RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 11 juin 2020
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/09460 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAUBT
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 17 Juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° 19/00690
APPELANT
M. [W] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Geneviève CHEMLA, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 109, avocat postulant et plaidant
INTIMEE
SAS CHRONOPOST
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125, avocat postulant représenté par Me Laurent MONTAGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0187, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 804 et suivants du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 février 2020 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant
Madame Mariella LUXARDO, Présidente
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Mariella LUXARDO, Présidente
Madame Brigitte CHOKRON, Présidente
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Mariella LUXARDO, présidente et par Madame FOULON, Greffier.
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Vu l'ordonnance rendue le 17 juillet 2019 par la formation de référé du conseil de prud'hommes de Paris qui a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de M. [V] et la demande reconventionnelle, et laissé les dépens à sa charge ;
Vu l'appel interjeté le 26 septembre 2019 par M. [V] ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 30 janvier 2020 par lesquelles M. [V] demande à la cour de :
Infirmer l'ordonnance rendue le 17 juillet 2019
Ordonner la réintégration de M. [V] dans ses fonctions sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir
Condamner la société Chronopost à payer à M. [V] les sommes suivantes :
* 60 000 euros à titre de provision sur les préjudices matériel et moral subis
* 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 février 2020 par lesquelles la société Chronopost demande à la cour de :
Recevoir la société Chronopost en son argumentation et la dire bien fondée
En conséquence, et statuant à nouveau
A titre principal
Dire et juger la demande de réintégration de M. [V] dans son poste et ses fonctions sous astreinte irrecevable
Confirmer l'ordonnance de référé déférée en ce qu'elle a jugé qu'il n'y avait pas lieu à
référé
Débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et le renvoyer à mieux se pourvoir au fond
A titre subsidiaire
Dire et juger que M. [V] ne rapporte pas la preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'une quelconque urgence
Dire et juger que la demande de réintégration de M. [V] sur son poste se heurte à une contestation sérieuse en raison de sa saisine préalable au fond d'une demande exactement contraire de reconnaissance d'un licenciement nul et de l'indemnisation de celui-ci actuellement pendante devant la section commerce du conseil de céans, statuant au fond et enrôlée sous le numéro de RG 18/07305,
Dire et juger qu'il n'y a pas lieu à référé
Confirmer l'ordonnance de référé du 17 juillet 2019
Débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et le renvoyer à mieux se pourvoir au fond
Condamner M. [V] à verser à la société Chronopost une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Le condamner aux entiers dépens.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 21 février 2020 ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande de M. [V] et la compétence de la juridiction de référé
A titre liminaire, il sera rappelé que M. [V] salarié de la société Chronopost depuis le 7 octobre 2002 en qualité de chauffeur livreur, classé en dernier lieu au coefficient 150 C de la catégorie des techniciens d'exploitation de la convention collective des transports routiers, a bénéficié de plusieurs mandats de représentation du personnel depuis 2008.
Saisie par lettre du 17 juillet 2017 de la société Chronopost, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de M. [V] par décision du 20 septembre 2017.
Convoqué le 23 juin 2017 à un entretien fixé le 4 juillet 2017 auquel il ne s'est pas présenté, M. [V] a été licencié pour faute grave par lettre du 28 septembre 2017.
Saisi par M. [V] le 16 novembre 2017, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 20 septembre 2017 de l'inspection du travail par jugement du 5 avril 2019 confirmé par arrêt de la cour administrative d'appel du 20 décembre 2019.
La société Chronopost a déposé un recours devant le Conseil d'Etat le 11 février 2020.
Par requête du 16 mai 2019, M. [V] avait saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Paris aux fins d'obtenir sa réintégration au sein de la société Chronopost.
Par ordonnance du 17 juillet 2019 dont appel, le conseil de prud'hommes de Paris a dit n'y avoir lieu à référé au motif principal que le jugement du 5 avril 2019 du tribunal administratif de Melun n'avait pas de caractère définitif.
A l'appui de son appel, M. [V] fait valoir que le refus de réintégration constitue un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés doit mettre fin ; que l'appel devant la cour administrative n'a pas d'effet suspensif ; que sa demande de réintégration n'est pas antinomique aux demandes présentées devant le juge du fond ; que la société Chronopost lui oppose à tort un délai de forclusion alors que le juge du fond a été saisi dans le délai d'un an suivant son licenciement, aucun délai n'étant en outre imparti au salarié protégé pour demander sa réintégration lorsque la rupture du contrat est prononcée en violation du statut protecteur.
La société Chronopost soulève à titre principal l'irrecevabilité de la demande de réintégration au motif que M. [V] a saisi le juge du fond avant le juge des référés, le 27 septembre 2018 ; que les demandes présentées devant le juge du fond sont contraires puisque fondées sur l'article L.1235-3-1 du code du travail applicable lorsque le salarié ne réclame pas la poursuite de son contrat de travail ; que la forclusion d'un an de l'article L.1471-1 s'oppose à l'examen de la demande de réintégration qui a été présentée devant le juge des référés après le 28 septembre 2018, cette demande ne figurant pas dans la requête présentée devant le juge du fond.
A titre subsidiaire, la société Chronopost soutient que les conditions du trouble manifestement illicite ne sont pas réunies puisque M. [V] a saisi le juge du fond avant le juge des référés de demandes antinomiques ; que l'article 484 du code de procédure civile pose la condition que le juge du fond n'ait pas été préalablement saisi ; que plusieurs inspecteurs du travail confirment la position de la société de ne pas procéder à la réintégration immédiate de M. [V] ; que l'indemnité pour violation du statut protecteur n'est due que lorsque le salarié ne sollicite pas sa réintégration.
La compétence de la juridiction de référé est fondée sur l'article R.1455-6 du code du travail qui dispose que la formation de référé peut même en présence d'une contestation sérieuse prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.
M. [V] a sollicité en l'espèce sa réintégration par lettre recommandée du 8 avril 2019, suite au jugement rendu le 5 avril 2019 par le tribunal administratif de Melun qui a annulé l'autorisation administrative de licenciement du 20 septembre 2017.
Le refus de la société Chronopost notifié par lettre du 18 avril 2019 de le réintégrer est constitutif d'un trouble manifestement illicite dès lors qu'il est contraire aux dispositions de l'article L.2422-1 du code du travail qui organise la réintégration sous la seule condition que le salarié concerné présente sa demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision du juge administratif .
Ce texte est applicable à M. [V] qui était délégué syndical d'établissement depuis octobre 2012 jusqu'au 24 avril 2017.
Contrairement à ce qui est soutenu par la société Chronopost, les demandes présentées par M. [V] ne sont pas contraires à celles présentées devant le juge du fond saisi le 27 septembre 2018.
Si la requête saisissant le conseil de prud'hommes visait à l'origine une demande de nullité du licenciement et le paiement des indemnités en découlant, de nouvelles conclusions ont été déposées par l'avocate de M. [V] le 9 août 2019, conclusions qui ont ajouté une demande de réintégration présentée à titre principal, cette demande présentant un lien direct avec la demande initiale fondée sur la contestation de la rupture du contrat de travail notifiée le 28 septembre 2017, et intégrant la prise en compte du jugement du 5 avril 2019 annulant l'autorisation de licenciement.
En outre il ne peut être tiré argument de l'article 484 du code de procédure civile pour dire l'action en référé irrecevable comme ayant été formée après la saisine du juge du fond, puisque la saisine de la formation en référé est consécutive à la décision rendue par le juge administratif le 5 avril 2019 et que les demandes présentées en référé sont fondées sur le refus de la société Chronopost de réintégrer M. [V].
Enfin le délai de prescription de l'article L.1471-1 du code du travail ne peut pas être opposé à M. [V] qui a saisi le juge des référés dès le 8 avril 2019, respectant ainsi le délai de deux mois de l'article L.2422-1 du code du travail.
L'exercice des voies de recours non suspensives devant les juridictions administratives sont sans incidence sur la demande présentée devant le juge judiciaire.
Les réserves exprimées par un inspecteur du travail en juillet 2019 ne l'ont été que dans l'attente des observations de la société Chronopost , et ne sauraient en tous cas constituer une élément justificatif du refus de la société de procéder à la réintégration immédiate de M. [V].
Au vu de ces éléments, l'ordonnance du 17 juillet 2019 mérite son infirmation.
La réintégration sollicitée par M. [V] sera ordonnée, en ce qu'elle s'impose du seul fait de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement suivie de la demande de réintégration du salarié protégé.
Afin d'assurer le respect de la présente décision, la mesure sera assortie d'une astreinte dans les termes présentés par l'appelant.
S'agissant de la provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par M. [V], la demande en paiement de la somme de 60.000 euros est conforme à l'article L.2422-4 du code du travail et correspond à une part des salaires dûs sur la période écoulée depuis la notification du licenciement à la réintégration effective.
Le recours devant le Conseil d'Etat ne fait pas obstacle à cette provision ordonnée à titre provisoire.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
La société Chronopost devra verser à M. [V] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Infirme l'ordonnance du 17 juillet 2019 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Ordonne à la société Chronopost de réintégrer M. [V] dans ses fonctions ou un emploi équivalent dès la notification de l'arrêt, et sous astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard constaté huit jours après la signification de l'arrêt par M. [V],
Condamne la société Chronopost à payer à M. [V] une provision de 60.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,
Rejette les autres demandes des parties,
Condamne la société Chronopost aux entiers dépens de l'instance en référé et à payer à M. [V] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE