RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRÊT DU 30 JUIN 2020
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/21864 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4RLC
Décision déférée à la cour : Jugement du 18 Octobre 2017 - Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 16/00713
APPELANTE
Madame [C], [Z], [O] épouse [S]
Née le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 8] (64)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Anne-Marie MAUPAS OUDINOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0653,
Ayant pour avocat plaidant Me Adeline MOUGEOT de la SCP CHASTAND-MORAND, du barreau de PARIS, toque : P72
INTIMÉE
Madame [Y] [B] épouse [U]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034,
Ayant pour avocat plaidant Me Sophie BEHANZIN de la SELARL BEHANZIN-OUDY, du barreau de PARIS, toque : D1742
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 mars 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne de LACAUSSADE, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport ayant été fait à l'audience par Madame Anne de LACAUSSADE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Djamila DJAMA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, Président de chambre, et par Mme Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.
* * * * *
Sur l'assignation délivrée le 29 juin 2009 par Mme [Y] [B], épouse [U], qui se plaignait d'un retard de diagnostic de son cancer du sein à l'encontre des docteurs [T] [J], sa gynécologue habituelle, [A] [N], intervenu ponctuellement pour des avis complémentaires, l'hôpital [9] de [Localité 4] où ce dernier pratique, [M] [G], qui a omis d'effectuer une microbiopsie, l'hôpital américain de [Localité 4] où il exerce ainsi que l'Assistance Publique des Hôpitaux de [Localité 4] (ci-après "APHP"), outre les assureurs concernés, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles a, le 23 juillet 2009, commis Mme [C] [O], épouse [S], en sa qualité d'expert judiciaire en cancérologie, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
L'expert a déposé son pré-rapport le 24 janvier 2010.
Invoquant des liens entre l'expert et les praticiens de l'hôpital américain et de la clinique [7], Mme [Y] [B], épouse [U], a assigné en référé Mme [C] [O], épouse [S], les 23 et 24 février, 02 et 08 mars 2010, aux fins de récusation. Sa demande a été rejetée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles, le 13 février 2010. Cette ordonnance a été confirmée, le 02 mars 2011, par la cour d'appel. Le pourvoi formé par Mme [Y] [B], épouse [U], a été déclaré non admis par la Cour de cassation, le 12 juillet 2012.
Entre-temps, le 25 juillet 2010, l'expert a déposé son rapport concluant à l'existence d'un retard de diagnostic sans soins plus lourds pour la patiente mais à l'origine, pour celle-ci, d'un préjudice psychologique de 3/7.
Le 25 juillet 2013, Mme [Y] [B], épouse [U], a engagé une procédure ordinale à l'encontre de l'expert, qui a abouti à la signature d'un procès-verbal de non-conciliation le 30 septembre suivant. Par courrier du 17 décembre 2013, le conseil départemental de l'ordre de la ville de [Localité 4] a rejeté expressément la demande de Mme [Y] [B], épouse [U]. Cette dernière a, parallèlement, le 08 août 2013, écrit au ministre chargée des affaires sociales et de la santé aux fins que le docteur [S] soit attraite devant la chambre disciplinaire. Cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite.
Mme [Y] [B], épouse [U], a formé devant le tribunal administratif de Paris un recours contre la décision implicite de rejet du ministre, la décision de rejet du conseil de l'ordre et l'a saisi d'une action en indemnisation contre l'APHP. Celui-ci, le 7 juillet 2016, a joint les différentes procédures, rejeté les recours formés par Mme [Y] [B], épouse [U], s'agissant les procédures disciplinaires, déclaré l'APHP entièrement responsable des conséquences dommageables de la prise en charge tardive du cancer du sein de Mme [Y] [B], épouse [U], et, avant dire-droit sur les préjudices, ordonné une expertise médicale.
Enfin, le 22 juillet 2015, Mme [Y] [B], épouse [U], a fait assigner Mme [C] [O], épouse [S], devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité civile professionnelle.
