RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 5
ARRÊT DU 02 JUILLET 2020
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/13752 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3WSH
Décision déférée à la cour : jugement du 30 mai 2017 -tribunal de commerce de CRETEIL - RG n° 2015F00667
APPELANTE
SAS ELIVIE venant aux droits de la société ASSISTANCES MEDICALES SPECIALISEES (AMS)
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
N° SIRET : 333 954 386
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334
Ayant pour avocat plaidant Me Déborah ITTAH de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du VAL DE MARNE substituée à l'audience par Me Arthur FIDAL- ARNO de la SELAS FIDAL, avocat au barreau du VAL DE MARNE
INTIMÉE
SOCIÉTÉ NHC SAS
Ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 432 360 201
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Gérard VERGNE de la SCP VERGNE GRIMAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0109
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 mars 2020, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre
Mme Christine SOUDRY, conseillère
Mme Camille LIGNIERES, conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme LIGNIERES dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Hortense VITELA-GASPAR
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Annick PRIGENT, présidente de chambre et par Mme Hortense VITELA-GASPAR, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE :
La société Assistances Médicales Spécialisées (AMS), aux droits de laquelle est venue la société Élivie, est une société spécialisée dans la livraison à domicile des appareils de traitement et du matériel médical.
La société NHC exerce une activité de fourniture dans le domaine de la nutrition et tous autres types de soins associés de produits matériels et services nécessaires au maintien des malades à leur domicile.
Courant 2013/2014, trois salariés de la société NHC ont démissionné et ont été embauchés par la société AMS par la suite. Ces salariés sont Mmes [O], [N] et M. [L].
Concernant Mme [X] [O], elle était salariée de NHC depuis le 26 mai 2011 en qualité d'infirmière Coordinatrice Diabète sur le secteur d'activité des département 28 et 78 lorsqu'elle a démissionné de ses fonctions par courrier du 29 octobre 2013 à effet du 31 janvier 2014, pour rejoindre la société AMS. Par courrier en date du 15 novembre 2013, la société NHC a délié Madame [O] de son obligation de non-concurrence.
Concernant Mme [Y] [N], elle était salariée de NHS depuis le 31 janvier 2011 en qualité d'infirmière Coordinatrice Diabète lorsqu'elle a démissionné de ses fonctions le 12 décembre 2013, puis elle a été embauchée par AMS par contrat du 17 mars 2014, en qualité d'infirmière chargée de la pédagogie et de l'installation auprès des patients du département perfusion, cadre.
Enfin, concernant M. [J] [L], il était salarié de NHC depuis le 23 septembre 2011 en qualité d'infirmier Coordinateur Diabète lorsqu'il a démissionné de ses fonctions le 13 février 2014, puis il a été embauché par AMS par contrat en date du 9 mai 2014, en qualité d'infirmier commercial.
S'estimant victime d'une concurrence déloyale, la société NHC a fait assigner, par acte d'huissier de justice en date du 16 juin 2015, la société AMS devant le tribunal de commerce de Créteil, aux fins d'obtenir notamment le paiement de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice commercial et moral.
La société NHC avait obtenu deux ordonnances présidentielles auprès du tribunal de commerce de Créteil en date des 25 mars et 15 décembre 2014 sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile aux fins d'obtenir des preuves avant procès, ces ordonnances ont fait l'objet d'une rétractation totale par ordonnance de référé du 8 mars 2016.
Par jugement rendu le 30 mai 2017, le tribunal de commerce de Créteil a :
-écarté des débats les pièces n°61 et n°62 versées aux débats par la partie demanderesse ;
-condamné la société Élivie, venant aux droits de la SASU Assistances Médicales Spécialisées AMS, à payer à la société NHC la somme de 100.000,00 euros au titre du préjudice commercial subi et débouté la société NHC du surplus de sa demande ;
-condamné la société Élivie, venant aux droits de la SASU Assistances Médicales Spécialisées AMS, à payer à la société NHC la somme de 10.000,00 euros au titre du préjudice moral subi et débouté la société NHC du surplus de sa demande ;
- dit la société Élivie, venant aux droits de la SASU Assistances Médicales Spécialisées ' AMS, mal fondée en sa demande de dommages-intérêts et l'en a déboutée ;
- condamné la société Élivie, venant aux droits de la SASU Assistances Médicales Spécialisées ' AMS, à payer à la société NHC la somme de 3.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Élivie, venant aux droits de la SASU Assistances Médicales Spécialisées ' AMS de sa demande formée de ce chef ;
- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement, sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit ;
- condamné la partie défenderesse aux dépens ;
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 81,12 euros TTC (dont TVA 20,00%).
Par déclaration du 7 juillet 2017, la société Élivie a interjeté un appel total de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 6 février 2018, la société Élivie, appelante, demande à la cour de :
Vu l'article 1382 du code civil,
-infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil en date du 30 mai 2015, sauf en ce qu'il a écarté des débats les pièces n°61 et 62 versées par la société NHC ;
Et statuant à nouveau,
-écarter des débats les pièces communiquées par la société NHC et obtenues dans le cadre des ordonnances sur requête en date des 25 mars 2014 et 15 décembre 2014 qui ont fait l'objet d'une rétractation par ordonnance de référé du tribunal de commerce de Créteil en date du 8 mars 2016, et notamment les pièces n°17, 18, 19, 34, 35, 36, 44, 45, 50, 51 ;
-écarter des débats les sommations interpellatives produites par la société NHC n°61 et 62 obtenues de manière illicite ;
- débouter la société NHC de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner la société NHC à payer à la société Élivie une somme de 10.000 euros pour procédure abusive ;
- condamner la société NHC à payer à la société Élivie une somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société NHC aux entiers dépens et autoriser Maître [E] à les recouvrer conformément à l'article 699 du code de procédure civile
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 février 2020, la société NHC, intimée, demande à la cour de :
- déclarer la société Élivie irrecevable et infondée en son appel ;
- dire et juger que la société AMS, aux droits de laquelle se trouve la société Élivie a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société NHC ;
- déclarer la société NHC recevable et bien fondée en son appel incident ;
- condamner la société Élivie à payer à la société NHC les sommes suivantes ;
'1.228.014,20 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice commercial,
'50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
'10.000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,
Subsidiairement, sur le préjudice, désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission de :
'se rendre sur place aux sièges des Sociétés NHC et Élivie,
'se faire remettre et examiner tous les documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, et notamment les documents comptables de la Société AMS afin de déterminer le nombre des anciens patients de la Société NHC qui ont contracté avec la Société AMS à compter du 29 octobre 2013, date de la démission de Madame [X] [O],
'déterminer le chiffre d'affaires et le montant de la marge réalisés par la Société AMS et/ou la Société Élivie avec lesdits patients depuis le 29 octobre 2013, date de la démission de Mme [X] [O],
'fournir tous autres éléments de fait de nature à permettre d'évaluer le préjudice subi par la société NHC,
- condamner la société Élivie aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 février 2020.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
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MOTIFS
A titre préliminaire, il convient de préciser que les pièces obtenues par ordonnances d'autorisation d'investigations des 25 mars et 15 décembre 2014 ayant fait l'objet d'une rétractation totale (les pièces n°17, 18, 19, 34, 35, 36, 44, 45, 50, 51) ont été retirées du bordereau des pièces produites par la société NHC dans le présent litige. La demande de la société Elivie aux fins de les écarter des débats n'a donc plus d'objet.
Sur les faits de concurrence déloyale commis par la société AMS
La société NHC reproche à la société AMS (devenue Elivie) d'avoir commis des faits de concurrence déloyale à son encontre par débauchage de personnel, complicité de violation de non concurrence, détournement d'informations à caractère commercial et médical et par détournement de clientèle.
La société Elivie conteste l'existence de chacun des faits de concurrence déloyale reprochés.
Elle critique le jugement de première instance en soutenant qu'il n'est pas démontré de violation de clause de non concurrence pour Mme [N] et M. [L], et que Mme [O] a été déliée de sa clause de non concurrence par NHC, qu'il n'est pas non plus prouvé de manoeuvres ou sollicitations de sa part auprès des salariés concernés aux fins de les débaucher, qu'enfin la désorganisation de l'entreprise alléguée par NHC n'est pas justifiée.
La société Elivie soutient que ne sont démontrés ni le détournement des informations commerciales, ni le détournement de la clientèle allégués par la société NHC.
Sur ce ;
La concurrence déloyale suppose une faute au sens de l'ancien article 1382 du code civil, applicable au présent litige.
En l'espèce, les parties en présence étaient, au moment des faits, directement en concurrence sur le même marché français des services de traitement à domicile des malades diabétiques par insulinothérapie.
-le débauchage fautif
Il est établi que la simple embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente, n'est pas en elle-même fautive. De même, le débauchage n'est pas en lui-même fautif. Le débauchage ne devient déloyal que si une faute peut être imputée au nouvel employeur, consistant notamment en des man'uvres pour détourner le salarié vers soi.
En l'espèce, la seule concomitance des démissions données par trois salariés de la société NHC sur des secteurs géographiques proches ne peut suffire à prouver l'existence de manoeuvres déloyales de la part de la société AMS pour débaucher ces salariés.
Il convient en outre de vérifier si la société NHC peut légitimement reprocher à la société AMS d'avoir été complice de la violation de clause de non concurrence auxquelles étaient tenues ses ex salariés.
-la complicité de violation de la clause de non-concurrence
Concernant Mme [O], il n'est pas contesté qu'elle a été déliée par la sociét NHC de son obligation de non concurrence lors de son départ.
Concernant M. [L], l'arrêt de la cour d'appel de Versailles rendu en date du 26 septembre 2019 a jugé que « la clause énonce clairement que le salarié doit s'interdire de « mettre ses services directement ou indirectement à disposition d'une entreprise vendant les mêmes services » dans le périmètre convenu. Or, en continuant à s'occuper, en tant que salariés de la société AMS, d'un patient qu'il suivait chez son ancien employeur, dans le département de l'Oise situé dans le périmètre géographique de la clause de non concurrence et dans le délai de l'interdiction, M. [L] a violé ladite clause, qui n'exige aucun acte volontaire ou positif de démarchage. »
Concernant Mme [N], l'intimée ne peut légitimement soutenir que cette dernière n'a pas violé la clause de non concurrence dont elle était tenue à l'égard de la société NHC car elle y a exercé des fonctions différentes, alors que la cour d'appel de Versailles dans son arrêt rendu le 7 juin 2018 a jugé que « l'intitulé trompeur de son nouveau poste au sein de la société AMS (infirmière chargée de la pédagogie et de l'installation auprès des patients du département perfusion sur les départements du 27 et 28) dissimule le fait qu'en réalité elle a exercé entre 2014 et 2016, période d'interdiction, les mêmes ou une partie des mêmes fonctions que celles occupées au sein de la société NHC, ce qui vient confirmer par elle la violation de la clause de non concurrence ».
Or, la société AMS en embauchant des salariés provenant d'une société concurrente, de surplus, occupant des postes d'encadrement, se devait, selon les usages loyaux du commerce, de vérifier si ces derniers étaient en situation de violer une obligation contractuelle de non concurrence envers leur ancien employeur. Aussi, la société AMS a fait preuve, lors de l'embauche de M. [L] et de Mme [N], d'un comportement déloyal à l'égard de la société NHC.
-le détournement des informations à caractère commercial et médical, et de la clientèle
L'embauche simultanée de trois infirmiers coordonnateurs au sein de la société NHC a permis à cette dernière d'avoir immédiatement accès à l'intégralité des coordonnées des patients.
Ainsi, la société AMS a directement et sciemment profité du fait que les anciens salariés de la société NHC étaient détenteurs des informations médicales sur les personnes qu'ils suivaient à domicile, et ce, alors que deux de ces salariés étaient encore liés par une obligation de non concurrence.
Concernant la troisième salariée, Mme [O], même si elle avait été déliée de cette obligation, celle-ci ne pouvait loyalement inciter la clientèle de la société NHC à la suivre alors qu'elle changeait d'employeur. Or, il est justifié par des pièces, qui n'ont pas à être écartées à la suite de l'ordonnance de rétractation des investigations aux fins probatoires menées avant procès, que Mme [O] a incité d'anciens patients qu'elle suivait en tant que salariée de NHC à demander leur désapareillage au profit de la société concurrent AMS, et ce en dénigrant son ancien employeur.
Ainsi, Mme [I] [T], patiente NHC précédemment suivie par Mme [O], atteste en ces termes : (pièce 9 de NHC) :
- « Mi-novembre Mme [X] [O] m'a appelé au téléphone pour me dire qu'elle quittait la Société NESTLE et qu'il n'était pas prévu qu'on la remplace, et donc je ne serai pas livrée. Par contre elle part dans une autre boite, et que si je voulais je serai prise en charge. Avant, je lui ai demandé si Mme [Y] [N] ne pouvait pas prendre sa relève, elle m'a dit que non, car elle aussi quittait la Société NESTLE. Je lui ai dit, comment cela se passerait avec le Dr [F] car vu que c'était elle qui m'avait adressé à NESTLE. Elle m'a dit ne vous inquiétez pas, je m'occupe de tout et que Mme [F] travaille avec la Société AMS.
Suite à mon désarroi, et la peur de ne plus avoir de matériel, je lui ai fait confiance, et j'ai
crû bon de la suivre car elle m'a bien rassuré que le suivi se poursuivrait avec sa nouvelle
Société AMS. J'ai vu le Dr [F] le 4 mars 2014 en consultation, et je lui ai parlé de mon changement de prestataire, ce qu'elle n'a pas toléré en me disant que cela ne se faisait pas, et que c'était du détournement de clientèle (') ».
Mme [I] [T] a par ailleurs informé la société NHC du fait que Mme [O] lui avait adressé plusieurs SMS de relance, messages qui sont à l'évidence adressés à plusieurs de ses patients et qui sont reproduits en annexe du PV de constat d'huissier de justice du 17 mars 2014. (pièce 12 de NHC)
Premier SMS (21/02/2014 à 14h57) :
« Bonjour à tous.
Je viens vers vous car certains d'entre vous ont été contacté avec insistance par Nestlé pour connaître le motif de l'arrêt pompe, Nestlé a également demandé à d'autres de faire un courrier de confirmation. Attention, ils n'ont pas à exiger cela, c'est un piège pour me rendre responsable de votre départ. En France, le patient à la liberté de choix de son prestataire et a le droit d'arrêter la prestation à tout moment sans justification... Merci d'être vigilent et si Nestlé persiste n'hésitez pas à leur faire savoir et à me le faire savoir... Bon week-end à tous
« [X] (') »
Deuxième SMS (26/02/2014 à 17 heures 06):
« Bonsoir à tous,
Ne croyez pas que je vous ai oublié, il est temps que l'on se retrouve pour faire un petit suivi car mes collègues ne l'ont pas fait. Vous ne pouvez pas m'échapper lol...Merci de me donner des dates de disponibilités sur mars.
Bonne soirée à tous.
« [X] (') »
Troisième SMS (03/03/2014 18h50):
« Bonsoir à tous,
J'espère que la reprise pour certains n'est pas trop difficile. Je n'ai pas reçu vos dates de disponibilité pour que l'on se voit pour votre suivi.. Merci à vous et bonne soiré.
[X] (') »
Est également versée aux débats une lettre de M. [A] [G] datée du 19-02-2014, patient qui a été suivi par Mme [O] alors qu'elle était salariée de NHC indiquant : « Je tenais à vous informer des faits suivants. [X] [O] m'a téléphoné en me disant qu'elle reprenait tous les clients de chez NESTLE, car l'Hôpital de [Localité 5] ne voulait plus travailler avec cette Société, et que [K] avait commis des erreurs, qu'ils y avaient des patients qui avaient porté plainte contre elle. Un patient du service diabétologique suivi par le Dr [W] aurait déjà changé sa pompe. Mon mari et moi-même ont été très choqués et perturbés, car nous sommes satisfait de [K], et [X] a porté des accusations graves. Il faut penser que les malades sont des êtres humains et non des valeurs marchandes (') ».(pièce 13 de NHC)
Enfin, la responsable régionale Ile de France de NHC atteste : « En tant que Responsable Régionale diabète sur l'IDF, j'accompagnais Mme [B] [K] chez un patient qui m'a témoigné verbalement avoir été contacté par téléphone par [X] [O]. En effet ce patient, M. [H], a été contacté par Mme [O] qui lui a indiqué que le Médecin diabétologue, le Dr [W], refuserait de continuer à le suivre en tant que patient car ce médecin ne voulait plus travailler avec NHC, et que pour cette raison il était indispensable qu'il quitte NHC pour continuer à être suivi par AMS, prestataire pour lequel elle travaille (') ».(pièce 14 de NHC)
Il est donc démontré l'existence de détournement d'informations médicales et commerciales et de détournement de clientèle auxquels a participé la société AMS en acceptant d'utiliser ces données et en profitant sciemment de la clientèle détournée par l'embauche de deux salariés soumis à une clause de non concurrence et des nombreux désappareillages à son profit à la suite de l'attitude déloyale de Mme [O] à l'égard de son ancien employeur.
-la désorganisation de l'entreprise
Les trois salariés démissionnaires qui ont été embauchés par la société AMS dans un temps très bref exerçaient des fonctions d'encadrement en contact direct avec les patients, ce qui a nécessairement engendré une désorganisation de l'entreprise concurrente.
Cette désorganisation est confirmée par la perte de clientèle sur la période suivant la démission des trois salariés qui suivaient chacun 89 patients : 23 demandes de désappareillages sur les patients suivis par M. [L], 24 demandes de désappareillages sur les patients suivis par Mme [N] et 59 demandes de désappareillage sur les patients suivis par Mme [O]. (listes en pièces 7 et 8, et 29 à 33 de NHC)
Il n'est en outre pas contesté qu'au moment des faits sur la zone de l'Ile de France-Est, la société AMS ne disposait que de 14 infirmiers coordinateurs, aussi le départ concomitant sur cette même zone de presqu'un quart de ses infirmiers coordinateurs a perturbé son organisation.
Par conséquent, sont justifiés les éléments constitutifs d'actes de concurrence déloyale commis par la société AMS à l'encontre de la société NHC.
Sur le préjudice subi par la société NHC
A l'appui de sa demande en dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel, la société NHC fait valoir la particularité de l'activité d'insulinothérapie à domicile liée au fait que les prestations fournies aux patients font l'objet d'un tarif forfaitaire journalier fixé par l'Assurance-Maladie, de sorte qu'un patient génère obligatoirement un chiffre d'affaires fixe pendant toute la durée du traitement s'élevant sur la base de la tarification en vigueur au 1er janvier 2013 à 5.694 euros HT, elle prétend avoir subi une perte de chiffre d'affaires de 5.694 euros HT x 3 ans x 106 patients = 1.810.692 euros HT et une perte de marge brute à hauteur de 1.228.014,20 euros HT.
La société Elivie conteste cette évaluation en soutenant qu'il n'est pas justifié du transfert de clientèle allégué qui serait dû au détournement de clientèle.
-le préjudice matériel
Il convient d'examiner le préjudice causé par l'attitude fautive de la société AMS.
Or, il ne peut être légitimement demandé par la société NHC un préjudice matériel équivalent à la totalité du gain manqué sur trois années du fait des 106 désappareillages suite à la démission des trois salariés parce qu'il ressort clairement des explications versées aux débats, comme l'ont justement relevé les premiers juges, que « l'attachement d'un patient envers son soignant peut amener le premier à rester fidèle aux prestation du second, quel que soit son employeur ».
Le tribunal de commerce en a donc logiquement déduit qu'il convenait de fixer le préjudice à hauteur de la marge estimée produite par 25 patients (soit ¿ des des départs) durant 2 ans.
Néanmoins, la juridiction de première instance n'avait pas retenu la complicité de violation de clause de non concurrence par M. [L] et Mme [N], lesquels ont, depuis, été jugés par la cour d'appel de Versailles comme les auteurs de cette faute à l'égard de leur ancien employeur. Or, cette clause de non concurrence dans le contrat de travail conclu entre la société NHC et ses infirmiers coordonnateurs trouve sa justification dans ce lien fort existant entre ces derniers et leurs patients. Si la société AMS avait veillé au respect de ces clauses lors de l'embauche de nouveaux salariés, les clients de NHC n'auraient pas demandé leur désappareillage pour suivre leur infirmier qui était interdit de travailler pour une société concurrente sur le même secteur pour une période de deux ans après son départ. Il sera donc pris en compte les 47 clients perdus suite à la démission de M. [L] et Mme [N] pendant deux ans.
Concernant Mme [O] qui était déliée de sa clause de non concurrence, il sera retenu un quart des 59 clients suivis qui ne seraient pas partis si celle-ci ne les avait pas incités de manière déloyale à demander leur désapareillage au profit de AMS, soit 15 patients sur la même période de deux ans.
En tenant compte de ces éléments, la perte de marge brute, fixée au vu de l'attestation comptable de NHC qui n'est pas pertinemment contestée, est donc de 3855,68 euros (forfait hospitalier annuel par patient après déduction des coûts directs) x 62 (47+15) clients x 2 ans, soit 478.104,32 euros. (pièce 80 de NHC)
La société Elivie sera condamnée à payer à la société NHC des dommages et intérêts à cette hauteur en réparation du préjudice matériel subi du fait des actes de concurrence déloyale commis.
-le préjudice moral
Selon la société Elivie, le dénigrement allégué par la société NHC n'est pas prouvé et il serait en outre particulièrement douteux qu'une société puisse subir un préjudice moral.
Pourtant, il a été démontré la réalité des propos négatifs tenus par Mme [O] à l'égard de son ancien employeur lors de son départ de la société, ces propos ont nécessairement porté atteinte à l'image et la réputation de la société NHC auprès d'une partie de sa clientèle et de ses partenaires que sont les prescripteurs hospitaliers.
Par conséquent, le jugement sera confirmé dans la fixation du préjudice subi de ce chef à hauteur de 10.000 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Elivie pour procédure abusive
Ce chef de demande émanant de la société Elivie qui succombe dans son appel sera rejeté.
Sur les frais et dépens
Le jugement sera confirmé quant aux frais et dépens de première instance.
La société Elivie succombant au principal en appel en supportera les dépens, et sera en outre condamnée à participer aux frais irrépétibles engagés par la société NHC en appel à hauteur de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf concernant le quantum de l'indemnisation due par la société Elivie à la société NHC sur le préjudice matériel en réparation des actes de concurrence déloyale,
Statuant à nouveau de ce chef,
CONDAMNE la société Elivie à payer à la société NHC la somme de 478.104,32 euros au titre du préjudice matériel en réparation des actes de concurrence déloyale,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Elivie à payer à la société NHC à la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Elvitie à payer les entiers dépens de l'appel.
Hortense VITELA-GASPAR Marie-Annick PRIGENT
Greffière Présidente