Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019
(n° / 2019 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/03065 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5AEF
Décision déférée à la cour : Ordonnance du 29 Novembre 2016 - Juge de la mise en état de BOBIGNY - RG n° 14/01306
APPELANTE
SA PRICEWATERHOUSECOOPERS AUDIT, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 672 006 483
Ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111,
Assistée de Me Olivier HILLEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E0257
INTIMÉ
Maître [B] [E], agissant en son nom propre, ès qualité d'ancien administrateur judiciaire de la société CARRERE GROUP SA,
Né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 5]
Demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,
Assisté de Me Guillaume LEMAS, avocat au barreau de PARIS, toque : R044
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l' article 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Novembre 2019, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
Le 26 juin 2004, les sociétés de commissariat aux comptes Hermesiane et PricewaterhouseCoopers Audit (ci-après PWCA) ont été désignées en qualité de commissaires aux comptes de la société Carrere group afin de procéder à l'audit et à la certification des comptes de ladite société.
Par jugement du 30 décembre 2008, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Carrere group, Maître [E] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire. Par jugement du 9 juillet 2010, le tribunal a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire et mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire.
Pendant la période d'observation, le 19 janvier 2009, les co-commissaires aux comptes ont adressé à la société Carrere group une lettre de mission conjointe concernant la certification des comptes au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2008, le montant des honoraires de la société PWCA étant évalué à hauteur de 448.500 euros TTC. Par lettre du 23 janvier 2009, la société PWCA a adressé à la société Carrere group une facture de ce montant. Le 2 juin 2009, le dirigeant de la société Carrere group a signé et retourné la lettre de mission des co-commissaires aux comptes. Selon la société PWCA, Maître [E] a approuvé l'accord donné par les dirigeants successifs.
Le 26 novembre 2013, le liquidateur judiciaire a informé la société PWCA de l'inscription de sa créance à titre chirographaire sur le fondement de l'article L. 622-17 du code de commerce et de ce qu'il ne pouvait, à la suite de la cession des actifs de la société, procéder au règlement de cette créance compte tenu des nantissements bénéficiant aux établissements financiers.
Le 15 janvier 2014, la société PWCA a engagé, devant le tribunal de commerce de Bobigny, une action en paiement de ses honoraires contre la liquidation judiciaire de la société Carrere group.
Le 17 janvier 2014, elle a par ailleurs assigné Maître [E] en responsabilité, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, à raison de fautes commises dans le cadre de ses fonctions d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Carrere group et du préjudice causé par le défaut de paiement de sa créance d'honoraires. Par ordonnance du 29 novembre 2016, le juge de la mise en état, faisant droit à la demande de Maître [E], a sursis à statuer sur les demandes de la société PWCA dans l'attente de la décision du tribunal de commerce de Bobigny à intervenir dans l'instance introduite par l'assignation délivrée le 15 janvier 2014.
La société PWCA a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 29 décembre 2016. L'affaire a été enrôlée sous le numéro RG 17/258. Par arrêt du 28 mai 2019, la cour a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 septembre 2018 ayant déclaré irrecevable cet appel faute d'avoir été autorisé par le premier président conformément à l'article 380 du code de procédure civile.
Sur autorisation du délégataire du premier président à interjeter appel immédiat de la décision de sursis à statuer, accordée par ordonnance du 30 janvier 2018, et par déclaration du 5 février 2018, la société PWCA a relevé à nouveau appel de l'ordonnance du 29 novembre 2016 du juge de la mise en état, et elle a assigné Maître [E] à comparaître le 28 mai 2018. Ce second appel a été enrôlé sous le numéro RG 18/3065.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 novembre 2018, la société PWCA demande à la cour de déclarer son second appel recevable, d'infirmer l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau, de débouter Maître [E] de sa demande de sursis à statuer, de rejeter la demande de sursis à statuer formée par l'intimé 'dans l'attente de l'issue définitive de l'incident d'irrecevabilité de l'appel en date du 29 décembre 2016 enregistré sous le numéro RG 17/258", et de condamner Maître [E] à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 6 novembre 2019, Maître [E] demande à la cour de déclarer l'appel de la société PWCA irrecevable, subsidiairement d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de l'incident d'irrecevabilité de l'appel formé le 29 décembre 2016, plus subsidiairement de confirmer l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a limité le sursis à l'instance pendante devant le tribunal de commerce et d'ordonner le sursis dans l'attente des décisions à intervenir dans le cadre du litige opposant la société PWCA à la liquidation judiciaire de la société Carrere group pendant devant le tribunal de commerce de Bobigny et devant le tribunal de grande instance de Bobigny, en tout état de cause de condamner la société PWCA à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'appel :
Maître [E] soutient que la société PWCA est irrecevable en son appel en application de l'alinéa 3 de l'article 911-1 du code de procédure civile au motif qu'elle a formé un premier appel le 29 décembre 2016 déclaré irrecevable par ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 septembre 2018 confirmée par arrêt de la cour du 25 septembre 2019. Il observe en réponse à l'appelante que le premier président, saisi d'une demande d'autorisation à faire appel immédiat d'une ordonnance du juge de la mise en état, n'a pas statué sur la recevabilité de cet appel.
La société PWCA réplique que la recevabilité de l'appel s'apprécie au jour où cette voie de recours est exercée, que les dispositions de l'article 911-1, 3ème alinéa, du code de procédure civile ne sont pas applicables en la cause car applicables aux appels formés à compter du 1er septembre 2017, que, quand bien même elles seraient applicables, l'appel direct du 29 décembre 2016 n'a pas été déclaré irrecevable au jour de l'assignation devant le premier président, le 29 décembre 2016, ni au jour de la déclaration d'appel autorisé, le 5 février 2018, que le présent appel a été autorisé par le premier président qui a, en outre, nécessairement considéré qu'il était recevable. Elle précise que le présent appel a été formé avant que l'appel ayant donné lieu à l'ouverture de l'instance 17/258 ait été déclaré irrecevable, que l'appel sur autorisation du premier président est en effet formé au moment où est signifiée l'assignation qui saisit le premier président aux fins d'autorisation de faire appel, qu'en l'espèce la signification de l'assignation devant le premier président en date du 29 décembre 2016 est nécessairement antérieure à la déclaration d'appel déposée le même jour mais à une heure - 18 heures 19 - où les huissiers n'exercent plus leur mission.
L'article 911-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, dispose en son 3ème alinéa que la partie dont l'appel a été déclaré irrecevable n'est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie. Il se déduit de ces dispositions que seuls les appels formés après qu'un premier appel a été déclaré irrecevable sont eux-mêmes irrecevables.
En vertu de l'article 53 du décret du 6 mai 2017 modifié par le décret du 2 août 2017, ces dispositions s'appliquent aux appels formés à compter du 1er septembre 2017. En l'espèce, la société PWCA a formé appel par déclaration du 5 février 2018, après y avoir été autorisée par ordonnance du premier président de la cour d'appel rendue le 30 janvier 2018, de sorte que le 3ème alinéa de l'article 911-1 du code de procédure civile est applicable à cet appel.
La société PWCA avait au préalable formé appel par déclaration du 29 décembre 2016. Ce premier appel a été déclaré irrecevable par ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 septembre 2018 confirmée par arrêt de la cour du 28 mai 2019, soit postérieurement au second appel interjeté par la société PWCA. Le premier appel de la société PWCA n'ayant pas été déclaré irrecevable au jour où le second appel a été interjeté, la société PWCA était recevable à former ce second appel le 5 février 2018, étant en outre observé que l'appelante avait, ce jour-là, un intérêt à former appel sur autorisation du premier président de la cour dès lors que le premier appel, formé sans une telle autorisation, était susceptible d'être entaché d'irrégularité.
Il convient dès lors de déclarer recevable l'appel interjeté par la société PWCA le 5 février 2018.
Sur le fond :
Sur la demande de sursis à statuer formée par Maître [E] devant la cour :
Maître [E] demande à la cour d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de l'incident d'irrecevabilité de l'appel formé par la société PWCA le 29 décembre 2016 compte tenu du pourvoi formé par celle-ci à l'encontre de l'arrêt rendu par la cour le 28 mai 2019.
L'issue du litige quant à la recevabilité du premier appel formé par la société PWCA est sans influence sur la présente instance dès lors que la cour juge recevable le second appel de la société PWCA aux motifs qu'il a été interjeté en tout état de cause avant qu'il n'ait été statué sur la recevabilité du premier appel et que la société PWCA a un intérêt à former ce second appel.
La demande de Maître [E] est donc rejetée.
Sur le sursis à statuer ordonné par le juge de la mise en état :
La société PWCA soutient que ce sursis à statuer ne se justifie pas au regard du principe de non-subsidiarité de l'action en responsabilité civile contre un professionnel du droit. Elle rappelle que l'action en paiement et l'action en responsabilité ne sont ni incompatibles ni dépendantes l'une de l'autre de sorte qu'il n'est pas besoin d'attendre l'issue de l'instance ayant pour objet l'action aux fins de condamnation à paiement du liquidateur judiciaire ès qualités pour que puisse se poursuivre l'instance ayant pour objet l'action en responsabilité contre l'ancien administrateur judiciaire. Elle ajoute que, contrairement à ce qu'a dit le premier juge, elle ne prétend pas à l'inutilité de la procédure qu'elle a engagée devant le tribunal de commerce mais que cette procédure est nécessaire pour obtenir un titre judiciaire exécutoire correspondant à une créance certaine, liquide et exigible qui n'a jamais été contestée depuis sa naissance, en janvier 2009.
Maître [E] prétend que, dans le cadre d'une bonne administration de la justice, il importe d'ordonner un sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive non seulement dans le cadre de l'instance introduite par la société PWCA devant le tribunal de commerce de Bobigny, comme l'a ordonné le juge de la mise en état, mais aussi dans le cadre de l'ensemble des litiges opposant la société PWCA à la liquidation judiciaire. Il expose ainsi que le liquidateur judiciaire a lui-même introduit deux actions en responsabilité civile professionnelle à l'encontre du commissaire aux comptes, au terme desquelles est sollicitée la condamnation de la société PWCA à payer à la procédure collective les sommes de 2.300.000 euros et de 65.452.715,89 euros à titre de dommages et intérêts, et que, sur saisine du liquidateur judiciaire du 3 novembre 2015 et par décision du 30 juin 2017, la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Versailles a fixé les honoraires de la société PWCA à la somme de 275.000 euros HT, la société PWCA ayant fait appel de cette décision devant le Haut conseil du commissariat aux comptes.
S'agissant des actions tendant à voir fixer le montant des honoraires dus à la société PWCA et condamner en paiement la liquidation judiciaire de la société Carrere group, portées devant le Haut conseil du commissariat aux comptes et le tribunal de commerce de Bobigny, si l'appréciation de l'évaluation du préjudice allégué par la société PWCA nécessitera de prendre en compte le sort de ces actions, l'appréciation de la faute reprochée à Maître [E] en est indépendante de sorte qu'il ne peut être considéré que le sort de l'action en responsabilité engagée par la société PWCA dépend de ces deux actions.
Quant aux actions en responsabilité diligentées par le liquidateur judiciaire de la société Carrere group à l'encontre de la société PWCA, dont la cour ne connaît ni les prétentions ni les fondements, il n'est pas démontré qu'elles sont de nature à influencer l'instance initiée par celle-ci à l'encontre de Maître [E], une éventuelle créance indemnitaire due à la liquidation judiciaire par la société PWCA n'ayant pas vocation à remettre en cause le principe et le quantum du préjudice dont le commissaire aux comptes se prévaut à l'encontre de Maître [E].
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état et de débouter Maître [E] de sa demande de sursis à statuer.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant contradictoirement,
Déclare recevable l'appel formé par la société PricewaterhouseCoopers Audit le 5 février 2018 ;
Rejette la demande de sursis à statuer, formée par Maître [E], dans l'attente de l'issue définitive de l'incident d'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société PricewaterhouseCoopers Audit le 29 décembre 2016 ;
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a dit nulles les constitutions de Me [H] [D], tant celle du 5 janvier 2015 que celle du 22 décembre 2015, a écarté des débats l'ensemble des conclusions signifiées par Me [H] [D] et a réservé les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile, à l'exception des frais irrépétibles relatifs au mandat de représentation confié à Me [H] [D] qui resteront à la charge de Maître [E] ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par Maître [E] ;
Condamne Maître [E] à payer à la société PricewaterhouseCoopers Audit la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne Maître [E] aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT