Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 30 JUIN 2020
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/28415 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B66OT
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 18 Octobre 2018 -Cour de Cassation de PARIS 01 - RG n° E17-18.058
APPELANTS
Monsieur [S] [I]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représenté par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Armelle COULHAC-MAZERIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E788
SAS CAMARD & ASSOCIES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant, Me Sophie PARENT de l'AARPI Artlaw, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327 substituant Me Laurent MERLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327
INTIMÉS
Monsieur [S] [I]
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représenté par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Ayant pour avocat plaidant Me Armelle COULHAC-MAZERIEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : E788
Madame [E] [L] née [K]
Née le [Date naissance 3] 1929 à [Localité 12] (RFA)
[Adresse 10]
[Localité 11]
Représentée par Me Philippe PLANTADE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0210
SAS CAMARD & ASSOCIES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant, Me Sophie PARENT de l'AARPI Artlaw, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327 substituant Me Laurent MERLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327
PARTIE INTERVENANTE FORCÉE
SCP CANET es qualité de mandataire liquidateur de la SAS CAMARD & ASSOCIES
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant, Me Sophie PARENT de l'AARPI Artlaw, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327 substituant Me Laurent MERLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0327
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 Février 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
Mme Anne DE LACAUSSADE, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport ayant été fait à l'audience par M. Christian HOURS, dans les conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, Président de chambre et par Mme Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente lors du prononcé.
* * * * *
Selon mandat de vente du 24 mai 2007, M. [R] [I], expert spécialiste de l'avant-garde russe, a confié à la société Camard & associés, pour être vendu aux enchères, un tableau lui appartenant intitulé « Une ville, circa 1915-1916 », l'auteur indiqué étant [B] [X].
Le 14 juin 2007, M. [A] [L] a acquis auprès de la société Camard & associés ce tableau pour un montant de 75 712 euros.
L'avis de virement du 28 juin 2007 mentionne que le règlement de cet achat a été effectué par une société dénommée Mullion SA (ci-après la société Mullion).
En 2009, M. [I] a organisé au château de [Localité 13] une exposition intitulée «[B] [X] et ses amis», à l'occasion de laquelle M. [F] [O], président de l'association [B] [X], prétendit que les oeuvres exposées n'étaient pas authentiques et déposa une plainte auprès du procureur de la République.
Par ordonnance du 4 juin 2012, le juge des référés a organisé une mesure d'expertise judiciaire du tableau litigieux. L'expert, M. [U] [Y] a déposé son rapport le 3 octobre 2013, dans lequel il conclut que le tableau acheté par M. [L] est un faux.
M. [A] [L] est décédé le [Date décès 5] 2013.
Le 10 février 2014, Mme [E] [K], veuve [L], indiquant venir aux droits de son époux, a fait assigner M. [I] et la société Camard & associés devant le tribunal de grande instance de Paris, sollicitant la nullité de la vente du 14 juin 2007, la condamnation in solidum de M. [I] et de la société Camard & associés à lui verser la somme de 62 000 euros correspondant au prix au marteau du tableau, ainsi que celle de la société Camard & associés à lui rembourser la somme de 13 718 euros versée au titre des frais de vente.
Par jugement du 26 mai 2015, le tribunal de grande instance de Paris a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [E] [L];
- rejeté les fins de non recevoir tirées de l'impossibilité à agir de Mme [L] à raison du caractère illicite de la cause du contrat ;
- prononcé la nullité de la vente du tableau intitulé "une ville circa 1915-1916" attribué à [B] [X] entre Mme [L] et M. [I] du 14 juin 2007 ;
- condamné M. [R] [I] à restituer à Madame [L] la somme de 62.000 euros correspondant au prix de vente avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2014 ;
- dit que Mme [L] tiendra le tableau à disposition de M. [I] en contrepartie du paiement des sommes mises à la charge de ce dernier par le présent jugement ;
- débouté Mme [L] de sa demande tendant à la condamnation de la société Camard & associés à la même restitution ;
- condamné in solidum M. [I] et la société Camard & associés à payer à Mme [L] les sommes de :
* 13 718 euros correspondant aux frais de vente avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 10 février 2014 ;
* 2 500 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
* 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté Mme [L] de sa demande de dommages au titre du préjudice financier ;
- ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil à compter de la demande dans l'assignation du 10 février 2014 ;
- condamne M. [I] à garantir la société Camard & associés de toutes les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière en principal, frais irrépétibles et dépens ;
- dit n'y avoir lieu au prononcé d'autres condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Camard & associés et M. [I] aux dépens de la présente instance comprenant les frais de l'expertise judiciaire ordonnée en référé qui seront recouvrés, pour ce qui le concerne, par Me Philippe Plantade comme il est disposé à l'article 699 du code de procédure civile.
Sur appel de M. [I], la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 2 mars 2017, infirmant le jugement déféré en toutes ses dispositions, déclaré irrecevable l'action de Mme [L], faute de qualité pour agir et l'a condamnée à payer à M. [I] ainsi qu'à la société Camard & associés la somme de 3 000 euros, à chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Sur pourvoi en cassation de Mme [L], la Cour de cassation a, par arrêt du 18 octobre 2018, cassé l'arrêt de la cour d'appel, lui reprochant de ne pas avoir recherché s'il ne résultait pas de la dissolution de la société Mullion et du décès de M. [L] que Mme [L] venait aux droits tant de la société Mullion que de son époux défunt.
Le 18 décembre 2018, la société Camard & associés a saisi la cour d'appel de Paris, désignée cour de renvoi (RG n°18-28415).
La société Camard & associés ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Paris du 3 juillet 2019, son liquidateur judiciaire, la SCP Canet intervenue à l'instance, demande à la cour, dans ses dernières conclusions du 24 janvier 2020 :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable Mme [L], prononcé la nullité de la vente du 14 juin 2007, retenu la responsabilité de la société Camard & associés et condamné in solidum la société Camard & associés et M. [I] à payer à Mme [L] la somme de 13 718 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée 10 février 2014, la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral avec intérêts au taux légal, la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement, d'une part, en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande de condamnation in solidum de la société Camard & associés et de M. [I] à lui restituer la somme de 62 000 euros correspondant au prix de vente du tableau et de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice financier et, d'autre part, en ce qu'il a condamné M. [I] à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre ;
- en tout état de cause, de déclarer Mme [L] irrecevable à agir, faute de rapporter la preuve qu'elle viendrait aux droits de la société Mullion et de son époux;
- à défaut, de la débouter de l'ensemble de ses demandes, notamment de ses demandes de condamnation formées à son encontre ;
- de limiter la fixation de sa créance au montant déclaré le 3 septembre 2019 ;
- de condamner Mme [L] à lui verser, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Camard & associés, une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le 4 janvier 2019, M. [I] a saisi la cour d'appel de Paris (RG n°19-00486) ) et, dans ses dernières conclusions du 23 janvier 2020, lui demande :
- de dire que l'instance est interrompue à l'égard de la société Camard & associés, suite à son admission au bénéfice d'une procédure de liquidation judiciaire ;
- de dire que la reprise de l'instance à l'égard de la société Camard & associés se fera sur intervention volontaire du liquidateur ou intervention forcée à l'initiative de la partie la plus diligente ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande d'octroi d'une somme de 17 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice financier;
- d'infirmer le jugement pour le surplus ;
- de dire Mme [L] irrecevable, pour absence de droit à agir et absence d'intérêt légitime à agir, en sa demande d'annulation de la vente par adjudication du 14 juin 2007 et en toutes ses demandes subséquentes ;
- à titre subsidiaire, de la débouter ainsi que la société Camard & associés de leurs demandes,
- de dire Mme [L] dans tous les cas irrecevable en sa demande de répétition du prix d'adjudication et de ses accessoires ;
- en cas de confirmation de l'annulation du contrat de vente, de dire responsable la société Camard & associés envers Mme [L], condamner in solidum la société Camard & associés et M. [I] à toutes sommes dues à Mme [L] et débouter la société Camard & associés de son appel en garantie formé contre M. [I] ;
- en tout état de cause, de condamner Mme [L] à verser à M. [I] la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 20 janvier 2020, Mme [L] demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de son défaut de qualité et de son impossibilité à agir, prononcé la nullité de la vente du tableau du 14 juin 2007, condamné M. [I] à lui restituer la somme de 62 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2014, condamné in solidum la société Camard & associés et M. [I] à lui payer la somme de 13 718 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 10 février 2014, condamné in solidum la société Camard & associés et M. [I] à lui payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné M. [I] à garantir la société Camard & associés de toutes les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière, ordonné l'exécution provisoire de la décision et condamné la société Camard & associés et M. [I] aux dépens ;
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à la condamnation de la société Camard et Associés à lui restituer la somme de 62 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 février 2014, limité la condamnation in solidum de la société Camard & associés et de M. [I] à lui payer la somme de 2 500 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral, l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre du préjudice financier et a dit n'y avoir lieu au prononcé d'autres condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner in solidum M. [R] [I] et la SCP Canet à lui rembourser les sommes de
62 000 euros, 17 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier et 50 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
- à titre subsidiaire, de prononcer l'annulation de la vente du 14 juin 2007 en raison de l'illicéité de la cause l'affectant, condamner in solidum M. [R] [I] et la SCP Canet à lui payer la somme de 62 000 euros correspondant au prix du tableau et celle de 13 718 euros versée au titre des frais de vente liés à l'acquisition de l'oeuvre litigieuse;
- en tout état de cause, de les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire et la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 4 février 2020, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des affaires suivies sous les numéros 18-28415 et 19-00486 et dit qu'elles se poursuivront sous le numéro 18-28415.
SUR CE,
Considérant que le liquidateur de la société Camard & associés étant dans la cause et Mme [L] justifiant avoir déclaré entre ses mains la créance qu'elle allègue, la procédure est régulière en ce qui la concerne ; qu'il n'y a pas lieu à suspension de l'instance ;
Considérant que le liquidateur de la société Camard & associés soutient que :
- aucune preuve n'est rapportée par Mme [L] qu'elle viendrait aux droits tant de la société Mullion que de son époux décédé ; elle considère, comme M. [I], que le procès-verbal d'adjudication, prévu par l'article l 321-9 du code de commerce, qui mentionne « [L] », n'est qu'un simple commencement de preuve par écrit qui peut être combattu par la preuve contraire ;
Considérant que M. [I] allègue que :
- l'action de Mme [L] se heurte à une première fin de non recevoir tenant à l'absence de qualité à agir ; elle ne rapporte pas la preuve qu'elle viendrait aux droits tant de son mari défunt que de la société Mullion ; en l'absence de contestation à la réception du bordereau définitif d'adjudication établi au nom de M. [L] "pour le compte de ", il peut être constaté que M. [L] est intervenu à la vente du 14 juin 2007 en qualité de mandataire de la société Mullion, laquelle a procédé pour son propre compte au règlement du prix et des frais de vente ; Mme [L] ne justifie pas de la consistance du boni de liquidation et des actifs de la société Mullion qui lui seraient revenus, ainsi qu'à feu son époux, à la dissolution de celle-ci, de sorte qu'elle ne peut pas non plus se prévaloir de la qualité d'ayant droit de la société Mullion ;
- l'action de Mme [L] se heurte à une deuxième fin de non recevoir tenant à l'absence d'intérêt légitime à agir au jour de la formation du contrat, peu important la régularisation fiscale intervenue en mai 2012 auprès de l'administration française; l'intermédiation de la société "offshore" Mullion à l'opération de vente prouve que M. et Mme [L] ont instrumentalisé leur achat à des fins de fraude fiscale ;
Considérant que Mme [L] répond que :
- l'article l321-9 du code de commerce dispose que le procès-verbal mentionne les nom et adresse du nouveau propriétaire déclarés par l'adjudicataire ; le procès-verbal de la vente indique expressément que l'acheteur du lot n° 82 est M. [L], à l'exclusion de toute autre personne physique ou morale, soit à l'exclusion de la société Mullion ; si même, M. [L] avait acheté le tableau pour le compte de la société Mullion, il est avéré que M. et Mme [L] étaient les seuls bénéficiaires de la société dissoute avec effet immédiat en février 2012 et que, mariés sous le régime de la communauté universelle avec clause d'attribution intégrale en vertu d'un jugement d'homologation de changement de régime matrimonial de 1985, Mme [L] vient aux droits tant de la société Mullion que de feu son époux ;
Considérant sur ce que M. [L] s'est porté acquéreur du tableau litigieux, la question étant de savoir s'il l'a fait à titre personnel ou en qualité de mandataire d'une autre personne déterminée ;
Considérant qu'à aucun moment il n'a été précisé pour le compte de qui il l'aurait acheté, le fait qu'un tiers, la société de droit panaméen Mullion en ait réglé le prix n'impliquant pas que l'achat aurait été fait pour son compte, dès lors qu'un tiers peut parfaitement s'acquitter du règlement de la dette d'une autre personne en vertu de l'article 1326 alinéa 2 du code civil ;
Considérant surtout que la société Camard avait attribué un numéro d'acheteur à M. [L], agissant personnellement et un autre lorsque celui-ci agit "pour le compte de";
Considérant que lorsque la société Camard a adressé deux demandes de paiement du prix de l'acquisition, l'une à M. [L], personnellement, l'autre à M. [L] agissant "pour le compte de", l'ordre de virement portant règlement de la somme mentionne le seul numéro d'acheteur de M. [L], agissant personnellement 4361 et nullement le 26831 correspondant à son autre qualité ;
Considérant que cette mention du numéro d'acheteur de M. [L] était conforme au procès-verbal d'adjudication établi par la société Camard ;
Considérant que le fait que la société Camard ait cru devoir émettre, après le paiement effectué, sans consulter M. [L] et en contradiction avec les modalités d'identification de l'acheteur qu'elle avait elle-même définies, un nouveau procès-verbal en mentionnant cette fois-ci M. [L] "pour le compte de" est inopérant et ne peut avoir eu pour effet de modifier la personne de l'acheteur, M. [L] n'ayant jamais consenti à cette modification, son silence ne valant pas acceptation ;
Considérant que la fin de non recevoir tenant à ce que M. [L] ne serait pas l'acheteur du tableau doit ainsi être écartée, observation étant faite surabondamment que les époux [L] étaient, comme il l'est établi par les attestations des banquiers suisses versées aux débats, les seuls ayants-droit économiques de la société Mullion, si celle-ci devait être regardée comme le propriétaire du tableau et qu'elle a été dissoute ;
Considérant qu'aucune conséquence juridique ne saurait être tirée quant à la régularité de l'acquisition du tableau ou la recevabilité de l'action en nullité de Mme [L], d'une irrégularité fiscale qui aurait été commise par les époux [L] du fait de la détention non déclarée de fonds à l'étranger par le biais de la société Mullion, situation au demeurant régularisée depuis ;
Considérant enfin que les époux [L] ayant modifié leur régime matrimonial de la séparation de biens en celui de la communauté universelle avec clause d'atttribution, Mme [L] démontre qu'elle vient bien aux droits de son défunt époux ;
Considérant dans ces conditions qu'elle est recevable à agir en nullité de la vente du tableau qu'elle détient, après son époux, depuis son acquisition ;
Considérant sur le fond que Mme [L] affirme que les mentions du descriptif de l''uvre reproduites dans le catalogue de vente n'étaient pas conformes à la réalité et ont entraîné pour M. [L], qui était profane, une erreur excusable sur la substance du tableau vendu ; que son consentement a été affecté d'un vice justifiant l'annulation de la vente ; que la responsabilité de la société Camard & associés doit être engagée car le commissaire-priseur est tenu de ne donner que des informations exactes dans les catalogues mis à la disposition de la clientèle ; compte tenu du conflit d'intérêt manifeste résultant de ce que M. [I] était à la fois le propriétaire vendeur du tableau et le rédacteur du catalogue, la société Camard & associés aurait dû vérifier l'authenticité du tableau en recourant à un expert extérieur ; que la responsabilité de M. [I] doit être engagée du fait de sa qualité de vendeur, qui plus est professionnel de l'art et de l'artiste;
Considérant que le liquidateur de la société Camard & associés fait valoir que :
- le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien ; les éléments contenus dans le rapport d'expertise sont insuffisants pour établir avec sérieux et certitude que le tableau litigieux ne serait pas authentique et justifier le prononcé de la nullité de la vente du 14 juin 2007 ;
- en cas d'annulation, la société Camard & associés ne peut pas être condamnée à restituer les frais d'adjudication, les restitutions consécutives à l'annulation d'une vente pour erreur sur la substance n'ayant lieu qu'entre les parties contractantes ;
- le commissaire-priseur procédant à la vente aux enchères d'une 'uvre d'art ne peut pas voir sa responsabilité engagée, dès lors que les données acquises au moment de la vente ne lui permettaient pas de mettre en doute l'authenticité de l''uvre et ne nécessitaient pas de procéder à des investigations complémentaires, alors même qu'il a fait appel à un expert notoire et qualifié qui lui a certifié le caractère authentique de l''uvre ; la société Camard & associés a établi son catalogue au vu des indications fournies par son vendeur, M. [I], expert reconnu et non contesté de l''uvre d'[B] [X], de sorte que sa responsabilité ne peut pas être engagée ;
Considérant que M. [I] allègue que :
- rien n'autorise à conclure à l'absence d'authenticité de l'oeuvre et à la nullité de la vente;
- outre son expertise internationalement reconnue et l'absence de crédibilité de M.[O] à l'origine de la fermeture d'une exposition de peintres russes, organisée à [Localité 13], l'instruction pénale sur cette exposition qu'il avait organisée et où étaient présentés de nombreux tableaux lui appartenant, ne permet à ce jour de dégager aucune conclusion quant à l'authenticité de l'oeuvre du peintre reconnue par M. [I], sauf à porter atteinte au principe de la présomption d'innocence ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, aucune des six appréciations retenues par l'expert, de façon particulièrement formelle, ne saurait valablement prospérer ;
- si la nullité de la vente venait à être confirmée, Mme [L] ne saurait prétendre à répétition puisque'elle a rendu la cause du contrat de vente immorale par les desseins illicites de fraude fiscale dont elle l'a assortie ; elle ne justifie en outre d'aucun des préjudices qu'elle allègue ;
- dans cette hypothèse de l'annulation de la vente, la société Camard & associés ne peut pas être exonérée de sa propre responsabilité, dès lors qu'il est constant que la société de vente qui affirme l'attribution d'une 'uvre constituant l'une de ses qualités substantielles, sans assortir cette affirmation d'une réserve, engage sa responsabilité à l'égard de la victime de l'erreur ;
- lui-même n'est pas intervenu à la vente en qualité d'expert mais en qualité de vendeur; il n'est pas tenu de garantir la société Camard & associés des condamnations prononcées à son encontre à raison de la faute de l'expert qu'il n'est pas ;
Considérant sur ce qu'il n'y a pas lieu d'établir un lien entre l'interruption de l'exposition qui avait été organisée par M. [I] au château de [Localité 13] d'un très nombre de tableaux d'artistes russes, dont la grande majorité lui appartenait, à l'initiative de M. [O], président de l'association des amis d'[B] [X], qui a donné lieu à une instruction judiciaire, non encore achevée, qui aurait, selon les nombreuses coupures de journaux versées aux débats par les parties, montré à la faveur de deux expertises judiciaires que certains des tableaux étaient des faux ; qu'en effet, le tableau en cause dans la présente procédure ne faisait pas partie de l'exposition de [Localité 13], de sorte qu'il n'y a pas lieu de confondre les deux affaires, même si la survenance de l'affaire de [Localité 13] a pu nourrir les craintes de Mme [L] sur le fait que son propre tableau serait un faux ;
Considérant que l'expert [U] [Y], dont la nomination n'a pas été contestée par les parties a rempli consciencieusement la mission qui lui a été confiée et, après avoir examiné les dires des parties, a répondu aux questions qui lui étaient posées, exprimant sa certitude sur le fait que le tableau n'était pas l'oeuvre d'[B] [X] ;
Considérant que l'expert a procédé à un examen de l'oeuvre sur le plan stylistique et fait procéder à des analyses de six prélèvements de couleurs sur des parties non repeintes sans que M. [I] ait critiqué sa façon d'y procéder ;
Considérant sur l'analyse stylistique effectuée entre l'oeuvre litigieuse et deux autres oeuvres dont l'authenticité est reconnue a conduit l'expert judiciaire à estimer que :
"Les comparaisons font apparaître les profondes différences de nature entre ces trois tableaux. On constate que la qualité stylistique du tableau litigieux est très médiocre. On est en présence d'une improvisation anarchique et maladroite. La touche est épaisse et hésitante. La composition est désordonnée et n'obéit à aucune logique esthétique. Les juxtapositions de couleurs ainsi que les superpositions de formes sont faites au hasard sans maîtrise. La technique picturale est rudimentaire, la matière est grossière et sa mise en oeuvre révèle une main malhabile et inexpérimentée, très éloignée de la maîtrise que révèlent les tableaux de référence. Les qualités graphiques, les constructions rythmiques, les subtils accords de couleur ainsi que les effets de lumière visibles dans ces deux tableaux suffisent à démontrer l'extrême faiblesse du tableau litigieux. La pauvreté de ce dernier est probablement la conséquence du travail d'un peintre inexpérimenté pour ne pas dire d'un amateur" ;
Considérant qu'après avoir examiné un très grand nombre de signatures d'[B] [X], l'expert note que le graphisme de la signature du tableau litigieux en est très éloigné ;
Considérant que sur les prélèvements de matière picturale effectués par l'expert dans des zones originales du tableau non retouchées après vérification préalable sous rayonnement ultra violet (Lampe UV longueur d'onde 365 mm + intermédiaire optique grossissant), les examens scientifiques approfondis effectués par le laboratoire MSMAP apportent la preuve que la matière picturale du tableau comporte des pigments qui n'étaient pas utilisés dans les années 1915 /1916, à savoir des couleurs bleue, jaune, verte et blanche. L'identification du pigment vert synthétique organique Brilliant Green PG1 indique que la matière picturale n°est pas antérieure à 1979 ;
Considérant qu'au terme de ces analyses stylistique et scientifique, l'expert conclut que le tableau, dont M. [I] n'a pu démontrer la provenance, est un faux ;
Considérant que l'expert a répondu aux contestations techniques de M. [I], lequel, partant du principe qu'il est le meilleur expert d'[B] [X], ne sollicite pas même une nouvelle expertise, ne serait-ce que sur la question purement technique des analyses scientifiques du tableau ;
Considérant dans ces conditions, qu'il existe aux yeux de la cour pour le moins une absence de certitude sur le fait que le tableau acheté par M. [L] soit une oeuvre d'[B] [X] comme il l'était annoncé dans le catalogue ;
Considérant dans ces conditions que M. [L] ayant été induit en erreur sur les qualités intrinsèques de l'oeuvre achetée lors de la vente organisée par la société Camard, par la description inexacte du catalogue, sa veuve et ayant droit est fondée à en obtenir la nullité à l'égard du vendeur, M. [I] ;
Considérant en conséquence que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné M. [I] à restituer le prix perçu contre la remise du tableau litigieux, selon les modalités qu'il a prévues ;
Considérant que la société Camard, qui a affirmé, sans réserve, qu'[B] [X] était l'auteur de l'oeuvre contestée, alors qu'il existe au moins un doute sur son authenticité, a engagé sa responsabilité envers l'acquéreur, ce d'autant qu'elle s'est contentée des dires du vendeur, sans se faire assister d'un expert distinct de celui-ci ;
Considérant qu'elle doit indemniser l'acquéreur du montant des frais qu'il a supportés, 13 718,12 euros avec les intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 10 février 2014, avec capitalisation ;
Considérant que le préjudice matériel invoqué par Mme [L], fondé sur des placements financiers qui auraient pu être faits avec l'argent consacré à cet achat est hypothétique, dénué de lien direct avec la faute de la société Camard et ne peut être retenu;
Considérant que le préjudice moral résulté de l'achat pour un prix non négligeable d'une oeuvre dont l'authenticité se trouve discutée, a été correctement indemnisé par les premiers juges, à hauteur de 2 500 euros, somme correspondant au demeurant à la déclaration de créance faite entre les mains du liquidateur de la société Camard et qui sera retenue ;
Considérant que la société Camard a fourni à l'acquéreur le nom du vendeur, Mme [L] ne justifiant pas en l'état de l'insolvabilité de M. [I], même s'il connaît des difficultés de paiements de dettes fiscales ; qu'il n'est rien dit du produit de la saisie-vente effectuée ni du point de savoir si l'intéressé possède des biens immobiliers ; qu'il n'y a pas lieu de déclarer la société Camard & associés tenue avec M. [I] de la restitution du prix de vente ;
Considérant que contrairement à ce qu'avait indiqué le tribunal, M. [I] n'est pas intervenu comme expert de cette vente, s'agissant des tableaux d'[B] [X], de sorte qu'il ne saurait être tenu à garantir la société Camard & associés ; que, par ailleurs, rien ne démontre sa mauvaise foi, à ce stade de la procédure, de sorte qu'aucune faute ne saurait lui être imputée à raison de ce qu'il a affirmé que l'oeuvre litigieuse était une oeuvre d'[B] [X] qu'il ferait figurer dans le catalogue raisonné qu'il préparait ; que Mme [L] doit être déboutée de sa demande de condamnation à cet égard ;
Considérant qu'il convient de condamner la SCP Canet en sa qualité de liquidateur de la société Camard à payer à Mme [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu à suspension de l'instance ;
Confirme le jugement du 26 mai 2015 du tribunal de grande instance de Paris,
- sauf en ce qu'il a condamné M. [I] (in solidum avec la société Camard & associés) à :
* payer à Mme [L] la somme de 2 500 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
* payer à Mme [L] la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
* garantir la société Camard & associés de toutes les condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière en principal, frais irrépétibles et dépens ;
* supporter les dépens ;
- sauf en ce qu'il a prononcé des condamnations à l'encontre de la société Camard désormais en liquidation judiciaire ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés,
Déboute Mme [L] de sa demande de dommages et intérêts, ainsi que de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, dirigées contre M. [I] ;
Déboute la société Camard & associés de sa demande tendant à ce que M. [I] la garantisse des condamnations à son encontre en principal, frais irrépétibles et dépens ;
Fixe les créances de Mme [L] sur la liquidation judiciaire de la société Camard & associés aux montants pour lesquels le tribunal avait prononcé condamnation contre la société Camard & associés, dans la limite des sommes déclarées auprès des organes de la procédure collective ;
Y ajoutant,
Condamne la la SCP Canet en sa qualité de liquidateur de la société Camard à payer à Mme [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel et à supporter les dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT