Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 24 JUIN 2020
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/06115 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5UG6
Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Mars 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F16/00469
APPELANT
Monsieur [O] [S]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Sylvie CHATONNET-MONTEIRO, avocat au barreau d'ESSONNE
INTIMEE
SAS XP FRANCE Agissant poursuites et diligences en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Florence GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Mars 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, Conseillère
Madame Florence OLLIVIER, Vice Présidente placée faisant fonction de Conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 06 Janvier 2020
Greffier, lors des débats : M. Julian LAUNAY
ARRET :
- Contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [S] a été engagé par la société XP France, par contrat durée indéterminée signé le 15 mars 2006, en qualité de chef des ventes à l'agence de [Localité 4], statut cadre, coefficient 106,5 groupe 2 de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires de transport. La société compte 3000 salariés et appartient à un groupe important.
Entre octobre 2015 et mars 2016, Monsieur [S] a adressé plusieurs réclamations à la direction générale de la société en dénonçant une diminution de ses responsabilités depuis février 2015.
Une mise à pied disciplinaire d'un jour ouvré lui a été infligée par lettre du 27 avril 2016 ainsi libellée :
« Nous déplorons tout d'abord votre comportement qui relève de l'insubordination et que nous ne pouvons tolérer.
Le 30 octobre 2015, vous avez adressé un courrier recommandé à Monsieur [O] [I], directeur général adjoint, dans lequel vous lui faisiez part de certains éléments relatifs à votre contrat de travail que vous souhaitiez voir clarifier.
Vous avez reçu une réponse de sa part au travers d'un courrier recommandé daté du 30 novembre suivant, et qui répondait point par point à votre demande de clarification.
Pourtant, le 10 mars 2016, Monsieur [I] a de nouveau reçu un courrier recommandé de votre part, et là encore, vous avez fait le choix de ne pas l'adresser à votre hiérarchie, alors que c'est bien à votre N+1 de traiter vos demandes et de répondre à vos questions, et non à la direction générale.
D'autre part, dans ce courrier, vous vous permettez de remettre en question les réponses qu'il vous a apportées dans son courrier le 30 novembre, allant même jusqu'à juger ses propos ''erronés''.
De même, vous n'hésitez pas à porter des jugements sur son management de l'entreprise et sur les décisions et la stratégie de l'entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs, ce qui est parfaitement inadmissible et ne vous concerne en rien dès lors que vous n'êtes que chef des ventes.
Ces faits me conduisent à vous notifier par la présente une mise à pied disciplinaire d'une journée, 9 mai 2016, qui ne vous sera pas rémunérée.
Enfin, et nous souhaitons vivement en rester là sur ce sujet, vous ne subissez aucune modification de votre contrat de travail comme vous le prétendez, votre qualification de chef des ventes n'a jamais été modifiée.
Quant aux termes de votre contrat de travail que vous citez, nous vous invitons à le relire et vous constaterez que l'animation de la force de vente n'est qu'une des missions de ce poste, parmi d'autres »
Monsieur [S] a contesté sa mise à pied par lettre du 30 mai 2016 puis saisi le conseil de prud'hommes de Melun, le 4 juillet 2016, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, d'annulation de la journée de mise à pied, et tendant à voir condamner celui-ci à lui payer diverses sommes notamment à titre d'indemnités de rupture, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour sanction abusive.
Par jugement du 30 mars 2018, il a été débouté de ses demandes.
Le 3 mai 2018, il a été en arrêt pour maladie, les arrêts s'étant succédé jusqu'au 17 septembre 2018. À cette date, lors de la visite de reprise le médecin du travail a indiqué que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Le 26 décembre 2018, Monsieur [S] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement et, par lettre du 10 janvier 2019, a été licencié pour inaptitude non professionnelle avec dispense d'obligation de l'obligation de reclassement.
Le 4 mai 2018, il avait interjeté appel du jugement.
Dans des dernières conclusions déposées par voie électronique, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, il sollicite de voir :
Infirmer le jugement ;
Annuler la journée de mise à pied du 9 mai 2016 ;
Condamner la société à lui verser àles sommes suivantes :
13 000 euros pour sanction abusive ;
À titre principal,
120.000,00 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
20.439,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
2.043,90 € au titre des congés payés y afférents,
5.975,71 € ou subsidiairement 2102,36 € au titre du complément de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
à titre subsidiaire,
120.000,00 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
20.439,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
2.043,90 € au titre des congés payés y afférents,
5.975,71 € ou subsidiairement 2102,36 € au titre du complément de l'indemnité conventionnelle de licenciement
en tout état de cause,
2 491,70 € au titre du rappel de 13è mois,
2.500,00 € au titre de l'article 700 du CPC.
Ordonner la remise de l'attestation pôle emploi et du certificat de travail conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 200 € par jour de retard et par document,
Assortir l'ensemble des condamnations pécuniaires à venir des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
Condamner la société XP France, prise en la personne de son représentant légal en tous les dépens y compris les frais d'exécution éventuelle par voie d'huissier, par application des articles
10 et 12 de la loi du 8 mars 2001.
Dans des dernières conclusions déposées par voie électronique, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions, l'intimée sollicite de voir :
- Confirmer le jugement ;
Sur la demande d'annulation de la sanction disciplinaire
- Dire et juger que la sanction disciplinaire notifiée à Monsieur [S] est justifiée et proportionnée ;
- Débouter en conséquence Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 13.000 euros ;
- Débouter Monsieur [S] de sa demande de rappel de salaire sur mise à pied et congés payés y afférents.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
À titre principal :
- Dire et juger que Monsieur [S] n'a subi aucun déclassement professionnel et que son contrat de travail n'a pas été unilatéralement modifié ;
- Dire et juger qu'en tout état de cause la poursuite de son contrat de travail n'a pas été empêchée ;
- Débouter Monsieur [S] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
À titre subsidiaire :
- Dire et juger que Monsieur [S] ne justifie d'aucun préjudice susceptible de justifier l'allocation de plus de 3 mois de salaire d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-Débouter en conséquence Monsieur [S] du surplus de sa demande à ce titre ;
Sur le licenciement pour inaptitude médicale et impossibilité de reclassement
A titre principal,
- Dire et juger que toutes les demandes nouvelles de Monsieur [S] au titre de son licenciement pour inaptitude sont irrecevables sur le fondement des articles 15 et 16 du Code de procédure civile.
- Débouter Monsieur [S] de toutes ses demandes y afférentes. ;
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la société XP France n'a commis aucun manquement à l'encontre de Monsieur [S] ;
- Débouter Monsieur [S] de toutes ses demandes y afférentes.
A titre surabondant :
- Dire et juger que Monsieur [S] ne saurait prétendre à plus de 333 euros à titre de reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
- Dire et juger que Monsieur [S] ne saurait prétendre à plus de 18.736,68 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence :
- Débouter Monsieur [S] du surplus de ses demandes.
Sur le treizieme mois
- A titre principal, dire et juger que cette demande nouvelle est irrecevable sur le fondement des articles 15 et 16 du Code de procédure civile ;
- A titre subsidiaire, dire et juger que Monsieur [S] ne saurait y prétendre.
En conséquence :
- Débouter Monsieur [S] sa demande de treizième mois.
- Débouter Monsieur [S] de sa demande au titre de l'article 700 du C.P.C.
La clôture a été révoquée et prononcée à l'audience du 9 mars 2020. Il n'y a donc pas lieu de répondre aux conclusions d'irrecevabilité de la société fondés sur les articles 15 et 16 du code de procédure civile.
MOTIFS
Le contrat de travail stipulait en son article VI :
« Le salarié est engagé au poste de chef des ventes mission principale a pour mission principale sous le contrôle et l'autorité directe du directeur de l'agence de [Localité 4] :
'animer la force de vente dont il a la responsabilité afin que les commerciaux atteignent leurs objectifs,
(...)
'animer une réunion hebdomadaire de la force de vente chaque lundi matin ou vendredi après-midi.
Dans le cadre de sa fonction, le salarié est placé directement sous les ordres du directeur d'agence, ou de toute personne expressément désignée par lui. Il reçoit directives et instructions de celui-ci ».
La société soutient que le management d'une équipe n'était qu'une mission accessoire du chef des ventes, responsable avant tout de développer les ventes.
Cependant, Monsieur [S] fait remarquer à juste titre que la première mission définie au contrat de travail du chef des ventes est celle d'animer la force des ventes dont il a la responsabilité afin que les commerciaux atteignent leurs objectifs. Il est notamment chargé d'animer une réunion hebdomadaire de force de vente.
Il résulte, en effet, de la pièce 45 communiquée par l'employeur « support d'entretien annuel et professionnel » que Monsieur [S] contrôlait le travail des attachés commerciaux et fixait leurs objectifs. Il bénéficiait d'ailleurs du statut cadre alors que les agents commerciaux relèvent de la catégorie agent de maîtrise. La fonction d'encadrement de Monsieur [S] est également confirmée par les courriels versés aux débats.
À partir de 2014, l'équipe de Monsieur [S] a été réduite et a même disparu avec le licenciement du dernier commercial en janvier 2015.
La disparition des attachés commerciaux entraînait par là-même celle du rôle principal du chef des ventes d'animation de la force des ventes.
La déclassification de Monsieur [S] est confirmée par les courriels échangés en 2016 (pièce 35 du salarié), celui-ci n'étant plus qualifié que d'attaché commercial ou de commercial par divers membres de son agence.
Enfin, Monsieur [S] a été rattaché hiérarchiquement à Monsieur [C], engagé en février 2016, en qualité de responsable régional des ventes, et non plus à la directrice d'agence Mme [U], ainsi que cela ressort de nombreux courriels (pièce 71 de Monsieur [S]).
Il s'ensuit qu'en le privant de sa mission principale, la société a commis un manquement grave à ses obligations contractuelles justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts. Celle-ci prend effet à la date du licenciement prononcé le 10 janvier 2019. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la cause du licenciement.
Il résulte des bulletins de salaire versés aux débats que la moyenne des salaires de Monsieur [S] s'élevait à 6244,66 euros sur les 12 derniers mois avant son arrêt pour maladie. Il convient de faire droit à sa demande subsidiaire au titre de l'indemnité de licenciement. Celui-ci ayant perçu une somme de 31 722,87 euros qu'il convient de déduire, il lui reste dû une somme de 2102,36 euros.
S'agissant de l'indemnité de préavis, la société se borne à soutenir qu'elle n'est pas due car la demande de résiliation judiciaire n'est pas fondée ; il sera alloué une indemnité de 20 439 euros outre les congés payés afférents.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de sa rémunération, et des circonstances de la rupture, des éléments médicaux attestant de la forte dégradation de son état de santé consécutive aux difficultés rencontrées par lui dans l'exercice de ses fonctions et en application des dispositions de l'ordonnance n° 2017'1387 du 22 septembre 2017 applicable aux licenciements prononcés postérieurement à sa publication, il sera alloué des dommages-intérêts dont le montant est fixé au dispositif.
Les dispositions de l'article L. 1235'3 du code du travail, dans leur rédaction issue de cette ordonnance, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Les dispositions de l'article L. 1235'3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention numéro 158 de l'Organisation internationale du travail.
Sur la sanction abusive
Compte tenu des constatations ci-dessus, la mise à pied infligée à Monsieur [S] est abusive et il convient de lui accorder une somme de 13 000 euros en réparation du préjudice moral important qui lui a été causé par cette sanction.
Sur la prime de 13e mois
Il convient de faire droit à la prime de 13e mois, la rupture étant intervenue le 10 janvier 2019 et le contrat de travail précisant l'octroi d'une prime de 13e mois au prorata du temps de présence du salarié sous réserve d'être inscrit dans les effectifs au 31 décembre. Elle sera payée au mois de décembre' »
Sur la remise des documents de fin de contrat
La société sera tenue de remettre les documents de fin de contrat conformes (attestation Pôle emploi et certificat de travail) sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il est équitable d'accorder au salarié une somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Prononce la clôture au 9 mars 2020 et dit, en conséquence, n'y avoir lieu à statuer sur les irrecevabilités soulevées par la société XP France ;
Infirme le jugement déféré ;
Annule la mise à pied du 9 mai 2016 ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur à effet du 10 janvier 2019 ;
Condamne la société XP France à verser à Monsieur [S] les sommes suivantes :
- 13 000 euros pour sanction abusive
- 68 691,26 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 20.439 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 2.043,90 € au titre des congés payés y afférents
- 2102,36 € à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement
- 2 491,70 € à titre de rappel de 13è mois
- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Dit que les créances salariales porteront intérêts de droit à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires à compter de l'arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts judiciaires dans les conditions posées par l'article 1343'2 du Code civil ;
Ordonne la remise de l'attestation Pôle emploi et du certificat de travail conformes ;
Déboute Monsieur [S] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société XP France aux dépens de première instance et d'appel comprenant les frais d'exécution éventuelle par voie d'huissier, par application des articles 10 et 12 de la loi du 8 mars 2001.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE