Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 24 JUIN 2020
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/01895 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2QF3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2017 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2015074171
APPELANTE
SARL [Y], devenue SAS EMPTAZ MOTO RACING, dont le nom commercial est EMR 91
Ayant son siège social : [Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 423 520 626 (EVRY)
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Mathieu JUNQUA LAMARQUE de la SCP GAUDIN JUNQUA-LAMARQUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R243,
Ayant pour avocat plaidant : Me Gary ATTAL de la SCP GAUDIN JUNQUA-LAMARQUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
SASU DUCATI WEST EUROPE
Ayant son siège social : [Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
N° SIRET : 414 715 177 (NANTERRE)
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant : Me Julien BALENSI de la SELARL ALTANA, avocat au barreau de PARIS, toque : R021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Février 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre
Madame Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère
Monsieur Dominique GILLES, Conseiller
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Dominique GILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute de la présente décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Ducati West Europe importe en France les produits de la marque Ducati, tant des motocyclettes de tourisme et de compétition que des pièces détachées et des accessoires ; elle y anime un réseau de distribution.
La SARL Emptaz moto racing, dénommée [Y] jusqu'à une délibération du 1er décembre 2019 portant changement de nom, est un distributeur multimarque de motocyclettes implanté en Essonne, exploitant un établissement dédié à la vente et la réparation de grosses cylindrées.
Le 15 juin 2011, la société Emptaz moto racing et la société Ducati ont signé un contrat de distribution d'un an, renouvelable par tacite reconduction par périodes successives de 12 mois, sauf dénonciation trois mois avant échéance annuelle fixée au 31 décembre.
Le 18 octobre 2015, lors de la convention annuelle du groupe Ducati, M. [Y], gérant de la société Emptaz Moto Racing, a signé un engagement de confidentialité interdisant la divulgation de toute information relative aux nouveaux produits du groupe Ducati.
Le 19 octobre 2015, M. [Y] a publié sur son compte Facebook la liste des modèles présentés lors de cette convention, accompagnée de certaines précisions.
Le 28 octobre 2015, la société Ducati West Europe a résilié le contrat de distribution avec effet au 1er janvier 2016, motif pris d'un manquement du concessionnaire à son engagement de confidentialité.
Par assignation du 30 novembre 2015, la société [Y] a assigné l'importateur, en poursuite du contrat à peine d'astreinte, devant le juge des référés qui l'a déboutée de ses prétentions.
Par assignation du même jour, le distributeur a assigné au fond la société Ducati West Europe en dommages-intérêts pour rupture brutale et abusive du contrat.
C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 23 janvier 2017, a :
- débouté la SARL [Y] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la SARL [Y] à payer à la SAS Ducati West Europe la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SARL [Y] aux dépens.
La société Emptaz moto racing a interjeté appel de ce jugement, par déclaration reçue au greffe de la Cour le 23 janvier 2017.
Par dernières conclusions notifiées le 20 janvier 2020, la société Empaz moto racing demande à la Cour de :
- infirmer en toutes ses disposition le jugement du 27 janvier 2017 [en réalité du 23 janvier 2017] ;
- débouter la société Ducati West Europe de l'ensemble de ses demandes ;
- constater l'absence de manquement de sa part à l'une de ses obligations figurant au contrat de concession en date du 5 juin 2011 ;
- dire que les juridictions françaises sont incompétentes pour interpréter et exécuter l'engagement de confidentialité ;
En conséquence :
- écarter des débats ledit engagement de confidentialité qui la lie à la société Ducati Motor Holding ;
- constater l'absence de dénonciation du contrat du 15 juin 2011 avant le 30 septembre 2015 ;
- prendre acte en conséquence de son renouvellement pour une durée de 12 mois à compter du 1er janvier 2016 ;
- constater que la violation de l'engagement de confidentialité invoquée ne constitue pas une cause de rupture anticipée du contrat ;
- dire en conséquence que la rupture anticipée par la société Ducati West Europe du contrat de concession est brusque et abusive ;
- condamner la société Ducati West Europe à lui payer la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de concession ;
- condamner la société Ducati West Europe à lui payer la somme de 71 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la brusque rupture des relations commerciales ;
- condamner la société Ducati West Europe à payer [à "la société [Y]"] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires consécutivement à l'ordonnance de référé ;
- condamner la société Ducati West Europe à payer [à "la société [Y]"] la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 15 janvier 2020, la société Ducati Western Europe demande à la Cour de :
vu l'article 1184 du Code civil ;
- sur la résiliation du contrat :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société [Y], désormais dénommée Empaz moto racing, a manqué délibérément et de manière réitérée aux obligations de confidentialité contractées aux termes de la déclaration signée le 18 octobre 2015 ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu que le comportement grave de la société [Y] désormais dénommée Empaz moto racing était caractérisé ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le comportement grave de la société [Y] désormais dénommée Empaz moto racing justifiait la résiliation du contrat de concession conclu le 15 juin 2011 ;
en conséquence :
- débouter la société [Y] désormais dénommée Empaz moto racing de l'ensemble de ses demandes.
- condamner la société [Y] désormais dénommée Empaz moto racing à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
SUR CE, LA COUR
Les moyens soutenus par la société Emptaz moto racing au soutien de son appel, ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
A ces justes motifs il sera ajouté ce qui suit.
A l'appui de son appel, la société Empaz moto racing soutient que :
- la société Ducati West Europe ne pouvait pas rompre le contrat de distribution de manière anticipée, avec préavis abrégé (deux mois au lieu de trois mois), au prétexte d'une faute invoquée envers une autre société juridiquement autonome, la société Ducati Motor Holding au profit de laquelle l'engagement de confidentialité avait été souscrit, celui-ci étant dépourvu de tout lien d'indivisibilité avec le contrat de distribution ;
- le tribunal de commerce de Paris était incompétent pour interpréter et apprécier l'exécution d'un engagement autonome de confidentialité soumis au droit italien, sur lequel aucun élément n'est fourni, et relevant de la compétence exclusive des tribunaux de Bologne ;
- les premiers juges auraient donc dû, soit écarter l'engagement de confidentialité, en l'absence de décision judiciaire bolognaise, soit surseoir à statuer dans l'attente d'une telle décision, étant observé que nulle juridiction italienne n'a été saisie par le bénéficiaire de l'engagement ;
- la perte de confiance alléguée par la société Ducati West Europe à l'égard de son concessionnaire et invoquée dans la lettre de rupture du 28 octobre 2015 n'est pas justifiée, au regard de la chronologie des faits et de l'absence de tout élément nouveau après le courriel du 21 octobre 2015 exclusif de toute perte de confiance, étant par ailleurs soutenu que la perte de confiance ne pourrait constituer en soi un motif de rupture suffisamment grave ;
- la résolution du contrat de distribution n'est pas justifiée;
- la rupture du contrat a présenté en l'espèce un caractère punitif et vexatoire imputable à la société Ducati West Europe ;
- la société Ducati West Europe est constituée de mauvaise foi, dès lors qu'elle n'a jamais prouvé avoir remis copie à la société [Y] de l'engagement de confidentialité, étant observé que l'identification du signataire dans l'en-tête de la déclaration d'engagement ne résulterait ni de la société [Y] ni de son gérant, comme le prouverait la comparaison entre ce document et avec le formulaire complété par M. [R] [Y] pour la cession des droits d'image ;
- la société Ducati West Europe affirme à tort que le dernier post sur Facebook du 19 octobre 2015 a été mis en ligne après injonction expresse d'avoir à retirer les informations confidentielles, alors que sa mise en garde date du 21 octobre 2015 et qu'elle a été suivie par la suppression complète, M. [Y] ayant été remercié pour sa réactivité dès le 22 octobre 2015 ;
- ne peut fonder la rupture du contrat la simple erreur sur laquelle s'appuie la société Ducati West Europe, qui est hors de proportion, dès lors que le dernier post sur Facebook ne contenait plus d'information confidentielle, notamment en considérations des articles de presse parus dès août 2015, lesquels fournissaient davantage de précisions ;
- la violation invoquée ne résulte en réalité que de la volonté de la société Ducati West Europe de faire obstacle à la tacite reconduction du contrat au 1er janvier 2016.
Toutefois, il est établi que M. [Y], présent en sa qualité de gérant de la société [Y], concessionnaire Ducati, à la conférence annuelle 2015 des distributeurs du réseau de la marque, a signé de sa main - ce qu'il ne conteste pas - un engagement de confidentialité, daté du 18 octobre 2015 et établi en français, au bénéfice du constructeur, la société de droit italien Ducati Motor Holding S.p.A.
Cet engagement de confidentialité définit comme information confidentielle les informations concernant les produits et les produits eux-mêmes, dont les nouvelles motos.
Le 19 octobre 2015, M. [Y] a néanmoins diffusé sur le réseau social Facebook des informations portant sur les 7 nouveaux modèles qui venaient d'être présentés par le constructeur, le message (post) précisant : 'Voilà ce qui nous a été présenté en toute confidentialité et avant presse..photos interdites... bien sûr[...]'
Par courriel du 21 octobre 2015, la société Ducati West Europe a reproché au concessionnaire d'avoir révélé le nom de tous les nouveaux modèles 2016 ainsi que des détails sur le X-Daviel, demandant le retrait immédiat de cette publication.
Le 21 octobre 2015 à 19h14, le concessionnaire a assuré que les modifications et suppressions du post initial, qui mentionnait tous les modèles, avait été effectuées dès connaissance du courriel du fournisseur.
Cependant, la date des modifications et suppressions du post n'est pas établie et le dernier état de celui-ci, qui est daté du 19 octobre selon l'appelante, mentionne encore 'Confidence oblige, je ne peux pas vous dévoiler ce qui nous a été présenté en toute confidentialité et avant la presse.. Il vous faudra attendre le 15 novembre pour ça..photos interdites bien sûr.. Je ne peux tenir ma langue et vous just que la magnifique X-Daviel full Black sort 90% de la puissance maximale..dès 5.000 trs/min...'
Le courriel de la société Ducati West Europe du 21 octobre 2015 reproche d'ailleurs au post de continuer, malgré la modification, à partager des informations confidentielles sur ce modèle (nom, couleur et informations technique) et d'exiger leur suppression.
Le courriel du 22 octobre 2015 du service 'digital marketing' de la société Ducati West Europe à M. [Y], s'il comporte un remerciement pour la réactivité du concessionnaire au sujet du post, et laisse entrevoir le futur de la collaboration, dénonce cependant à nouveau le comportement en cause et ne caractérise aucune renonciation de la société Ducati West Europe au droit de se prévaloir d'un manquement contractuel.
Or, peu important les éventuelles fuites dans la presse des informations en cause antérieurement aux posts litigieux, il est établi que ceux-ci ont été largement diffusés par le concessionnaire, de sorte qu'il ne peut être retenu qu'il se serait agi d'une simple erreur dénuée de toute gravité.
La société Ducati West Europe démontre, au contraire, que le comportement de son concessionnaire à l'égard de la société Ducati Motor Holding a été radicalement incompatible avec celui attendu par ce constructeur, organisateur d'une telle manifestation annuelle d'ampleur maximale, et ce bien que ce comportement attendu ait été préalablement formalisé, qu'il ait été porté à la connaissance du concessionnaire qui avait donné toutes apparences de consentir à s'y conformer, et bien qu'un tel comportement attendu ait été particulièrement légitime au regard des intérêts du réseau global de la marque, s'agissant en particulier du souci de maîtriser la divulgation des informations sur les nouveaux modèles.
Or, la société Ducati West Europe représente la marque en France et, en cette qualité, a conclu le contrat de distribution litigieux.
Le comportement du concessionnaire déjà caractérisé constitue, par conséquent, une inexécution du contrat de distribution, dès lors que celui-ci, en exécution duquel M. [Y] a été invité à la convention annuelle, lui commandait de s'abstenir d'adopter délibérément et sans motif un comportement contraire à celui attendu par le constructeur et auquel il avait donné l'apparence de consentir à se conformer.
Le comportement déjà caractérisé du concessionnaire a été, pour la société Ducati West France, suffisamment imprévisible et empreint d'une telle inconséquence, qu'il a été de nature à lui faire perdre la confiance qu'elle avait placée dans ce concessionnaire.
A cet égard, les affirmations de la société Emptaz motor racing sur les prétendues fuites qui se seraient déjà produites dans la presse sont indifférentes.
Par conséquent, la société Ducati West Europe a été bien fondée, dans sa lettre du 28 octobre 2015, de reprocher au concessionnaire, en se prévalant de la résiliation du contrat de distribution au 1er janvier suivant, d'avoir divulgué auprès d'un large public des informations qu'il savait confidentielles jusqu'à leur annonce par voie de conférence de presse prévue pour la mi-novembre.
Peu importe à cet égard les clauses d'élection de for au profit de juridictions étrangères et de soumission à la loi italienne contenues dans l'engagement de confidentialité, dont l'interprétation et la force obligatoire ne sont nullement en cause, et que rien n'autorise à écarter des débats.
C'est vainement que la société Emptaz moto racing se prévaut de la reconduction du contrat, qui est résolu à ses torts exclusifs, sans abus ni rupture brutale des relations commerciales établies imputables à la société Ducati West Europe.
Il résulte de ce qui précède que le jugement entrepris doit être approuvé d'avoir débouté la société Emptaz moto racing de toutes ses demandes, et que celle-ci demeure mal fondée en son appel.
Elle sera condamnée aux dépens et, en équité, versera à la société Ducati West Europe une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dont le montant sera précisé au dispositif de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
CONFIRME le jugement entrepris,
DÉBOUTE la SARL Emptaz moto racing de toutes ses demandes,
CONDAMNE la SARL Emptaz moto racing à payer à la société Ducati West Europe une somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SARL Emptaz moto racing aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande.
Le Greffier Le Président
Cécile PENG Marie-Laure DALLERY