Le 18 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :
- condamné Mme [C] [O], épouse [S], à payer à Mme [Y] [B], épouse [U], la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- débouté Mme [Y] [B], épouse [U], de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel ;
- condamné Mme [C] [O], épouse [S], aux dépens, qui n'incluent pas ceux exposés dans le cadre de la procédure de référé-expertise devant le tribunal de grande instance de Versailles ;
- condamné Mme [C] [O], épouse [S], à payer à Mme [Y] [B], épouse [U], la somme de 3 000 euros au titre de1'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Mme [C] [O], épouse [S], a interjeté appel de cette décision le 28 novembre 2017.
Dans ses conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 24 juillet 2018, Mme [C] [O], épouse [S], demande à la cour :
- à titre principal, de la dire recevable et bien fondée en son appel, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu l'existence d'un préjudice moral de Mme [Y] [B], épouse [U], de la décharger de toute condamnation lui faisant grief, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'existence d'un préjudice matériel de Mme [Y] [B], épouse [U], la débouter de ses demandes, la condamner aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles,
- à titre infiniment subsidiaire, d'infirmer le jugement en ce qu'il a évalué le préjudice moral de Mme [Y] [B], épouse [U], à une somme de 15 000 euros, de l'évaluer dans de plus justes proportions, ramener la somme allouée à Mme [Y] [B], épouse [U], au titre des frais irrépétibles à de plus justes proportions.
Dans ses conclusions n°3 notifiées par voie électronique le 20 janvier 2020, Mme [Y] [B], épouse [U], appelante incidente, demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
* jugé que le docteur [S] ne pouvait pas accepter la mission d'expertise compte tenu de son activité de praticienne à l'Institut [7] sans violer les dispositions impératives de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique,
* sanctionné les fautes commises par le docteur [S] dans l'exercice de sa mission d'expert et notamment le non-respect du principe du contradictoire et l'obligation d'accomplir personnellement sa mission d'expertise,
- confirmer que l'expertise est de mauvaise qualité et que le docteur [S] a commis des fautes dans l'exercice de sa profession d'expert de nature à engager sa responsabilité lui ayant directement causé un préjudice moral et financier,
- juger que la persistance des mensonges et la mauvaise foi du docteur [S], expert judiciaire, constituent un harassement et un préjudice moral supplémentaire dont elle lui doit réparation,
Statuant à nouveau,
- condamner le docteur [S] à lui verser la somme de 20 000 euros allouée en première instance au titre de son préjudice moral en lien avec les fautes commises et celle de 30 000 euros au titre de son préjudice matériel en lien avec les fautes commises,
En tout état de cause,
- confirmer la condamnation du docteur [S] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure de première instance,
- condamner le docteur [S] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- rejeter les prétentions du docteur [S].
Le ministère public, dans un avis daté du 12 mars 2019, conclut à la recevabilité de l'appel et à la confirmation du jugement, en ce qu'il a reconnu que la responsabilité personnelle de l'appelante est engagée.
SUR CE,
A titre préliminaire, il sera indiqué que Mme [S] a fait parvenir à la cour un courriel, daté du 15 juin 2020, et son annexe qui sont écartés des débats, aucune note en délibéré n'ayant été autorisée par la cour.
Sur la faute
Mme [O], épouse [S], expose que Mme [Y] [B], épouse [U], qui a multiplié les procédures à son encontre, toutes soldées par un échec, ne justifie pas d'éléments nouveaux dans le cadre de la présente procédure.
Elle conteste tout manquement à ses obligations déontologiques et à son devoir d'impartialité, en précisant que les doléances de Mme [Y] [B], épouse [U] n'ont jamais concerné la clinique [7], entité totalement indépendante de l'hôpital américain, que les médecins mis en cause n'ont jamais appartenu aux équipes médicales de la clinique [7] et qu'elle-même n'a jamais exercé à l'hôpital américain, de sorte qu'elle n'avait aucune raison de se déporter.
Elle ajoute que l'ISHH ne justifie pas plus d'un lien entre elle-même et l'hôpital américain, alors qu'il s'agit d'une structure associative, non économique ni de soins, réunissant des médecins spécialisés dans la pathologie mammaire à but de réflexion et de formation, dépourvue de tout lien économique avec l'hôpital américain. Elle conteste tout lien avec les médecins mis en cause.
Elle conteste tout manquement concernant le déroulement de l'expertise, notamment au titre du respect du contradictoire. Elle rappelle qu'aucun dire n'a été produit par l'intimée après le dépôt du pré-rapport pour souligner un éventuel problème de communication et/ou de consultation des pièces médicales et que le recours à un sapiteur relève de la seule décision de l'expert. Elle indique avoir convoqué de manière contradictoire les parties, répondu à l'ensemble des questions de sa mission et envoyé un pré-rapport pour recueillir les observations des parties avant de déposer son rapport. Elle indique que les clichés analysés par le Dr [X] ne lui ont été remis que lors de la réunion d'expertise et aux fins de relecture par l'institut [6], ce qui a été fait. Elle conteste enfin tout manquement sur le fond de son expertise, ce qui, si tel avait été le cas, aurait entraîné la transmission de son dossier à la chambre disciplinaire. Elle indique avoir noté que Mme [Y] [B], épouse [U] était une patiente à risques justifiant une surveillance clinique et radiologique attentive et rapprochée mais considéré, au vu de son analyse des faits de la cause, que son médecin gynécologue avait rempli cette obligation de surveillance et que les soins apportés avaient été conformes aux données acquises de la science, diligents et attentifs. Elle ajoute que l'objet du litige ne concernait pas la pratique par le Dr [G] d'une microbiopsie mais son abstention à pratiquer cet examen, à l'origine du retard de diagnostic, ce qu'elle a retenu comme avéré. Elle indique que les examens radiologiques et les soins pratiqués après l'acte du Dr [G], dont Mme [Y] [B], épouse [U] était pleinement satisfaite, ne faisaient pas partie de sa mission initiale, le radiologue de la clinique [7], pas plus que le chirurgien n'ayant été mis en cause. Elle ajoute que rien ne justifie l'argumentaire selon lequel un IRM aurait dû être pratiqué à l'époque des faits et que son cancer a évolué favorablement jusqu'en 2018. Elle ajoute qu'il appartenait à Mme [Y] [B], épouse [U] de solliciter une contre-expertise.
Mme [Y] [B], épouse [U], souligne que les autres procédures qu'elle a engagées contre l'expert n'ont pas le même objet et qu'un recours est pendant devant la cour administrative d'appel, s'agissant de l'instance déontologique.
Elle indique que la mission de l'expert prévoyait l'appréciation des soins pré et post opératoires, donc ceux prodigués à la clinique [7] et à l'ISHH où elle a été opérée et a reçu des soins. Elle indique que les intérêts de l'expert et/ou ceux de la clinique [7] et de l'ISHH sont en jeu et que l'expert y exerce, de sorte qu'elle avait obligation de se déporter. Elle observe qu'elle n'a pas été neutre dans l'accomplissement de sa mission, alors qu'elle n'a pas fait état de la procédure de ganglion-sentinelle pratiquée par la clinique bien que contre-indiquée selon les données acquises de la sciences, sans qu'aucune information préalable sur ce point ne lui ait été fournie. Elle ajoute avoir demandé une contre-expertise dans le cadre de la procédure en responsabilité médicale pendante devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle soutient que l'expert n'a pas non plus respecté l'obligation d'accomplir personnellement sa mission et le principe fondamental du contradictoire, dès lors que l'avis du Dr [X] a été demandé sans respecter les procédures ad hoc et n'a pas été joint au pré-rapport ni au rapport, que l'examen des clichés d'imagerie s'est fait sans les parties, sans réunion ni note dédiée, sur ce point pourtant crucial de l'expertise, puisque c'est précisément leur mauvaise interprétation qui est en cause. Elle plaide enfin la très mauvaise qualité de l'expertise, alors que l'expert ne caractérise pas l'absence de mise en oeuvre par ses confrères des moyens de diagnostics recommandés par la science médicale en vigueur à l'époque, dont certains élaborés par les médecins qu'elle a consultés. Elle relève que ses constatations sont également contredites par la littérature médicale et son médecin conseil et sont parcellaires alors qu'elle ne dit rien sur sa densité mammaire, l'intérêt de pratiquer un IRM, occulte l'importance du retard de diagnostic et la faute résultant de l'absence de biopsie, pourtant incontournable dans son cas.
Le ministère public rappelle que l'expert judiciaire est tenu à un devoir d'indépendance et d'impartialité, que Mme [U] démontre avoir bénéficié d'actes de diagnostic et de soin auprès du centre d'imagerie médicale [7] et du centre de radiologie [7], dépendant tous deux de la clinique [7].
Il précise que l'expert avait pour mission d'analyser tous les soins dispensés dans le cadre de la prise en charge du cancer de Mme [U] et donc notamment ceux exécutés par la clinique [7]. Il mentionne qu'au début de sa mission d'expertise elle avait uniquement indiqué être rattachée à1'institut [6] de [Localité 10], alors qu'elle racontait dans ses écritures qu'au moment des faits elle exerçait une demi-journée par semaine à la clinique [7] au sein de laquelle elle dispose d'un plateau opératoire.
Il en conclut qu'elle s'avère donc professionnellement liée à l'époque à cet établissement qui fait habituellement appel à ses services. Il ajoute que celui-ci pouvant être mis en cause dans le traitement du cancer du sein de Mme [U], Mme [S] aurait dû refuser d'accomplir l'expertise et se déporter, de sorte que sa responsabilité personnelle parait bien engagée.
* * *
Comme indiqué à juste titre par les premiers juges, l'expert judiciairement désigné engage sa responsabilité personnelle sur le fondement de l'article 1382 devenu 1240 du code civil lorsqu'il commet des fautes dans l'accomplissement de sa mission, tant par suite de la méconnaissance d'une ou plusieurs règles régissant l'expertise judiciaire, telles l'obligation de respecter le principe de la contradiction ou l'obligation d'accomplir personnellement les opérations d'expertises, qu'à raison des erreurs techniques affectant ses conclusions, erreurs qu'un expert normalement avisé, consciencieux et attentif, n'aurait, à l'évidence, pas commises. En outre, par application combinée des articles R. 4127-105 du code de la santé publique et 237 du code de procédure civile, l'expert judiciaire est tenu à un devoir d'indépendance et d'impartialité et ne peut accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts et ceux d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services.
Sur l'acceptation de la mission
S'il est constant que les requêtes en récusation formée par Mme [Y] [B], épouse [U] à l'encontre de l'expert ont été rejetées, il n'en demeure pas moins que, faute d'avoir le même objet, les décisions intervenues n'ont pas autorité de chose jugée dans le cadre de la présente procédure.
Il apparaît en outre du rapport joint à la décision de la Cour de cassation de non admission du pourvoi, de juillet 2012, qu'il ne ressortait pas des conclusions de Mme [U] qu'elle ait fait valoir avoir subi des examens médicaux à la clinique [7] et à l'ISHH ni qu'elle ait indiqué que cela constituait une cause de récusation.
Il convient de préciser que le rapporteur ajoute qu'une telle indication n'aurait pas été un moyen auquel la cour d'appel aurait été tenue de répondre, la clinique [7] n'étant pas attraite à la procédure en qualité de partie. Le rapporteur ajoute que la cour a par ailleurs souverainement retenu que les liens entre l'expert et la clinique [7], qui n'était pas partie à la procédure, ne constituaient pas une cause de récusation et que l'expert n'avait pas à déclarer une situation qui n'était pas de nature à affecter son impartialité.
Il est constant en effet, que, dans le cadre de la procédure ayant abouti à la décision d'expertise, aucun médecin attaché à la clinique [7] n'était partie, Mme [Y] [B], épouse [U], ne mettant pas en cause, à ce stade, leur responsabilité mais celles de médecins intervenus en amont.
Elle sollicitait néanmoins la désignation d'un expert "n'exerçant pas dans les établissements de soins ayant eu à connaître de sa pathologie" et demandait, notamment, que soient décrits "la nature des examens, soins et interventions pratiqués [sur elle]" et qu'ils soient dits s'ils avaient été consciencieux, attentifs, adaptés au regard des données médicales au moment des actes et la spécialité de chacun des médecins mis en cause dans le cadre de la procédure.
La mission confiée à l'expert a consisté notamment à :
"- reconstituer l'ensemble des faits ayant conduit à la présente procédure,
- examiner Mme [Y] [B], épouse [U],
- indiquer et décrire les lésions, infection et/ou affection qu'elle impute aux soins et traitements en cause,
- donner les éléments permettant de déterminer si les actes réalisés étaient indiqués et les soins et actes attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale,
- dans la négative donner les éléments détaillés et motivés permettant de déterminer si des erreurs, imprudences, maladresses, manques de précautions ont été commis dans la période pré et/ou post opératoire ou si des défaillances ont été relevées,
- donner tous éléments sur l'information reçue par Mme [U] tant avant l'intervention qu'après,
- décrire les lésions qu'elle impute aux médecins [en cause],
- dire si ces lésions sont en relation directe et certaine avec ces faits,
- déterminer les préjudices avant et après consolidation."
Il apparaît de cette mission, telle que formulée, que l'expert devait prendre en considération l'ensemble des soins reçus par Mme [Y] [B], épouse [U] dans le cadre de la prise en charge de son cancer jusqu'après l'opération ("reconstituer l'ensemble des faits ayant abouti à la procédure", "soins post-opératoires", "information reçue après l'opération"), les soins antérieurs et le préjudice éventuel devaient être appréciés en eux-mêmes mais également au regard de l'opération subie.
Or, il résulte des pièces produites que Mme [Y] [B], épouse [U], a bénéficié d'actes de diagnostics et de soins de centres dépendants de la clinique [7] (centre d'imagerie médicale [7] et centre de radiologie [K] [7]) et de l'institut du sein [7] (ISHH) fin 2006, liés à sa prise en charge, après que son cancer a été diagnostiqué.
Ainsi, elle y a subi divers examens de contrôle (une IRM bilatérale, une mammographie et une échographie le 15 septembre 2006 puis une biopsie, le 22 septembre 2006) et une mastectomie ainsi que le prélèvement de trois ganglions sentinelles, le 04 octobre 2006.
Or, lors de sa désignation, l'expert se présentait comme exerçant à l'institut [6] à [Localité 10]. Elle reconnaît néanmoins qu'au moment de sa désignation elle participait à l'ISHH, indique, dans son rapport, que Mme [Y] [B], épouse [U], a bénéficié de soins à l'ISHH. Elle reconnaît également avoir exercé, à l'époque de l'expertise, une demi-journée par semaine à la clinique [7] au sein de laquelle elle disposait d'un plateau opératoire.
Si l'expert indique qu'elle intervenait à la clinique [7] sous un statut libéral, il n'en demeure pas moins qu'elle ne produit aucune pièce sur ce point et les conditions et modalités précises de son intervention et qu'elle avait en toute hypothèse un lien contractuel et économique avec la clinique.
Si l'expert indique que les soins donnés par la clinique [7] n'entraient pas dans le champ de sa mission, elle y fait bien pourtant référence dans son rapport, et, pour certains, les analyse (IRM).
Elle n'allègue ni ne justifie avoir avisé, comme le prévoit pourtant l'article 279 du code de procédure civile, le juge chargé du contrôle des expertises d'une difficulté, que ce soit sur le contour de sa mission, éventuellement d'ailleurs au regard des parties mises en cause et sur la réalité de sa situation professionnelle et du lien économique entretenu avec la clinique [7].
Le jugement sera dès lors confirmé, en ce qu'il a été retenu que, dans le contexte sus-décrit, l'expert n'aurait pas dû accepter, en l'état, la mission confiée, ce manquement étant susceptible d'engager sa responsabilité.
Sur le respect du contradictoire et de l'obligation d'accomplir sa mission
C'est par de justes motifs que la cour adopte, sans qu'il soit besoin d'y ajouter, que les premiers juges ont retenu que Mme [O], épouse [S], en soumettant les documents d'imagerie, en particulier les échographies, même à la demande conjointe des parties, au Dr [R] [X], radiologue, a manqué à son obligation de respecter le contradictoire et d'accomplir personnellement sa mission telle que prévue aux articles 16, 160, 276, 233, 278 et 282 alinéa 3 du code de procédure civile qui lui sont applicables, un tel manquement étant susceptible d'engager sa responsabilité, en ce que :
- le recours, par l'expert, à un tiers d'une autre spécialité doit se faire dans le respect des dispositions du code de procédure civile relatives au recours à un sapiteur, ce qui n'a pas été le cas, l'avis du Dr [X] n'étant joint ni au pré-rapport ni au rapport et le compte-rendu effectué par l'expert ne pouvant en tenir lieu, s'agissant de rendre compte d'un avis qui sort de sa spécialité,
- l'examen des imageries par le Dr [X], en l'absence des parties, sans réunion, ni avis dédié a posteriori pour faire part des conclusions tirées de cet examen, ne permet pas aux parties de présenter utilement leurs observations, sur ce point pourtant crucial de l'expertise, la mauvaise interprétation de ces imageries par les différents médecins étant en cause,
- l'absence de dire à l'expert par Mme [Y] [B], épouse [U] est inopérant, celle-ci n'ayant pas à pallier l'omission de l'expert.
Sur les fautes techniques commises par l'expert
Contrairement à ce que soutient Mme [Y] [B], épouse [U], l'expert ne conteste pas dans son rapport que, selon les données acquises de la science, la prescription d'un examen complémentaire (de type biopsie ou cyto-ponction et/ou IRM) est indispensable en présence d'une patiente à risque comme l'était Mme [Y] [B], épouse [U] et d'une anomalie n'ayant pas fait preuve de son caractère bénin.
Il est également inexact de soutenir que l'expert a écarté tout manquement des médecins, alors que l'expert a retenu dans le corps de son rapport des insuffisances à l'encontre du docteur [G], en ce qu'il n'a pas mis en évidence la cancer invasif l'ayant "manqué" sur les imageries et aurait dû effectuer la micro-biopsie demandée ou soumettre le dossier à ses confrères et prendre contact avec le médecin prescripteur.
L'expert a également mentionné à l'encontre du docteur [N] qu'il avait également "manqué" le nodule cancéreux, n'avait pas préconisé la poursuite des investigations et avait repoussé les dates à prévoir pour la surveillance. Sur ce dernier point, le tribunal administratif, dans son jugement du 07 juillet 2016, a d'ailleurs retenu la faute de l'AP-HP en se fondant sur les indications en ce sens de l'expert.
Les revues médicales que Mme [Y] [B], épouse [U], produit relativement aux données acquises de la science à la date des soins reçus et du rapport de l'expert, sont pour beaucoup non datées, certaines sont mêmes postérieures au rapport de l'expert et Mme [Y] [B], épouse [U] n'apporte aucune indication sur leur notoriété ou leur reconnaissance par le monde médical au regard de celles citées par l'expert.
Il sera précisé que celles qui portent mention d'une date et concernent le recours aux IRM et à ce qu'ils peuvent ou non apporter, au nombre de trois, sont respectivement de fin 2004 et d'août 2005, les autres étant de 2008, étant précisé que la période litigieuse concernant Mme [Y] [B], épouse [U] s'échelonne de juillet 2005 à septembre 2006.
Mme [Y] [B], épouse [U] ne justifie pas davantage des erreurs qu'elle relève spécifiquement contre l'expert relativement au point de départ du retard pris dans le diagnostic. En effet, la première mammographie liée, selon les termes de l'examen, à la "découverte récente d'une petite formation nodulaire" date de juillet 2005 et non de mai 2004 comme elle le soutient, ce que son propre médecin conseil relève également. Elle n'établit pas plus d'erreur concernant l'activité médicale du Dr [G], alors qu'elle produit un document sur ce point bien postérieur aux examens litigieux puisque daté de 2011. S'agissant du choix du Dr [G], l'expert signale simplement que l'hôpital américain n'a pas commis de faute en confiant à ce dernier la responsabilité de l'examen, sans prétendre à aucun moment que Mme [Y] [B], épouse [U] s'est spontanément tourné vers lui. L'observation selon laquelle la biopsie est un "acte quelque fois très douloureux qui peut générer des hématomes gênant ultérieurement un examen clinique"résulte des seuls dires du Dr [G], tels que rapportés par l'expert. Enfin, l'affirmation de l'expert selon laquelle les médecins étaient en droit de conclure à une lésion bénigne se réfère au ganglion intra mammaire et non au nodule palpable, qui s'avérera cancéreux.
Comme l'ont indiqué à juste titre les premiers juges, les mentions portées par l'expert à propos de la qualification du docteur [G] à pratiquer les examens de pathologie mammaires sont suffisantes, une telle vérification ne relevant du reste pas spécifiquement de la mission confiée à l'expert.
Enfin, c'est après une analyse précise et circonstanciée, susceptible d'être discutée et contredite, que l'expert a donné son avis, retenu diverses insuffisances de certains médecins mais considéré que le type de cancer dont Mme [Y] [B], épouse [U], était atteinte était presque toujours largement plus étendu qu'il n'était possible de le diagnostiquer et a écarté l'éventuelle incidence préjudiciable du retard de diagnostic sur le traitement subi mais le retenant au titre du préjudice psychologique.
En outre et comme indiqué également à juste titre par les premiers juges, il n'est pas démontré que les griefs invoqués par Mme [Y] [B], épouse [U], outre celui de la supposée contre- indication de la technique du ganglion sentinelle, aient fait l'objet d'un dire de la part de Mme [Y] [B], épouse [U], en suite du pré-rapport, alors qu'il lui appartenait de soumettre à l'expert ses observations et de signaler à cette occasion les éventuelles erreurs techniques relevées.
En effet, le seul dire n°1 adressé par son conseil à l'expert, justifié, porte exclusivement sur la communication de ses dossiers médicaux et l'original d'une prescription.
Au vu de ce que qui précède, aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre de l'expert en raison de son avis et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Mme [O], épouse [S], conclut à l'absence de tout préjudice et estime, à titre infiniment subsidiaire, que les sommes demandées sont très excessives compte tenu du contexte. Elle indique s'être en effet maintenue dans l'expertise après que la demande de récusation eut échoué, considérant de bonne foi ne pas être en situation de conflit d'intérêt.
Mme [Y] [B], épouse [U], réplique que l'expert, qui ajoute à ses souffrances en ne reconnaissant pas les fautes commises par les professionnels, persiste, par son appel, à vouloir faire échec au respect du droit au procès équitable, alors qu'il a failli gravement à sa mission, continue d'asséner des contre-vérités pour tenter de tromper les juges et à faire preuve de mauvaise foi. Elle indique que cette procédure supplémentaire la contraint à un combat judiciaire qui induit des souffrances morales et des frais supplémentaires. Elle mentionne, s'agissant de la procédure en récusation, que les juridictions n'ont pas eu à se prononcer sur l'interdiction prévue par l'article 4127-105 du code de la santé public, car elle n'avait pas fait valoir dans ce cadre qu'elle avait subi des examens à la clinique [7], de sorte que l'expert crée un amalgame en arguant de l'échec de cette procédure.
* * *
Comme indiqué à juste titre par les premiers juges, toute déclaration de responsabilité civile délictuelle suppose que soit démontrée, outre la faute, l'existence d'un préjudice actuel, certain en lien direct avec le manquement retenu. Lorsque la responsabilité d'un expert judiciaire est recherchée, le préjudice peut d'abord résulter de la décision défavorable rendue par le juge sur le fondement du rapport d'expertise critiqué, auquel cas il appartient à celui qui s'en prévaut d'établir que le dit rapport a déterminé la décision du juge et s'est imposé à lui en raison de son caractère technique, en échappant à son contrôle ainsi qu'à la discussion des parties. Il ne pourra en toute hypothèse s'agir que d'une perte de chance de voir accueillir son action par le juge. Dans le cas contraire où la juridiction n'a pas suivi l'avis de l'expert, une telle perte de chance est par définition inexistante, ce qui n'exclut pas nécessairement tout droit à réparation, à raison d'un préjudice d'une autre nature, dont le principe et l'étendue devront être établis par celui qui s'en prévaut.
C'est par de justes motifs que la cour adopte que les premiers juges ont écarté tout préjudice matériel lié aux frais de procédure engagés à raison des manquements retenus contre l'expert, en ce que les procédures en cause n'étaient pas précisément visées et les justificatifs des frais engagés n'étaient pas produits. Il suffira d'ajouter qu'il en est toujours ainsi en procédure d'appel.
S'agissant du préjudice moral allégué, les manquements retenus à l'encontre de l'expert consistent à avoir accepté en l'état la mission et, l'ayant conservé, à avoir manqué à l'obligation de respecter le contradictoire et de l'accomplir personnellement.
Or, Mme [Y] [B], épouse [U] fait état de ses souffrances morales liées à l'absence de reconnaissance par l'expert des fautes commises par les praticiens et au combat judiciaire supplémentaire engendré par la présente procédure.
S'agissant du premier chef, outre qu'il est inexact, ce qui résulte d'ailleurs de la décision précédemment évoquée du tribunal administratif, de prétendre que l'expert a écarté toute insuffisance de la part de l'ensemble des praticiens dont elle a examiné les diligences, ce préjudice moral n'est pas en lien de causalité avec les fautes retenues contre l'expert.
S'agissant des souffrances liées au combat judiciaire résultant de cet appel, outre qu'il est différent de celui évoqué devant les premiers juges, il n'est pas non plus en lien de causalité avec les fautes retenues contre l'expert mais avec la présente procédure, Mme [Y] [B], épouse [U] reprochant en réalité à l'expert, son appel.
A toutes fins, il sera ajouté que Mme [Y] [B], épouse [U] ne justifie d'aucune décision de justice défavorable rendue sur la base du rapport d'expertise critiqué. Elle fait état de demandes de contre-expertises dans le cadre de procédures judiciaires engagées depuis 2015 contre les praticiens du secteur privé dont elle ne justifie pas, alors que cet élément est contesté. Elle ne justifie d'ailleurs d'aucune action contre les praticiens du secteur privé et notamment contre ceux de la clinique [7]. Elle ne donne enfin aucune indication sur la mesure d'expertise ordonnée en 2016 par le tribunal administratif dans son jugement précité du 07 juillet.
Dès lors, il convient de débouter Mme [Y] [B], épouse [U] de sa demande formée au titre de son préjudice moral, faute de justifier d'un lien de causalité entre celui qu'elle allègue et les fautes retenues contre l'expert.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La décision de première instance sera infirmée de ces chefs.
Mme [Y] [B] épouse [U] sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de l'une ou l'autre des parties, qui seront déboutées de leurs demandes en ce sens.
PAR CES MOTIFS
la cour,
Ecarte des débats le courriel, daté du 15 juin 2020, et son annexe transmis à la cour en cours de délibéré par Mme [O], épouse [S] ;
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 18 octobre 2017 en ce qu'il a retenu que l'expert avait manqué à ses obligations en acceptant la mission confiée puis en exécutant celle-ci sans respecter l'obligation de l'accomplir personnellement et le principe du contradictoire ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [Y] [B] épouse [U] de ses demandes de dommages-intérêts ;
Déboute les parties de leurs demandes formées par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] [B] épouse [U] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT