ont pas pu changer d'usage depuis leur dépôt sur les comptes de Natixis, dans la mesure où ces biens étaient sous embargo puis sous une mesure de gel,'en vertu du régime des sanctions de l'Onu depuis le 6 août 1990, régime décliné par les règlements communautaires pertinents.
Si la Rasheed Bank fait valoir que le compte de gage-espèces a pu être crédité à plusieurs reprises après 1998, alors que ces opérations de crédit n'étaient pas prohibées,'selon elles, par la résolution 661 du Conseil de sécurité de l'Onu, outre que de telles opérations seraient autorisées par l'article 5 du règlement n°1210/2003, jusqu'à l'entrée en vigueur du règlement n°791/2014 du 22 juillet 2014, elle procède sur ce point par supposition et affirmation,'ne versant aux débats aucun justificatif sur de tels mouvements.
Par ailleurs, le fait que les biens objets des mesures aient fait l'objet de saisies antérieures est sans incidence sur la caractère saisissable desdits biens.
Dés lors, il est établi que les biens saisis sont, par nature, destinés à être utilisés autrement qu'à des fins de service public non commerciales, eu égard à la nature commerciale du gage-espèces,'à son indépendance vis-à-vis du contrat qu'il vise à garantir, et dans la mesure où ce gage-espèces relève d'une pratique bancaire habituelle de la Rasheed Bank dans les années 1990. En outre, les biens saisis ont un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est intentée, puisqu'ils sont la propriété de la Rasheed Bank.
Il convient par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'acte de conversion du 26 juin 2014.
Sur les autres demandes :
Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la Rasheed Bank sera condamnée à payer une somme de 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Déboute la société de droit américain Citibank de sa demande d'annulation du jugement ;
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité de l'assignation, en ce qu'il a déclaré irrecevables les contestations de la saisie conservatoire de créances du 28 juillet 2011 et en ce qu'il a déclaré recevables les contestations de l'acte de conversion du 26 juin 2014 ;
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées ;
Valide l'acte de conversion du 26 juin 2014 ;
Condamne la société de droit irakien Rasheed Bank à payer à la société de droit américain Citibank la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société de droit irakien Rasheed Bank aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente