RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 04 Décembre 2019
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/04707 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5M7Y
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F 16/10834
APPELANTE
Madame [B] [F]
[Adresse 2]
[Localité 5]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 6] (Cambodge) (99)
représentée par Me Mabrouk SASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : C0735
INTIMEE
SAS SAS BLACKSWAN INVEST
[Adresse 3]
[Localité 4]
N° SIRET : 529 30 0 6 00
représentée par Me Suzanne BENTO CARRETO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1806
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 19 juillet 2019
Greffier, lors des débats : M. Julian LAUNAY
ARRET :
- Contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [B] [F] a été embauchée par la société Blackswan Invest suivant un contrat de travail à durée indéterminée en 2011, en qualité de directrice des investissements.
Par lettre du 25 mars 2016, la société Blackswan Invest a convoqué Madame [B] [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 4 avril 2016.
Son licenciement pour motif économique lui a été notifié le 22 avril 2016.
Contestant le bien-fondé de son licenciement et sollicitant le paiement de diverses indemnités, Madame [B] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, qui, par jugement du 21 février 2018, l'a déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens, et a débouté la société Blackswan Invest de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [B] [F] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe en date du 29 mars 2018.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 10 juillet 2019, elle demande à la cour de:
-infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens,
-condamner la société Blackswan Invest à lui payer les sommes suivantes:
* 150 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par voie électronique le 9 août 2019, la société Blackswan Invest demande à la cour de:
-confirmer le jugement entrepris et débouter Madame [B] [F] de ses demandes,
-à titre subsidiaire, réduire le quantum des dommages et intérêts sollicités au préjudice justifié,
-condamner Madame [B] [F] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Madame [B] [F] fait valoir qu'elle a été embauchée à compter du 1er mars 2011 et que :
- les éléments constitutifs du licenciement économique ne sont pas remplis,
- aucune difficulté d'ordre économique ne peut être constatée,
- les difficultés économiques doivent s'apprécier au regard du secteur d'activité du groupe, ce qui n'a pas été fait en l'espèce,
- l'employeur ne démontre pas que le licenciement entre dans le cadre d'une réorganisation d'entreprise nécessaire à la compétitivité de celle-ci,
- le reclassement aurait dû être envisagé à l'échelle du groupe et la société Blackswan Invest a manqué à son obligation de reclassement,
- la société Blackswan Invest ne fait état d'aucun élément comptable probant qui démontrerait que la société faisait face, en 2016, à des difficultés qui rendaient impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise.
La société Blackswan Invest fait valoir que :
- Madame [B] [F] a été embauchée à compter du 1er septembre 2011, alors qu'elle avait été engagée une première fois le 28 février 2011 avant de démissionner et de quitter la société le 26 mai 2011,
- elle a rencontré en 2012 d'importantes difficultés économiques, entraînant la perte des deux tiers de ses fonds propres et conduisant à une réduction du capital social, les deux emplois salariés ayant pu être conservés au prix de nombreux efforts tels que des abandons de compte-courant en 2012, 2013 et 2014,
- les perspectives d'activité pour le reste de l'année 2016 et 2017 étaient particulièrement sombres et il est apparu que seule une réorganisation de la société serait à même de sauvegarder sa compétitivité,
- la diminution d'activité n'est pas liée à une décision délibérée de la direction mais résulte d'une volonté des clients investisseurs,
- la suppression du poste de la salariée était justifiée,
- aucun poste n'était disponible en interne et au sein du groupe, et elle a respecté son obligation de reclassement,
- la salariée ne justifie pas du préjudice subi.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2019 et l'audience de plaidoirie s'est tenue le 3 octobre 2019.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties.
MOTIFS
Sur le licenciement
Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du groupe auquel elle appartient.
La cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient.
Le motif économique doit s'apprécier à la date du licenciement.
Selon l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie, sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ; les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
L'existence d'un motif économique tel que défini par le législateur notamment, ne suffit pas à justifier le licenciement. L'employeur ne pourra procéder au licenciement économique du salarié concerné que si son reclassement s'avère impossible.
Il s'en déduit que le licenciement pour motif économique ne repose sur une cause réelle et sérieuse que si l'employeur peut tout à la fois justifier des difficultés économiques ou de la nécessité de la sauvegarde de la compétitivité qu'il allègue, et établir qu'il a mis tout en 'uvre pour assurer le reclassement du salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée :
« (')
La société Blackswan Invest a pour principales activités d'une part la gestion locative et d'autre part une activité d'investissement. A ce titre elle est amenée à acquérir pour son propre compte et celui de ses mandants des murs de commerce de pied d'immeuble.
Il apparaît que les principaux clients de notre société ont arrêté des décisions de nature à impacter de plein fouet le volume d'investissement portant sur des locaux commerciaux de pied d'immeuble. Il ne sera de ce fait plus possible d'investir sur des actifs dont la commercialité est qualifiée d'insuffisante et relevant des investissements dits N°2.
La baisse prévisible d'activité est considérable, puisque les investissements de commercialité N°2 ont masqué en 2015 une diminution significative du chiffre d'affaires lié à la recherche d'investissements dont la commercialité est satisfaisante (N°1 et 1 bis) qui est passé de 817.000 euros HT en 2013 à 578.000 euros HT seulement en 2015.
Cette situation qui s'inscrit dans un contexte qui demeure particulièrement concurrentiel, nous impose de prendre toutes les dispositions nécessaires afin de sauvegarder la compétitivité de notre société.
Telles sont les raisons qui nous conduisent à procéder à une réorganisation au sein de la société, laquelle conduit à la suppression de votre poste de directrice des investissements.
Comme nous vous l'avons indiqué, aucune solution de reclassement n'a pu être trouvée. »
Il résulte des éléments communiquées, et notamment des documents comptables, que, dans un contexte fortement concurrentiel à l'origine d'une raréfaction des opportunités d'investissements, la société Blackswan Invest a dû faire face à une diminution de la rentabilité locative, conduisant à une baisse de son chiffre d'affaires portant sur ses investissements principaux N°1 et N°1 bis, passé de 817 039 euros en 2013, à 578 000 euros en 2015.
La cour observe, par ailleurs, que les comptes de la société Blackswan Invest mentionnent, au passif, un report à nouveau négatif de ' 340 823 euros en 2014 et de ' 329 793 euros en 2015, alors que le capital social est de 700 000 euros, et que le résultat net de la société Blackswan Invest est passé de 12 965 euros en 2015 à 3 238 euros en 2016.
La cour rappelle, toutefois, que la cause économique du licenciement doit d'apprécier au niveau du secteur d'activité du groupe de la société Blackswan Invest et que la charge de la preuve de l'existence d'un motif économique repose sur l'employeur. Or, si les éléments du dossier permettent d'établir l'existence d'une menace sur la sauvegarde de la compétitivité de la société Blackswan Invest, cette dernière ne verse aux débats aucun élément, et notamment aucun document comptable, pour permettre à la cour d'apprécier la cause économique au niveau du secteur d'activité du groupe, alors que ce dernier est composé de plus d'une vingtaine de sociétés, comme l'indique l'attestation d'absence d'effectif salarié datée du 6 décembre 2017.
Ainsi, l'existence d'un motif économique au licenciement de Madame [B] [F] n'est pas établie et le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
A la date du licenciement, Madame [B] [F] percevait une rémunération mensuelle brute de 10 000 euros et avait 57 ans. Il ressort des contrats de travail versés aux débats qu'elle a été embauchée le 1er septembre 2011 et qu'elle bénéficiait d'une ancienneté de 4 ans et 8 mois au sein de l'établissement.
Elle justifie avoir retrouvé un emploi à compter du 23 février 2017.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, du montant de la rémunération versée à Madame [B] [F], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.
La société sera condamnée au paiement de cette somme et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur les frais de procédure
La société Blackswan Invest, succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens.
Elle sera, en outre, condamnée à payer à Madame [B] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS Blackswan Invest à payer à Madame [B] [F] la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Blackswan Invest à payer à Madame [B] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SAS Blackswan Invest aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE