RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 27 Mai 2020
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/03064 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5FEM
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Janvier 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 16/02415
APPELANT
Monsieur [Y] [V]
[Adresse 3]
[Localité 5]
né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 6] (94)
représenté par Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMEE
SAS AMARIS IDF Prise en la personne de son Président domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 524 438 645
représentée par Me Charlotte LAMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Février 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 06 Janvier 2020
Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu les conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2020 par Monsieur [Y] [V] et celles notifiées par voie électronique le 30 janvier 2020 par la société SAS AMARIS Ile de France et développées à l'audience du 5 février 2020.
EXPOSE DU LITIGE
La société AMARIS qui intervient dans le domaine de conseils en technologie et management et emploie plus de 10 salariés a engagé Monsieur [V] à compter du 13 novembre 2014 par contrat prenant effet le 12 janvier 2015 en qualité de consultant statut cadre, position 3.1, coef. 170, la convention collective applicable étant celle de la Syntec et son dernier salaire mensuel brut était de 4.416,66 plus d'éventuelles primes : prime(s) d'acquisition d'une compagnie équivalente à 2.000 € par nouvelle société acquise, prime(s) de cooptation d'un nouveau salarié : 500 € par salarié coopté et 150 € concernant un stagiaire.
Monsieur [V] a été affecté chez le client TECHNIP, qui intervenait principalement dans la construction de complexes pétroliers et gaziers. La mission Yamal au sein de TECHNIP a pris fin le 22 décembre 2015.
Monsieur [V] s'est vu proposer une mission dans l'enfouissement de déchets nucléaires chez le même client, domaine qu'il a dit ne pas maîtriser ce dont il a informé sa hiérarchie, la société contestant l'absence de maîtrise du salarié.
Par lettre du 23 décembre 2015, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 janvier 2016 et a été licencié par courrier du 14 janvier 2016 pour faute simple pour des motifs disciplinaires et des motifs personnels : manquement à l'obligation de loyauté en ayant proposé sa candidature au client TECHNIP sans avertir son employeur, insuffisance professionnelle et comportement (manque de collaboration pour le nouveau projet avec TECHNIP, indisponibilité volontaire, refus de prendre connaissance d'un nouveau projet et comportement préjudiciable vis-à-vis de la clientèle de la société AMARIS).
Contestant la légitimité de son licenciement, Monsieur [V] a saisi le 3 mars 2016 le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de solliciter les sommes de 20.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 12 janvier 2018, il a été débouté de ses demandes et condamné aux dépens et la société AMARIS a été déboutée de sa demande reconventionnelle.
Par déclaration au greffe par voie électronique du 15 février 2018, Monsieur [V] a interjeté appel de cette décision et demande à la Cour d'infirmer le jugement,
Et statuant à nouveau,
' de juger le licenciement abusif,
' de juger recevable la demande de nullité du licenciement (sur le non-respect de la liberté d'expression),
En conséquence :
- d'ordonner sa réintégration dans son emploi de consultant,
- de condamner la société AMARIS à lui verser par provision sur la période du 15 avril 2016 au 15 avril 2020 les sommes 201.600 € à titre d'indemnité forfaitaire au titre de la réintégration,
A titre subsidiaire, à défaut de réintégration,
- de condamner la société AMARIS à lui verser une somme nette de cotisations sociales et de CSG CRDS de 25.200 € à titre d'indemnité pour licenciement nul,
A titre très subsidiaire, de condamner la société AMARIS à lui verser les sommes de :
- 25.200 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- 4.200 € à titre de non-respect de la procédure,
En tout état de cause, de condamner la société AMARIS à lui verser 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et d'appel et aux entiers dépens.
La société AMARIS demande de :
- confirmer le jugement déféré sur le licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- constater que le licenciement de Monsieur [V] repose sur une cause réelle et sérieuse,
- constater la mauvaise foi de Monsieur [V] dans la démonstration de la preuve,
- débouter Monsieur [V] de l'ensemble de ses demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société de sa demande reconventionnelle, et condamner Monsieur [V] à lui payer la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
SUR CE,
Sur la révocation de l'ordonnance de clôture
La société AMARIS a notifié des conclusions le 5 septembre 2019 et la date de clôture a été fixée au 8 janvier 2020 ; elle indique que le 6 janvier 2020 Monsieur [V] qui avait déjà conclu en 2018 a signifié de nouvelles conclusions lui laissant un temps insuffisant pour répondre avant la clôture ; elle sollicite donc la révocation et le report de l'ordonnance de clôture pour lui permettre de répliquer, ce qu'elle a fait le 30 janvier 2020 ; à défaut, elle demande le rejet des dernières pièces et conclusions versées par Monsieur [V] le 6 janvier 2020.
Après l'ouverture des débats, cet incident a été évoqué et les débats ont ensuite été rouverts pour les plaidoiries ; en l'absence de désaccord des parties sur ce report et au vu de la justification nécessitant le respect du contradictoire, ce qui constitue le motif grave exigé par l'article 784 du code de procédure civile, les dernières conclusions de la société AMARIS sont accueillies et la clôture prononcée au jour de l'audience.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 14 janvier 2016 reproche au salarié :
- d'avoir proposé ses services au client TECHNIP en violation de son obligation de
loyauté ;
- son absence de management ainsi que des problèmes de communication et d'intégration
au sein de sa mission chez TECHNIP tels que relevés par le comité de pilotage du 10
décembre 2015 (insuffisance professionnelle et comportement);
- sa mauvaise volonté quant à son éventuelle participation à un nouveau projet au sein
de la société TECHNIP portant atteinte à l'image de AMARIS ;
- un manque volontaire de disponibilité en décembre 2015 pour discuter d'une nouvelle mission ;
Monsieur [V] qui invoque la violation de sa liberté d'expression, se défend d'avoir accepté de travailler sur d'autres projets que le secteur du gaz et du pétrole et soutient que préalablement à son embauche, il a adressé un courriel le 27 octobre 2014 à la société AMARIS pour lui faire connaître ses souhaits : « Comme j'ai pu vous l'expliquer je souhaite aujourd'hui uniquement évoluer dans le secteur de l'Oil & Gas ».
Toutefois la société réplique que Monsieur [V] est un ingénieur planning qui pilote un projet dans des domaines différents et n'est pas à proprement parler un technicien dans un domaine particulier ; elle soutient, à juste titre, qu'elle n'a pris aucun engagement de le faire travailler uniquement dans le secteur du pétrole et du gaz, qu'il s'agissait d'un souhait du salarié qu'elle ne pouvait satisfaire qu'en fonction des missions dont elle disposait lorsque le salarié était en inter contrat et que contrairement à ce que le salarié soutient, il avait de multiples expériences dans plusieurs domaines y compris dans le domaine nucléaire durant cinq ans et était compétent sur ce nouveau projet.
En l'espèce, Monsieur [V] connaissait le client pour avoir déjà travaillé chez lui durant un an sans avoir fait part de difficultés et il résulte des pièces produites, et notamment de son curriculum vitae, que celui-ci avait déjà travaillé dans le domaine nucléaire sur trois missions différentes ; il ne peut donc justifier d'une incompétence l'amenant à refuser, de façon légitime, la mission proposée par la société AMARIS, ou devoir mentir au client sur ses compétences, peu important qu'il souhaite continuer à travailler dans le secteur du pétrole et du gaz et partir à l'étranger ce qu'il a indiqué à l'employeur (courriel des 3 décembre 2015), et plus grave, au client (courriel du 7 décembre 2015).
C'est ainsi que les courriels échangés établissent que face à une nouvelle mission dont il ne voulait pas, Monsieur [V] a annoncé directement au client qu'il n'était pas intéressé et n'était pas compétent, et lui a fait part de ses recherches professionnelles par un courriel du 7 décembre 2015 adressé à Monsieur [B] de TECHNIP, et ce quelques jours avant la réunion prévue entre AMARIS et TECHNIP le 11 décembre 2015 sur cette nouvelle mission ; Monsieur [V] ne peut donc prétendre que « c'est sur la base de son honnêteté et son refus de manipuler le client qu'il a été licencié en violation de sa liberté d'expression » au vu de ce qui a été dit précédemment sur ses compétences et sur ses souhaits ; il n'est d'ailleurs pas établi que sa liberté d'expression n'aurait pas été respectée ; en revanche l'employeur caractérise la violation de l'obligation de loyauté par Monsieur [V].
De plus, la société AMARIS a appris par la société TECHNIP (échanges de courriels entre Monsieur [B] et la société ARAMIS auxquels étaient joints un courriel de Monsieur [V] du 19 novembre 2015 référencé sous le titre « offre de service ») que le salarié avait proposé ses services directement à la société TECHNIP ainsi que ses souhaits et avait joint son curriculum vitae, ceci caractérisant des actes de démarchage auprès du client en contradiction avec l'article 9.2 de son contrat de travail, le salarié ne pouvant raisonnablement soutenir que c'était à la demande de la société AMARIS, d'autant que l'envoi a été fait avec un papier sans en tête et que le mail du 7 décembre 2015 de Monsieur [V] à la société TECHNIP indique « j'ai rejoint Amaris pour avoir la possibilité de travailler pour Technip.. ».
Les pièces produites révèlent donc que non seulement Monsieur [V] a montré une volonté affichée de faire passer avant tout son « cheminement professionnel » et de se positionner sur des certaines missions à l'étranger en postulant directement auprès du client alors qu'il était engagé dans les liens contractuels avec la société AMARIS, et qu'il a fait preuve d'une mauvaise volonté évidente pour cette nouvelle mission, au risque pour l'employeur de perdre à la fois le projet et le client.
En conséquence, il est établi que Monsieur [V] a commis des manquements à la loyauté contractuelle et que son licenciement était justifié sans qu'il soit besoin d'analyser les autres motifs allégués par l'employeur, notamment sur son insuffisance lors de la première mission ; le jugement qui l'a débouté de ses demandes sera confirmé.
Succombant, Monsieur [V] supportera les dépens ; l'équité commande de faire droit à la demande reconventionnelle de la société AMARIS, qui a dû se défendre à nouveau en cause d'appel ; il lui sera alloué une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [Y] [V] à payer à la société SAS AMARIS Ile de France la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [Y] [V] aux dépens.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE