Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 7 JANVIER 2020
(n° / 2019 , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08348 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5R7Y
Décision déférée à la cour : Jugement du 10 Avril 2018 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2017041627
APPELANTS
Monsieur [Z] [I]
Né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1] (53)
Demeurant [Adresse 1],
[Adresse 1]
[Adresse 1] (ROUMANIE)
Madame [W] [S]
Née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 2] (91)
Demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentés par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125,
Assistés de Me Thomas ROUHETTE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0151
INTIMÉS
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 3]
[Adresse 3]
SELAFA MJA, en la personne de Me [Y] [T], ès-qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la SARL GÉNÉRAL SERVICES,
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 440 672 509
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée et assistée de Me Vincent GALLET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1719
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l' article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Octobre 2019, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 27 juin 2019 et oral lors de l'audience. .
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
La Sarl General Services, créée en septembre 2007, avait pour objet le conseil pour les affaires et autres conseils de gestion.
Sur déclaration de la cessation des paiements du 4 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 17 juillet suivant, a ouvert une liquidation judiciaire à l'égard de cette société et nommé la Selafa MJA en qualité de liquidateur.
La date de la cessation des paiements, fixée initialement au 4 juillet 2014, a été reportée au 17 janvier 2013 par jugement du 20 novembre 2015.
Par assignations des 15 et 24 novembre 2016, le liquidateur a engagé à l'encontre de Mme [S] et de M. [I], en tant que gérants, respectivement, de droit et de fait, de la société General Services, une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ayant donné lieu à une transaction autorisée par le juge-commissaire stipulant le versement par chacun des défendeurs d'une somme de 70 000 euros en contrepartie d'un désistement d'action.
Reprochant à Mme [S], en tant que gérante de droit de la société General Services, et à M. [I], en qualité de dirigeant de fait de celle-ci, la tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire dans un intérêt personnel, l'augmentation frauduleuse du passif et le non-respect du délai de déclaration de la cessation des paiements, le ministère public a déposé une requête datée du 13 juillet 2017 en vue de voir prononcer une faillite personnelle ou, à défaut, une interdiction de gérer à leur encontre.
Par jugement du 10 avril 2018 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris, après avoir relevé que le grief relatif à la déclaration tardive de la cessation des paiements avait été abandonné par le ministère public et retenu les trois autres, a dit que M. [I] était le gérant de fait de la société General Services depuis sa création et prononcé à l'encontre de Mme [S] et de M. [I], respectivement, une interdiction de gérer de 7 ans et une faillite personnelle de la même durée.
M. [I] et Mme [S] ont relevé appel du jugement selon déclaration du 20 avril 2018.
Sur assignation de M. [I], l'exécution provisoire du jugement a été arrêtée par ordonnance du délégataire du premier président du 5 juillet 2018.
Suivant conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 16 septembre 2019, M. [I] et Mme [S] demandent à la cour :
- à titre principal, de juger irrégulière la saisine du tribunal et, en conséquence, d'annuler le jugement ;
- à titre subsidiaire, d'annuler le jugement pour non-respect des exigences de motivation ;
- à titre infiniment subsidiaire, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de rejeter l'ensemble des demandes des intimés tendant à la confirmation du jugement ;
- en toute hypothèse, de condamner le ministère public aux dépens, dont distraction au profit du cabinet Teytaud-Saleh, avocats au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 30 août 2019, la Selafa MJA, ès qualités, demande à la cour :
- de rejeter les demandes de nullité des appelants ;
- à titre subsidiaire, de dire que la cour reste saisie du fond par l'effet dévolutif de l'appel ;
- sur le fond, de lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice ;
- de condamner in solidum M. [I] et Mme [S] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Dans son avis déposé au greffe et notifié par voie électronique le 27 juin 2019, le ministère public demande à la cour de ne pas retenir le grief relatif à la poursuite d'une activité déficitaire, de confirmer le jugement sur le principe de la sanction et de prononcer à l'encontre de M. [I] une interdiction de gérer d'une durée de 7 ans.
SUR CE,
- Sur l'irrégularité de la saisine du tribunal
La nullité de la citation délivrée à M. [I] à raison de l'insuffisance des diligences accomplies par l'huissier de justice
Il résulte des pièces du dossier que la citation à comparaître devant le tribunal de commerce de Paris, délivrée à la demande du ministère public, a été signifiée à M. [I] les 11 décembre 2017 et 24 janvier 2018 selon les modalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile.
M. [I] excipe de la nullité de ces citations en faisant valoir qu'il réside à la même adresse, en Roumanie, depuis 2015, et que celle-ci pouvait être facilement retrouvée par l'huissier de justice en consultant le registre du commerce et des sociétés ou auprès du liquidateur, qui la connaissait.
Il ressort des pièces produites par M. [I] - avis de taxe d'habitation 2015 du SIP de [Localité 3] envoyé à l'adresse invoquée en Roumanie, certificats de résidence fiscale pour les années 2015 à 2019 émanant du ministère des finances publiques roumain, certificat d'enregistrement délivré par l'administration roumaine pour la période du 3 février 2014 au 2 février 2019, certificat d'affiliation à la sécurité sociale roumaine pour la période du 1er octobre 2017 au 2 février 2019, contrat d'abonnement à un club de sport en Roumanie pour 2017 et factures d'achats de 2019, contrat de bail du 6 janvier 2014 et avenant 15 janvier 2017, quittances de loyers des mois de juillet et août 2017 et 2019 et factures d'électricité et d'internet relatifs à l'appartement en cause en Roumanie, attestations de trois voisins du mois de septembre 2019 déclarant croiser régulièrement M. [I] depuis 2014, etc. - que ce dernier réside bien en Roumanie, [Adresse 1], depuis plusieurs années.
Un détective privé roumain conclut, dans une note rédigée par le 8 août 2019, au caractère fictif du domicile invoqué par M. [I]. Cet avis, empreint de subjectivité (« l'impression de l'enquêteur est [...] que CF [[Z] [I]] n'habite pas là mais utilise simplement cet appartement comme un lieu d'enregistrement pour lui-même et ses sociétés ») et fondé uniquement sur l'aspect modeste de l'immeuble et des déclarations de voisins indiquant ne pas connaître la personne habitant l'appartement, n'emporte toutefois pas la conviction au regard de la multiplicité des éléments en sens contraire, décrits plus haut, fournis par M. [I].
Il reste à déterminer si l'adresse de M. [I] en Roumanie était connue de l'huissier instrumentaire ou aurait pu être obtenue par lui en accomplissant des diligences normales.
L'huissier de justice mentionne, dans le procès-verbal de recherches infructueuses du 11 décembre 2017, qu'il s'est rendu à la dernière adresse connue de M. [I] au [Adresse 5], où il a constaté l'absence de trace de l'intéressé et s'est vu déclarer par la gardienne de l'immeuble que celui-ci était parti sans laisser d'adresse depuis six ans, que le lieu de travail actuel de M. [I] n'est pas connu, que les recherches sur l'annuaire électronique sont restées vaines et que les services postaux et fiscaux, interrogés, se sont retranchés derrière le secret professionnel.
Le procès-verbal de recherches infructueuses du 24 janvier 2018 indique que l'huissier de justice s'est rendu à l'adresse du [Adresse 6] (92), déclarée par le requérant ou son mandataire comme étant la dernière adresse connue de M. [I], mais que le nom de ce dernier ne figurait ni sur l'interphone, ni sur la boîte aux lettres, ni sur la liste des occupants et que plusieurs locataires avaient déclaré qu'il n'était pas domicilié à cette adresse.
Le liquidateur conteste avoir eu connaissance de l'adresse de M. [I] en Roumanie à l'époque de la délivrance de la citation en sanction personnelle et aucun élément du dossier ne permet de démentir cette affirmation. Au contraire, force est de constater que le liquidateur a assigné M. [I] en responsabilité pour insuffisance d'actif, le 24 novembre 2016, par remise de l'acte selon les modalités prévues par l'article 659 du code de procédure civile, en mentionnant un domicile situé [Adresse 5], que l'adresse du domicile en Roumanie de M. [I] ne figure ni dans les conclusions en défense établies par ce dernier en vue de l'audience du 6 février 2017, ni dans le protocole transactionnel conclu par lui-même, Mme [S] et le liquidateur entre février et mai 2017. Ce n'est que postérieurement à la remise des citations litigieuses, dans des conclusions prises en vue d'une audience du 28 mai 2018 devant le tribunal de commerce, saisi du recours formé par le contrôleur contre l'ordonnance du juge-commissaire ayant autorisé la transaction, que M. [I] a fait état de ce domicile.
Par ailleurs, si l'adresse de M. [I] en Roumanie apparaît, à la date du 25 avril 2018, sur le K bis de cinq sociétés dont il était alors le dirigeant, il convient de relever, d'une part, que ces documents sont postérieurs à la délivrance des citations et, d'autre part, que les K bis de quatre autres sociétés dirigées par M. [I], versés aux débats par le liquidateur et datés du 9 décembre 2018, mentionnent que ce dernier est domicilié [Adresse 5].
Dès lors, M. [I] échoue à démontrer que l'adresse de son domicile pouvait être aisément obtenue.
Il s'ensuit que les diligences accomplies par l'huissier instrumentaire apparaissent suffisantes et, partant, qu'il n'y a pas lieu à annulation de la citation délivrée à M. [I].
La nullité des citations délivrées à M. [I] et Mme [S] tenant à l'absence de précision des moyens de fait et de communication des pièces venant au soutien de la demande
M. [I] et Mme [S] arguent que les citations à comparaître contrevenaient aux prescriptions des articles R. 631-4 du code de commerce et 56, 5°, du code de procédure civile et ne leur permettaient pas de comprendre sur quels faits et pièces reposaient les griefs, tandis que le ministère public et le liquidateur contestent les insuffisances alléguées.
L'article R. 631-4 du code de commerce impose au ministère public d'indiquer dans sa requête les faits de nature à motiver la demande et l'article 56, 5°, du code de procédure civile exige que l'assignation mentionne les pièces fondant la demande et comporte en annexe un bordereau énumérant celles-ci.
La requête du ministère public cite les textes fondant les griefs et expose pour chacun d'eux les éléments de fait invoqués, à savoir :
- l'appréciation portée par l'administration fiscale lors de la vérification de comptabilité de General Services selon laquelle celle-ci n'était pas l'exact reflet de l'activité (grief relatif à la comptabilité incomplète ou irrégulière),
- l'existence de résultats d'exploitation et net déficitaires de 9 818 euros et de 273 571 euros au titre de l'exercice 2013 (grief relatif à la poursuite abusive d'une activité déficitaire),
- l'application de pénalités au taux de 40 % retenue par l'administration fiscale à l'issue de ses opérations de vérification de la comptabilité (grief relatif à l'augmentation frauduleuse du passif),
- la fixation de la date de la cessation des paiements au 17 janvier 2013 (grief relatif au non-respect du délai de déclaration de la cessation des paiements).
Contrairement aux allégations de M. [I], la requête mentionne également les éléments retenus par le ministère public pour caractériser la direction de fait, à savoir l'utilisation par M. [I] d'une adresse électronique de General Services au moyen de laquelle il recevait des informations et donnait des directives, notamment aux fins d'exécution de virements pour le compte de General Services, et l'absence d'autonomie de Mme [S].
Par ailleurs, il s'infère des citations, qui mentionnent comporter 47 feuilles, et des 47 feuilles jointes à la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée par l'huissier de justice à M. [I] et retournée au greffe qu'étaient joints à la requête, le rapport du juge-commissaire du 25 juillet 2017, le jugement de liquidation judiciaire du 17 juillet 2014, un extrait K bis de la société General Services du 3 juillet 2014, diverses déclarations de créances et un courrier du liquidateur du 7 février 2016 émettant un avis favorable au prononcé d'une sanction personnelle.
Ainsi, la requête du ministère public, qui précise bien les éléments de droit et de fait motivant la demande et repose sur des pièces justificatives, satisfait aux exigences de l'article R. 631-4 du code de commerce et permettait à M. [I] et Mme [S] de comprendre les faits reprochés.
Enfin, les appelants n'ayant pas comparu devant le tribunal de commerce, c'est vainement qu'ils invoquent un défaut de communication de pièces en première instance ou encore une méconnaissance de l'obligation prévue par l'article 56, 5°, du code de procédure civile relative à la mention des pièces et à l'énumération de celles-ci sur un bordereau annexé, qui n'est assortie d'aucune sanction et ne constitue pas une formalité substantielle ou d'ordre public.
Il en résulte que l'exception de nullité soulevée doit être rejetée.
- Sur la nullité du jugement pour défaut de motivation
Pour conclure au défaut de motivation du jugement, en violation de l'article 455 du code de procédure civile, M. [I] et Mme [S] soutiennent que le tribunal s'est borné à reproduire les éléments avancés par le ministère public, y compris les références faites à certains documents, sans procéder à une appréciation propre, ni analyser les pièces sur lesquelles il s'est fondé, alors que celles-ci n'avaient même pas été versées aux débats.
Le ministère public et le liquidateur estiment au contraire que le jugement est motivé.
Si le jugement reprend, dans des termes identiques, une partie des éléments exposés dans la requête du ministère public au soutien de la caractérisation de la direction de fait de M. [I], il ne retient pas ceux relatifs à l'absence d'initiatives prises par Mme [S] et relève une circonstance supplémentaire, tenant à ce que M. [I] était « le dirigeant de la société qui détenait General Services ». En outre, la motivation sur laquelle le tribunal s'est fondé pour retenir les griefs ne reprend que très ponctuellement les arguments mentionnés dans la requête.
C'est donc à tort que les appelants prétendent que le tribunal n'a pas procédé à une analyse propre.
En revanche, le jugement n'indique pas les pièces sur lesquelles le tribunal s'est fondé pour se prononcer, à l'exception d'une référence faite, lors de l'examen de la direction de fait, « aux pièces réunies par la Selafa MJA » dont le contenu n'est pas précisé, ni, a fortiori, analysé, même succinctement.
Dès lors, il apparaît que le jugement ne satisfait pas à l'exigence de motivation de l'article 455 du code de procédure civile et, partant, doit être annulé.
La nullité affectant le jugement et non l'acte introductif d'instance, la cour se trouve saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel.
- Sur le fond
Les qualités de gérante de droit de Mme [S] et de gérant de fait de M. [I]
Il résulte de l'article L. 653-1, 2°, du code de commerce qu'en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, la faillite personnelle et/ ou l'interdiction de gérer sont applicables aux personnes physiques dirigeantes de droit ou de fait de personnes morales.
Il est établi par un procès-verbal de l'assemblée générale des associés de la Sarl Gestacom du 10 mai 2010 qu'à cette date, la société a changé de dénomination pour devenir General Services et que Mme [S] a été nommée gérante, mandat dont elle était encore investie lorsque la société a été mise en liquidation judiciaire.
Mme [S] a donc été la gérante de droit de la société General Services à compter du 10 mai 2010.
Le ministère public et le liquidateur considèrent que M. [I] était gérant de fait de la même société, circonstance que ce dernier conteste.
La qualité de gérant de fait suppose l'accomplissement, en toute indépendance, d'actes positifs de gestion de la société débitrice.
Il convient, en premier lieu, de situer le contexte dans lequel se serait exercée la gérance de fait alléguée.
Les appelants mentionnent dans leurs écritures que la société General Services a été créée pour regrouper les activités de comptabilité et de gestion des ressources humaines du groupe G Groupe X « créé et dirigé » par M. [I] et qu'elle avait « pour activité le conseil pour les affaires et la gestion, et une clientèle quasi exclusivement intra-groupe ».
Ils précisent en outre que Mme [S] était comptable au sein d'une société dont M. [I] avait repris le fonds de commerce en 2004 et qu'elle a, « depuis cette date », continué à exercer son activité de comptable pour le compte des sociétés de M. [I].
S'agissant du capital de la société General Services, le liquidateur justifie, et les appelants reconnaissent, qu'à compter de 2010, il a été détenu indirectement, à hauteur de près de 70 %, par M. [I] par l'intermédiaire, d'abord, de la société Groupe Second Marché et, à partir de 2011, des sociétés Xtrium International et GSM Immobilien und Beteiligungen. Mme [S] en a détenu le surplus (30 %) entre le 10 mai 2010 et le 18 avril 2014.
La société GSM Immobilien und Beteiligungen, devenue Groupe Second Marché Gmbh, a par ailleurs acquis, en 2011, la propriété de l'immeuble situé à [Localité 4] (22) dans lequel était exploitée l'activité de la société General Services.
Ainsi, M. [I] était le dirigeant « du groupe » G Groupe X (pour reprendre les termes utilisés dans les conclusions des appelants) et détenait indirectement près de 70 % du capital de la société General Services, membre de ce groupe dont l'activité consistait essentiellement à fournir des prestations de services à d'autres sociétés le composant. Mme [S] était, quant à elle, gérante et associée minoritaire de la société General Services et salariée au sein d'autres sociétés du groupe G Groupe X.
Si ces circonstances ne caractérisent pas, en tant que telles, une gérance de fait de la société General Services par M. [I], elles mettent toutefois en exergue l'existence d'un rapport de forces déséquilibré entre ce dernier et Mme [S].
Il y a lieu, ensuite, d'examiner les pièces versées aux débats par les parties.
Il résulte des échanges de courriels produits par le liquidateur (pièces 26 à 37) que M. [I] disposait d'une adresse électronique au sein de la société General Services ([Courriel 1]).
Les participants à ces échanges (émetteurs, destinataires principaux ou destinataires en copie des messages) sont, le plus souvent, M. [I] (adresse [Courriel 1] et, plus rarement, [Courriel 2]), Mme [S] (adresse [Courriel 3]) et MM. [K] ou [Q], tous deux utilisateurs de l'adresse [Courriel 4] (désignés ci-après indifféremment comme étant Intrabuilding).
Certains messages laissent apparaître que Mme [S] tient informé M. [I], voire agit à sa demande.
Ainsi, le 30 novembre 2010, Mme [S] demande son avis à Intrabuilding sur une assignation délivrée à la société Sorale Design en envoyant son message en copie à M. [I] à l'adresse [Courriel 1] (pièce 27 du liquidateur).
Le 15 octobre 2010, elle sollicite par courriel l'avis d'Intrabuilding sur un dossier prud'homal concernant la société MGN en précisant agir à la demande de M. [I] (pièce 33 du liquidateur).
Le 29 décembre 2011, Mme [S] transmet à Intrabuilding des documents relatifs au « contrôle de la société SESI » en précisant que M. [I] souhaite avoir un avis à ce sujet (pièce 34 du liquidateur).
Il transparaît d'autres échanges que les salariés de General Services donnent des informations simultanément à Mme [S] et à M. [I] et que ce dernier a un rôle moteur, tandis que Mme [S] intervient comme exécutante.
Ainsi, aux mois de novembre et de décembre 2011, sont évoquées deux instances en paiement et ouverture d'une procédure collective engagées contre la société Mécaniques de Vaires. Rendu destinataire de messages de l'avocat en charge des dossiers, le service des ressources humaines de General Services sollicite l'intervention d'Intrabuilding, en mettant en copie M. [I] et Mme [S]. Par la suite, M. [I] s'entretient avec l'avocat, tandis que Mme [S] se charge, à la demande de M. [I], d'obtenir la communication de documents à transmettre à l'avocat. L'adresse électronique utilisée concernant M. [I], par ce dernier et ses interlocuteurs, est celle de General Services, sous réserve d'un message envoyé par Intrabuilding à l'adresse [Courriel 2] pour transmettre à M. [I] - et non à Mme [S] - une copie des échanges avec l'avocat (pièces 26 et 27 du liquidateur).
Au cours d'un échange de courriels intervenu au mois de mars 2012, relatif à un contrat de crédit-bail transféré à la société GSM (Groupe Second Marché), M. [I], à partir de son adresse [Courriel 1], donne des informations et directives à Intrabuilding (« nous sommes en négociation pour céder le terrain et donc mettre fin au crédit bail » / « dans l'hypothèse d'une issue favorable, il faudra réfléchir aux modalités technique, financière et fiscale de transfert ») ainsi que des consignes à une salariée de Geo plc (« je te confirme que tu auras à formuler d'ici la semaine prochaine une offre de cession [...] »), tandis que Mme [S] n'intervient que pour transmettre des documents à M. [I] (sur son adresse [Courriel 1]) et préciser à ce dernier les sommes restant dues au titre du contrat (en utilisant l'adresse [Courriel 2]) (pièce 30 du liquidateur).
Au mois de mai 2012, M. [I] fixe avec Intrabuilding, en utilisant son adresse [Courriel 1], les modalités d'un voyage en Allemagne, auquel Mme [S] doit également participer, ayant pour objet la signature d'actes de cession de parts (pièce 31 du liquidateur).
Le 21 avril 2011, à partir de son adresse électronique [Courriel 2], M. [I] envoie à Mme [S], en mettant Intrabuilding en copie, un message indiquant : « merci d'effectuer un virement dès demain, si ce n'est encore fait » (pièce 36 du liquidateur).
Le 15 juin 2012, M. [I], en utilisant son adresse [Courriel 1], envoie un message à Intrabuilding, avec copie à Mme [S], indiquant qu'il confirme « donner pour consigne » de virer « directement depuis GSM » la somme de 5 053,50 euros en règlement d'une amende due au titre du retard de la société FGIH dans la publication de ses comptes (pièce 35 du liquidateur).
Enfin, des courriels des 22 novembre 2011 et 2 février 2012 envoyés à Intrabuilding à partir de l'adresse [Courriel 1] en vue d'obtenir un avis sur un article à paraître dans Bakchich et sur le dossier d'une entreprise susceptible d'être achetée révèlent qu'il arrivait à M. [I] de consulter un prestataire de services sur des sujets importants sans que Mme [S] en soit informée (pièces 28 et 29 du liquidateur).
Il résulte de ces éléments que M. [I], qui n'était ni salarié ni gérant de droit de la société General Services, disposait néanmoins d'une adresse électronique au sein de cette société, circonstance qui, contrairement aux allégations des appelants, ne se justifie pas par la qualité d'actionnaire principal (indirect) de l'intéressé.
Cette adresse, qui était utilisée à la fois par M. [I], Mme [S], les salariés de General Services et des prestataires extérieurs, font apparaître M. [I] comme ayant un rôle de décideur et Mme [S] d'exécutante.
L'explication selon laquelle M. [I] agissait en qualité d'actionnaire et/ou de dirigeant des sociétés pour le compte desquelles General Services était prestataire de services ne peut être retenue dès lors que l'adresse utilisée dans la quasi-totalité des échanges est [Courriel 1].
Par ailleurs, contrairement aux allégations des appelants, la circonstance que les courriels se rapportent à d'autres sociétés du groupe n'implique pas qu'ils aient eu un objet étranger à l'exploitation de General Services, dont l'activité principale était de fournir des prestations de services au sein du groupe. Il résulte d'ailleurs d'un jugement du tribunal correctionnel du 9 novembre 2017 produit par les appelants que les poursuites exercées contre MM. [K] et [Q] du chef d'exercice irrégulier d'une activité de consultation juridique ou de rédaction d'actes sous seing privé concernaient les prestations réalisées entre 2010 et 2012 « pour la société General Services » et que c'est bien cette société qui s'est constituée partie civile dans le cadre de l'instance pénale. La participation de M. [I] et de Mme [S] aux échanges de courriels en cause s'inscrivait donc bien dans le cadre de l'activité de General Services.
Ainsi, il est établi que M. [I] prenait, en toute indépendance, des décisions relatives à l'activité de prestataire de services de la société General Services et, partant, qu'il a eu la qualité de dirigeant de fait de celle-ci sous la gérance de Mme [S].
L'examen des griefs
La tenue d'une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière
L'article L. 653-5, 6°, du code de commerce dispose qu'est passible d'une mesure de faillite personnelle, la personne qui a « tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.»
Pour conclure au caractère manifestement incomplet ou irrégulier de la comptabilité de la société General Services, le ministère public soutient qu'il résulte des vérifications opérées par l'administration fiscale que cette comptabilité n'était pas l'exact reflet de l'activité.
Les appelants répliquent que le ministère public se borne à renvoyer aux constatations de l'administration fiscale, sans les verser aux débats, et ne démontre pas en quoi le caractère manifestement irrégulier ou incomplet de la comptabilité se déduirait de ce que celle-ci ne serait pas « l'exact reflet de l'activité ».
Le liquidateur verse aux débats la proposition de rectification faisant suite à une vérification de comptabilité établie par l'administration fiscale le 18 décembre 2013, les observations adressées par la société General Services le 21 février 2014 et la réponse du 21 mars 2014 par laquelle l'administration fiscale a fait connaître à la société qu'elle maintenait les rectifications proposées dans leur intégralité.
La vérification de comptabilité a porté sur les exercices 2010 à 2012, outre sur les déclarations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires du premier trimestre 2013.
L'administration fiscale a relevé, à cette occasion :
- une absence de dépôt ou un dépôt tardif de certaines déclarations relatives à la TVA et à l'impôt sur les sociétés ainsi qu'une absence de dépôt de la déclaration européenne de services ;
- des rétentions de TVA résultant d'une minoration des déclarations faites à l'administration fiscale ;
- un assujettissement injustifié des bénéfices fiscaux au taux réduit de l'imposition sur les sociétés de 15 % ;
- une absence de réintégration d'une somme de 1 100 euros dans le résultat fiscal au titre de l'exercice 2011 ;
- une absence de refacturation aux clients de frais exposés pour leur compte pour des montants de 14 561 euros en 2011 et de 9 438 euros en 2012 ;
- une comptabilisation inexistante ou partielle de factures émises auprès de clients portant sur des montants de 40 966 euros en 2011 et de 4 485 euros en 2012 ;
- une comptabilisation d'avoirs correspondant à des créances dont le caractère irrécouvrable n'était pas justifié, pour un montant de 23 580 euros en 2011.
- une absence totale ou partielle de facturation des prestations effectuées représentant des sommes de 5 356 euros en 2010, 127 750 euros en 2011 et 187 300 euros en 2012 ;
- l'existence de revenus distribués constitués des sommes non comptabilisées.
Parmi les anomalies ainsi constatées, seules celles relatives à l'enregistrement des avoirs et à la facturation, qui recouvrent des minorations des produits enregistrés, concernent la tenue de la comptabilité.
Ces minorations se sont élevées à 5 356 euros en 2010, 206 857 euros en 2011 (14 561 + 40 966 + 23 580 + 127 750) et 201 223 euros en 2012 (9 438 + 4 485 + 187 300), soit 2,5 % du chiffre d'affaires net de 2010 (213 599 euros), 32,4 % de celui de 2011 (638 603 euros) et 37,6 % de celui de 2012 (535 343 euros).
L'importance des minorations en cause au regard des chiffres d'affaires réalisés en 2011 et 2012 rend la comptabilité de ces exercices manifestement irrégulière ou incomplète.
Il s'ensuit que le grief est caractérisé pour les exercices 2011 et 2012.
L'augmentation frauduleuse du passif
Le grief est fondé sur l'article L. 653-4, 5°, du code de commerce qui rend passible de faillite personnelle le fait d'avoir « frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».
Le ministère public soutient que la somme de plus de 300 000 euros réclamée par l'administration fiscale à l'issue de ses vérifications ainsi que les pénalités appliquées s'analysent en une augmentation frauduleuse du passif, tandis que les appelants font valoir que la seule existence d'une dette fiscale ne suffit pas à caractériser le grief.
La proposition de rectification adressée par l'administration fiscale le 18 décembre 2013 constate qu'aucune déclaration de TVA modèle CA3 n'a été déposée entre les mois de janvier 2010 et de mars 2013 et retient en conséquence l'application d'une majoration de 10 % des rectifications proposées représentant une somme de 6 981 euros.
L'administration fiscale relève en outre, au sujet des rectifications proposées en matière d'impôt sur les sociétés pour les exercices 2011 et 2012, que la société General Services ne pouvait ignorer l'existence de produits facturés non comptabilisés, qui figuraient sur les factures émises, qu'elle a renoncé à des recettes pourtant stipulées par des contrats et ce, de manière répétée sur les trois exercices vérifiés et dans une proportion croissante au regard du chiffre d'affaires réalisé (3 %, 20 % puis 35 %) et qu'elle a volontairement omis de comptabiliser une partie des recettes prévues par les contrats pendant deux exercices (2011 et 2012) pour des montants représentant 2,28 % du chiffre d'affaires de 2011 et 1,76 % de celui de 2012. Elle en déduit que la General Services a « oeuvré afin d'éluder une partie significative de ses produits et minorer son impôt sur les sociétés » et que l'application d'une majoration de 40 % pour manquement délibéré, représentant un montant total de 47 766 euros, se trouve dès lors justifiée.
Enfin, des amendes d'un montant total de 18 000 euros ont été appliquées par l'administration fiscale à raison du non-dépôt de la déclaration européenne de services au titre des exercices 2011 et 2012, rendue obligatoire par la conclusion le 3 janvier 2011, entre la société General Services et une société allemande, d'un contrat ayant pour objet des prestations de services exécutées en France.
Les manquements de la société General Services à ses obligations déclaratives, en raison de leur répétition, et les minorations de produits auxquelles elle s'est livrée, du fait de leur nature et de leur ampleur, ne révèlent pas un simple défaut de paiement d'une dette fiscale mais une volonté de soustraire la société à ses obligations fiscales.
Ces agissements ont entraîné un passif supplémentaire de 72 747 euros (6 981 +47 766 + 18 000), constitué des majorations et amendes mentionnées ci-avant.
Il s'ensuit que le grief d'augmentation frauduleuse du passif est caractérisé.
L'absence de demande d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai requis et la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel
Le jugement critiqué mentionne que le ministère public a renoncé au grief pris de l'absence de demande d'ouverture d'un redressement judiciaire ou d'une liquidation judiciaire dans le délai imparti par l'article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce.
Le ministère public n'est, dès lors, pas recevable à invoquer ce grief devant la cour.
Il a par ailleurs abandonné, à hauteur d'appel, le grief fondé sur l'article L. 653-4, 4°, du code de commerce, tenant à la poursuite d'une activité déficitaire dans un intérêt personnel.
Il n'y donc pas lieu d'examiner les deux griefs en cause.
Les sanctions
Deux griefs ont été retenus à l'encontre de M. [I] et Mme [S], sur les quatre initialement invoqués par le ministère public.
M. [I] et Mme [S] ont par ailleurs consigné une somme de 70 000 euros chacun qui, sous réserve de l'homologation par le tribunal de commerce de la transaction conclue avec le liquidateur en exécution de laquelle cette consignation est intervenue, diminuera à due concurrence l'insuffisance d'actif de la société General Services, laquelle ressort à 358 191,58 euros en l'état du passif admis (451 272,77 euros) et déduction faite du produit de la réalisation des actifs (93 080,79 euros).
Toutefois, les agissements imputés à M. [I] et Mme [S], en particulier les minorations délibérées de produits dans des proportions importantes au regard du chiffre d'affaires réalisé, revêtent une gravité certaine, spécialement lorsqu'ils sont le fait, comme en l'espèce, d'un homme d'affaires aguerri et d'une comptable expérimentée.
La circonstance que M. [I] soit, selon ses indications, « à la tête de nombreuses sociétés ayant réalisé un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros en 2016 et employant à ce jour plus de 500 personnes en France » ne justifie pas, compte tenu de la gravité des faits relevés, d'écarter toute sanction.
Force est de constater, en outre, que M. [I] ne demande pas d'exclure tout ou partie des sociétés dirigées du champ d'application de la sanction et se borne, pour établir l'existence de ses mandats de dirigeant, à produire une page internet non datée figurant à l'adresse « http://dirigeants.bmftv.com », source d'informations non officielle sur laquelle la cour ne peut se fonder pour, le cas échéant, décider une telle exclusion.
En considération de ces éléments, il convient de prononcer à l'encontre de Mme [S] et de M. [I] une interdiction de gérer d'une durée de 4 ans.
M. [I] et Mme [S], qui succombent partiellement, seront condamnés in solidum aux dépens ainsi qu'à payer au liquidateur une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Rejette les moyens pris de l'irrégularité de la saisine du tribunal de commerce soulevés par Mme [W] [S] et M. [Z] [I],
Annule le jugement du tribunal de commerce dont appel,
Prononce à l'encontre de Mme [W] [S], née le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 2] (91), une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 4 ans,
Prononce la même interdiction, pour la même durée, à l'encontre de M. [Z] [I], né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1] (53),
Condamne in solidum Mme [W] [S] et M. [Z] [I] à payer la somme de 3 000 euros à la Selafa MJA, en qualité de liquidateur de la Sarl General Services,
Condamne in solidum Mme [W] [S] et M. [Z] [I] aux dépens.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT