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17/12/2019 | FRANCE | N°18/28108

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 17 décembre 2019, 18/28108


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019



(n° /2019 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28108 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B65LS



Décision déférée à la cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt du 10 Juillet 2018 - RG n° A16-17.337 rendu le 15 mars 2016 (RG 14/2087) rectifié le 19 avril 2016 (RG 16/2192) par la cour d'appel de RENNES

sur appel d'un jugement rendu le 3 juillet 2013 par le tribunal de commerce de LORIENT (RG 2008000820).





APPELANTE



SARL GORIOUX-FARO & ASSOCI...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019

(n° /2019 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28108 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B65LS

Décision déférée à la cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt du 10 Juillet 2018 - RG n° A16-17.337 rendu le 15 mars 2016 (RG 14/2087) rectifié le 19 avril 2016 (RG 16/2192) par la cour d'appel de RENNES sur appel d'un jugement rendu le 3 juillet 2013 par le tribunal de commerce de LORIENT (RG 2008000820).

APPELANTE

SARL GORIOUX-FARO & ASSOCIES, agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au RCS de QUIMPER sous le numéro 338 896 350

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Jean-Claude GOURVES, avocat au barreau de QUIMPER,

INTIMÉE

SA FRANÇAISE DE GASTRONOMIE

Immatriculée au RCS de STRASBOURG sous le numéro 558 503 371

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée et assistée de Me Jean-Jacques LE PEN de la SELAS LPLG AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0114

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l' article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Octobre 2019, en audience publique, devant la cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence DUBOIS-STEVANT dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

FAITS ET PROCÉDURE:

La société Française de gastronomie a pour activité la distribution de produits alimentaires fabriqués par ses filiales, dont la société Ugma spécialisée dans la fabrication de conserves d'escargots.

La société Vectora a pour filiale la société Larzul qui a pour activité la fabrication et le négoce de charcuterie, conserve, plats cuisinés. La société Larzul a pour commissaire aux comptes la société Gorioux-Faro & associés.

Le 14 décembre 2004, les sociétés Vectora, Française de gastronomie et Ugma ont signé un protocole prévoyant une prise de participation de 50 % des titres Larzul par la société Française de gastronomie, l'apport du fonds de commerce de la société Ugma, la cession de ses actions Larzul par la société Vectora et une augmentation de capital réservée à la société Française de gastronomie. Le même jour, a été signé un traité d'apport par la société Ugma de son fonds de commerce pour 800.000 euros. La caducité de ce traité d'apport a été constatée ultérieurement par un arrêt de la cour d'appel d'Angers du 24 janvier 2012.

Le 31 janvier 2005, la société Vectora a consenti à la société Française de gastronomie une promesse de vente de ses actions Larzul et celle-ci a consenti à la société Vectora une promesse d'achat de ces mêmes titres. La société Vectora a rétracté sa promesse de vente par lettre du 5 mars 2007. Le 7 janvier 2008, la société Française de gastronomie a levé l'option de vente prévue à la promesse puis a assigné la société Vectora pour obtenir la cession forcée des actions Larzul. Statuant sur renvoi après cassation et par arrêt du 27 septembre 2012, la cour d'appel de Paris a débouté la société Française de gastronomie de ses demandes d'exécution forcée et de dommages-intérêts. Le pourvoi formé par celle-ci a été rejeté par arrêt du 14 janvier 2014.

La société Française de gastronomie et la société Larzul ont par ailleurs développé des relations commerciales dans le cadre d'un contrat de distribution et d'un contrat d'agence commerciale. Ces contrats ont été dénoncés le 17 octobre 2007. Par arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 octobre 2013, la société Française de gastronomie a été condamnée à payer à la société Larzul, après déduction de ce que cette dernière lui devait, la somme de 482.003,85 euros au titre du contrat de distribution, et la société Larzul a été condamnée à payer à la société Française de gastronomie la somme de 145.000 euros au titre du contrat d'agent commercial.

Estimant que le commissaire aux comptes de la société Larzul, la société Gorioux-Faro et associés, avait commis des fautes dans l'accomplissement de sa mission auprès de la société Larzul, en ne signalant pas les irrégularités dont il avait eu connaissance et en ne déclenchant pas la procédure d'alerte, alors que des éléments de nature à compromettre la continuité de l'exploitation étaient portés à sa connaissance, la société Française de gastronomie a assigné, par acte du 18 janvier 2008, la société Gorioux-Faro et associés aux fins d'obtenir sa condamnation en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait de ses manquements.

Après expertise, le tribunal de commerce de Lorient, en considération des fautes qu'il estimait avoir été commises par le commissaire aux comptes, ayant causé un préjudice à la demanderesse "qui s'est vue écarter par des manoeuvres douteuses des orientations commerciales de la société Larzul" a, par jugement du 3 juillet 2013, condamné la société Gorioux-Faro et associés à payer à la société Française de gastronomie une indemnité de 200.000 euros pour fautes dans l'exercice de sa mission de commissaire aux comptes et celle de 12.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le tribunal a retenu que le commissaire aux comptes avait certifié avec réserve des comptes inexacts pour les exercices 2006 et 2007 alors qu'il aurait dû refuser de les certifier, qu'il avait ainsi passé en provision du bilan 2006 une somme correspondant à un préjudice non établi, ce qui avait faussé le résultat de l'exercice laissant apparaître un bénéfice au lieu d'un résultat largement déficitaire, que le commissaire aux comptes n'avait pas informé les actionnaires des irrégularités constatées, que le conseil d'administration du 12 septembre 2007, devant statuer sur l'arrêt d'une activité constituant 25 % du chiffre d'affaires, s'était tenu de façon irrégulière sans que le commissaire aux comptes n'émette de réserve alors qu'il est tenu de s'assurer de l'égalité entre les actionnaires, que le commissaire aux comptes n'avait pas rapporté les dissensions entre les membres du conseil d'administration, qu'il aurait dû informer les actionnaires des agissements douteux masquant la situation comptable réelle de la société Larzul, et qu'il aurait dû signaler que le conseil d'administration n'avait pas mis à son ordre du jour l'examen des différends entre les associés sur la continuité de l'exploitation de l'entreprise.

Il a également retenu que le fait d'avoir, par son silence, couvert les irrégularités était générateur de préjudice vis-à-vis de la société Française de gastronomie qui s'était vu écarter par des manoeuvres douteuses des orientations commerciales de la société Larzul ayant eu des conséquences irréparables sur sa valeur.

Par arrêt du 15 mars 2016, la cour d'appel de Rennes a réformé ce jugement, condamné la société Gorioux-Faro & associés à payer à la société Française de gastronomie une indemnité de 20.000 euros pour manquement à ses obligations professionnelles, l'a déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et, y ajoutant, a condamné la société Gorioux-Faro et associés à payer à la société Française de gastronomie la somme de 8.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

Par arrêt du 19 avril 2016, la cour d'appel de Rennes a rectifié cet arrêt et lui a substitué le dispositif suivant :

- "infirme le jugement, statuant à nouveau :

- déboute la société Française de gastronomie de toutes ses demandes ;

- déboute les parties de leurs demandes respectives présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la société Française de gastronomie aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code ;

- ordonne qu'il soit fait mention de cette rectification en marge de la minute de cet arrêt et des expéditions qui seront délivrées et ce conformément aux dispositions de l'article 462 du nouveau code de procédure civile ; laisse les dépens à la charge du Trésor public" .

Sur pourvoi formé par la société Française de gastronomie et par arrêt du 10 juillet 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 15 mars 2016, rectifié le 19 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris.

Dans ses conclusions d'appel, la société Française de gastronomie avait invoqué au soutien de ses demandes dirigées contre la société de commissariat aux comptes tant sa qualité d'associé de la société Larzul que sa qualité de cocontractant de celle-ci. La cour d'appel de Rennes avait rejeté ses demandes en considérant, d'une part, qu'elle avait perdu sa qualité d'actionnaire de la société Larzul à la suite de l'arrêt rendu le 24 janvier 2012 par la cour d'appel d'Angers et de l'arrêt rendu le 27 septembre 2012 par la cour d'appel de Paris et, d'autre part, que son préjudice né de la rupture de ses relations commerciales avec la société Larzul avait déjà été réparé par l'arrêt rendu le 2 octobre 2013 par la cour d'appel de Paris, les prétendus manquements du commissaire aux comptes étant en outre sans lien avec le préjudice allégué déjà réparé.

La Cour de cassation a considéré qu'en retenant que la société Française de gastronomie n'était pas ou plus actionnaire de la société Larzul, alors que l'existence du droit d'agir en justice s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures, la cour d'appel de Rennes avait violé l'article 31 du code de procédure civile.

Par déclaration du 13 décembre 2018, la société Gorioux-Faro & associés a saisi la cour de céans et, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 22 janvier 2019, elle demande à la cour de la déclarer recevable en son appel, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 juillet 2013 par le tribunal de commerce de Lorient et statuant à nouveau :

- de dire et juger que la société Française de gastronomie ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui de la société Larzul,

- de dire et juger que la société Française de gastronomie a d'ores et déjà été indemnisée de son préjudice résultant de la rupture du contrat d'agent commercial,

- de dire et juger que les anomalies des comptes sont bien circonscrites et ont fait l'objet de réserves claires et détaillées de sa part,

- de dire et juger en conséquence qu'elle n'a commis aucune faute de nature à couvrir ou dissimuler des irrégularités des comptes,

- de dire et juger en tout état de cause que la société Française de gastronomie ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque tant dans son principe que dans son quantum,

- en toutes hypothèses, de débouter la société Française de gastronomie de toutes ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 50.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 13 mars 2019, la société Française de gastronomie demande à la cour :

- de déclarer la société Gorioux-Faro & associés irrecevable et mal fondée en son appel,

- de l'en débouter,

- de confirmer le jugement entrepris ayant retenu la responsabilité du commissaire aux comptes pour avoir commis des fautes dans l'accomplissement de sa mission,

- de confirmer l'existence d'un préjudice subi par elle et de condamner la société Gorioux-Faro & associés à lui payer la somme de 800.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- y ajoutant, de condamner la société Gorioux-Faro & associés à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens comprenant les frais d'expertise.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

La société Française de gastronomie soulève l'irrecevabilité de l'appel sans soutenir le moindre moyen au soutien de sa fin de non-recevoir. Aucun moyen n'étant susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la société Gorioux-Faro & associés recevable.

Sur les préjudices invoqués par la société Française de gastronomie en sa qualité de cocontractant de la société Larzul :

La société Française de gastronomie affirme que les manquements qu'elle reproche au commissaire aux comptes - tenant au défaut de mention dans son rapport relative à la rupture, intervenue le 17 octobre 2007, des contrats d'agence commerciale et de distribution, conclus avec la société Larzul le 31 janvier 2005, et à l'absence de procédure d'alerte - ont été à l'origine d'une perte de chance subie par elle d'éviter la rupture de ces contrats.

La société Gorioux-Faro & associés soutient que la société Française de gastronomie est d'ores et déjà indemnisée du préjudice allégué résultant de la rupture des contrats en cause, et ce compte tenu des décisions de la cour d'appel de Paris, et que le préjudice dont se prévaut la société Française de gastronomie n'est ni actuel ni certain mais éventuel et qu'il ne peut s'apprécier qu'à l'aune de la perte de chance qui doit être réelle, certaine et sérieuse.

La société Française de gastronomie se borne à exposer en page 41 de ses conclusions que la rupture de chacun des contrats en cause lui ouvre droit à indemnité et que si le commissaire aux comptes avait rempli sa mission, il aurait fait mention dans son rapport du risque, pesant sur la société Larzul, de réparation du préjudice résultant d'une rupture abusive. Elle affirme en page 32 de ses conclusions que le commissaire aux comptes aurait dû déclencher la procédure d'alerte dès l'existence de ce risque sans attendre la condamnation de la société Larzul.

La perte de chance invoquée, constituée de la perte de chance d'éviter la rupture des contrats en cause, revêt un caractère hypothétique dès lors que la société Française de gastronomie soutient que la mention par le commissaire aux comptes dans son rapport du risque pesant sur la société Larzul "aurait peut-être dissuadé la direction de la société Larzul d'agir ainsi". L'événement dont la chance de survenance a été perdue pouvant donner lieu à réparation n'existe donc pas en l'espèce avec une certaine vraisemblance selon les termes mêmes de la société Française de gastronomie.

Ensuite, les décisions de rompre des contrats commerciaux sont hors du champ de contrôle des commissaires aux comptes dont les missions définies par la loi excluent leur immixtion dans la gestion des sociétés dont ils assurent la certification des comptes. Il ne peut donc être reproché à la société Gorioux-Faro & associés de ne pas avoir fait état de la rupture des contrats commerciaux.

Enfin, si la société Gorioux-Faro & associés était tenue des obligations d'information et d'alerte, telles que définies par les articles L. 823-10-1 et L. 234-1 du code de commerce, il n'est pas soutenu par la société Française de gastronomie que la rupture des contrats d'agence commerciale et de distribution comportait en elle-même un risque de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de la société Larzul. Seul le risque de réparation par la société Larzul des conséquences de la rupture pour le cocontractant est invoqué sans qu'il soit prétendu comme étant de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de la société Larzul. Il s'ensuit que la rupture des contrats de distribution et d'agence commerciale subie par la société Française de gastronomie comme cocontractant est sans lien de causalité avec le prétendu manquement de la société Gorioux-Faro & associés relatif à la procédure d'alerte.

La société Française de gastronomie doit donc être déboutée de sa demande de dommages-intérêts formée en sa qualité de cocontractant de la société Larzul.

Sur les préjudices invoqués par la société Française de gastronomie en sa qualité d'associé:

La société Française de gastronomie soutient que son préjudice est constitué :

- de la dépréciation de la valeur de ses parts sociales dans la société Larzul, établie par les pertes enregistrées par celle-ci en 2007 et 2008 et les coûts d'investissement en recherche et développement supportés par la société Larzul alors que les marques qui en ont résulté ont été déposées par la société Vectora, ce préjudice étant évalué à 100.000 euros,

- des frais de procédure importants qu'elle a dû engager pour se défendre, ce préjudice étant fixé à la somme de 350.000 euros,

- de la perte de valeur de la société Larzul placée ensuite sous sauvegarde, ce préjudice étant évalué à 600.000 euros,

- d'un préjudice d'image et de réputation résultant de l'arrêt par la société Larzul de l'activité de fabrication de conserves d'escargot qu'elle lui avait apportée, la société Larzul en ayant informé tous les opérateurs (500.000 euros), de l'activation de la garantie de marge brute qu'elle avait consentie pour pallier les difficultés liées au démarrage de cette activité (540.431 euros), de la perte de marques du fait de l'arrêt de cette activité et de la cessation d'exploitation des marques apportées avec le fonds de commerce, de la perte de valeur de ce fonds de commerce apporté et d'un préjudice personnel subi à la suite du dépôt de marque frauduleux au profit de la société Vectora.

La société Gorioux-Faro & associés fait valoir qu'en sa qualité d'associé, la société Française de gastronomie ne justifie pas d'un préjudice personnellement subi et distinct de celui de la société Larzul de sorte que ses demandes ne sont pas recevables, que le préjudice dont se prévaut la société Française de gastronomie n'est ni actuel ni certain mais éventuel et qu'il ne peut s'apprécier qu'à l'aune de la perte de chance qui doit être réelle, certaine et sérieuse.

La société Française de gastronomie invoque un préjudice né de frais de procédure engagés pour la défense de ses droits, constitués des honoraires d'avocat et d'avoués et des honoraires de son conciliateur. Or de tels frais pour faire valoir ses droits dans le cadre de procédures judiciaires s'analysent soit en des frais compris dans les dépens, comme les honoraires de conciliateur, soit en des frais non compris dans les dépens mais non constitutifs en toutes hypothèses d'un préjudice réparable et seuls susceptibles d'être remboursés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ensuite, l'action d'un associé en réparation d'un préjudice prétendument subi en cette qualité suppose démontrée l'existence d'un préjudice distinct de celui subi par la société du fait des comportements fautifs allégués.

A supposer établie la dévalorisation alléguée des parts sociales de la société Larzul, un tel préjudice n'est pas de nature à ouvrir un droit à réparation à la société Française de gastronomie en sa qualité d'associé faute d'être distinct de celui subi par la société Larzul. La société Française de gastronomie ne peut donc se prévaloir du préjudice né de la dépréciation de la valeur de ses parts sociales dans la société Larzul, évalué à 100.000 euros, ni de celui né de la perte de valeur de la société Larzul après son éviction, évalué à 600.000 euros. Elle ne peut pas non plus se prévaloir du préjudice subi à la suite du dépôt de marques prétendument frauduleux au profit de la société Vectora, un tel préjudice étant subi par la société Larzul qui a supporté le coût de développement de ces marques et la société Française de gastronomie ne démontrant pas un préjudice personnel distinct de celui subi par la société Larzul.

En revanche, les autres préjudices se distinguent du préjudice résultant de la perte de valeur des actions de la société Larzul en ce qu'ils sont allégués comme résultant de l'éviction de la société Française de gastronomie du fonctionnement de la société Larzul et de l'arrêt par la société Larzul de l'activité de conserves d'escargot apportée par la société Française de gastronomie avec le fonds de commerce de sa filiale Ugma. Ces préjudices sont constitués d'un préjudice d'image et de réputation auprès des opérateurs du secteur (500.000 euros), de la perte des sommes déboursées au titre de l'exercice de la garantie de marge brute qu'elle avait consentie pour pallier les difficultés liées au démarrage de cette activité (540.431 euros), de la perte de marques du fait de l'arrêt de cette activité et de la cessation d'exploitation des marques apportées avec le fonds de commerce (703.896 euros) et de la perte de valeur de ce fonds de commerce apporté (800.000 euros).

Au soutien de sa demande en réparation de ces préjudices, la société Française de gastronomie prétend que les carences du commissaire aux comptes et les manoeuvres de la société Larzul favorisées par les agissements du commissaire aux comptes ont permis son éviction du fonctionnement de la société Larzul et son échec à en prendre le contrôle. Elle n'identifie cependant pas les carences et agissements de la société Gorioux-Faro & associés auxquels elle se borne à faire référence de manière générique.

La société Française de gastronomie soutient en outre que la société Gorioux-Faro & associés aurait dû dénoncer la violation par la société Larzul de ses statuts et de son règlement intérieur et imposer un"véritable vote" sur la décision d'arrêter l'activité de conserves d'escargot dans le respect des statuts et du règlement intérieur, l'article L. 823-11 du code de commerce imposant notamment aux commissaires aux comptes de s'assurer que l'égalité a été respectée entre les actionnaires, associés ou membres de l'organe compétent. Elle relève ainsi des irrégularités affectant le conseil d'administration du 1er février 2007, l'ordre du jour du conseil du 22 mai 2007, la composition du conseil du 12 septembre 2007 - tenu à trois membres alors que ses membres devaient être en nombre pair -, l'assemblée générale d'approbation des comptes 2006 et le défaut de tenue des comités trimestriels prévus par le règlement intérieur. Elle met à la charge du commissaire aux comptes une fraction, qu'elle ne détermine pas, des dommages qui ont résulté selon elle de l'arrêt de l'activité de conserves d'escargot.

La société Gorioux-Faro & associés réplique qu'elle a considéré l'arrêt de la production d'escargots comme un acte de gestion, que le conseil d'administration du 12 septembre 2007 était régulier et que l'analyse qu'elle a faite de la situation était donc pertinente.

Le conseil d'administration du 1er février 2007 et l'assemblée générale d'approbation des comptes 2006 n'ont pas porté sur la décision d'arrêter la production de conserves d'escargot. Leur prétendue irrégularité est donc sans lien avec le préjudice allégué. Par ailleurs, le règlement intérieur du 31 janvier 2005 ne prévoit pas l'instauration de comités trimestriels mais seulement, en son article 5 intitulé "reporting", la mise en place d'une procédure de "reporting" trimestriel consistant en une information détaillée fournie au conseil d'administration par le président sur le chiffre d'affaires du trimestre précédent, le cumul annuel, la comparaison par rapport au plan et par rapport à l'année précédente ainsi que sur le compte d'exploitation du trimestre précédent.

Quant au conseil d'administration du 22 mai 2007, la société Française de gastronomie a demandé au commissaire aux comptes, par lettre du 5 mars 2007, d'attirer l'attention des dirigeants sociaux de la société Larzul sur des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation au rang desquelles elle plaçait une opposition systématique des deux groupes d'actionnaires et, par lettre du 14 mars suivant, la société Gorioux-Faro & associés a transmis le courrier de la société Française de gastronomie au président de la société Larzul en lui demandant d'inscrire à l'ordre du jour du prochain conseil d'administration l'incidence des différends opposant les actionnaires sur la continuité de l'exploitation. Le conseil d'administration du 22 mai 2007 a débattu de ces différends concernant "la politique de la société en matière d'escargots". Il ressort de ces éléments que la société Française de gastronomie ne démontre pas l'existence d'une irrégularité affectant l'ordre du jour de ce conseil d'administration .

Quant à la supposée irrégularité du conseil d'administration du 12 septembre 2007 en ce qu'il s'est tenu à trois membres, la cour d'appel de Rennes a d'ores et déjà jugé, dans un arrêt rendu le 17 mars 2009 dont le caractère définitif n'est pas discuté, qu'il s'était régulièrement tenu. En effet, les statuts de la société Larzul n'obligeaient pas le conseil d'administration en cas de vacance - comme c'était le cas en l'espèce compte tenu de la démission intervenue en avril 2007 d'un représentant de la société Française de gastronomie - à procéder à une nomination provisoire entre deux décisions collectives des associés de sorte qu'en l'absence de demande, par les associés représentant au moins 20 % du capital social, de réunion de l'assemblée générale ordinaire afin de désigner un nouveau membre, et ce en application de l'article 20 II des statuts, le conseil d'administration de la société Larzul a pu valablement se réunir le 12 septembre 2007, malgré sa composition non paritaire.

La société Française de gastronomie manque ainsi à démontrer une violation des statuts et du règlement intérieur de la société Larzul que la société Gorioux-Faro & associés aurait dû dénoncer ou à laquelle elle aurait dû faire remédier.

En outre la décision d'arrêter la production de conserves d'escargot constitue un acte de gestion hors du champ de contrôle du commissaire aux comptes dont les missions définies par la loi excluent son immixtion dans la gestion de la société dont il assure la certification des comptes.

Dès lors que la société Française de gastronomie n'établit pas l'existence de manquements de la part de la société Gorioux-Faro & associés lui ayant causé un préjudice réparable en sa qualité d'associé de la société Larzul, elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la société Française de gastronomie déboutée de l'ensemble de ses demandes.

PAR CES MOTIFS,

La Cour statuant contradictoirement,

Déclare l'appel de la société Gorioux-Faro & associés recevable ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lorient le 3 juillet 2013 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,

Déboute la société Française de gastronomie de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne la société Française de gastronomie à payer à la société Gorioux-Faro & associés la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel ;

Condamne la société Française de gastronomie aux dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise, et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 18/28108
Date de la décision : 17/12/2019

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°18/28108 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-12-17;18.28108 ?
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